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REVUE
DES
ÉTUDES JUIVES
VERSAILLES
CERF ET FILS, IMPRIMEURS
59. RUE DUPLESSIS, 59
Viôrf^ REVUE
DES
ÉTUDES JUIVES
PUBLICATION TRIMESTRIELLE
DE LA SOCIÉTÉ DES ÉTUDES JUIVES
TOME DIX-NEUVIEME
PARIS
A LA LIBRAIRIE A. DURLACHER
1889 Ar2*
83 bis, RUE LAFAYETTE „ \**\€>
IOI
t.lS
RECHERCHES BIBLIQUES
XVI
LE PSAUME LXVIII.
Le livre des Psaumes est regardé avec raison comme un des
moins satisfaisants des écrits bibliques au point de vue de la
correction textuelle, et le psaume lxviii est généralement placé
à la tête des textes les plus altérés et les plus disloqués de ce
livre. Une nouvelle recherche sur un sujet aussi ardu ne risque
donc pas de paraître superflue. Telle est la considération qui
m'a engagé à donner suite à la tentative présente, faite indépen-
damment de tous les travaux analogues qui ont vu le jour dans
les derniers temps soit en France, soit à rétranger, et que je n'ai
jamais eus sous les yeux. Ainsi avertis, les lecteurs de cet essai
voudront bien remédier eux-mêmes au manque de citations, en le
comparant aux traductions données dans les ouvrages de mes
prédécesseurs, auxquels ils attribueront naturellement la priorité
dans tous les cas où nos vues seraient d'accord. Ma seule ambi-
tion est de comprendre l'auteur et de contribuer autant qu'il m'est
possible à la fixation de la date du poème. Tant mieux si d'autres
sont parvenus au même résultat avant moi ; mes conclusions en
seront d'autant plus certaines.
Triple division du psaume»
La plus légère attention fait voir dans le psaume lxviii trois
divisions bien distinctes, sans compter le premier verset, quia
été ajouté très tardivement à titre de suscription, comme c'est
le cas de la majorité des psaumes. Ces divisions sont : le prologue,
l'épilogue et la partie moyenne.
T. XIX, n° 37. 1
2 REVUE DES ETUDES JUIVES
Le prologue forme un passage continu, d'une clarté parfaite :
versets 2 à 7. Demande à Dieu d'anéantir les ennemis pervers qui
sont en voie d'envahir la Judée (v. 2 et 3). Cet acte de suprême
justice comblera de joie les justes (v. 4 et 5), qui y verront la
preuve matérielle que Dieu a soin des faibles et des déshérités de
la terre (v. 6), qu'il procure un domicile aux abandonnés, délivre
les captifs, et qu'il n'est sévère que pour les impies (v. 7).
L'épilogue forme également un passage continu, mais le sens
y est beaucoup moins clair, à cause de quelques mots obscurs et
de formes évidemment incorrectes qui s'y sont glissés : versets
29 à 36. Demande à Dieu de renouveler les actes de vigueur de
l'antiquité (v. 29), ce qui forcera les rois à lui rendre hommage
(v. 30); spécification précise des ennemis contre lesquels Dieu
doit sévir (v. 31) et des rois dont on attend les hommages (v. 32) ;
appel aux autres royaumes de la terre à célébrer ensemble la
victoire accordée à Israël (v. 33 à 36).
La partie moyenne contient la majeure partie du psaume : ver-
sets 8 à 28. L'esprit de continuité y fait entièrement défaut, mais
on remarque que quelques versets se relient entre eux pour for-
mer de petits groupes isolés qui se suivent dans un désordre vi-
sible. On sent que cette regrettable dislocation est due à l'insou-
ciance des scribes, et l'on se met à espérer qu'en modifiant la
disposition actuelle des groupes, on pourrait remédier au mal et
rétablir l'harmonie primitive du poème. Les remarques suivantes
s'efforceront d'atteindre ce but. Chaque groupe de la III* division
y est désigné par une lettre de l'alphabet en guise de numéro
d'ordre.
III a se compose des versets 8 et 9.
Iïl d » » 10 et 11.
• III c ». » 12, 13,14.
Le verset 15 ne montre aucun lien avec les versets envi-
ronnants.
III cl se compose des versets 16 et 17.
III e » » 18 et 19.
III f » )> 20 et 21.
III g » » 22, 23 et 24, mais v. 24 se rat-
tache plus étroitement à v. 22.
III h * » 25, 26, 27 et 28, mais ce dernier
se rattache mieux à v. 25.
Voilà l'état actuel du texte, le décousu est trop flagrant pour
RECHERCHES BIBLIQUES 3
l'attribuer à l'auteur, qui a mis un ordre remarquable dans les
passages formant les deux autres divisions du psaume. Faut- il
l'attribuer à des interpolations réitérées de versets hétéroclites?
C'est peu vraisemblable. On ne saurait recourir à ces sortes
d'hypothèses qu'au seul cas où le rétablissement d'un texte intel-
ligible serait d'une impossibilité absolue. Heureusement nous
n'en sommes pas encore à cette extrémité.
Quadruple subdivision de la partie moyenne.
Une longue réflexion sur cette partie du psaume m'a fait acquérir
la conviction que le poète entend parler de trois montagnes diffé-
rentes qu'il envisage comme le théâtre de trois événements faisant
époque dans l'histoire d'Israël, savoir : le Sinaï, mentionné dans
III a et III e ; le mont ïifcbst, nommé au verset 15 et qui revient dans
III cZ sous la désignation de ïça ntt, « mont de Basan l » ; le mont
d'Élohim, d^K "iîi, qui est sans aucun doute le mont Sion, c'est-
à-dire Jérusalem, ville expressément nommée au verset 30 et indi-
quée par le terme général ^nbrti, « ton héritage », au verset 10. En
rangeant dans un ordre convenable les groupes et les versets qui
racontent les choses relatives à chacune de ces montagnes, l'ordre
de l'ensemble se rétablira de lui-même et l'ancienne obscurité
fera place à une clarté parfaite.
Les versets relatifs au Sinaï sont très faciles à grouper en un
passage bien arrondi. On n'a qu'à réunir III a et III e ; l'ensemble
donne un sens des plus satisfaisants. Les points que le poète y
décrit sont les suivants : marche delà divinité dans le désert (v. 8),
terreur du monde et du Sinaï (v. 9), les chars divins avec leur
cortège (v. 18), ascension et triomphe de la divinité (v. 19). La
scène décrite est d'un ordre purement guerrier.
La scène du Çalmon a les mêmes allures belliqueuses, mais le
peuple de Dieu, Israël, y intervient comme triomphateur recon-
naissant. L'épisode est introduit par le verset 15, dont le début :
Lpsbto ^125 U)n&3, forme un beau parallèle avec le début du passage
précédent, ^ns iaDb "inN^n. A cette introduction du verset 15 se
rattachent, on ne peut mieux, les quatre versets de III h dans
l'ordre établi ci-devant. L'objet de la description est : défaite des
rois sur le Çalmon (v. 15), apparition des légions divines devant le
peuple (v. 25), défaite de l'ennemi par les tribus israélites (v. 28),
célébration de la victoire (v. 26), actions de grâce (v. 27).
1 On sait que le mont Hermon forme la limite septentrionale du pays de Basan
(Deutéronome, m, 8).
4 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Les scènes qui précèdent appartiennent à la haute antiquité
d'Israël ; celle qui se joue sur le Sion et à Jérusalem est contem-
poraine du poète. Le présent n'est pas brillant. Le pays, s'at-
tendant à une invasion imminente, est affligé d'une sécheresse
extrême, et, par suite, menacé d'une terrible famine, mais le psal-
miste espère que ces calamités passeront bientôt. Convaincu que
la « montagne de Dieu » vaut bien la montagne de Basan (III d ou
v. 16 et 17), il passe au plus pressé et demande une pluie fertili-
sante pour réconforter le sol (v. 10) et l'humble bestiole qui y ha-
bite (v. 11). Sa foi est si robuste qu'il se répand aussitôt en expres-
sions de reconnaissance envers Dieu (III /"ou versets 20 et 21).
Après avoir écarté la crainte de la famine, le psalmiste, quelque
peu prophète, cherche à prévoir les suites de l'invasion imminente
qui menace l'existence de la nation. Le pressentiment du danger
a délié la langue des prophètes et surtout des prophétesses, ils pro-
clament des événements terrifiants qui doivent se passer à l'ar-
rivée de l'immense armée ennemie. Le psalmiste coupe court à leur
clameur en leur opposant un oracle récent (v. 13) qui annonce, non
seulement que les envahisseurs seront repoussés et dépouillés
(v. 14) par le peuple de Dieu devenu invincible (v. 15), mais que
l'écrasement parfait des ennemis (v. 22 et 24) produira cet heureux
résultat de faire revenir ceux qui avaient été violemment arrachés
de leur patrie (v. 23). Ces versets, il est facile de le voir, affir-
ment simplement que la prière contenue dans la première partie
du psaume sera exaucée, circonstance qui atteste l'authenticité de
la partie moyenne du psaume.
Grâce à cette mise en place des groupes ou des versets disloqués,
la marche des idées se déroule d'une façon naturelle et logique,
et l'ensemble du poème acquiert une unité harmonieuse.
Critique verbale du texte.
Nous pouvons maintenant passer à l'examen des mots ou des
formes difficiles qui pullulent dans notre texte et qui rendent par-
fois obscurs des passages entiers. Je citerai les versets suivant
l'ordre traditionnel des éditions massorétiques.
Verset 2. La forme de la deuxième personne, sfttfi, n'est guère
satisfaisante; il vaut mieux lire sienaiT», d'après les Septante et la
Vulgate.
Verset 10. Les mots inintelligibles fiabai ^nbro doivent se rétablir
ïrabs "Td ^nbm, <c quand ton héritage languit ». Le scribe massoré-
tique a oublié l'un des deux s du groupe et confondu i avec i.
RECHERCHES BIBLIQUES 5
Verset 13. rna rvg* n'a aucun sens, puisque mu est « demeure »,
et non « celle qui demeure ». La traduction « la belle de la
maison » est peu conforme à l'usage. L'image de la colombe qui
figure dans le verset suivant donne à penser que la lecture exacte
est n?s P5i'vi, la colombe de la maison ».
Verset 14. dwrç, « pierres de l'abattoir » (Ézéchiel, xl, 43).
Verset 15. La corruption des mots Jàbata abiDri m est évidente.
Il faut corriger ■pttbitsi abçn iris, « sur le mont de neige, sur
le Çalmon ». Le mont de neige est le ajbn nrû du Targum, c'est-à-
dire l'ancien Hermon, le Gebel-el-Sheikh de nos jours. Le nom ïifcbtt,
avec l'article, "pïïb&ïi, se trouve aussi chez Ptolémée sous la forme
de 'Aad^txavoç, altérés dans nos éditions en 'A^âSa^ ou AW^apoç.
Verset 18. Le raphé de tn semble indiquer que les massorètes
hésitaient entre la leçon i^n et celle de StïîT».
Verset 22. Le mot *\$b sera traité à part plus loin.
Verset 23. Le Basan avec ses taureaux sauvages (Psaume
xxn, 13) figure le péril inéluctable, les profondeurs de la mer, la
mort certaine.
Verset 24. ytvz a le double sens de frapper et d'agiter, cf. l'arabe
yro et yrâ.
arma». Comme la construction •n yni2 n'est guère vraisem-
blable, il faut restituer tr^iN û^n. La chute des lettres la a
été causée par les finales similaires du mot précédent ipnbs.
SIÏ1353. Le suffixe singulier se rapporte à l'énigmatique i^u) du
verset précédent : « qui viennent de lui, de sa part, à sa suite. »
Verset 25. nï^brr, « démarches », a ici le sens concret de « cor-
tège ».
Verset 2*7. Au lieu de TipfcE ^na, qui ne donne aucun sens satis-
faisant, il faut lire ï-np» tnçA», « Élohim, espérance (d'Israël) ».
Verset 28. DTi = unis î-nh , « serra de près (les ennemis), les
abattit » (Lamentations, 1, 13).
Sous brwayi, « leur lapidation », on doit entendre le lancement
des flèches.
Verset 29. Lire, avec les Septante, û^lnbN Srns , au lieu de sriat
"■pttba, et^w au lieu de îiw.
Verset 30. Le 12 de ^b^rtE marque la direction, la tendance :
« du côté de, vers » (Genèse, xm, 11).
Verset 31. L'expression ttjp rwi sera discutée plus loin conjoin-
tement à iib.
La leçon û'w "b^n n'offrant rien de satisfaisant, je pense qu'il
6 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
faut lire trte? ^??w, « les plus souillés des peuples ». Le prophète
Nalium applique l'épithète Fïbçiû,« souillée », à Ninive, mais l'ortho-
graphe avec a au lieu de 3> est moins bonne.
osnntt, au propre « qui foule au pied », signifie au figuré « re-
jeter, dédaigner ».
CjOb^i C( sommes d'argent » (cf. mischnique m*» n^itt), dé-
signe les rançons que les peuples vaincus paient pour conserver
leur vie.
?rta doit être corrigé en *i-T|, a disperse » ; l'impératif est néces-
saire à cause de •w.
i-ïïp rm et nsna.
Les ennemis contre lesquels le psalmiste demande secours à
Dieu pour son peuple sont indiqués au verset 22 par le mot que
la massore lit l^b et qui n'a que la signification de « cheveu »,
mais on sent combien une phrase telle que : « Dieu brisera le crâne
de cheveux qui persistent dans des crimes », est peu vraisemblable
sous la plume du poète sublime à qui nous devons le psaume. Même
en considérant, contre la massore, comme étant en connexion d'état
construit avec ^hnnft, « le crâne de cheveux de celui qui persiste
dans ses crimes », on n'échappe pas à de sérieuses difficultés; entre
autres, celles qui résultent du changement subit du nombre et du
caractère parasite et encombrant du mot n^o ; l'expression sim-
ple : le crâne de celui qui, etc., conviendrait beaucoup mieux,
puisque la pousse des cheveux sur la tête est commune à tous les
êtres humains et même aux animaux. Il n'y a que deux moyens
d'obvier à ces difficultés : ou corriger i3>ia en smbi et traduire « le
T •• T T
crâne de l'impie », ou bien regarder le mot n^©, non comme un
nom commun, mais comme un nom propre, notamment comme
le nom de la nation ennemie dont l'auteur prévoit l'anéantisse-
ment. La première conjecture, bien qu'elle se recommande par sa
grande simplicité, me parait peu apte à expliquer la cause de l'al-
tération, car le mot 3*12*1 est trop élémentaire pour qu'un scribe,
quelque ignorant qu'il fût, eût pu le remplacer par un mot plus
ambigu. La seconde conjecture, au contraire, semble mieux ex-
pliquer la cause de l'erreur et présenter en même temps cet avan-
tage de laisser intacte l'ordonnance des lettres.
Conduit sur ce nouveau terrain, on est tout d'abord tenté de lire
nsMa, et d'y voir, conformément à la synonymie classique de Wto
et fiiTR (Genèse, xxxn, 4, xxxvi, 8, 10), la nation des Iduméens,
RECHERCHES BIBLIQUES 7
qui, malgré sa parenté étroite, était resté l'ennemi le plus acharné
d'Israël jusqu'au jour de sa conversion, qui lui a été imposée
de force par les Macchabées. Toutefois, cette idée ne se soutient
pas après quelque réflexion. Les Iduméens n'ont jamais formé une
puissance assez forte pour mettre en danger à eux seuls l'existence
d'Israël. Les poètes de tous les temps sont pleins d'indignation au
sujet des cruautés excessives dont les Iduméens se rendaient
coupables à l'égard' d'Israël, peuple frère, mais l'histoire n'a
connaissance d'aucune invasion iduméenne en Palestine qui fût de
nature à menacer l'existence de Jérusalem et du temple. Pendant
le règne troublé de Joram, fils de Josaphat, roi de Juda, une
bande armée d'Arabes pénétra dans Jérusalem, pilla le palais et
enleva en guise d'otages les fils et les femmes du roi (Chroniques,
II, xxi, 16, 17; xxn, 1), mais ces Arabes venaient du sud de la
Philistée et n'étaient pas des Iduméens. Il est, du reste, tout à fait
impossible de rattacher l'objet de notre psaume à l'événement
dont il s'agit, qui était tout passager et ne concernait qu'un roi
antipathique aux prophètes. De plus, s'il s'agissait des Iduméens,
le poète n'aurait pas manqué d'insister sur la rupture, de leur part,
des liens fraternels qui devaient les rattacher à Israël (Amos, i, 9).
En un mot, tout dans notre psaume est défavorable à l'idée que
les ennemis y mentionnés aient été les Iduméens, et nous sommes
obligés de chercher une autre nation sous le mot n^tt.
La lumière nous viendra peut-être de l'autre épithète que le poète
applique aux ennemis d'Israël au verset 31, savoir : mp mn, « bête
des roseaux ». Dans l'Asie antérieure, deux pays seulement étaient
célèbres pour leur richesse en plantes arundinacées : l'Egypte et
la Chaldée. Le premier possédait et exploitait, pour divers usages,
les tiges du papyrus, soit pour en tirer des rouleaux à écrire, soit
pour en fabriquer des barques légères en vue de la navigation
fluviale. En Chaldée, les roseaux abondaient dans les vastes
marais que traverse l'Euphrate, au point d'y former d'épaisses
forêts, et servaient principalement, en même temps que les bri-
ques, comme matériaux de construction. Mais l'embarras du choix
ne se manifeste pas dans le cas présent. Pour notre psalmiste,
l'Egypte, loin d'être l'ennemi dont il souhaite la perte, est, au
contraire, chaudement appelée et impatiemment attendue pour se
rallier à Dieu (v. 32). Bon gré mal gré, l'expression ttsp mn ne
peut viser que la Chaldée. Mais quel est l'animal désigné par « bête
des roseaux? » Ce n'est certainement ni le crocodile, ni l'hippo-
potame ; ces amphibies n'appartiennent pas à la faune de la Baby-
lonie ; ce ne peut être que le sanglier. La dernière ombre de doute
sur cette interprétation disparaît en comparant l'expression tout
8 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
à fait limpide de Psaumes, lxxx, 14, où les envahisseurs sont
appelés *\9*n Ttn, « porc de forêt ». Même sans le témoignage de
ce verset, l'identification que nous suggérons s'impose par le nom
assyrien du sanglier : slialiu sfia qane, littéralement : « porc des
roseaux. » C'est aussi cet animal impur qui est sans doute désigné
dans la prière du Psaume, lxxiv, 19 : ^rnin ^sp n*nb fëin ba
« ne livre pas au fauve la vie de ta tourterelle (cf. la « colombe »
de notre psaume) », bien que le mot ïiip ou *\y* y soit supprimé.
En face de ce fauve sauvage et malfaisant, se place admirablement
l'épittiète d'Israël, Jjnjn, « ta bestiole », l'animalcule consacré à toi,
Dieu, et que tu chéris tout particulièrement.
Maintenant, étant donné que l'ennemi visé par le poète est la
Babylonie, il devient inéluctable de rapporter à ce dernier pays
le mot énigmatique ~\yû du verset 22 ; mais alors la solution de
l'énigme se présente aussitôt à l'esprit, grâce à la légère correction
de ivb en ^siâ, Sennaar, et on obtient ainsi le nom hébreu usuel
de l'ensemble de la Babylonie. Je dois cependant faire remarquer
que, quand même on préférerait la correction anon discutée plus
haut, l'ennemi auquel le poète fait allusion serait toujours la Ba-
bylonie.
Traduction dit psaume.
Après la discussion précédente concernant l'agencement des
versets et le sens des mots difficiles ou altérés, nous faisons
suivre ci-dessous la traduction du poème d'après l'ordonnance
établie plus haut. Néanmoins, nous indiquerons les numéros
d'ordre des versets d'après le texte massorétique, afin d'en faci-
liter la comparaison aux lecteurs de l'original.
2 Qu'Élohim se lève,
Que ses ennemis se dispersent,
Et que ses adversaires disparaissent de sa présence I
3 Comme la fumée qui est chassée,
Ainsi soient-ils chassés ;
Comme la cire qui fond au feu,
Ainsi périssent les impies devant Élohim !
4 Mais que les justes se réjouissent,
Qu'ils exultent en présence d'Élohim,
Et que leur joie soit complète !
5 Chantez en l'honneur d'Élohim,
Psalmodiez en son nom,
RECHERCHES BIBLIQUES
Exaltez celui qui chevauche sur l'Empyrée,
Son nom est Iâh ;
Manifestez votre^oie en sa présence :
6 « Élohim, qui trône dans sa demeure sainte,
» Est le père des orphelins,
» Le défenseur des veuves.
7 » Élohim donne un foyer à ceux qui sont seuls au monde,
» Il délivre les prisonniers enchaînés ;
» Les impies seuls sont plongés dans la désolation. »
***
8 Élohim, quand tu marchas devant ton peuple,
Quand tu t'avanças dans le désert,
9 La terre trembla, les cieux distillèrent,
Le célèbre Sinaï (trembla)
A la face d'Élohim, Dieu d'Israël.
48 (Alors on vit) des myriades de chars d'Élohim,
Accompagnés de milliers d'anges,
Et toi, Seigneur, au milieu d'eux,
Sur le Sinaï, dans le lieu le plus saint.
49 En montant en haut, tu fis des captifs;
Tu reçus les hommages de l'humanité ;
Les rebelles mêmes durent se rallier (à toi),
Iâh Élohim 1
***
45 Quand (plus tard), ô Tout-Puissant, tu brisas les rois
Sur le mont de Neige, sur le Çalmon,
25 Us virent (de nouveau) tes légions en marche, ô Élohim,
Légions dignes de toi, mon Dieu,
Mon roi, qui trônes dans le lieu le plus saint.
28 Là, Benjamin le cadet abattit (les ennemis),
Les princes de Juda leur lancèrent des flèches,
Et les princes de Zabulon et ceux de Nephtali.
26 Alors les chantres se mirent au premier rang,
Les musiciens suivirent de près,
Au milieu de jeunes femmes jouant du tambourin.
27 Tous réunis, ils bénirent Élohim,
Élohim, l'espérance d'Israël.
10 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
16 La montagne d'Élohim vaut bien la montagne de Basan;
0 monts élevés (et toi) montagne de Basan !
47 Ne regardez pas avec mépris, ô monts élevés,
La montagne où Élohim aime à demeurer
Et où Iahwé demeurera à tout jamais.
10 Accorde-nous, Élohim, une pluie bienfaisante;
Chaque fois que ta possession languit,
C'est toi qui la réconfortes.
41 C'est ta bestiole qui y habite;
Procure gracieusement le nécessaire
A celui qui en est privé, ô Élohim.
20 Béni soit le Seigneur,
Jour par jour il prend soin de nous;
Dieu est notre salut.
21 Oui, Dieu est pour nous un Dieu de salut,
Le Seigneur Élohim tient les issues par lesquelles on échappe
[à la mort.
43 Le Seigneur vient d'émettre un propos :
O Daines qui annoncez l'arrivée d'une grande armée!
14 « Les rois des armées seront repoussés, repoussés,
» Et la colombe de la maison en partagera le butin.
45 » Tandis que vous (ô guerriers) serez couchés entre les pierres
[de l'abattoir,
» Les ailes de la colombe conserveront leur éclat argenté,
» Ses ailerons, leur jaune doré. »
22 Mais Élohim écrasera la tête de ses ennemis,
Le crâne de Sennaar1 qui persiste dans ses crimes.
21 De sorte que ton pied s'agitera dans le sang ;
Que la langue de tes chiens (se débattra) dans le sang
Des ennemis venus à sa suite.
23 Le Seigneur a dit :
« Je ferai revenir de Basan (ceux qui y périssent),
» Je les ferai revenir des profondeurs de la mer. »
1 Ou : « de l'impie ».
RECHERCHES BIBLIQUES 11
**#
29 Mande-nous, Élohim, ton secours puissant,
Renouvelle avec force ce que tu as jadis fait pour nous.
30 Vers ton palais à Jérusalem
Les rois t'apporteront des présents.
31 Traque la bête des roseaux, la horde de brutes,
La plus souillée des nations,
Qui refuse les rançons d'argent ;
Disperse les peuples avides de carnage !
32 Les princes d'Egypte arriveront,
L'Ethiopie tendra vite ses mains vers Élohim.
33 Royaumes de la terre, chantez en l'honneur d'Élohim,
Psalmodiez au Seigneur,
34 A celui qui habite au sommet des cieux éternels,
Qui est prêt à faire éclater sa foudre puissante.
35 Rendez gloire à Élohim,
Sa magnificence se montre sur Israël
Et sa toute-puissance dans les cieux.
36 Élohim, tu seras redoutable à cause de tes sanctuaires ;
Le Dieu d'Israël donnera au peuple une victoire glorieuse
Qu'Élohim soit béni !
Les allusions au passé d'Israël.
Le poème dépeint avec des couleurs brillantes deux événements
glorieux de la haute antiquité qu'il représente comme des théo-
phanies ou plutôt comme des scènes épiques dont Iahwé est le
principal héros.
La première a son dénouement sur le Sinaï : Dieu, à fa tête de
son peuple, marche dans le désert, et, après avoir répandu dans la
nature entière la crainte et le tremblement devant sa toute puis-
sance, il monte sur cette montagne, entouré de ses chars et de ses
troupes célestes, pour y célébrer son triomphe, en faisant défiler
devant lui les captifs et en recevant les hommages de l'humanité.
Ce serait trop abuser du bon sens que de s'imaginer que le poète
fait allusion à un événement inconnu dans l'histoire d'Israël.
Non, il a simplement changé en marche triomphale la scène légis-
lative du Sinaï, mentionnée dans l'Exode et le Deutéronome. En
ce faisant, notre poète a suivi l'exemple de deux célèbres prédé-
12 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
cesseurs : Débora (Juges, v, 4, 5) et Habakuk (m) ; et Ton peut
dire, en général, que les prophètes ont ouvert la voie sur laquelle
l'aggada rabbinique devait s'engager pour changer les récits bi-
bliques suivant des préoccupations très différentes de celles des
narrateurs. Du reste, les points saillants du récit pentateutique
sont respectés. La marche guerrière de Dieu à la tête de son
peuple (v. 8) est la colonne de nuée et la colonne de feu dans les-
quelles Iahwé marchait jour et nuit devant le peuple, d'après
l'Exode, xiii, 21, 22. Le tremblement du Sinaï, généralisé en
ébranlement du ciel et de la terre (v. 9), est celui qui est raconté
dans Exode, xix, 18. Enfin, la proclamation de la Loi de la part
de Dieu et l'acceptation unanime de la part du peuple, décrites
dans Exode, xix, 20 ; xx, 19, sont envisagées comme une présen-
tation de captifs soumis et rendant hommage à la puissance irré-
sistible du vainqueur (v. 19). Le seul élément étranger ajouté par
le poète est le cortège belliqueux de chars divins et d'anges, qui
font défaut dans le sobre récit de l'Exode. Mais dans cette inno-
vation môme, il a été devancé à la fois par Habakuk et par
l'auteur de Deutéronome, xxxm, 2, passage qu'il faut traduire :
« Iahwé vint du Sinaï, leur apparut éclatant du Séir ; il resplendit
du mont Pharan; arriva avec * des myriades sacrées ; à sa droite
le feu éternel » (dbi* usa, au lieu de ittb nTiûN) 2.
La liberté parfaite dont le poète fait usage à l'égard de l'antique
scène du Sinaï nous met à même de comprendre la scène paral-
lèle qu'il fait évoluer sur le mont Çalmon ou Hermon. Dans toute
l'histoire d'Israël, on ne signale qu'un seul événement qui ait eu
pour théâtre cette montagne « de neige », savoir, l'expédition guer-
rière de Josué dans laquelle ce commandant de l'armée israélite
battit et anéantit la coalition des rois chananéens du nord de la
Palestine. Le passage du livre de Josué, xi, 11, 1-9, relatif à ces
faits, est d'une tenue assez sèche et raccourcie, et la mention du
^Dim au 3e verset a lieu d'étonner. On sent que l'épisode se passait
pendant que Josué était occupé de conquérir le nord de la Palestine
formant le royaume schismatique d'Ephraïm, qui est cordialement
détesté par les prophètes de Iahwé. Le narrateur primitif ou
peut-être le rédacteur définitif du livre semblait craindre que les
miracles accomplis dans la conquête du nord ne nuisissent consi-
dérablement au caractère de sainteté attaché à Jérusalem et au
1 La leçon "é^p nhji^la, au lieu de 'p rDTÏft, est attestée en Palestine par le
livre d'Hénoch, qui est de l'époque macchabéenne. Les Septante ont aussi lu riM^D
(aùv pjptdcat), bien qu'ils aient transcrit }Dip (KàS?]ç), au lieu de ^"TJp.
2 Les Septante ont lu ift:s> Ù^ïl'bN « les anges avec lui (àyY^ot (xex' avrov). »
RECHERCHES BIBLIQUES 13
territoire de Juda. Il a donc pris le parti d'atténuer autant que
possible le côté merveilleux de cette victoire. C'est d'ailleurs la
même répugnance qui lui a fait omettre, dans le chapitre xvi, la
description détaillée du territoire d'Éphraïm et de la demi-tribu
de Manassé. Mais ce qui reste du texte primitif suffit pour mon-
trer la grande importance de cette bataille, qui a' été livrée dans
la région immédiate du mont Hermon, car les « eaux de Mérom »
(dihtt i») près desquelles campaient les armées chananéennes
désignent difficilement le lac Hulé : un terrain aussi marécageux
convient peu au déploiement des chars de guerre qui faisaient
la force principale des Chananéens. Ce sont plutôt les torrents et
ruisseaux qui descendent de la montagne par suite de la fonte des
neiges qui couvrent son sommet. Il y a plus, la version des Sep-
tante a encore conservé l'expression de l'ancien texte indiquant
que les Israélites, ne pouvant lutter en rase campagne contre
les terribles chars de guerre, prirent position sur la montagne
même et surprirent de là les masses ennemies campées dans la
plaine. En effet, aux paroles du verset 1 du texte massorétique :
« Josué avec tous les hommes de guerre qu'il avait près de lui se
présentèrent subitement devant eux près des eaux de Mérom et
se jetèrent sur eux », les Septante ajoutent « sur la montagne
(èv t^j ôpetv^ = lïia) ». C'était d'ailleurs la tactique ordinaire des
Israélites dans leurs guerres contre les habitants de la Palestine
(Juges, iv, 6 ; Samuel, I, vu, 5-7 ; xxviii, 4). On ne s'étonnera
donc pas que le psalmiste ait représenté cette victoire de l'Her-
mon comme une apparition de Iahwé, entouré de ses légions
célestes (v. 15 et 25). Mais, à la différence de la scène du Sinaï,
où le peuple ne joue qu'un rôle passif, celle de l'Hermon fait in-
tervenir l'élan guerrier des tribus. Benjamin et Juda du royaume
du sud, Zabulon et Nephtali du royaume du nord (v. 19) figurent
les deux grandes divisions du peuple hébreu. Le nom antipathique
d'Éphraïm est évité à dessein1. Le poète ajoute ensuite de son
propre fond la célébration de la victoire avec musique et danses,
divertissements qui se pratiquent chez tous les peuples au retour
de l'armée victorieuse (v. 28) ; comparez Exode, xv, 20 ; Juges,
xi, 34 ; Samuel, I, xvm, 6.
1 On dirait que le poète, pris plus tard d'un scrupule, a cherché à réparer cette
omission dans le psaume lxxx, où il ne mentionne que les Joséphites Ephraïm et
Manassé, auxquels il joint la tribu également rahélide de Benjamin (v. 3). Ce revire-
ment de sympathie se comprend aisément : après la destruction de Jérusalem, la
royauté davidique avait beaucoup perdu de son prestige et l'idéal poétique s'était
transporté sur l'époque du règne de Saùl, où les trois tribus qui viennent d'être nom-
mées avaient la suprématie sur la tribu de Juda.
U REVUE DES ETUDES JUIVES
Date et origine anti-jèrêmique du psaume.
D'après les termes mêmes du poème, expliqués précédemment,
il ne subsiste plus le moindre doute qu'il a été composé à l'époque
babylonienne, mais toutefois avant la destruction du temple, no-
tamment à un moment où la Judée, quoiqu'affligée d'une séche-
resse extraordinaire, disposait encore d'assez de ressources pour
espérer que sa résistance à l'invasion imminente serait couronnée
de succès, du moins jusqu'à l'arrivée de l'armée auxiliaire com-
posée d'Égyptiens et d'Éthiopiens. Cette perspective est légèrement
voilée dans le verset 32, qui a l'air de parler d'un événement pos-
térieur à la victoire espérée ; mais la sympathie pour ces royaumes
est manifeste, et le sentiment du poète se devine aisément.
Pourvu que l'on puisse remporter un premier succès et arrêter
pendant quelque temps l'armée envahissante, le secours promis par
l'Egypte arrivera, pense-t-il, à point pour achever sa déroute et
la chasser du pays. Ces traits caractérisent, on ne peut mieux, les
dernières années du règne de Sédécias, années marquées par l'acti-
vité ardente et les souffrances du prophète Jérémie. Celui-ci fait
une description terrifiante de l'approche de l'invasion (Jérémier iv,
5-31) et se lamente de la sécheresse dont souffrait alors le pays,
fléau qu'il considère comme une punition bien méritée qui ne dis-
paraîtra pas aussitôt {ibidem, xiv, 1-10). Ce sont les mêmes faits
envisagés différemment par deux hommes dont l'un est un opti-
miste, l'autre un pessimiste. Une opposition encore plus radicale
se fait jour dans les deux écrivains à l'égard de la politique
étrangère : le psalmiste est sympathique à l'Égypte-Éthiopie et
déteste profondément la Babylonie, cette bête des roseaux, la plus
souillée des nations; Jérémie, au contraire, insiste sur la félonie
et la lâcheté des Égyptiens [ibidem, xxxvn, 7) et recommande
comme l'unique moyen de salut la soumission aux Babyloniens ;
il n'hésite même pas à décerner au roi Nabuchodonosor le titre
de serviteur de Iahwé [ibidem, xxv, 9; xxvn, C). Le fait, pour
être quelque peu inattendu, est pourtant réel : l'auteur de notre
psaume appartient au parti, nous allions dire à la coterie, qui
combattait avec acharnement le prophète Jérémie et ses partisans,
lesquels étaient mal vus des chefs tout puissants à la cour du faible
Sédécias. Cette grave scission dans le parti prophétique a certaine-
ment hâté la ruine de l'État; c'était comme un triste prélude aux
dissensions analogues qui devaient amener la ruine de la nationa-
lité juive six siècles plus tard. Dans leur lutte insensée, chaque
RECHERCHES BIBLIQUES 15
parti lançait à la face de l'autre l'injure de « faux prophètes ».
D'après Jérémie, xxvn, 16; xxvin, 17, le parti adversaire de
Jérémie, sous la direction d'Ananias, fils d'Azur, annonçait la
destruction prochaine de la puissance babylonienne et le retour
des captifs et des vases sacrés du temple. Or, notre psalmiste pré-
dit absolument la même chose ; son oracle annonce la destruction
totale de l'armée babylonienne sur les campagnes de la Judée (ver-
sets 13-15, 22, 24) et le retour des captifs de leur séjour périlleux
(v. 23). La similitude est si grande qu'on est tenté de voir dans
l'auteur de notre psaume cet Ananias même, l'adversaire per-
sonnel de Jérémie ; mais, quoi qu'il en soit de ce point de détail, il
demeure indubitable que le poème que nous, étudions tire son
origine du parti anti-jérémique et à peu près discrédité par les
historiens postérieurs. Il va sans dire que la valeur du poème si ar-
demment patriotique, non seulement n'est pas diminuée par cette
origine, mais qu'il en acquiert un nouveau titre à notre respect et à
notre admiration. Que l'auteur en soit Ananias en personne ou un
de ses amis, nous pouvons sans forfaire à la sympathie immense
que nous ressentons pour Jérémie, lui dire en toute conscience
« Paix à tes cendres et honneur au courage malheureux de tes
partisans 1 »
Le psaume et la critique de VHexateuque.
La date certaine de notre psaume, antérieure de quelques an-
nées à la destruction de Jérusalem par les Chaldéens, ajoute un
nouveau document pour la solution de la question de savoir si
VHexateuque est antérieur ou postérieur à la captivité. Je dis
VHexateuque et non le Code lévitique, parce que depuis une
dizaine d'années il s'est formé une nouvelle école qui, laissant loin
derrière elle la théorie de Graf, affirme hardiment que tous les
écrits bibliques, depuis le Jahwéiste jusqu'aux prophéties d'Hosée,
d'Isaïe, de Jérémie et d'Ezéchiel, sont des apocryphes fabriqués
après le retour de la captivité sur le fond de quelques lambeaux
de vieux textes ou de traditions plus anciennes. Cette école, il
est vrai, est loin d'avoir prouvé ce qu'elle affirme tout gratuite-
ment, à mon sens ; je considère sa tendance comme peu scienti-
fique, puisqu'elle croit pouvoir se passer non seulement de la com-
paraison avec les autres littératures et religions sémitiques, mais
même de la langue des livres sur lesquels elle se prononce. Dans
de telles conditions, ces critiques se sont fait une position aussi
facile qu'inexpugnable ; au lieu de preuves historiques et linguis-
16 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
tiques qui tombent sous le contrôle de la science rigoureuse et
positive, ils opèrent avec des considérations personnelles ou avec
des sentiments divinatoires qui échappent à l'analyse. C'est contre
ces tentatives que la production d'un document portant claire-
ment et distinctement la date d'avant la destruction du temple a
une valeur inappréciable. Notre psaume non seulement connaît
les événements racontés dans l'Exode et le livre de Josué, mais
il en a fortement remanié la forme : la législation sur le Sinaï,
qui, d'après le récit primitif, était une affaire entre Dieu et Moïse,
y devient une scène de conquêtes héroïques, décorée d'anges et
d'une cérémonie triomphale. La victoire remportée par Josué sur
les Ghananéens près de l'Hermon devient à son tour la suite ou
plutôt le second acte du même drame. La priorité de la forme
beaucoup plus simple et moins recherchée des récits de l'Hexa-
teuque frappera tous ceux qui cherchent la vérité sans parti pris.
Notre psaume confirme, en outre, la véracité des luttes inté-
rieures de l'école prophétique mentionnées dans le livre de Jéré-
mie, dont il atteste en même temps l'authenticité. C'en est assez
pour démontrer la fausseté des tentatives qui ont pour objet de
faire verser dans la pseudépigraphie les ouvrages les plus authen-
tiques de la Bible.
J. Halévy.
LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS
Il est généralement admis que, suivant une tradition talmudique
qui n'est pas suspecte1, les dix-huit bénédictions (schemoné-
esré) ont été arrangées et coordonnées par Simon ha-Peculi sur
Tordre de R. Gamaliel II, à Iabné, après la destruction du temple
(vers la fin du rr siècle ou le commencement du 11e siècle), mais
qu'elles remontent, dans leur forme primitive, à une plus haute
antiquité. Cette opinion nous paraît parfaitement exacte et nous la
justifierons tout à l'heure, nous voulons seulement faire remar-
quer de suite que le travail de classement et d'arrangement de
Simon ha-Peculi n'a pas dû être un travail arbitraire et purement
personnel. Il est impossible que ce docteur ait bouleversé le texte
à sa fantaisie, sans tenir compte du classement traditionnel ; son
rôle se sera borné à consacrer la bonne leçon, choisir entre les va-
riantes, écarter les bénédictions additionnelles qui s'étaient for-
mées et revenir au nombre consacré de 18 ou 19. Il aura fait
œuvre de bon éditeur et rien de plus. Pour des raisons que nous
indiquerons plus loin, nous croyons de môme ou, du moins, il nous
parait probable que Samuel, qui aurait, suivant la tradition talmu-
dique2, rédigé la bénédiction des malsinim pour le même R. Ga-
maliel, n'a fait que changer la forme d'une ancienne bénédiction.
mais ce changement ayant modifié profondément le sens et la
portée de cette bénédiction, le Talmud a pu croire plus tard
qu'elle était nouvelle et avait été ajoutée aux dix-huit anciennes
bénédictions.
Les critiques ont été amenés par diverses considérations à pla-
cer la rédaction primitive des dix-huit bénédictions dans l'époque
* Bcmkhot, 28 l; Megilla, 17 b.
1 Berakhot, 28 b ; Ber. /., 8 «.
T. XIX, n° 37 o
18 REVUE DES ETUDES JUIVES
qui va de Simon-le-Juste à la persécution d'Antiochus Epiphane f .
Quoique les raisons qui ont été invoquées pour parler ici de
Simon-le-Juste nous paraissent être sans valeur et que les preu-
ves à tirer de l'état des Juifs sous Antiochus ne sont pas précisé-
ment celles qu'on a données2, nous croyons cependant qu'on peut
se rallier à l'opinion courante sur la date de notre pièce.
Il va sans dire qu'il faut d'abord écarter du débat sur ce sujet
la bénédiction 14, concernant le retour à Jérusalem ; tout le
monde convient que cette bénédiction a été ajoutée au morceau
après la destruction du temple. Toutes les autres bénédictions
(nous réservons celle des malsinim) peuvent parfaitement être de
l'époque du second temple.
On sait que les trois premières et les trois dernières bénédic-
tions sont parmi les plus anciennes des dix-huit et probablement
plus anciennes que les autres. La seconde des trois premières (dite
geburot) contient une affirmation cinq fois répétée du dogme de
la résurrection. Ce dogme n'a d'abord rien à voir dans cette bé-
nédiction, qui a pour unique objet d'exalter la puissance de Dieu
et son empire sur le monde3. Ensuite, cette insistance à répéter
cinq fois la même pensée est suspecte. L'explication est simple : la
résurrection a été ajoutée à cette bénédiction par les Pharisiens,
et elle s'affirme avec tant d'énergie uniquement parce qu'elle était
niée par les Sadducéens. Mais la lutte entre Pharisiens et Saddu-
céens s'est calmée et éteinte après la destruction du temple, elle a
commencé sous Jean Hyrcan ; les additions à notre texte sur la
résurrection sont donc bien antérieures à la destruction du temple,
et, par suite, le fonds primitif de cette bénédiction, sans les addi-
tions, remonte assez haut. Gomme, d'autre part, les trois pre-
mières et les trois dernières bénédictions sont évidemment con-
temporaines, il n'est pas exagéré de considérer ces six bénédic-
1 Zunz, Gottesd. Vortrâge, p. 367-8 ; Landshuth, Siddurhégion lêb, p. 52 et s.
2 Voir surtout Landshuth, l. c.
3 La formule finale était probablement '^in^Tf btfïl ; cf. Isaïe, 9, 8, et la prière
ezrat aboténu. Cependant M. J. Derenbourg uous l'ait remarquer que chez les Arabes
aussi la vivification de la terre par la pluie, qui fait partie de cette bénédiction n° 2,
est comparée à la résurrection des morts, et que c'est, chez eux, une image courante.
Seulement cette manière de parler est peut-être postérieure à Mahomet, de sorte que
cela ne prouverait rien pour notre bénédiction ; de plus, ce n'est peut-être qu'une
ima^e ; enfin, la mention de la pluie, dans notre bénédiction, paraît avoir été ajoutée
plus tard, et ne pas appartenir au fond primitif. Nous ne nous refusons pas, du reste,
à admettre que la formule finale primitive était tPriîQÏI ÏTJ"t!ïï, mais dans le sens
de la résurrection de la nature, non de la résurrection des morts. Dans les Psaumes,
où il est souvent question des geburot de Dieu, le mot ne désigne jamais autre chose
que la toute-puissance de Dieu et son empire sur l'univers et sur la nature. De plus,
les Psaumes, qui ont eu, comme on verra, une si grande intluence sur les dix-huit
bénédictions, ne croient pas à la résurrection (Ps. 88, M). — Voir Zunz, l. c.
*
LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS 19
tions comme datant, au plus tard, du commencement de l'époque
des Macchabées. On sait, du reste, que dans la première des trois
bénédictions finales (le ttsn), les mots 'ai i-m^n na awn sont
interpolés, ils sont en contradiction avec la suite (.bsw* TOKl
bnpn ûnb&m), qui indique que le culte des sacrifices existe encore.
Les mots 'in In^tnm sont également interpolés, et enfin la con-
clusion de la bénédiction était autrefois mao tt&n^a 'pab ^mra,
ou bien b&W w mw bapttS *.
Parmi les autres bénédictions, il y en a qui, à première vue,
peuvent se placer aussi bien avant qu'après la destruction du
temple2, elles ne confirment ni ne contrarient notre théorie. Ce
sont les bénédictions 4-6, 8-9, 13 et 16. La 1G peut très bien
se placer à l'époque de la domination persane ou syrienne tout
aussi bien qu'à l'époque romaine avant ou après la destruction du
temple. Il en est de même du groupe 10-11 ; déjà les prophètes
ont exprimé le vœu de voir rentrer dans le pays les Juifs dis-
persés (n° 10), et le n° 11 est une imitation d'Isaïe, i, 26. La
croyance messianique exprimée dans le n° 15 est également an-
cienne. Le n° 16 ne fait aucune difficulté, c'est une bénédiction
finale qui s'adapte à toutes les formes successives qu'ont pu avoir
les dix-huit bénédictions.
Cependant, un examen plus attentif montre que, parmi ces
bénédictions, il y en a qui ne peuvent pas être postérieures au
second temple et qui n'ont pu se maintenir plus tard qu'à la fa-
veur d'une transposition de sens. C'est d'abord le n° 5, où la aboda
opposée à la tora a sûrement désigné d'abord le culte du temple
(comme dans la maxime célèbre attribuée à Simon-le-Juste ; voir
le Ier chapitre du traité des Aboi 3), et n'est devenue que plus tard
le culte de la synagogue ou les pratiques religieuses en général.
La 9e bénédiction, également, semble être de l'époque du second
temple ; c'est le vœu d'un peuple d'agriculteurs, qui cultive le
sol de la patrie, un sol qui lui appartient et qui n'est pas encore
* Voir Landshuth, l. c, p. 68-69. Les arguments de Landshuth contre cette hypo-
thèse n'ont pas beaucoup de valeur, les autorités qu'il cite sont relativement récentes.
* Pour que le lecteur puisse facilement suivre nos explications, nous plaçons ici la
liste de ces bénédictions avec leur numéro d'ordre. Ce sont : 4. "pin tlDN, donne-nous
l'intelligence. — 5. IWIDÎ"?, ramène-nous à ta Loi. — 6. ")jb nbo, pardonne-nous
nos péchés. — 7. l!P537a ïl&O, V01S notre misère. — 8. "iSiSD*!, guéris nos malades.
— 9. ^"D, bénis cette année. — 10. ypn, ramène les Juifs exilés. — 11. ïia^ïT,
ramène les anciens juges. — 12. d^tubfàbl. fais disparaître nos ennemis. —
13. Ùip^itïT b^, bénis nos hommes pieux. — 14. Ù^blDT-nbl, reconstruis Jéru-
salem. — 15. n?û2£ nN, fais venir le Messie. — 16. y)2'£, écoute notre prière.
3 Sur ce que l'on peut penser de ces attributions, voir notre travail intitulé : La
Chaîne de la Tradition, dans tome I de la Bibliothèque de l'École des Hautes Études,
section des sciences religieuses (Paris, 1889).
20 REVUE DES ETUDES JUIVES
aux mains d'un maître étranger. Enfin, la 13e bénédiction, celle
des çaddihim et hasidim, s'appliquait sûrement, à l'origine —
nous le montrerons plus loin, — à certains pieux et dévots qui ont
uniquement existé à l'époque du second temple '. Les prosélytes
de cette même bénédiction doivent être antérieurs à la destruction
du temple ; après la grande défaite du judaïsme, les Juifs, sauf
exception, n'ont plus guère fait de prosélytes 2.
Il est donc bien évident que nos dix-huit bénédictions sont, en
gros, antérieures à la destruction du temple, et la question de date
peut être considérée provisoirement comme réglée d'une façon
assez satisfaisante. Avec le temps et le changement des cir-
constances, quelques-unes de nos bénédictions, tout en gardant
l'ancien texte, ont dû s'imprégner d'un sens nouveau. On en a
déjà vu un exemple dans le mot aboda du n° 5. Si le n° 7 a eu
d'abord en vue la persécution syrienne, il a dû évidemment s'ap-
pliquer plus tard à l'oppression romaine. La lionne année du n° 9,
d'abord bonne année agricole, souhaitée par le laboureur qui a
cultivé lui-même son champ, est devenue peu à peu une bonne
année un peu différente. De même, les çaddihim et hasidim par-
ticuliers auxquels se rapporte le n° 13, sont devenus les gens pieux
et religieux en général. Les prosélytes de ce même paragraphe
auront été conservés par respect pour le texte traditionnel, quoi-
qu'il n'y en eût plus guère.
Il n'y a pas d'argument à tirer, contre l'ancienneté du schemoné-
esréy de la langue de ce document. Il contient un certain nombre
de néologismes qui ne sont pas dans la Bible et même des mots
araméens. Ce sont îraiiûn clans le sens de pénitence, wïnft et
■wip qui ne sont pas bibliques 3 ; bntt dans le sens de pardonner,
rvnn, affranchissement4, nrta, exilés5. La langue des Juifs, à
l'époque du second temple, n'était pas l'hébreu pur, il s'en faut,
mais plutôt un dialecte araméen. Ce qui est plus important à
constater, c'est que le style du morceau ne contient absolu-
1 Landshuth l'a déjà montré, mais cette proposition a, chez lui, un sens tout autre
que chez nous. C'est ce qu'on verra plus loin.
2 Et dans tous les cas, les prosélytes d'alors n'avaient rien à gagner en se conver-
tissant au judaïsme, ils devaient être tous des prosélytes sincères, et il eût été inutile
d'indiquer, dans notre prière, qu'on avait seulement en vue les pl^n "HS. On ne
tenait même plus à faire des prosélytes (cf. Derenbourg, Essai, p. 228) ; cf. Kiidus-
chin, 70 &, en bas.
3 "lj^lp est un vrai barbarisme.
* Le mot m"! H se trouve sur des monnaies juives, mais les monnaies qui le portent
sont probablement de l'époque de la première et de la deuxième révolution des Juifs
contre les Romains (guerre de Vespasien et Titus, guerre de Bar Cocheba) . non de
l'époque macchabéenne.
5 Cf. imb* dans Is., 45, 13.
LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS 21
ment rien d'original et que toutes ses formules sont empruntées
presque textuellement à la Bible. Cela se comprend, puisque le
morceau semble être d'inspiration toute populaire et est né pro-
bablement dans des cercles où Ton ne se piquait pas de littéra-
ture, mais cela semble indiquer cependant qu'il a été formé à
une époque où le texte des Prophètes et même celui des Psaumes
avaient déjà acquis quelque chose de l'autorité que donne l'an-
cienneté.
II
Si nous cherchons maintenant à nous rendre compte de l'ordre
dans lequel se suivent les dix-huit bénédictions, nous rencontre-
rons les plus graves difficultés. Tout d'abord le n° 1 est des plus
gênants. Il semble appartenir aux considérations d'ordre politique
et national, et devrait se trouver immédiatement avant le n° 10,
ou plutôt encore avant les nos 14-15 ; il est d'ailleurs une sorte de
doublet du n° 15, la nb"i£« dont il parle est ou semble être la même
chose que la ÎW83"1 de ce n° 15. Ensuite, le passage des nos 8-9
(guérison des malades, bonne année) au n° 10 (rappel des exilés)
est des plus durs ; en sortant des préoccupations purement maté-
rielles et un peu étroites du groupe 8-9, on a quelque peine à
s'élever sur les hauteurs où résonne la « grande trompette » de
la délivrance1. Le niveau n'est plus le même et les plans soat
rompus. De même, il semblerait que les nos 10, 11, 14, 15, devraient
se suivre, ils s'occupent tous les quatre de l'avenir du peuple juif.
Le groupe 12-13 est bien composé, les deux numéros se font anti-
thèse, mais on ne comprend pas qu'ils soient à la place qu'ils
occupent, on les mettrait plutôt après le n° 9. Le n° 14, ajouté
plus tard, a été très judicieusement placé avant le n° 15, et si ce
n° 15 a été ajouté en même temps et à la même époque, comme il
semblerait probable, on comprend fort bien que ce groupe 14-15
ait été mis à la fin de la pièce, juste avant le n° 16, qui forme la
conclusion générale du morceau.
Autres objections. D'après les idées reçues, diverses bénédic-
1 Le groupe 8-9 fait un peu dissonance avec tout le reste du schemon€-esré. Toutes
les autres bénédictions sont animées d'un grand souille religieux, national et patrio-
tique. En comparaison, les deux bénédictions 8-9 paraissent plates et mesquines. Nous
ne voulons pas dire par là qu'elles soient plus jeunes que les autres, leur naïveté
serait un garant de leur antiquité. Les explications que nous donnerons plus loin
rapprocheront la distance entre ces deux bénédictions et les autres.
22 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
tions du schemoné-esré renfermeraient des prières de circons-
tance, qui s'appliqueraient principalement à la situation des Juifs
Sous les Syriens, et il est difficile de comprendre qu'elles se soient
maintenues quand la situation a changé et est devenue meilleure.
Telle est, par exemple, la bénédiction n° 1 : Vois notre misère. La
misère politique des Juifs a cessé, en grande partie, à l'avènement
des Macchabées et il nous paraît impossible de croire que des
princes et rois comme Jean Hyrcan, Alexandre Jannée, Hérode,
aient permis qu'on récitât publiquement, dans les synagogues, une
prière que l'état politique du pays ne justifiait plus et qui était
une injure pour eux. Il en est de même de la bénédiction n° 10, si
le mnn qu'elle contient signifie l'affranchissement politique ; de
même aussi des offenses contre le pouvoir judiciaire et politique
contenues dans le n° 11 (Ramène les anciens juges, Règne seul sur
nous). Et puis, qu'est-ce que ces juges et conseillers dont on de-
mande le retour et à quoi cela répond-il au juste ? On ne peut pas
supposer que cette bénédiction n° 11 soit postérieure à la destruc-
tion du temple ; les Juifs, après la destruction du temple, avaient,
en somme, les juges qu'ils préféraient; c'étaient les rabbins et
ceux-ci paraissent avoir administré la justice à la satisfaction
générale.
Voilà de nombreuses difficultés, nous allons essayer de les
résoudre.
On nous accordera d'abord que le schemonê-esrê est une
composition pharisienne ou, si l'on veut, anté-pharisienne. Quand
même il serait antérieur à la formation du parti pharisien, il est
déjà imprégné de l'esprit pharisien. Les prêtres, qui menaient le
parti sadducéen, ne pouvaient évidemment pas voir de bon œil
la création des synagogues et l'établissement de prières récitées
en dehors du temple. C'était une concurrence pour le temple de
Jérusalem, et, à ce point de vue, on peut dire que l'institution
des prières populaires était déjà une victoire anticipée des Phari-
siens sur les Sadducéens. Nous avons déjà signalé plus haut
l'addition du dogme de la résurrection faite par les Pharisiens au
n° 2 de nos bénédictions. Le n° 10 pourrait être une critique des
juges sadducéens, on sait que les Pharisiens étaient fort mécon-
tents delà justice sadducéenne, mais nous croyons qu'en réalité ce
numéro signifie tout autre chose, comme on le verra plus loin.
Enfin, le ny 13 est une bénédiction purement pharisienne, les caté-
gories de personnes qui y figurent et sur lesquelles on appelle la fa-
veur céleste sont des Pharisiens ou d'anciens partis révérés par les
Pharisiens, les prêtres paraissent omis à dessein. Nous doutons
enfin que les Sadducéens se soient beaucoup intéressés à la doctrine
LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS 23
messianique qui fait l'objet des nos 14-15. La doctrine messianique,
d'abord, est l'œuvre des prophètes, qui ont été les adversaires
des prêtres. Les Sadducéens, d'autre part, en niant la résur-
rection et l'immortalité de l'âme, montraient qu'ils n'avaient pas
beaucoup de goût pour les rêves d'avenir et l'au-delà de la vie
pratique. Enfin, dans le mythe messianique, il était toujours
question du rejeton de David, jamais des prêtres. Ils n'avaient
aucun rôle à jouer dans le grand événement qui devait renou-
veler la face du monde, le Messie les reléguait au second plan
et on comprend qu'ils ne l'aient pas attendu avec une bien vive
impatience.
Mais il y a encore, dans le sehemoné-esré, autre chose que
l'esprit pharisien. On sait que, pendant l'exil deBabylone, il s'était
formé, parmi les Juifs, une classe d'hommes qui prétendaient être
spécialement les serviteurs de Dieu et croyaient être plus fidèles
au judaïsme que tous les autres Juifs. Ils nous sont connus par
le second Isaïe ou Pseudo-Isaïe, qui a décrit leur situation au mi-
lieu de leurs coreligionnaires, exprimé leurs sentiments, leurs
pensées et leurs aspirations. Ils avaient fait vœu de pauvreté et
d'humilité, se croyaient destinés à expier les fautes du peuple juif
et à souffrir pour lui, afin de mériter sa délivrance. Ils se regar-
daient volontiers comme le cœur et la moelle de la nation, une
sorte de symbole vivant du peuple juif. Ce sont eux seuls, à peu
près, qui paraissent être rentrés en Palestine après la conquête
de Babylone par les Perses, et ils continuèrent à y vivre comme
ils avaient vécu en Babylonie. La Palestine juive eut donc des
espèces de derviches, voués à la vie pieuse, humbles et pauvres
par principe et par profession. Leur vie, après l'exil, nous est ra-
contée par les Psaumes, qui sont la plupart une œuvre de leur
parti et auxquels il est impossible de rien comprendre si on ne
les rapporte pas à leurs vrais auteurs. Ces braves gens formaient
probablement des associations ou confréries, ils s'appelaient les
Pieux, les Justes, les Saints, les Pauvres, les Humbles. Ils parais-
sent avoir été surtout nombreux et influents sous la domination
syrienne, mais ils n'ont pas disparu à l'époque asmonéenne, et ils
occupent encore une place importante dans le christianisme pri-
mitif. Les Esséniens n'étaient pas loin non plus d'être une espèce
de Pieux et de Pauvres. C'est seulement après la destruction du
temple que ces confréries se sont fondues dans le grand parti
pharisien, devenu parti national, ou qu'inversement le peuple juif
tout entier est devenu une espèce de peuple de çaddikim, hasi-
dim, aniyyim. De là doit venir en partie le respect et la sympa-
thie des rabbins pharisiens pour certains personnages anciens qui
24 REVUE DES ETUDES JUIVES
étaient çaddïk ou hasid l. M. Graetz, qui, dans son beau commen-
taire des Psaumes, a déjà montré le rôle et l'importance des
Pauvres à l'époque du second temple, suppose que c'étaient des
lévites. On peut objecter, entre autres, à cette hypothèse, que les
Pauvres d'Isaïe brûlent du désir de retourner en Palestine, et que
cependant, parmi ceux qui rentrèrent d'abord, il n'y eut que bien
peu de lévites. L'hypothèse est néanmoins intéressante, il serait
curieux que l'œuvre anti-sacerdotale, menée à bien par les Pha-
risiens, eût été commencée par les lévites, qui avaient été les vic-
times et les souffre-douleur des prêtres.
M. Graetz a donné quelques-uns des noms portés par les Pauvres
dans les Psaumes2. Il nous paraît assez probable qu'ils formaient
des confréries différentes, qui se distinguaient par des détails de
doctrine et aussi par le nom. Voici une liste de ces noms que nous
avons relevés dans les Psaumes, elle est certainement incomplète,
mais elle montrera, par l'abondance et la variété de ces appel-
lations, que nous n'avons pas exagéré l'importance du parti des
Pauvres dans la société juive 3.
Les noms les plus fréquents sont :
,Tn:aK ffcai'w tans* ,ia* , feston ,Ton ,taipii£ /p^s
. dis-nna
Puis viennent, par ordre alphabétique :
«5T.1 ,bi ,rm 1*0*7 ,"p ,nab ^a /m nais ,toîib
1*111 ,tiiaiù ,^3 tPDin , "n ùiDin ,ûi»r. ^bin ,^11 «tPîiba
,W , tJinh* i^T /rr iwy , ir&ni ,ûi*rrp ,4irrp j'y^T ,*p3tt
1 Par exemple, Simon le Juste {J.&of, 1, 2); Iosé b. Ioézer, prêtre ^as?'i {Hagiga,
II. 7) ; le hasid Iosé le prêtre [Abot, II, 11). Dans notre Z# Chaîne de la Tradition,
nous avons pourtant proposé encore une autre explication de ce mot hasid pour les
deux cas citss ici ; nous préférons l'explication que nous donnons aujourd'hui. Geiger,
Nachgelassene Schriften, IV, 288, a déjà montré que dans Abot, I, 5, il paraît être
question de nos Pauvres. Le hasid ne s'est pas entièrement perdu même après la
destruction du temple. Au ne s., Juda b. Baba est encore un hasid. Il est pourtant
probable que dorénavant la prétention des hasidim à se distinguer 'du reste de la
nation aura paru peu justifiée, et dans tous les cas un docteur d'esprit pondéré comme
Iosué b. Hanania (ne s.) a pu trouver que les hasidim allaient quelquefois trop loin
et poussaient jusqu'à l'extravagance : Ï"ïl2*V2J VOfT, Sota, 20 «, dans la mischna.
Cf. Graetz, Monatsschrift, 1869, p. 31. — Il est inutile de dire qu'il faudrait, avec
notre théorie sur les hasidim et çaddihim, revoir tout ce que* Geiger a dit, dans son
Urschrift, sur les çaddihim, mais cela nous mènerait trop loin.
2 Graetz, Kritischer Commentar zu den Psalmcn, I, 20-21.
3 II va sans dire que quelques-unes de ces appellations peuvent être purement des
épithètes ou des équivalents poétiques, non de véritables noms portés par les
Pauvres.
4 De là vient probablement le TftlFP, qu'on traduit ordinairement par « mon
âme », et qui signifie « ma personne qui est isolée » (Ps. 22, 21 ; 35, 17) ; le mot
LES DIX-HUIT BENEDICTIONS 25
Srbrrca /-p25 ^paa , ^pup^û '^ ^^ 'V1"1 ^^ /fcsv^^",
, mb i-TNDu ,wh* ^aria ,wa "ns-tt ,vronb fcrbrrtt /t-ib
,^a^ /Y733* ,'n ^l^v /n Ta? j'mD'Hp "no ,nps /3b ^nioa
bnp ,fcmBYTp , taV1^ ,n3n* ,t=? iW /VIN ^33> , b« fc"TO
,fcrman , un , ab ^-mui ,«n /- ^p , ta^Dn bnp ,twi*ip
A cette liste, on pourrait peut-être ajouter les noms suivants :
1° d-mDN t^y i'-pon .ùn^ON y^DN ; 2° trsiss ,trm*. Le t^dn est le
prisonnier, l'exilé, le Juif captif en Babylonie; mais en souvenir de
la captivité de Babylone, le Pauvre a pu continuer à s'appeler un
captif, même après le retour de Babylone *. Les passages des
Psaumes où se trouve le ton ne sont pas absolument convain-
cants 2, mais que peut bien vouloir dire le amott •vriîb de la pre-
mière des dix-huit bénédictions, rédigée à une époque où il n'y
avait plus de captifs juifs? De même, que le pauvre soit Epsa,
courbé, cela n'a rien d'étonnant ; il peut aussi se comparer à un
aveugle qui cherche avec anxiété la lumière de la Loi. Ce qui
nous fait penser que les Pauvres prenaient ces noms, c'est un
passage du Ps. 146, où il est dit que « Dieu délivre les prisonniers,
rend la vue aux aveugles3, redresse ceux qui sont courbés, et
aime les Jus.tes ». Nous demandons de nouveau : Qu'est-ce que ces
prisonniers délivrés par Dieu? Nous demandons également si, vu
l'état de la médecine à cette époque, les Juifs ont pu voir beau-
coup d'aveugles qui avaient recouvré la vue ou beaucoup de
tailles voûtées qui se seront redressées ? Dieu ne devait pas faire
souvent de pareils miracles. Tout cela, à notre avis, ce sont les
Pauvres et rien que les Pauvres, qui sont opprimés, prisonniers,
parallèle *ï\DD3, dans ces versets ne signifie pas non plus « mon àme », mais aussi
< ma personne ».
1 La note qui suit celle-ci complète notre pensée sur ce sujet.
2 Ps. G8, 8 ; 79, 11 ; 102, 21 ; 107, 10. Dans Ps. 69, 34, il semble pourtant bien
clair que Yébion et le TON sont la même chose; voir aussi 142, 8 : *"\^'0)2)2 ïlfc^Sfclïl
vwJD5, d'où il semble résulter que la prison est le symbole de la misère du Pauvre.
Isaïe, 42, 7, et 43, 8, montre bien que le Pauvre est considéré comme un aveugle
qui tâtonne dans les ténèbres de \& prison. Dans Lament., 3, 36, l'homme est désigné
par la périphrase V""|N "H^ONi prisonnier de cette terre.
3 Voir encore Ps. 38, 11, et cf. ce même Ps. 38, 10, 14, 15, 16, où le Pauvre est
aussi sourd et muet. Remarquer enfin que si le Pauvre ne s'appelle pas directement
orphelin, Ûin"1, c'est pourtant à lui-même qu'il pense indirectement quand il parle de
l'orphelin (Ps. 10, 14, 18, *pi ùim ; 82, 3, E5H1 "^ Ùimi b*n). Il en est de même
dans les passages des Ps. où l'on parle de la veuve et de l'étranger, -|} (cf. Ps. 68,
6,7 ; 146, 8, 9, et le curieux verset Ps. 39, 13). En général, le Pauvre se compare à
tous ceux qui souffrent de quelque manière que ce soit, par infirmité physique (les
malades, les sourds, les aveugles, etc.), par faiblesse et vice de l'organisation sociale
(la veuve, l'orphelin, le pauvre), par suite d'une infériorité légale ou du préjugé social
(l'étranger, le protégé).
26 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
courbés sous le poids des souffrances physiques et morales, et tâ-
tonnent dans les ténèbres jusqu'à ce qu'ils voient le soleil de la
grâce divine.
III
C'est dans cette société si curieuse des Pauvres et des Justes
qu'est né le scïiemonê-esrè. Nous allons voir que les idées qu'il
exprime sont justement les principaux thèmes développés dans les
Psaumes et auxquels s'attachait la pensée des çaddikim, certains
paragraphes du scUemonê-esré n'ont même de sens que si on les
attribue aux çaddikim.
Avant de continuer, nous faisons ici une remarque importante.
Il peut y avoir des personnes qui ne se sont pas encore familia-
risées avec cette théorie de l'existence d'une classe sociale des
Pauvres et des Humbles. Le lecteur qui n'y croira pas pourra,
dans ce qui va suivre, remplacer le Pauvre par le Juste tel qu'on
le concevait autrefois, l'homme juste, qui se distingue par sa piété
et ses vertus, et qui est opposé au méchant. Avec ce changement,
la thèse que nous développons n'aura plus tout-à-fait la même
importance ni la même portée, mais elle restera encore exacte et,
sauf quelques détails d'ordre secondaire, nous n'aurions presque
pas un mot à en retrancher. Ceci dit, nous commençons notre
explication.
Le schemoné-esré est là prière [tefilld) par excellence, c'est le
nom qu'il porte dans le Talmud, et précisément les Pauvres pa-
raissent passer leur temps à prier. Les mots prière, prier, se
trouvent plusieurs centaines de fois dans les Psaumes, la prière
publique y est mentionnée également l.
La plupart des expressions typiques du schemonè-esrè se trou-
vent dans les Psaumes, et, quand elles ne sont pas là, elles se
trouvent chez Isaïe, qui a été le grand prophète et premier
poète des çaddikim^. Jérémie a fourni une de nos dix-huit
bénédictions,, il le doit peut-être à ce qu'il a été lui-même un vrai
i Par exemple, Ps. 22, 23 et 26 ; 40, 10 ; 89, 6 ; 149, 1.
a Nous ne faisons pas ici de distinction entre Isaïe et Pseudo-Isaïe. On peut ad -
mettre, si l'on veut, que certaines parties d;Isaïe ont passé dans les dix-huit béné-
dictions à la faveur du Pseudo-Isaïe et qu:on ne voulait ou ne savait pas les distin-
guer l'un de l'autre. Mais il y a plus : il est excessivement probable que beaucoup
de parties d'Isaïe appartiennent au cycle du Pseudo-Isaïe et principalement parmi
celles où a puisé le schemoné-esré.
LES DIX-HUIT BENEDICTIONS 27
Pauvre et Juste, persécuté et martyrisé, le type du çaddik à une
époque où les çaddihim n'existaient pas encore. Voici une liste,
sûrement incomplète, des emprunts faits à la Bible par le sche-
moné-esré, ils viennent tous de ces trois livres, Psaumes, Isaïe et
Jérémie ".
N° 1. L'image de Dieu servant de bouclier au Pauvre est très
fréquente dans les Psaumes (Ps. 7, 11 ; 18, 3, 36 ; 84, 10 ; etc.) ;
cf. Genèse, 15, 1. N° 2. frbm "|331S Ps. 145, 14. N° 3.
ttinp innN Ps. 22, 4 ; "pbbST1, terme préféré des Psaumes ; ïibo ne
se trouve que dans les Ps. (un grand nombre de fois) et dans Ha-
baccuc (3 fois) 2. N° 4. Les Ps. ont des centaines de fois
^Mtt et i»n ; Ps. 94, 10, rw û^in ^abtt 3. N° 7. iw îian
Ps. 9, 14; 25, 18; 119, 153* ; vyn rtan Ps. 35, 1 ; 43, 1 ; 74, 22;
se trouve aussi dans d'autres livres bibliques ; xbvon ^rm Sn:m
Ps. 119, 154 5. N°8. nnai ^nbnn ^ ^onNn •^•nain nd*)»i 'm^sn
Jérém., 17, 14. L'idée du secours de Dieu, dans des termes ana-
logues, se trouve sans cesse dans les Ps. N° 9. nrjn y»msttïi
Ps. 103, 5 6. N° 10. b-m -£W2 ypn Is., 27, 13 7 ; ...03 MHi
ynsn mD» yïr\wn ynp^ ...b*niï^ ^rm tp&n Is., 11, 12 s. Ce chapitre
d'isaïe est, du reste, consacré aux anavim et doit être attribué
au Pseudo-Isaïe ; o^ bxnvi W3 Ps. 147, 2. N° 11. m^an
'an ttSTONnaa "pûBT» Is., 1, 26. Ce fragment du ch. 1er doit égale-
ment appartenir au Pseudo-Isaïe ; nroan "pjp Is., 35, 10 ; 51, 11 ;
ûb^b 'ïi Tib»i Ps. 146, 10 ; BSffiai ftpTC artN Ps. 33, 5 ; cf. Ps. 99,
4; Is., 61, 8. N° 12. tr^î, plusieurs fois dans les Ps., une fois
dans Is., Jérém., Mal., Proverbes ; y^sx ûn^n^iN Ps. 81, 15 ;
rrçpri D-nt Ï"1N18 Is., 25, 59. ■ N° 13. svj "pu? seulement Cohélet,
6, 9 ; TOia Nbi in-js "p Ps. 22, 6 ; cf. 25, 2 ; rrjntt Ps. 71, 5 ; aussi
dans Is., Jérém., Ezéch., Proverbes et Job. N° 14. ûbœrï1 tt5na
Ps. 147, 2. Nous ne nous sommes pas autrement occupé de ce nu-
méro ; le trône de David, Ps. 89, 36-37 ; 122, 5. N° 15. maXtt
1 Quelques-unes de ces idées et expressions se trouvent aussi, par équivalents ou
exactement, dans d'autres livres bibliques ; ce qui est remarquable, c'est que toutes
se trouvent dans les Ps. et dans Isaïe, plus un passage de Jérémie. Ce n'est pas ici
tel ou tel détail, mais l'ensemble des faits qui est caractéristique.
8 Nous ne nous sommes arrêté qu'à quelques points particulièrement remarquables
des trois premières bénédictions.
3 b31Z3î-n ÏW, Jérém., 3, 15.
* Cf. Lament., 1, 10.
3 Lament., 3, 58.
6 Ps. 65, 5 et 12; Jérém., 31, 14.
7 Jérém., 51, 27.
8 ls., 43, 5; 45, 20; 00,9.
9 Dans la littérature des Pauvres, d^ï et Û^IT sont la même chose ; le Pauvre
confond le méchant de l'intérieur avec l'étranger et inversement l'étranger est pour
lui un méchant.
28 REVUE DES ETUDES JUIVES
Wb ynp Ps. 132, 17 ■ ; *7.a* w et fi» W Ps. 89, 4, 21 ; 132, 10 ;
isnp ùnnPs. 89, 26 (image fréqueate, du reste, dans la Bible).
Mais la ressemblance extérieure des dix-huit bénédictions avec
Isaïe et les Psaumes n'est rien à côté de la ressemblance interne,
qui est frappante et dont nous allons essayer de donner une idée
en prenant un à un tous les paragraphes du schemoné-esré.
N° 1. — La protection accordée par Dieu aux Israélites en fa-
veur des Patriarches se trouve souvent indiquée dans la Bible, les
Psaumes ne l'ont pas oubliée (Ps. 22, 5 ; 44, 2 ; 108, 9-10), mais
les dix-huit bénédictions accordent une importance particulière à
Abraham. Dans un chapitre du Pseudo-Isaïe qui est consacré au
Serviteur de Dieu, Abraham obtient aussi une mention de préfé-
rence (*2ns ù!-mN, Is., 41, 82) ; de même dansPs. 47, 10 (où sont
associés Abraham et le bouclier, comme dans notre bénédiction)
et Ps. 106, 6, 42, où Abraham est le Serviteur par excellence de
Dieu.
N° 2. — La puissance de Dieu est un des thèmes favoris des
Psaumes (Ps. 20, 7 ; 21, 14; 24, 8; 54, 3 ; 65, 7 : etc., etc.).
N° 3. — La sainteté de Dieu se trouve souvent dans la Bible,
elle est cependant particulièrement relevée dans Isaïe, 6, 3. Les
Saints de notre bénédiction sont probablement les Pauvres.
N° 4. — Avec ce numéro commencent les vraies bénédictions,
dont les nos 1-3 et 17-19 sont l'encadrement. On ne saurait assez
admirer cette tournure de l'esprit juif qui a fait qu'en tête de nos
bénédictions se trouve la prière pour l'intelligence. Il n'est pas
étonnant que la Sagesse joue un rôle, et même un rôle prépondé-
rant, dans la littérature des livres sapientiaux, où les Juifs ont
excellé ; mais qu'elle se trouve en tête d'une prière populaire et
qu'une pareille oraison soit comprise et appréciée par les classes
les plus infimes de la nation, cela est vraiment curieux et ex-
traordinaire. La pensée de ce paragraphe est un lieu commun de la
littérature rabbinique, on la trouve déjà indiquée en plusieurs en-
droits du Ps. 119 (par ex. aux v. 30, 34, 66), et elle est développée
largement dans certains chapitres des Proverbes (chap. 2, 1-5 ;
chap. 10 à 13). Pour bien pratiquer la Loi, il faut la comprendre ;
sans intelligence, il n'y a pas de vraie piété 3.
N° 5. — Ce numéro est la suite naturelle du n° 4, le vœu qu'il
exprime est le vœu de tout israélite pieux4.
» Cf. Jér., 23, 5- 33, 15 ; Ezéch., 29, 21 ; 34, 23.
2 Voir aussi Isaïe, 51, 2.
3 Cf. Prov., 29, 7 ; Daniel, 9, 22 ; 12, 10.
4 Le psalmiste, Ps. 80, 20, sait très bien ce que veut dire "lilTMÏÎÏl tout seul ;
notre bénédiction commente l'idée en ajoutant ■"irmnb. Cf. plus loin, nos observa-
tions sur le Discours sur la Montagne.
LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS 29
N° 6. — C'est une idée fixe des Justes et des Pauvres qu'ils
sont couverts de péchés, elle se trouve exprimée nombre de
fois dans les Psaumes (25, 8, 11 ; 31, 12; 38, 5; 39, 9 ; 40, 13;
etc., etc.). Leur péché, du reste, se confond avec le péché d'Israël,
et leur salut avec celui de la nation \ car il ne faut pas l'oublier,
ils ont l'ambition de représenter la nation et de croire qu'elle vit
en eux. Le Ps. 44 confond les malheurs des . Pauvres et ceux
d'Israël (cf. Ps. 79, 1-4; 25, 18); au Ps. 85, v. 9, le terme de
hasidimest synonyme des* mots peuple de Dieu T-pam vzy-. Chez
Isaïe, la confusion entre le Serviteur de Dieu et le peuple juif est
si grande que beaucoup de commentateurs hésitent encore aujour-
d'hui sur le sens de ces mots Serviteur de Dieu chez ce prophète,
et se demandent s'ils ne représentent pas simplement le peuple
juif.
N° 7. — Il est entendu que le Pauvre est accablé de souffrances
et de persécutions, le méchant triomphe de lui et l'opprime, il
supporte en gémissant tous les opprobres. C'est son attitude dans
Isaïe et dans les Psaumes 3. Nous ne doutons pas un instant que le
n° 7 des dix-huit bénédictions se rapporte à ces misères réelles ou
imaginaires du Pauvre4. C'est le seul moyen de comprendre ce
paragraphe, de s'expliquer comment il occupe cette place dans le
schemo7îé-esré, et d'écarter les difficultés qu'il présente aussi
longtemps qu'on veut y voir l'abaissement politique de la nation
juive. Le nro* (oniénu) de notre bénédiction est la misère du
Pauvre foy ani) ; le iwn "mm est le combat du Pauvre contre la
société hostile qui l'entoure, les grands, les puissants, les juges
iniques, tous ceux qui ne partagent pas ses illusions (Ps. 25, 18 ;
35, 1 ; 43, 1 ; 44, 29 ; 69, 19) ; la délivrance qu'il attend est la dé -
livrance des mains de ces ennemis intérieurs (voir les passages
des Ps. que nous venons de citer), et comme il est le représentant
du peuple, sa délivrance est celle du peuple d'Israël baw bsia
(cf. Ps. 25, 18-22; 72, 15). Cette formule peut, du reste, s'expli-
1 Cf. Ps. 130, 8, entre autres.
* Ps. 78, 3; 148, 14.
a Les exemples sont nombreux dans les Psaumes. Le passage d'Isaïe, 53, 3, est
caractéristique.
* En partie réelles, sans doute, et en partie imaginaires ou théoriques. Le fameux
Discours sur la Montagne (Évangile de Matthieu, ch. v) n'est pas autre chose que le
discours d'un de nos Pauvres et sert en partie de commentaire aux idées que nous
exposons ici, comme il est, à son tour, commenté par elles. A l'époque où il a été
rédigé, le vocabulaire spécial des Pauvres avait perdu la transparence qu'il avait au
temps des Psaumes, voilà pourquoi Fauteur est obligé d'expliquer que ses Pauvres
sont Pauvres en esprit c'est-à-dire d'intention ; que ses allâmes sont affamés de
justice ; que ses persécutés sont persécutés pour leur vertu et pour leur attachement
à Dieu.
30 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
quer encore ainsi : le Pauvre espère que Dieu le sauvera, puisque
Dieu est, d'une manière générale, le protecteur et sauveur
d'Israël.
N° 8. — De même, la guérison demandée à Dieu dans ce para-
graphe, est la guérison des souffrances matérielles et morales du
Pauvre. « Guéris-moi, dit le Pauvre, car j'ai péché (Ps. 41, 5) ;
guéris-moi, car mes os tremblent (Ps. 6, 3) ; ma plaie ou bles-
sure (le ^mao» ou î^rro» de notre paragraphe) est toujours
présente à mon esprit, je confesserai mon péché (Ps. 38, 4-9 et
18-19; la plaie, c'est le péché); Dieu guérit ceux qui ont le cœur
brisé (Ps. 14*7, 3) », et autres exemples '. Il n'est donc pas ques-
tion ici de maladie véritable, mais de cette maladie particulière
qui est la maladie du Pauvre.
N° 9. — Jusqu'ici le Pauvre, dans sa prière, ne s'est occupé que
de ses besoins moraux (5 numéros), il a bien le droit de penser un
instant à ses besoins matériels. C'est l'objet du neuvième para-
graphe. Cette bénédiction se rattache d'autant mieux à celles qui
précèdent qu'elle rentre aussi dans le cercle des préoccupations
ordinaires du Pauvre. On le voit dans les Psaumes, le Pauvre vit
dans la conviction que Dieu lui fournira toujours sa subsistance et
ne le laissera pas mourir de faim. « Les Pauvres mangent et se-
ront ressasiés (Ps. 22, 27), ils ne manqueront jamais de pain (Ps.
33, 19 ; 37, 19, 25 ; 136, 25 ; 146, 7 ; 147, 9) ; Dieu est d'ailleurs le
père nourricier de toutes les créatures 2, tous les êtres vivants
tournent les yeux vers lui, et il leur donne à temps leur pâture,
car il est lui-même un çaddih et un hasid (Ps. 145, 14-17).
Cette confiance du Pauvre en Dieu fait la grandeur de notre béné-
diction.
N° 10. — Quand le Pauvre a épuisé, ou à peu près, la série des
prières qui le concernent et qui s'appliquent à sa situation pré-
sente en Palestine, il pense aux frères absents et aux temps fu-
turs. Un mouvement rapide du cœur et de l'imagination le trans-
porte dans les pays éloignés, où les Juifs sont dispersés, et dans
les temps éloignés, où la justice sera rétablie sur la terre. L'élan
qui emporte la pensée du Pauvre vers ces régions nouvelles est
très bien marqué, dans notre dixième bénédiction, par la note
éclatante du début. Le rappel des exilés qui fait l'objet de cette
bénédiction ne figure pas souvent dans les Psaumes (voir cepen-
dant Ps. 14, 7 ; 53, 7 ; les Ps. 106 et surtout 107 paraissent écrits
au moment même du retour de Babylone et ne prouvent rien),
* Voir encore Ps. 30, 3; 103, 3.
2 ÏT^lKlr; ^D, dans notre numéro, peut s'appliquer à toute la terre.
LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS 31
mais l'idée de ce retour des Juifs dispersés dans la patrie est
familière à la plupart des prophètes et nous avons déjà fait re-
marquer aussi que le texte même de notre bénédiction est
emprunté à Isaïe. Le rrnn du commencement du paragraphe est
la délivrance des exilés, le Pauvre parle au nom de ces exilés
mêmes, à la première personne ; il se considère lui-même, du
reste, comme un prisonnier et un exilé.
N° 11. — Mais le rappel des exilés est un des actes du grand
drame messianique, un autre acte de ce drame sera consacré à la
réhabilitation du Pauvre, auparavant méprisé et chargé injuste-
ment de toutes les iniquités. Quand le Messie viendra, le Pauvre
sera jugé et justifié (ras^as nspISi), et pour que cette œuvre puisse
s'accomplir, Dieu mettra à la place des juges corrompus de l'épo-
que, des juges comme ceux des époques antérieures, censés plus
probes, et des conseillers de vertu antique 1 . Isaïe, quand il parle
de cette réhabilitation judiciaire du Pauvre, pense toujours aux
temps messianiques, comme dans les passages de ses prophéties
auxquels est emprunté le texte de notre paragraphe (Is. 1, 28; 11,
1-5). Dans les Psaumes également, le Pauvre demande constam-
ment que Dieu juge entre lui et l'impie, il fait cent fois appel à
la justice de Dieu, et il attend avec impatience le moment de plai-
der son procès 2. La justice actuelle, dont il se plaint, est une ins-
titution de l'Etat et un des organes du gouvernement; le gouver-
nement est responsable des méfaits qu'elle commet et tous le»
pouvoirs publics, du reste, s'entendent pour opprimer le Pauvre :
voilà pourquoi il souhaite, dans notre prière, qu'au temps messia-
nique, Dieu seul règne sur le peuple avec bonté et justice 3. Notre
prière ainsi entendue et appliquée aux temps messianiques, n'avait
rien de bien blessant pour personne, ni les juges ni le roi ne pou-
vaient en prendre ombrage. Il était entendu' et accepté de tout le
monde qu'à l'époque messianique toutes les institutions seraient
meilleures que par le passé. D'ailleurs on avait ici la prière de
gens excentriques et extravagants, on pouvait les laisser dire,
cela ne tirait pas à conséquence.
1 Les conseillers sont en faveur chez Isaïe, son Messie est un conseiller (Is., 9, 5) .
* Le Ps. 82 est tout à fait caractéristique à cet égard, mais en général les Ps. sont
pleins de cette idée de la justice que Dieu exercera contre les méchants pour réhabiliter
îes Pauvres. L'idée du règne de Dieu aussi se trouve souvent dans les Psaumes ; par
exemple, Ps. 29, 10 ; Ps. 47, Ps. 48, 31, etc., et Ps. 146, 10, déjà cité plus haut.
3 M. J. Derenbourg (Bévue, XIV, 26) suppose que ces paroles sur le règne de
Dieu ont été ajoutées plus tard, mais sa théorie sur la trichotomie obtient tout aussi
bien satisfaction si l'on retranche les mots mn3&0 *pJP 1373)3 ^DÏTl. Remarquer que
ces mots, qui paraissent détonner, prennent tout de suite un sens, dès qu'on donne à
nptre paragraphe l'explication que nous proposons.
32 REVUE DES ETUDES JUIVES
N° 12. — Il est difficile de croire qu'après avoir demandé jus-
tice pour lui, le Pauvre n'ait pas demandé aussi la punition du
méchant qui l'opprimait. Ces deux pensées ou ces deux vœux sont
constamment unis dans les Psaumes, ils y sont exprimés et répé-
tés à satiété. Il nous paraît donc probable que ce paragraphe, con-
trairement à l'opinion talmudique, n'est pas nouveau, mais qu'il a
été si profondément altéré sous Gamaliel II qu'il a pu passer pour
nouveau. D'abord appliqué principalement aux impies et insolents,
ennemis du Pauvre, il est devenu la malédiction des traîtres, des
hérétiques, peut-être aussi des Romains. Nous faisons remarquer
que notre opinion sur ce paragraphe n'est pas liée à la thèse gé-
nérale que nous soutenons ici sur le schemoné-esré, il est indif-
férent, pour cette thèse, que le paragraphe 12 soit ancien ou ait
été ajouté plus tard ! .
N° 13. — Nous faisons d'abord quelques observations de détail
sur ce paragraphe. Il est clair que les çaddikim et les hasidim du
commencement du paragraphe sont nos Pauvres, il n'est plus be-
soin de le démontrer. Nous avons déjà dit que la mention des pro-
sélytes doit avoir été ajoutée dans le siècle qui a précédé la
destruction du temple, si toutefois le reste du paragraphe est anté-
rieur. On verra plus loin que, dans cette seconde partie des dix-
huit bénédictions, il y avait eu un certain nombre de bénédictions
qui finirent par se fondre avec les autres ; elles s'étaient très pro-
bablement ajoutées au texte primitif, et c'est à cause de leur jeu-
nesse relative quelles n'auront pas gardé une existence indépen-
dante. Il existait une prière de ce genre pour les prosélytes, on la
fit rentrer, comme le montre la rédaction actuelle, dans la prière
pour les çaddikim. Enfin, les zekénim de notre paragraphe ont été
ajoutés plus tard encore, après la destruction du temple. Ce sont
très certainement les Anciens du grand Sanhédrin rabbinique et
des Sanhédrins locaux, il est impossible qu'ils aient été omis à une
époque où les rabbins jouissaient d'une estime sans pareille et
étaient, en réalité, les chefs de la nation2. Il nous paraît très pro-
1 Le méchant qui médit du Pauvre se trouve déjà dans le Ps. 101, 8, "OlDbfà, et
souvent les Ps. expriment leur horreur pour les paroles calomnieuses. On pourrait en
conclure que même les malsinim de notre n° 12 sont anciens. Voir, par exemple,
Ps. 5 tout entier; Ps. 12, 45; 17, 10 ; 33, 14 ; 38, 13. La préoccupation des calom-
niateurs ou mauvaises langues se montre aussi dans la belle prière mise à la fin des
dix-huit bénédictions T11ÎLD ",rtbN.
3 Voir notre travail : La Chaîne de la Tradition. Les zekénim, comme les prosélytes,
formaient autrefois l'objet d'une prière indépendante qui s'est amalgamée avec la
prière des çaddikim, preuve que la prière pour les zekénim est récente. — Les mots
115*133 Nbl de notre prière ne signifient pas : que nous ne soyons pas humiliés d'être
moins bien traités que les autres ; mais signifient : que nous ne soyons pas humiliés
de voir notre prière rejetée par Dieu.
LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS 33
bable que les soferim sont aussi entrés dans notre prière à la
même époque, nous craignons tort que ce qu'on nous dit, en gé-
néral, sur les soferim n'ait été inventé en grande partie après
la destruction du temple et ne soit pure légende.
Notre prière n° 13 peut être considérée comme la suite naturelle
des nos 11-12, ou du n° 11, si on admet que le n° 12 ait été intercalé
postérieurement. Après avoir demandé à Dieu réparation pour les
souffrances passées, le Pauvre demande la protection spéciale et
la faveur de Dieu. Il sera réhabilité (n° 11); l'impie, au con-
traire, sera puni (n° 12) ; et le Pauvre obtiendra dorénavant et
pour toujours la protection spéciale de Dieu (n° 13). Cette expli-
cation paraîtra surtout admissible si on considère qu'il ne s'agit
guère ou même qu'il ne s'agit pas du tout, dans cette prière, du
bonheur présent du Juste, mais de son bonheur à l'époque mes-
sianique ou peut-être dans la vie future, à laquelle on dirait que
le mu -ûtf3 fait allusion. Les deux Abrégés du schemoné-esré
dont nous parlerons plus loin rapportent également notre prière
à l'époque messianique l.
Si le n° 15 a été ajouté plus tard seulement, comme le n° 14,
notre n° 13 serait déjà une espèce de final, et se rattacherait fort
bien au n° 16.
N° 14. — - De l'aveu de tout le monde, cette prière a été insérée
dans le schemoné-esré après la destruction du temple. La place
qu'elle occupe a été très judicieusement choisie : d'après les expli-
cations qui précèdent, la prière fait partie de la série des prières
qui ont en vue l'époque messianique, elle se rattache sans peine à
la prière précédente et de la manière la plus naturelle à la prière
suivante.
N° 15. — Cette bénédiction doit appartenir au fonds primitif du
schemoné-esré, et on comprend fort bien qu'elle se trouve à la
fin du morceau, comme le couronnement de l'édifice messianique.
Les Psaumes sont pleins du Messie, et le Messie ne pouvait pas
manquer dans une prière si directement inspirée par eux. La seule
observation importante que nous ayons à faire ici, c'est que
le Messie se trouve déjà dans le n° 14. Il faut noter aussi que, en
Palestine, comme on le verra plus loin, les nos 14-15 de nos rituels
ne forment qu'un seul numéro. Nous nous garderons d'en con-
clure que la prière pour le Messie soit postérieure à la prière
pour la reconstruction de Jérusalem (n° 14). En réalité, la prière
1 II ne nous paraît pas impossible que les prêtres y aient figuré primitivement et
qu'ils aient été rayés plus tard par les Pharisiens. Les Psaumes ne sont pas encore
hostiles aux prêtres (v. Psaumes 115, 118, 132) et les n°* 5 et 17 du schemoné-esré
parlent des sacrifices.
T. XIX, n° 37. 3
34 REVUE DES ETUDES JUIVES
pour la reconstruction de Jérusalem s'est ajoutée à l'ancienne
prière pour le Messie. Les mots l'on !"D"inb mntt th ND31 du
n° 14 de notre rituel, qui font double emploi avec le n° 15, sont,
dans ce rituel, une imitation maladroite du rite palestinien.
N° 16 et n08 17-19. — Ces numéros n'offrent aucune difficulté.
Nous nous sommes déjà expliqué plus haut sur le n° 17.
Il existe un psaume qui mérite spécialement d'être signalé ici,
parce que, par un singulier bonheur, mais qui n'est pas un pur
hasard, il offre, en quelques lignes, presque toutes les prières de
notre schemoné-esrê. C'est le Ps. 146, dont nous avons déjà
parlé plus haut, joint à quelques versets du Ps. 147. Nous en
donnons id le texte avec des chiffres qui représentent les nu-
méros d'ordre de nos bénédictions :
...YW3 sp3>i batt vitd8 (])
trpv^b udu;:o !-îuîj> (11)
trnjnb dnb "jns (9)
^diss rpï 'n trw npD '- ûmos Tntt 'n (7)
trp^7£ 3ttN 'n (13)
...■û'na na n»» 'n (13)
...'ûbwb'nibs'i (11)
'n ûbuî-i-p tirn (14)
dssi ban»** ima (10)
...3b -«nnuib wonn (8)
4'n trw m?» (11)
tn^p-i bisœ» (12)
La suite du Ps. 147, nrnsflort nu» ynab 'pSEii ùm3>3 aratt iiodroii
ïranb ïTOïiab $ma *nm d'nii contient certainement la nnni de
Dieu (n° 2 du schemoné-esrê), comme le prouve l'antithèse qui
suit : DiDti rrhsaa «b. Les versets 13-16 du Ps. 145 contiennent
également quelques-unes des idées du schemonê-esréf mais les
Ps. 146-7 surtout sont frappants, la réunion de la plupart des
dix-huit bénédictions dans quelques versets de ces deux Psaumes
démontre avec évidence la parenté du schemoné-esrê avec les
Psaumes 5.
1 Dans Ù"m^ HpQ, on pourrait aussi voir le n" 4 ; le Û"H1DN "PDft se trouve
dans le n° 2 et pourrait aussi rappeler notre n° 10.
2 Se rappeler ce que nous avons dit plus haut de l'assimilation du Pauvre avec
l'étranger.
3 Déjà le schemoné-esré de Bosch-haschana et de Kippur fait cette application de
ce verset: abi^b 'n ^broi ^unp "naTS 31D33 'an ^pnb 'n rrns "pbttm
.rmbbn n-m iTib i-pit vnbN
4 Ou bien on assimilera ces mots au n° 13.
5 M. J. Dereubourg nous a rendu attentif au début du schemoné-esré de Bosch-
LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS 33
IV
II est bien certain que le nombre 18 de nos bénédictions est
cherché exprès, c'est une sorte de nombre sacré ou symbolique
chez les Juifs (on l'a aussi dans les 18 mesures prises contre les
payens lors de la destruction du temple). A un certain moment il
circulait, comme nous l'avons déjà indiqué plus haut, des bénédic-
tions plus nombreuses. Elles se rattachaient à la seconde partie de
notre prière, où le texte était moins arrêté et où l'on plaçait natu-
rellement, puisque c'était la fin du morceau, toutes les bénédic-
tions nouvelles qui se produisaient. C'est ainsi qu'on avait des bé-
nédictions séparées pour les minim, ou d^iûiû, ou tr^un, ou û^r,
pour les Anciens, pour les prosélytes. Toutes ces bénédictions,
nous l'avons également dit plus haut, étaient probablement d'ori-
gine plus récente que les autres, et c'est ce qui a permis de les
faire rentrer peu à peu dans les bénédictions 12 et 13, ce qu'on a
fait pour rester fidèle au nombre 18 *.
Le Talmud de Babylone admet cependant qu'il y a eu finale-
ment 19 bénédictions, après l'addition vraie ou supposée de la 12e
[malsinini), qui, pour lui, ne fait guère partie du morceau -. Le
Talmud de Jérusalem, au contraire, n'a que 18 bénédictions avec
celle des malsinini. Landshuth a prouvé, par d'excellents argu-
ments5, que, pour ce Talmud, la 15e bénédiction n'existe pas, le
rétablissement du trône de David qui en fait l'objet étant compris
dans le n° 14. Landshuth a omis un argument plus direct que tous
ceux qu'il emploie. Le Talmud de Jérusalem, parlant des 18 béné-
dictions, dit4 : « Si on te soutient qu'il y en a seulement 17, ré-
ponds que celle des hérétiques (la 12e) a été rédigée depuis long-
temps à labné », ce qui veut dire qu'il y a, en effet, 17 anciennes
bénédictions, mais qu'avec notre 12°, celle des malsi?ivmt cela fait
haschana et de Kippur, il a très finement remarqué que le passage 11 3 S *jn *p31
jusqu'à îinN 12511p reproduit quelques-unes de nos bénédictions. Les quatre alinéas
de ce passage reproduisent, comme on le verra en partie plus loin, cinq paragraphes
du schemoné-esré, savoir, les paragraphes 14-15, 13-11. Dans 12rHÏ"D ilDN, on
a notre n° 5, et dans le I^DSft "jl^l ^ÏT encore les nos 10-11. Cf. Geiger, Jild.
Zeitschr., VII (1869), p. 170-171.
« Bcrakhot j„ 8 a ; 4 d et 8 c (sur IV, 5) ; Megilla b., Mb; Tosefta Berakh.,
111,25.
* Berakh. J., 28 *.
3 Landshuth, l. c, p. 63-67.
* Berakh. j., 8 a.
36 REVUE DES ETUDES JUIVES
18. De plus, quand le Talmud de Jérusalem énumère les bénédic-
tions qui prennent place entre les 3 premières et les 3 dernières l,
il n'en a que 12 et non 13, nos prières 14 et 15 n'ont chez lui
qu'un seul numéro, le n° 14. C'est un principe pour lui que notre
n° 15, consacré au rejeton de David, doit être amalgamé avec le
n° 14, comme on a fait aussi pour les impies, les Anciens et les pro-
sélytes. Le Talmud de Babylone admet l'absorption des prières
consacrées aux impies, aux Anciens et aux prosélytes, mais il ne
dit rien de l'absorption de la prière concernant le fils de David,
qu'il compte, au contraire, comme une prière séparée2. C'est ce
qui fait que nos rituels ont 19 bénédictions au lieu de 18.
Les dix-huit bénédictions sont mentionnées dans la Mischna au
nom de R. Gamaliel 3, qui est évidemment Rabbi Gamaliel II, de
Iabné. Elles existaient à peu près dans leur forme actuelle, sauf
additions et altérations de détail4, au commencement du ine siècle,
puisqu'on les trouve énumérées dans des boraïtot qui ne doivent
pas être postérieures à cette date 5, et qu'un abrégé des dix-huit
bénédictions est attribué à Samuel, qui est également de cette
époque c. Cet Abrégé, qu'on a dans deux versions, l'une palesti-
nienne et l'autre babylonienne7, et deux autres textes talmu-
diquess (sans compter les textes post-talmudfques) montrent que
l'ordre actuel des dix-huit bénédictions est très ancien et était
également déjà fixé au commencement du me siècle.
Ces quatre textes, que nous avons déjà plusieurs fois utilisés plus
haut, donnent lieu à certaines observations qui ne sont peut-être
pas sans intérêt.
Remarquons d'abord que l'Abrégé palestinien n'est pas, comme
on l'a supposé, composé de deux morceaux différents, dont le se-
cond commencerait à ynpft finis d'nttDfc ">3 (n° 10). Dans tous les
quatre textes que nous venons de désigner, la seconde partie du
1 Ber. j., 4 d.
a Megilla, Mb.
s Bcrakh., IV, 3.
4 Sur lesquelles il faut voir surtout J. Derenbourg, Revue, XIV, 26. L'observation
faite par M. Derenbourgsur la forme triuairedes bénédictions et le moule des formules
finales est excellente et acquise à la science, nous croyons seulement qu'il ne faudrait
pas l'appliquer avec trop de rigueur. Le premier terme du n° 7 (la guérison) étant copié
de Jérémie, doit rester probablement comme il est dans nos rituels ; le "l^b^ ^5731
du n° 11 nous paraît nécessaire; la formule finale du n° 10 était plutôt "TH^ y2pJ2
biXyû^ (comme dans Isaïe et les Ps.) que ÛTtti ynpfà. Le Talmud, dans le
passage où il donne DiJTJD V^pll tout court, semble abréger ; il veut rappeler les
formules d'un mot, non en établir le texte.
5 Elles se trouvent dans les passages talmudiques que nous citons plus loin.
6 A. moins que ce ne soit le Samuel du n° s., contemporain de Gamaliel II.
7 Bcrakh. j., 8 a ; Bcrakh. b., 29 a.
» Bcrakh. j., k d; Megillab., 17 *.
LES DIX-HUIT BÉNÉDICTIONS 37
schemoné-esrê (n09 10-15) est exposée en termes plus abondants
que la première, et clans l'Abrégé babylonien, tout aussi bien
que dans celui de Palestine, à partir du n° 10, il devient difficile
de distinguer les membres de phrases et de numéroter les bénédic-
tions. Cela ne tient pas à une origine différente de la seconde par-
tie de l'Abrégé1, mais à la nature du groupe 10-15 des bénédic-
tions, qui avait gardé une certaine fluidité, comme le prouve
l'existence des bénédictions supplémentaires qui s'étaient glissées
dans ce groupe et ont fini par s'absorber dans les bénédictions ac-
tuelles. Il est naturel, sans doute, que ces prières supplémentaires
aient été mises dans ce groupe, parce qu'il forme la seconde par-
tie du schemoné-esrê, et que, dans la littérature juive, les addi-
tions se mettent le plus souvent à la fin ; mais il se pourrait bien
aussi que les insertions et additions se soient mises de préférence
dans ce groupe parce qu'il serait un peu plus jeune que le premier
groupe (nos 4-9) ; il aura eu, pour cette raison, plus de peine à
prendre une forme arrêtée et le texte des prières qu'il contient
aura paru moins vénérable. Dans tous les cas, l'embarras de nos
deux Abrégés dans l'énumération des prières de ce groupe est si-
gnificatif.
Nos quatre textes sont, jusqu'à un certain point, un commen-
taire des dix-huit bénédictions et contiennent, sans qu'il y pa-
raisse, une tentative intéressante pour expliquer l'ordre dans
lequel se suivent nos bénédictions. Il va sans dire que les auteurs
de ces quatre textes attribuent à ces bénédictions leur sens plus
moderne et non le sens primitif que nous avons cherché à resti-
tuer, mais il est curieux de voir que ces auteurs ont senti et essayé
de résoudre la plupart des difficultés que présente notre morceau
quand il prend ce sens, et que nous avons indiquées au commen-
cement de ce travail.
La difficulté qu'offre le n° 7 paraît signalée par l'Abrégé babylo-
nien, puisqu'il réunit les nos 6 et 7 en un seul groupe2 : iib n?om
b^nw nvi-ïb.
L'explication courante des nos 11, 12 et 13, n'arrive pas à rendre
compte de la place que le n° 13 (avec son pendant n° 12) occupe
dans le schemoné-esrê. C'est une des plus graves difficultés que
nous ayons notées plus haut, elle est résolue très heureusement
par nos quatre textes talmudiques, et cette solution mérite d'autant
plus d'être signalée que personne, à ce que nous croyons, n'y a
1 La phrase "Hjfi '"-j "ifàtf, Berakh, j., Sa, qui a gêné avec raison M. J. Dereu-
bourg, est une interpolation.
2 Au lieu de "irrVOtott ISptTTïi lire "O^snT.
38 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
fait attention. Elle repose uniquement sur l'attribution d'un sens
tout nouveau donné au n° 11 (Ramène nos juges). Il est bon de
mettre les quatre passages parallèles sous les yeux du lecteur :
Iran hy ta^mim yspn ty^n !md33] wik» ■ûviTjfciMi
■pproi *]nr*$ ^333 ta^p^TS iri^i "p^ sp3n Satarowi bsn iaDi3->
.(Berakhot b.) 'i:n ^bd^r»
mion d"Wirt bjn tanarab pb? bwm y^ptt nriN d^nsE ^
.[Berakh. j. 8 a) '-un yr* ■p535 l2 ^^ ^ TtaD"»! 'p"1
î-huj>3i3 ^toi . . . d*wi3 yi Ji^3>3 n-nbs nispnsiû 'p'tn
nttttnntt bvwwïi ibsuj "pidi . . . diwisrt ibd d^unn p yi
.{Megilla) bbErns .m^ttinn» pim . - . d^pWs "j^p
biparti 1^333 d^T- TO23 )nm nY»ban n^npni pi£3 i3asiiï>
.(Berakh. j. 4 cl) ûTitoO
Ainsi, pour tous les quatre textes, le n° 11 signifie que Dieu,
après avoir réuni les Juifs exilés (n° 10), jugera les Juifs cou-
pables *. Ce jugement est une espèce de jugement dernier, où les
méchants seront écartés et anéantis, afin que les élus seuls entrent
dans le royaume de Dieu. Un de nos textes (Megilla) le dit for-
mellement : le jugement annoncé dans notre bénédiction, dans
des termes empruntés à un verset d'Isaïe (1,26), est l'épuration
annoncée par le même Isaïe dans le verset précédent (1,25), le
jugement messianique. Cette épuration des Juifs, liée au retour
de l'exil, au règne de Dieu, et au rétablissement du rejeton de
David, est aussi annoncée dans Ezéchiel, 36,24-25; 37, 21-25, et
surtout 20, 34-38. On y trouve exactement la série d'idées qui sont
exprimées dans cette partie des dix-huit bénédictions. Nos quatre
textes talmudiques, il faut le remarquer, font également rentrer
dans l'ordre des faits messianiques les n0s 12-13 de nos bénédic-
tions, et ils comblent ainsi la distance qui sépare le n° 13 des
numéros suivants. D'après ces textes, la faveur accordée aux
çadcliJiim et demandée pour eux dans le n° 13, consiste en ce qu'ils
verront le rétablissement de Jérusalem et la restauration du reje-
ton de David.
1 D'après une note marginale de Berakhot j., Sa, édition de Krotoschin, il existe-
rait, pour le texte d'un passage de cette page, une variante d'où il résulterait que notre
n° 11 se serait appelé ù^inn D313, mais nous ne savons où l'auteur de la note a
pris cette variante et quelle autorité elle peut avoir. — Remarquons aussi que, dans
Megilla au moins, la distinction entre les nos 11 et 12 n'est pas clairement indiquée, et
en effet, d'après l'explication du n° 11 de nos Talmuds, cette différence n'est pas claire
du tout; on peut dire tout au plus que, d'après Berakh. j., 4 d, le n° 11 s'applique
aux méchants de l'intérieur, le n° 12 aux méchants et ennemis du dehors. — Ce même
texte de Berakh. j. a, ce qui est curieux, presque la même formule finale pour les
nos 11 et 13: n° lî, p123 n^DIE; n° 13, UDUJ723 15p1i2.
LES DIX-HUIT BENEDICTIONS 39
Ainsi tout s'arrange admirablement. Les Juifs seront rappelés
(n° 10), un jugement sera institué contre les impies juifs et inaugu-
rera le règne de Dieu (n° 11), les méchants seront exterminés
(n° 12), les pieux seront récompensés (n° 13) par la reconstruction
de Jérusalem (n° 14) et le rétablissement du trône de David (n° 15).
Mais qui ne voit que cette explication du Talmud est presque
exactement celle que nous avons donnée1 ? Nous ne nous arrêtons
pas à l'explication du Talmud sur le n° 12 (les malsinim), elle
peut être erronée et ne nous intéresse pas autrement, puisque ce
numéro a été ajouté ou au moins défiguré plus tard, mais, comme
dans notre explication, le Talmud applique aux temps messia-
niques les nos 11 et 13, et nous ne doutons pas qu'il ne le fasse en
souvenir du sens primitif de ces bénédictions. Elles ont évi-
demment aussi ce sens dans le morceau du schemoné-esré de
Rosch-hoschana et Kippur que nous avons déjà plusieurs fois
signalé :
ï-ir-D tWDm iîb^ b'nrc'n nrnaun int &vi£ pan (n° 13)
IViï nbtfîatt *pn?ri "û ïrbsn flBato Inbs i-^un!-; bsn (n° 12)
♦ ■pan "ja
Dbtë-pm 'pirD "pra )vx *iï"n . ..^pnb 'n fins ^pbam (n° 11)
Cette pièce est très probablement beaucoup plus ancienne
encore que les quatre textes talmudiques que nous avons cités,
elle fournit une confirmation remarquable des idées que nous
avons exposées. Le passage du sens primitif de nos trois bénédic-
tions au sens qu'elles ont dans cette pièce et dans le Talmud est
des plus simples : elles s'appliquaient d'abord aux Pauvres, notre
pièce et le Talmud, une fois qu'il n'y a plus de Pauvres ou que
tous les Juifs sont des Pauvres, se bornent à en élargir le sens et
à les appliquer au peuple juif tout entier.
En résumé, les dix-huit bénédictions sont la prière des Justes et
des Pauvres, devenue plus tard la prière des Juifs en général.
Elle a été rédigée probablement au deuxième siècle avant l'ère
chrétienne, et, à ce qu'il nous semble, avant la lutte entre les
Sadducéens et les Pharisiens. En mettant à part les nos 1-3 et 17-19,
qui forment le cadre de la pièce, et le n<> 16, qui est une formule
1 Remarquer aussi que le texte de Megilla lie les paragraphes, à partir du n° 10,
dans un ordre logique, exactement comme nous Pavons fait.
40 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
conclusive, il reste douze bénédictions, qui se divisent en deux
groupes d'égale valeur numérique et qui se font équilibre : le
groupe 4-9, qui s'applique au présent; le groupe 10-15, qui s'ap-
plique à l'avenir messianique. Le sens de plusieurs de ces béné-
dictions s'est altéré forcément, quand il a fallu les appliquer à une
situation nouvelle, et toutes les difficultés que présente cette belle
composition disparaissent, lorsqu'on restitue au texte sa signifi-
cation primitive.
Isidore Loeb.
TEXTES PEHLVIS RELATIFS AU JUDAÏSME
(suite *)
DEUXIÈME PARTIE.
LA REINE SHASYAN DOKHT
« Les villes de Shûs et de Shûster furent bâties par Shasyân (?)
» Dôkht, femme de Yazdkart, fils de Shâhpûhr : elle était fille du
» Rêshgalûtâ, le Roi des Juifs, et fut mère de Bahrâm Gôr.
» La ville de Gai fut foulée aux pieds des éléphants par le
» maudit Alexander. 11 y avait là une colonie de Juifs. Ils y furent
« établis sous le règne de Yazdkart, fils de Shâhpûhr, sur le
» désir de Dôkht, sa femme 2. »
Ces lignes sont prises d'une énumération des principales villes
de l'Iran, accompagnée de quelques détails historiques sur cha-
cune d'elles, qui se trouve contenue dans un manuscrit unique,
très ancien, connu sous le nom de Shah Nameh Pehlvi, et dont
je dois communication à l'obligeance du savant Destour de Bom-
bay, Jamaspji Minochihrji Jamasp Asana. Ces lignes sont le
document historique le plus important que nous ayons rencontré
jusqu'à présent dans la littérature pehlvie sur l'histoire des Juifs
de Perse. Elles ont tous les caractères de l'authenticité historique,
car elles concordent parfaitement avec une série de renseigne-
ments fournis d'autres sources.
1 Voyez Revue, t. XVIII, p. 1 .
2 Shatrôstân (= Shahristân) Shûs u Shûstar Shasyân Dôkht nisââi Yazdkart
Shahpûhrân kart, cîgûn bartâ i Rêshgalûtak Yahûtân Shah amei i Vahrâmi Gôr
yahvûnt (folio 24 b).
Shatrôstân i Gai gujastak Alaksandaro pîlp... kart mâaishnî Yahûtân lamman
yahvûnt pun khûtâyê Yazdkartî Shahpûhrân min khvahishni Shasyân Dôkht kîash
nasââ yahvûnt (folio 25 b).
/i2 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Trois rois ont porté le nom de Yazdkart (Yazclegerd) :
Yazdkart I, qui règne de 399 à 420 ;
Yazdkart II, qui règne de 438 à 457 ;
Yazdkart III, qui règne de 632 à 636 et qui est le dernier roi de
Perse. •
Notre Yazdkart est Yazdkart I ; car Yazdkart I (399-420) fut
le père de Bahrâm Gôr (420-438). Les sources arabo-persanes
ne sont pas d'accord sur le nom du père de Yazdkart, qui est
Bahrâm Kirmânshâh, selon les uns, Shâhpûhr (Sapor) selon les
autres. Voici, au surplus, la série de ses prédécesseurs, à partir
de Shâhpûhr II, le grand Sapor, le vainqueur de Valérien :
309-379 Shâhpûhr (Sapor) II, fils d'Hormizd IL
379-383 Ardshîr II, frère de Sapor IL
383-388 Shâhpûhr III, fils de Sapor IL
388-399 Bahrâm IV Kirmânshâh, fils ou frère de Shâhpûhr III.
399-420 Yazdkart 1, fils ou frère de Bahrâm IV.
420-438 Bahrâm Gôr.
Notre texte donne raison aux historiens qui font Yazdkart
.fils de Shâhpûhr, et non de Bahrâm, mais sans décider s'il est fils
du grand Shâhpûhr ou de Shâhpûhr III. Tabari seul, le plus an-
cien de ces historiens, fait de lui un fils du grand Shâhpûhr. Or
Shâhpûhr II, couronné roi avant sa naissance, a vécu et régné
soixante-dix ans ; il s'est écoulé vingt ans entre sa mort et l'avè-
nement de Yazdkart ; la distance de temps n'est pas telle que
Yazdkart n'ait pu naître dans le dernier tiers du règne de Shâh-
pûhr IL Nous verrons plus loin qu'il ne serait pas sans intérêt de
savoir si la donnée de Tabari est exacte et si Yazdkart est en effet
le fils de Shâhpûhr IL
Yazdkart a laissé une mauvaise réputation chez les Perses : il
est connu sous le surnom de « Yazdegerd le pécheur » (Yazdegerd
ïïazagar ; Yazdegerd dafr 1). La vieille chronique qui, pour tous
1 II ne faut point corriger dafr en dabz, comme le propose M. Nœldeke [obsru-
rum per obscurius ; Tabari, p. 72, n. 4): la lecture dafr ou dapr est donnée d'une
façon authentique par le Chah Nameh pehlvi : Shatrôstân î Hamdâu Yazdkart î Shâb-
pûhrân kart manshân Yazdkart î dafr (dapr) karîtûnand : la ville d'Hamadân fut
fondée par Yazdkart, fils de Shâhpûhr, que l'on appelle Yazdkart dafr [(fol. 22b). Il
s'agit naturellement d'un nouvel Hamadân ; cf. plus bas p. 50.
TEXTES PEI1LV1S RELATIFS AU JUDAÏSME 43
les rois Sassanides, même après le récit des plus abominables
cruautés, n'a que des paroles d'admiration attendrie, sort de sa
courtisanerie banale et prend un accent haineux et amer au nom
de. Yazdkart, qui est pour elle le tyran par excellence. Cepen-
dant, dans le portrait, à la fois chargé et vague qu'elle trace de
lui, percent des traits qui prouvent que ce n'était pas un prince
ordinaire.
k On dit qu'il était dur, tyrannique, chargé de vices. Un des
pires, dit-on, était qu'il n'appliquait pas de la façon qu'il aurait
fallu son intelligence pénétrante, sa belle instruction, ses con-
naissances variées, mais qu'il était adonné d'une façon extraor-
dinaire à des choses mauvaises et appliquait tout ce qu'il avait de
talent à des ruses et des artifices pervers, étant expert dans toutes
les œuvres de mal et y mettant toute sa joie ; enfin, qu'il estimait
peu la science et la culture chez les autres, les méprisait et les
tenait pour vices, tout en se vantant devant les gens de ce qu'il en
possédait lui-même. De plus, il était dur, méchant et de penchants
mauvais. Sa dureté et sa rigueur allaient si loin qu'il regardait la
plus petite faute comme grande, la moindre peccadille comme im-
portante. Personne, en si bons termes qu'il fût avec lui, ne pou-
vait intercéder devant lui pour qui lui avait manqué. Il était tou-
jours plein de soupçons envers les hommes et ne se fiait en rien
à personne. Il ne récompensait jamais aucun service et faisait
valoir comme la plus grande des choses la moindre faveur qu'il
faisait à personne. Si jamais homme osait lui parler en faveur
d'un autre, il disait aussitôt : « Combien t'a payé celui pour qui
tu me parles, ou combien as-tu déjà reçu 1 » Aussi personne
n'osait jamais lui parler de choses de ce genre, à l'exception des
ambassadeurs qui lui étaient envoyés par les princes étrangers.
Ses sujets ne pouvaient se défendre de sa violence, de sa méchan-
ceté et de toutes les mauvaises qualités qui se réunissaient en
lui, qu'en se conformant exactement aux bonnes lois et aux règles
de conduite des rois antérieurs l. »
Le lecteur voit aisément quelle admirable peinture d'un roi
idéal on pourrait tirer de ce passage : d'un roi, ami de la'science,
dans un pays d'ignorance et de superstition, élevé au-dessus des
préjugés qui l'entourent, pénétré d'un mépris profond pour la
bassesse et la corruption des hommes, tels qu'ils apparaissent dans
une cour royale, essayant de relever les mœurs par l'implacable
sévérité du justicier. Ce tableau serait peut-être aussi outré que
1 D'après la traduction de M. Nœldeke, Geschichte (1er Perser und Araber zur Zeit
dcr Sasaniden, p. 72.
44 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
.l'autre et aussi faux : la cruauté naturelle d'un despote d'Orient
peut se donner jeu d'une façon aussi complète et aussi odieuse
sous le couvert de la libre pensée et de l'austérité que sous celui
de l'orthodoxie et de la volupté l. Mais, quoi qu'il en soit, il est
clair que pour s'attirer des haines formulées en ces termes, il fal-
lait que Yazdegerd fût sorti d'une façon bien claire de la routine
ordinaire d'un tyran persan et que ce n'était pas un Sassanide
comme les autres.
Ainsi que l'observe le traducteur de Tabari, le portrait tradi-
tionnel de Yazdegerd trahit, sans aucun doute, une rancune sa-
cerdotale. Aussi ne faut-il pas s'étonner de voir les chroniqueurs
chrétiens parler en tout autres termes de Yazdegerd. Un docu-
ment chrétien contemporain le nomme « le bon et compatissant
roi Yazdeger, le chrétien, béni entre les rois, dont la mémoire
soit bénie et dont la vie puisse dans l'avenir être plus belle encore
que dans le passé ; qui chaque jour a fait le bien aux pauvres#et
aux malheureux2 ». Yazdegerd avait racheté les prisonniers ro-
mains que les Huns avaient jetés sur le marché d'esclaves de la
Perse. Peut-être y avait-il dans cette générosité quelque vue poli-
tique qui nous échappe ; mais c'était une générosité doublement
remarquable, s'exerçant sur des étrangers à la fois de nationalité et
de religion : les frères de Matha ne rachetaient que des Chrétiens.
Il n'en fallait pas tant pour quelques-uns en fissent un Chrétien.
Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il laissait les Chrétiens se réunir,
pour la première fois, en synode général à Séleucie, et cela sous la
présidence d'un évêque sujet de Byzance (février 410). Il laissait
le Catholicos Jabhallâhâ relever l'église de Ktésiphon. Il em-
ployait sans scrupule des évoques à des missions diplomatiques,
même à l'intérieur. Socrate (vu, 8) conte avec attendrissement
comment Maruthas, évêque de Mésopotamie, avait gagné son
cœur en le délivrant par ses prières d'un mal de tête chronique
dont les Mages n'avaient pu le guérir, et comment le saint évêque
tourna à leur confusion les artifices que les Mages imaginaient
pour frapper l'imagination du roi et ébranler son crédit et qui
1 Caractère qui n'est pas rare en Orient. Comparer le portrait de l'Emyr Nyzarn,
le vertueux vizir du présent Shah, dans les premières années de son règne : « Le
rare mérite que l'on ne pouvait méconnaître dans l'Emyr Nyzam s'alliait à une ru-
desse de manières peu propre à faire aimer la vertu. De son côté, cet homme si rigide
avait certains défauts qui irritaient les esprits. Sa sévérité s'appuyait sur un fond de
cruauté native ; sa dureté à jeter à la face de tout le monde des accusations d'ailleurs
souvent méritées, résultait d'une insoutenable satisfaction de lui-même que rien ne
pouvait'égaler. C'était un de ces orgueils furieux et délirants comme on ne les con-
naît guère dans nos climats, un orgueil d'Assuérus et d'Aman... > (Comte de Go-
bineau, Trois ans en Asie, 241).
* Anecdota de Land, cité par Nœldeke, Tabari, p. 75 note.
TEXTES PEHLVIS RELATIFS AU JUDAÏSME 45
n'aboutirent qu'à les faire décimer par le roi irrité. Peu s'en fallut
que Yazdegerd ne se fit chrétien devant un nouveau miracle
opéré par Maruthas, en collaboration avec Abdas, évoque de
Perse : à eux deux, à force de prières et de jeûnes, ils avaient
chassé un démon qui possédait le fils du roi. Mais la mort prévint
la conversion de Yazdegerd.
Cependant le roi n'avait pas tellement aliéné son indépendance
aux Chrétiens et il n'entendait pas plus être l'instrument de leur
clergé que celui des Mages. Vers la fin de son règne, les Chré-
tiens, croyant leur heure venue, remuèrent et voulurent jouer les
Polyeucte. L'évêque d'Ahvâz, Abdas, le collaborateur en miracles
de Maruthas, incendia un temple de feu : Yazdegerd lui donna
l'ordre de le rebâtir : sur le refus d'Abdas, il menaça de mettre le
feu à toutes les églises de Perse et une persécution commença.
C'était en 414, l'année même où la populace d'Alexandrie égorgeait
Hypatia. Il y eut un martyr, Abdas, et nombre d'apostasies. L'un
des martyrs les plus célèbres du règne suivant, Jacques « le dé-
coupé » (Jacobus Intercisus), avait abjuré sous Yazdegerd.
Ces persécutions, qui étaient plutôt des mesures d'ordre public
que des persécutions religieuses proprement dites, ne semblent
pas avoir été très violentes sous Yazdegerd — elles continuèrent,
cette fois, avec fureur, sous Bahrâm. — L'opinion chrétienne mo-
dérée n'approuvait d'ailleurs point Abdas. Théodoret (v, 38), en
admirant le martyre d'Abdas, qui refusa de rebâtir les pyrées
qu'il avait détruits — car bâtir un pyrée, c'était autant qu'adorer
le feu — , le blâme de les avoir détruits : saint Paul, dit-il, quand il
vit Athènes pleine d'idoles, n'en abattit aucune et se contenta d'é-
clairer les idolâtres. Aussi l'on comprend que les sévérités de
Yazdegerd n'aient pas suffi à lui ramener les Mages. Ils sentaient
bien que ce n'était pas leur esprit qui animait la répression.
Un roi si mal pensant devait mal finir. « Quand les grands et
les nobles virent que son injustice ne faisait qu'empirer, ils se
plaignirent à Dieu de l'oppression, s'humilièrent devant le Sei-
gneur et le supplièrent de les délivrer rapidement. Or le roi, ra-
conte-t-on, étant en Hyrcanie, vit un jour s'avancer devant son
château un cheval si beau qu'il n'avait jamais vu le pareil. Le
cheval vint et s'arrêta devant sa porte. Les gens admiraient, car
il était tout à fait extraordinaire. Yrazdegerd donna ordre de le
seller, de le brider et de le lui amener : mais quelque peine que se
donnassent les écuyers, il ne se laissait manier par aucun d'eux.
On annonça au roi que le cheval résistait ; alors il se rendit en
personne près de lui, le brida de sa main, lui jeta une housse sur
le dos, mit une selle par dessus, et serra les courroies sans que le
46 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
cheval bougeât seulement. Mais quand il lui leva la queue, pour
passer en dessous la croupière, le cheval le frappa du sabot en
plein cœur, le tua raide mort et disparut. Alors les sujets déli-
vrés dirent : « Dieu a fait cela pour nous dans sa miséricorde *. »
II
Les sources juives ne sont pas moins favorables à Yazdegerd
que les sources chrétiennes. Elles le montrent en rapports cor-
diaux avec les Juifs : aux jours de grande réception, les trois
représentants du judaïsme babylonien, R. Ashi pour Sura, Mar
Zutra pour Pumbadita, Amemar pour Nehardea, étaient invités à
sa cour. On lui prétait un langage presque judaïsant : « J'étais une
fois devant Yazdegerd, — conte Houna, fils de Natan ; — il m'a
arrangé ma ceinture et l'a placée plus bas qu'elle n'était en me
disant : Vous autres Juifs, vous êtes une nation de prêtres et un
peuple saint - ». Il est probable "que Houna ne comprenait pas
toute la pensée de Yazdegerd : ce n'était pas un hommage de
gentil s'inclinant devant les représentants d'une foi supérieure :
c'était la proclamation de l'égalité de deux religions, une assimi-
lation hardie du qadosh et de ïashavan. « Les Juifs sont un peuple
saint », c'est-à-dire sont un peuple ftasliavan ; car le zend asha-
van, l'épithète que doit mériter tout vrai fidèle, répond exacte-
ment pour le sens et l'étendue d'idéal à l'hébreu qadosh ; les Juifs
sont aussi purs que le meilleur Zoroastrien ; ce sont des Zoroas-
triens qui n'en ont pas le nom : leur ceinture est donc un hosti, le
symbole sacré qui ne quitte jamais le fidèle de la vraie religion, et
il convient qu'ils l'arrangent à la façon d'un Bell Dîn, c'est-à-dire
exactement entre la partie du corps qui appartient à Ormazd et
celle qui appartient à Ahriman 3.
Notre texte pehlvi prend à présent tout le caractère d'un texte
historique authentique. Il n'y avait rien de bien étrange que l'ad-
mirateur du peuple juif, l'ami de Houna, mît la couronne sur la
tête d'une juive. Cette juive, d'ailleurs, étant la fille du Rêsh Ga-
lûtâ, était ia première des jeunes filles juives : Je Rêsh Galûtâ,
ou chef de la captivité, était un des grands personnages de l'em-
» Tàbarû tr. Nœldeke, p. 77.
5 Graetz, Histoire des Juifs, 2e éd., IV, 382.
* Gujastah Abâlish, texte pehlvi publié et traduit par A. Barthélémy, p. 38 ; cf.
Israël Lévi, Bévue des Etudes juives, t. XV, p. 112.
TEXTES PEIILVIS RELATIFS AU JUDAÏSME 47
pire perse : il occupait à peu près le rang que le patriarche grec
ou le patriarche arménien occupent dans la hiérarchie otto-
mane : chef de nation, c'était une sorte de vassal de la couronne.
Il n'était pas à la nomination du Roi des Rois; le monarque ne
faisait que le confirmer dans son titre royal héréditaire, étant
fils de David, ou devant l'être1. Il était le chef moral, non seu-
lement des Juifs de l'Empire, mais de tous les Juifs dispersés dans
tout l'univers.
Il est regrettable que notre texte, en donnant le nom de la reine,
dont la lecture est malheureusement douteuse, ne donne pas le
nom de son père. Peut-être était-ce le Houna, fils de Natan, avec
qui nous venons de faire connaissance : car un Exilarque de ce
nom régna sur la communauté juive de 410 à 448, par suite
durant les dix dernières années de Yazdegerd. Il est vrai que
Bâhrâm Gôr naquit dans la huitième année de Yazdegerd, c'est-à-
dire en 408, à une époque où Houna n'était pas encore Rêsh Ga-
lûtâ. Peut-être le texte lui donne-t-il ce titre par avance, ou s'a-
git-il de son prédécesseur Kahana, qui régna de 390 à 410 2.
* Serait-ce à Yazdegerd que songeait le sage Sîn essayant de pré-
munir les princes contre les dangers du Judaïsme : « Comme la
doctrine du Mazdéisme fait prospérer le monde et que celle du
judaïsme le fait périr, il faut que les princes gouvernent suivant
la loi pure du Mazdéisme et se tiennent éloignés du Judaïsme 3. »
A tout le moins, cet exemple prouve que le conseil avait un sens.
Yazdegerd trouvait d'ailleurs dans ses souvenirs de famille directs
un exemple qui peut-être ne fut pas sans influence sur son libé-
ralisme religieux. Sa grand'mère, la mère de Sapor, fut, si Ton
en croit le Talmud, une amie et une admiratrice du peuple juif.
C'est la fameuse Ifrâ Hormuzd, la protectrice de Raba, qui sauve-
garda souvent les Juifs contre les violences de Sapor : « N'irrite
pas les Juifs, lui disait-elle ; tout ce qu'ils demandent, Dieu le leur
accorde ». Yazdegerd ne vit point sa grand'mère : la longueur du
règne de Sapor rend presque impossible qu'il l'ait connue, encore
moins qu'elle ait eu le temps d'avoir une influence sur lui; mais il
entendit parler d'elle, sans doute, et les Rabbins durent souvent
lui rappeler ce qu'Ifrâ Hormuzd avait été pour eux.
1 II remontait à David, par Zerubabel. Il conservait dans Timagination populaire
un prestige légendaire. Pour être nommé Rêsh Galûtâ, il fallait être comme Bahman
Dirâzdast, l'Artaxerxès longue-main ; il fallait avoir les bras assez longs pour at-
teindre les genoux, étant debout. Ainsi en fut-il plus tard d'Ali et des Imams (Albî-
rûnî, Chronology, tr. Sachau, p. 69],
' Dr N. Brûll, Jahrbiicher fur Jûdische Geschichte und Literatu)', t. II, p. 96.
a Voir la première partie de cette étude, Revue, t. XVIII, p. 3, note 2.
48 REVUE DES ETUDES JUIVES
Une des femmes de Sapor II, et celle qui semble avoir été sa
femme en titre, car les textes lui donnent le nom de reine, fut
également judaïsante, si Ton en croit les Actes des Martyrs, et ce
serait à son instigation qu'aurait éclaté la troisième persécution
contre les Chrétiens, celle de 341. « Dans ce même temps (c'est-à-
dire après le martyre de saint Siméon), disent les Actes syriaques
des Martyrs de Perse, comme si c'eût été fait par le diable, la
reine tomba malade ; et comme l'esprit de celle-ci était porté
vers les Juifs, les ennemis de la croix, ceux-ci lui dirent par une
vilaine calomnie, selon leur habitude : les sœurs de Siméon t'ont
jeté un sort, parce que leur frère a été tué *. » Sainte Tharba, sa
sœur et sa servante, furent mises à mort et la reine recouvra la
santé en passant entre les cadavres mis en pièces. Étant donnée la
polygamie persane et la longue vie de Sapor II, il n'est guère pos-
sible d'affirmer que Yazdegerd I fut le fils de la reine judaïsante
et de voir dans son mariage avec la fille du chef de la nation juive
une action directe de sa mère : mais il ressort suffisamment et
des récits du Talmud sur la reine Ifra, et des récits syriaques sur-
les persécutions de la reine judaïsante, quelle que soit la valeur
historique de ces récits, que l'influence juive était puissante
dans le harem de Sapor II et que Yazdegerd put la trouver à son
berceau.
' Il semble difficile, tout d'abord, de retrouver dans l'histoire ou
plutôt dans la légende de Bahrâm Gôr les traces de son origine
demi-juive. Bahrâm Gôr, le fougueux chasseur, est, à l'inverse de
son père, le héros favori de la légende populaire. Gomme les
enfants de Yazdegerd, le roi maudit, mouraient tous avant l'âge,
Bahrâm est élevé dans le désert parmi les Bédouins. Il remplit le
désert du bruit de ses exploits de chasse, et à la mort de son père
conquiert le trône qui lui est disputé en allant chercher la cou-
ronne entre deux lions. Il va déguisé courir les aventures dans
l'Inde, en ramène la fille du roi et une armée de dix mille musi-
1 Je dois cette traduction à l'obligeance de M. Rubens Duval. — L'histoire ecclé-
siastique de Sozomène, II, 12, a la même légende : la reine étant tombée malade, conte-
t-il, après l'exécution de l'évêque Syméon, on arrêta sa sœur Tarbula (TapêovXa)
avec une servante, vierge comme elle, et une autre sœur qui était veuve : c'était
sur la délation des Juifs qui les accusaient d'avoir jeté un maléfice sur la reine pour
venger la mort de Syméon. « La reine, selon la disposition des malades qui prêtent
volontiers l'oreille aux suggestions les plus abominables, crut à la délation, surtout
qu'elle venait des Juifs ; car elle partageait leurs croyances, vivait à la façon juive
(èuei xà aùxwv èçpovei, xat 'IouoaTwç èfSiw) et les croyait sincères et dévoués à son
bien. Par conséquent, les Mages, saisissant Tarboula et les deux autres, les mettent
à mort, les scient en deux et, pour cbasser la maladie, font passer la reine entre les
pieux qui portaient leurs membres. »
TEXTES PEHLVIS RELATIFS AU JUDAÏSME 49
ciens. Ses amours inspirent vingt poètes : la poésie persane même
naît de ses amours avec la belle Dil-ârâm l.
Aucune des sources musulmanes ne connaît son origine juive.
Un Juif paraît bien dans sa légende : mais c'est le riche, avare
et dur, Baraham, qui lui refuse l'hospitalité et qu'il dépouille de
ses richesses en faveur du pauvre et généreux porteur d'eau
Lembek2.
Peut-être serait-il trop artificiel de voir dans cet épisode une
protestation de la légende contre la tradition historique de son
origine juive. Mais est-ce par hasard si dans le discours que lui
fait tenir Firdousi, il se rattache à une reine Schémiran : « De-
puis Schapour, fils de Bahram, jusqu'à Ardeschir, tous les rois,
vieux et jeunes, sont de père en fils mes ancêtres et mes guides
dans la foi et la conduite, et, du côté de ma mère, je descends de
la reine Schémiran, je suis de sa race et son égal en intelli-
gence 3? » Or Schémiran est le nom persan de Sémiramis; mais
c'est aussi, avant tout, le nom de la Sémiramis persane, la reine
Hômâi, la grand'mère légendaire du dernier Darius, laquelle est
d'origine juive :
« Hômâi Gihrâzâd, ou Shamîrân, fille de Bahman, résidait
dans la ville de Balkh. Elle envoya ses troupes subjuguer la
Grèce, d'où elles ramenèrent de nombreux captifs, parmi eux
des artistes excellents, entre autres des architectes à qui elle fit
ériger les monuments que l'on appelle palais d'Istakhar (Persé-
polis) 4. » Or cette Sémiramis persane a du sang juif : car son père
Bahman l'a eue de la juive Shahrâzâd 3 qu'il avait épousée et qui
était une des captives amenées de Jérusalem par Bokhtnasr (Na-
buchodnosor) 6. Selon une autre version, qui conduit d'ailleurs
au même résultat, c'est Bahman même qui était d'origine juive,
étant fils de la juive Astourieh (Esther), de la race de Saùl.
Bahrâm Gôr, en se rattachant à Schémiran, c'est-à-dire à
Hûmâi Cihrâzâd, proclame ainsi indirectement son origine juive
et se trouve confirmer le témoignage direct du texte pehlvi, qui lui
donne pour mère l'héritière du sang royal de Juda.
Nous verrons plus loin les conséquences que l'on peut tirer de
ces faits pour la formation d'une partie des conceptions histo-
riques des anciens chroniqueurs perso-arabes.
* J. Darmesteter, Les origines de la poésie persane, p. 1.
* Le livre des Boisy tr. Mohl, V, 449 sq.
3 Ibid., 433.
4 Hamzah d'Ispahan, pp. 38 (texte), 27 (traduction).
5 Appelée quelquefois Dînâmd (Masoudi, II, 122).
6 Masoudi, II, 129, 123. Voir l'article suivant.
T. XIX, N° 37.
50 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
III
Revenons à la reine Shasyân et à ses œuvres, la construction
de Shûs et de Shûster et l'établissement à Gai d'une colonie juive.
La nouvelle Astourieh devait avoir une prédilection particu-
lière pour Suse (Slius), la capitale de la reine d'Assuérus. Elle ne
bâtit pas la ville de Suse, qui était plus ancienne que la plus an-
cienne dynastie perse ; mais elle put la rebâtir, car elle avait été
détruite de nouveau, un demi-siècle auparavant, par le roi Sapor
qui, pour châtier une rébellion, avait fait massacrer toute la popu-
lation et écraser la ville sous les pieds de trois cents éléphants l.
Peut-être, plus simplement encore, elle y bâtit. Quand un géo-
graphe persan dit que telle ville a été bâtie par tel roi, cela
signifie seulement que ce roi y a fait de grandes constructions.
De là les innombrables concurrents qui se présentent pour
chaque ville au titre de fondateur. Imaginez dans quelques siècles
les chroniqueurs français faisant fonder Paris les uns par Phi-
lippe-Auguste, les autres par le baron Haussmann. C'est ainsi que
dans un autre passage, le Shah Nameh pehlvi fait bâtir par notre
même Yazdegerd Hamadan, dont Hérodote contait déjà la cons-
truction par Déjocés. Suse est en ruines : ce sont les fameuses
ruines récemment explorées par la mission Dieulafoy.^ L'autre
ville, dont on attribue la fondation à la reine Shasyân, Shûster,
est plus récente que Suse et subsiste encore : mais elle est anté-
rieure, elle aussi, à la reine juive ; car Sapor II y fit bâtir par des
prisonniers romains une digue gigantesque, qui subsiste encore 2.
La colonie juive de Gai est mentionnée par les géographes
arabes et persans.
Gai est le Djei des géographes ; c'est un des noms anciens
1 Nœldeke, Tabari, p. 58, note 1. La tradition postérieure, comme nous l'avons
vu plus haut, reporte à Alexandre la gloire de cet exploit.
2 Mentionnons, pour la curiosité de la chose, l'étymologie fantaisiste donnée par
les Arabes des noms de Suse et de Shûster : c Skousk, dit Hamzah d'Ispahan, est la
l'orme arabe donnée au nom de Sous. . . Ce mot signifie en persan une chose agréable,
bonne, aimable, et la terminaison ter répond à la forme af^al (comparatif et super-
latif : Yaqoul, Dictionnaire géographique de la Perse, tr. Barbier de Meynard, p. 136).
Shoush est en réalité le débris du vieux nom susien ; Shoushanq, et Shûstar signifie
« situé dans la direction de Suse » (comparer le zend ushas-tara, dans la direction de
l'aurore, oriental; Mûzandarân, dans la situation du Mâzana) : Shûstar est situé à
quelques milles au N.-E. de Suse. Voir la description de la ville dans le Voyage en
Perse, Susiane et Chaldée, de Mme Jane Dieulafoy, 691 sq.
TEXTES PEHLV1S RELATIFS AU JUDMSME ol
dlspahan, ou plutôt le nom d'une partie ancienne d'Ispahan. « Is-
pahan, dit Yaqout, était anciennement la ville connue sous le nom
de Djey, sur remplacement de laquelle s'élève maintenant le
Scheristân, ou ville (medîna). Bakht-en-nasr, après la prise de
Jérusalem, transporta en ce lieu tous les prisonniers juifs.
Ceux-ci construisirent, auprès de l'antique ville de Djey, un quar-
tier qu'ils habitèrent et qui reçut, pour cette raison, le nom de
Yahoudieh, la juiverie. Après un nombre considérable d'années,
Djey fut ruiné et il n'en resta qu'une petite portion, tandis que la
Yahoudieh s'agrandit et devint la ville moderne dlspahan. Ma-
mour ben Bâdàn, en rapportant ces faits, ajoute : « Si donc l'on
recherche l'origine des plus nobles familles parmi les grands et
les riches marchands, il est impossible qu'on ne trouve pas
comme souche de ces familles quelque idolâtre ou quelque juif. »
« Voici, dit-il ailleurs 2, ce qu'on lit dans les vieilles chroniques :
« Lorsque les Juifs sortirent de Jérusalem, sous le règne Bokht-
en-nasr, et furent exilés de l'Iraq, ils emportèrent avec eux de
la terre et de l'eau provenanl de Jérusalem. Toutes les fois qu'ils
s'arrêtaient dans une ville ou dans une bourgade, ils en pesaient
la terre et l'eau. Arrivés à Ispahan, ils campèrent dans un lieu
nommé en hébreu Djira (vitt ?),ce qui signifie descendez3 (enzelû).
Us en pesèrent l'eau et la terre, suivant leur coutume, et trou-
vèrent qu'elles avaient exactement le même poids que la terre et
leau de leur patrie. Rassurés par cet heureux présage, ils s'éta-
blirent dans cet endroit, y bâtirent une ville, et leur race s'y mul-
tiplia. Cette ville reçut alors le nom à'el Yahoudieh (la juiverie).
Elle était située à côté de l'ancienne ville d'Ispahan, nommée
Djey, et ces deux quartiers se touchaient; ils sont séparés main-
tenant par un espace couvert de ruines et le quartier de Djey
forme un faubourg isolé dont la plus grande partie est ruinée. La
ville moderne d'Ispahan occupe une portion de l'emplacement
de Djey4. »
Sylvestre de Sacy avait déjà fait remarquer que la colonie
juive d'Ispahan doit rabattre de ces hautes prétentions d'anti-
quité. Un passage de Moïse de Chorène nous apprend que l'éta-
blissement des Juifs à Ispahan est postérieur à la conquête de
l'Arménie par Sapor II. C'est après la prise d'Artisitas qu'il dé-
porta à Ispahan les Juifs de Van s : ceux-ci avaient été établis du
1 Trad. Barbier de Meynard, p. 45. Cf. l'article Djey (p. 188].
a A Particle Yahoudieh, p. 613.
3 Etablissez-vous ici.
« Cf. Chardin, éd. Langlès, VIII.
5 Moïse, III, 35. Voici la traduction littérale du passage, que je dois à l'obligeance
52 • REVUE DES ETUDES JUIVES
temps du roi Tigrane, quarante ans avant le Christ, par le géné-
ral arménien Barzafran qui les enleva de Palestine, de la ville de
Maschéra ».
De ces deux données de l'historien arménien, l'une sur la dé-
portation des Juifs d'Arménie à Ispahan, l'autre sur l'origine
même de ces Juifs d'Arménie, le second n'a nulle valeur. Le
récit de Moïse est, comme nous fait observer M. Carrière, une
arménisation hardie du récit de Joseph sur l'expédition de Pacore
et des Parthes en Palestine au temps d'Hyrcan. Il a transformé
purement et simplement Barzafarnès, le lieutenant de Pacore,
en général arménien, et Pacore même en vassal de Tigrane, à la
plus grande gloire de l'Arménie. Il ne savait comment expliquer
l'origine des Juifs d1 Arménie et ne trouvait rien de plus simple
que de mettre le pavillon arménien à l'expédition des Parthes,
ajoutant de son cru la déportation de Maschéra. C'est, on sait, la
façon ordinaire dont Moïse de Chorène traite les parties anciennes
de l'histoire d'Arménie. L'autre donnée, sur la déportation des
Juifs d'Arménie en Perse, porte au contraire toutes les appa-
rences d'une donnée historique : les événements dont il s'agit ap-
partiennent à une période pleinement historique et la fantaisie
n'avait ici nul objet. Il est donc probable qu'ici encore il faut inter-
préter et restreindre l'expression trop large de notre texte. La
reine juive n'a pas créé la colonie juive d'Ispahan : elle était déjà
là depuis un demi-siècle : mais il est probable que sous ses aus-
pices elle prit des développements qu'elle n'avait pas eus aupa-
ravant et tels qu'elle sembla en être la créatrice.
L'histoire de cette colonie peut se suivre jusqu'à nos jours.
Quand Benjamin de Tudèle visita Ispahan, vers 1170, environ
cinquante ans avant l'époque où écrivait Yaqout, il y avait trouvé
quinze mille Juifs 2. Ils y étaient si nombreux et si influents que
les Musulmans disaient que c'était parmi eux que devait paraître
de M. Carrière : « En ce temps là arrive Tordre de Chapouh de raser les fortifications
» de toutes les villes [d'Arménie] et d'emmener en captivité les Juifs . . .qui habitaient
i Van [dans le canton] de Tosp où ils avaient été amenés par Barzaphran Resch-
• touni.au temps de Tigrane; ceux-ci, Chapouh les établit à Aspahan (= Ispahan). »
Tosp est la Thospitis de Ptolémée, canton situé sur la rive orientale du lac Van
(Thospitis lacus), dans la province arménienne du Vaspourakan. (Note de M. Car-
rière.)
1 Toute cette histoire est fabriquée d'après Josèphe, Anliç., XIV, xm, et Bell,
Jud., I, xm (Carrière).
2 Ch. xv ; éd. L'Empereur, p. 96. * De là il y a sept journées à Ispahan ; c'est la
grande ville, la capitale du royaume. Elle s'étend sur douze milles, et il y a là environ
quinze mille Israélites. Ils ont pour chef Sar Shalom, que le Chef de la Captivité a
préposé sur eux et sur ceux de toutes les villes de Perse. »
TEXTES PEHLVIS RELATIFS AU JUDAÏSME 53
Daddjal, l'Antéchrist : on montrait sur la place de la Yahoudieh
l'endroit d'où il devait sortir *.
La colonie juive d'Ispahan est à présent bien réduite : elle ne
dépasse pas trois cents familles 2.
LA PRISE DE JÉRUSALEM ET LE SYNCRÉTISME
JUDÉO- PERSAN
Le livre du Minokhired, énumérant les mérites de chacun des
rois (légendaires) de la Perse ancienne, arrivé à Lohrasp, dit :
« Et les mérites de Lohrasp furent ceux-ci : Qu'il exerça la
» royauté vertueusement, qu'il se montra fidèle envers Dieu,
» qu'il rasa la Jérusalem des Juifs, détruisit le peuple juif et le
» dispersa. »
Ce Lohrasp, successeur du roi Khosrav, est, dans la légende
zoroastrienne, le père de Gushtâsp, sous qui Zoroastre prêche sa
religion. On peut s'étonner d'abord de voir la tradition persane
revendiquer pour la Perse îa conquête de Jérusalem. Mais étant
donné le principe de la souveraineté universelle de la Perse,
toutes les grandes choses et tous les grands noms devaient aboutir
à elle comme à leur source. Le même syncrétisme qui, dans
l'ordre religieux, aboutit en Grèce et à Rome à la fusion des
dieux de toutes les grandes religions, des Jupiter, des Zeus et des
Sérapis ; des Vénus, des Aphrodite et des Astarté ; des Apollon et
1 Moqadessi {Revue des Études juives, 1886, XII, 259, note). — Ispahaa est encore
aujourd'hui le siège caché de l'Antéchrist. Il y a quelques années, étant à Constanti-
nople, le meilleur lettré persan de la ville, Habib d'Ispahan, me conduisit dans un
café persan et me montrant le propriétaire, me dit devant lui, en forme de plaisan-
terie : « Défiez-vous de cet homme, le puits du Deddjal est devant sa maison à
Ispahan ». L'Ispahanais prolesta vivement et s'écria : « Il n'en est rien, le puits du
Deddjal est à plus d'un quart d'heure de chez moi. » 11 existait au moyen âge (Ma-
krizi, .Chrestomathie arabe de Sylvestre de Sacy, I, 307) une secte de Juifs nommés
Ispahaniens, et leur maître, Abou Mousa Ispahani, a qui s'arrogeait la qualité de
prophète, voulut faire croire qu'il était monté au ciel, que Dieu lui avait touché la
tête avec la main, qu'il avait vu Mahomet et qu'il avait cru en lui ; les Juifs d'Is-
pahan disent que c'est lui qui est le Daddjal (l'Antéchrist), et qu'il paraîtra dans
leur pays ».
1 Renseignement fourni par M. Isidore Loeh.
J u Urîshalîm i Jahûtân brâ khafrûnt u Jahûtân vashoft u parâgandak kart (Mi-
nokhired pehlvi, ch. xxvn ; éd. Andréas). Cette ligne manque dans la transcription
pazende du Minokhired, mais cette lacune ne prouve pas contre l'authenticité.
54 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
<les Mithra ; dans l'ordre historique aboutit à l'assimilation ou au
inoins à la subordination des grands personnages historiques. Le^
grand roi aux pouvoirs surnaturels de la légende juive, Salornon,
s'assimila ainsi à Jemshid; Kei Kaous, révolté contre Dieu, devint
un autre nom de Nemrod *. Une grande cité, comme Jérusalem,
dont la gloire était si retentissante dans la légende juive et mu-
sulmane, devait être tombée sous des mains perses. On imagina dès
lors que Sennachérib, ou Sanjarib, était le lieutenant de Lohrasp
dans l'Irak, qu'il l'avait envoyé contre Jérusalem, mais qu'il
avait été repoussé; que là-dessus Lohrasp l'avait remplacé par
Nabuchodnosor ou Bokhtnasar, lequel avait pris Jérusalem, l'a-
vait détruite et avait emmené les Juifs captifs en Orient. Lohrasp
avait épousé une des captives, Dînâzâd, et en avait eu Gùshtâsp,
lequel, en faveur de sa mère, avait disgracié Nabuchodnosor, et
avait nommé à sa place un général, nommé Koresh (Cyrus), avec
ordre de renvoyer les Juifs en Palestine et de leur donner un roi
de leur ancienne maison royale.
Ce syncrétisme fantaisiste paraît avec beaucoup de variantes
dans le détail, dans les premiers historiens arabes, ceux du
ive siècle de l'Hégire, Tabari, Masoudi, Hamzah d'Ispahan2. Mais
il appartient déjà, sans doute, à l'époque Sassanide, si, comme on
le croit, le Minokhired appartient à cette période, car la ligne que
nous en avons citée au début de cet article en suppose l'existence.
Il se serait donc formé avant la conquête arabe et avant que l'Islam
eût jeté clans la Perse toute la tradition biblique, telle du moins
qu'elle paraît dans sa forme arabe. Ce syncrétisme se serait formé
du rapprochement direct de la tradition juive et de la tradition
persane, sans intermédiaire étranger.
Dans ces synthèses hardies qui jetaient l'ordre dans le chaos
discordant des diverses traditions nationales, le point de départ
était l'assimilation ou la subordination de deux personnages ou
de deux événements offrant dans leur légende quelque point d'at-
tache.
Imaginons à présent un docteur juif et un historiographe persan
échangeant leurs idées sur l'histoire ancienne de leur nation.
Nous avons été conquis, dit le Juif, par Nabuchodnosor, roi de
Babylone, emmenés captifs à Babylone et délivrés soixante-dix
ans plus tard par Cyrus, votre grand roi. Ii conte aussi l'histoire
de la juive Esther que le roi Assuérus a fait monter sur le trône.
Le Perse sourit. Il sait bien qu'il n'y a jamais eu de roi de
1 J. Darmesteter, La flèche de Nemrod (Journal asiatique, 1886).
2 Tabari, tr. Zotenberg, I, 488-503; Masoudi, tr. Barbier de Meynard, II, 120-128.
TEXTES PtfHLVIS RELATIFS AU JUDAÏSME ?5
Babylone nommé Bokhtnasar ; s'il avait jamais existé, cela se
saurait, et les Annales du Livre des Rois en parleraient : il est
clair que ce Bokhtnasar était un lieutenant du roi de Perse en
Irak. Le Koresh, roi de Perse, est aussi une fantaisie des Juifs ;
car le document authentique de l'histoire perse, le Khudâi Nâma,
nous donne la liste suivante des rois de Perse depuis Lohrasp
jusqu'à Alexandre :
Lohrasp, qui a régné 120 ans.
Gûshtâsp, qui a régné 120 ans ; c'est sous Vishtasp que le
prophète Zoroastre est venu apporter la religion d'Ormazd ; Vish-
tasp avait régné 30 ans quand parut Zoroastre ; il régna encore
90 ans après.
Bahman1, fils d'Isfandyâr, fils de Gûshtâsp, qui régna 120 ans.
Hômâi Cîharâzât, fille de Bahman, qui régna 30 ans.
Dârâ, fils de Hômâi, qui régna 12 ans.
Dârâ, fils de Dârâ, qui régna 14 ans.
Alexandre, le Roumi, qui régna 14 ans.
Dans cette série authentique des grands Rois, point de Kôresh.
C'est donc qu'ici encore les Juifs ont pris le lieutenant du roi pour
le roi. Mais de qui Bokhtnasar et Kôresh étaient-ils donc les
lieutenants? Ici le nom de la reine Esther (Astourieh) est pour le
savant Perse un trait de lumière. Quel est le Roi des Rois qui a
mis une juive sur le trône : ce ne peut être que Bahman2, car on
sait de source certaine que Gûshtâsp avait épousé une grecque.
Donc l'Esther des Juifs est la Cîharâzâd des textes Pehlvis ; car
on a grand tort de faire Hômâi Cîharâzâd une seule et même
personne, fille de Bahman : Hômâi, fille de Cîharâzât, faut-il lire 3.
A défaut de Bahman, il se pourrait aussi que ce fût Lohrasp qui
aurait épousé la captive Esther4 ; en ce cas, Gûshtâsp serait fils de
la Juive et c'est lui qui, par amour pour sa mère, aura délivré les
Juifs. Jérusalem a donc été conquise, sous les ordres de Lohrasp,
par son lieutenant Nabuchodnosor ; et les Juifs ont été renvoyés
dans leur patrie, sous les ordres de Gûshtâsp, par les soins de son
lieutenant Cyrus.
L'on est moins étonné à présent de lire dans les chroniqueurs
1 Surnommé plus tard Dirâzdast, vague souvenir d'Artaxerxès Longue-main.
* De là le surnom de dirâzdast, c longue-main », donné à Bahman, Bahman étant
identifié, par son mariage avec Esther, avec Assuérus, que, d'autre part, l'on avait
identifié à Artaxerxès Longue-main.
3 Le patronymique s'exprime en pehlvi par simple juxtaposition avec le particule i
sous-entendue. Cîharâzâd est devenu, par l'intermédiaire de l'arabe, Shehrâzâd ;
M. de Goeje a récemment reconnu dans cette sœur d'Esther la Shehrazad des Mille
et Une Nuits.
4 Appelée aussi Dînâzàd (voir page précédente).
56 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
perso-arabes que Zoroastre fut un disciple de Jérémie. Zoroastre
a vécu sous Lohrâsp et Gûshtâsp ; et c'est précisément l'époque
de la captivité des Juifs. Ce rapprochement, ce ne sont point sans
doute les Mages qui l'ont suggéré; ce sont plutôt leurs interlocu-
teurs juifs : mais il devait faire grande fortune chez les Persans
islamisés. On raconte que Zoroastre était un disciple désobéis-
sant du prophète 'Azîz, qui est Jérémie ; 'Azîz pria Dieu, qui défi-
gura Zoroastre; les enfants d'Israël le chassèrent d'au milieu
d'eux et le firent sortir de Jérusalem. Il alla dans l'Irak et de là
à Balkh et se présenta comme prophète devant le roi Gûshtâsp *.
Si Ton cherche quelle fut l'époque la plus favorable pour la
formation de ce syncrétisme judéo-persan, quasi-officiel, il ne
s'en présente point qui soit plus naturellement indiquée que celle
de la reine Shasyân, fille du prince de l'exil.
James Darmesteter.
* Tabari, tr. Zotenberg, I, 499.
CE QUE TACITE DIT DES JUIFS
AU COMMENCEMENT DU LIVRE V DES HISTOIRES
Ce que Tacite dit des Juifs, leur passé, leurs coutumes, leurs
institutions, leur pays, leur histoire, au commencement du livre V
des Histoires, renferme beaucoup d'erreurs. « Le triste fragment
du cinquième livre des Histoires de Tacite, conservé pour son
malheur comme le reste est perdu pour le nôtre, est un monu-
ment éternellement honteux de l'historiographie ancienne *. »
« Un amas d'impuretés, d'inepties, d'absurdités, a-t-on dit 2, voilà
ce qu'est le mosaïsme pour les hommes les plus éclairés du temps
de Trajan et des Antonins 3. Les Juifs semblent à la fois su-
perstitieux et irréligieux, athées et voués aux plus grossières
croyances4. Leur culte paraît un monde renversé, un défia la
raison, une gageure de contrarier en tout les coutumes des autres
peuples 5. Travestie d'une manière grotesque, leur histoire serf
de thème à des plaisanteries sans fin 6 ; on y voit généralement
une forme de culte de Bacchus7. Antiochus, disait-on, avait es-
sayé vainement d'améliorer cette race détestable. . . s: Une accu-
sation surtout, celle de haïr tout ce qui n'était pas eux 9, était
meurtrière, car elle reposait sur des motifs spécieux et de nature
à égarer l'opinion. Plus dangereuse encore était l'idée d'après
1 Reuss, Flavius Joseph, Nouvelle Revue de Théologie, novembre et décembre 1859,
p. 302.
8 Renan, Les Évangiles, p. 391 sq.
3 Instituta sinistra, fœda, pravitate valuere... Pessimus quisque... Mos absurdus
sordidusque. . . Teterrimam gentem... colluvie... pervicacissimus quisque. Tac,
Eist., V, 5, 8, 12.
* Tac, Eist., V, 5,8,13.
* Tac, Eist., V, 4.
6 Tac, Eist., V, 2, 4.
7 Tac, Eist., V, 5. Cf. Plutarque, Quast. conv., IV, 5 et 6.
8 Tac, Eist., V, 8.
9 Tac, Sist.} V, 5.
58 REVUE DES ETUDES JUIVES
laquelle le prosélyte qui s'attachait au mosaïsme recevait pour
première leçon de mépriser les dieux, de dépouiller tout senti-
ment patriotique, d'oublier ses parents, ses enfants, ses frères1.
Leur bienfaisance , disait-on , n'est qu'égoïsme ; leur moralité
n'est qu'apparente ; entre eux tout est permis 2. »
Si Tacite se trompe souvent sur les Juifs, c'est qu'il ne remonte
pas aux sources véridiques. On a plusieurs fois cherché de quels
auteurs avait pu s'inspirer ici Tacite3. Les uns croient que Ta-
cite copie un modèle unique ; les autres qu'il a puisé à plusieurs
sources. La première opinion est soutenue surtout par M. H. Nis-
sen, qui a cru pouvoir formuler la loi de l'historiographie an-
cienne4 : tous les auteurs conservés reproduiraient, à un moment
déterminé, un ouvrage unique ; ils ne fondraient pas ensemble
plusieurs récits, de façon à former un tout nouveau, mais join-
draient bout à bout plusieurs extraits, d'où une œuvre plus
ou moins incohérente. Nous ne voulons pas examiner ici cette
théorie, ce qui nous entraînerait dans de trop longs développe-
ments. Qu'il nous suffise de dire qu'elle nous semble fortement
exagérée, et qu'elle ne s'applique qu'à un petit nombre de cas.
On a cru trouver dans les livres de Pline l'Ancien, A fine Au-
fidii Bassi, l'ouvrage reproduit par Tacite dans les Histoires,
particulièrement dans ce qui a rapport à la guerre des Juifs et à
la destruction du temple de Jérusalem5. 0. Glason, qui n'admet
qu'avec des restrictions l'hypothèse de M. Nissen sur les sources
des historiens anciens, énumère les nombreuses raisons qui font
croire que Tacite s'est servi de Pline 6. Ces raisons semblent con-
firmées par le fait que Piine l'Ancien était sous-chef d'état-major
au siège de Jérusalem7. Mais M. Detlefsen, éditeur de Y Histoire
naturelle de Pline, a montré que l'emploi de Pline l'Ancien par
Tacite était bien problématique s.
Tacite ne se serait donc pas servi d'un auteur unique pour ce
qu'il dit des Juifs au commencement du livre V des Histoires. Il
aurait puisé à plusieurs sources différentes. Cette opinion semble
confirmée parles paroles mômes de Tacite. Dans le premier cha-
i Tac, Eist., V, 5.
2 « Inter se nihil inlicilum ». Tac., Ilist., V) 6.
3 Cf. Hild, Les J tufs devant l'opinion romaine. Revue des éludes juives, 1885, II,
p. 176 sqq.
4 Kritische Untersuchungen iïber die Quellen dev merten und fânften Dckade des
Livius, Berlin, 1863, p. 78.
5 H. Nissen, Die Historien des Plinius, Rhein. Mus., XXVI, 1871, p. 497 sqq.
6 Tocitus und Sueton, p. 90 sqq.
7 Cette découverte est due à M. Mommsen, qui a restitué le nom de Pline dans une
inscription grecque (Hermès, XIX, p. 644 sqq.).
8 Philologus, XXXIV, p. 40 sqq.
CE QUE TACITE DIT DES JUIFS 59
pitre, où il parle de l'histoire primitive du peuple juif, il cite en
moins d'une page quatre témoignages différents1. Le chapitre
suivant commence par la mention d'une nouvelle autorité2.
Mais Tacite rapporte des détails contradictoires. On le lui a
reproché amèrement et l'on y a vu la preuve de son animosité
contre les Juifs3. Ne serait-ce pas, au contraire, une marque de
son impartialité?. La contradiction est souvent le signe de la vé-
racité. Nous ne voulons pas dire par là que Tacite n'avait pas
à Tégard des Juifs ses préventions et ses préjugés, qui étaient
ceux de son temps. « Trajan, Adrien, Antonin, Marc-Aurèle se
tiennent, à l'égard du judaïsme et du christianisme, dans une
sorte d'éloignement hautain. Ils ne les connaissent pas, ne se sou-
cient pas de les étudier. Tacite, qui écrit pour le grand monde,
parle des Juifs comme d'une curiosité exotique, totalement igno-
rée de ceux à qui il s'adresse, et ses erreurs nous surprennent.
La confiance exclusive de ces nobles esprits dans la discipline
romaine les rendait insouciants d'une doctrine qui se présentait à
eux comme étrangère et absurde. L'histoire ne doit parler qu'avec
respect des politiques honnêtes et courageux qui tirèrent le monde
de la boue où l'avaient jeté le dernier Jules et le dernier Flavius ;
mais ils eurent les imperfections qui étaient une suite naturelle
1 Ilist., V, 2 : t Les Juifs, dit-on..., Quelques-uns prétendent. .. , Beaucoup font
des Juifs. . ., Il en est enfin qui. . . (Traduction Burnouf).
* « La plupart des auteurs s'accordent à dire. . . >
3 M. Hild, Loc. cit., p. 179 : t Tacite ne s'est pas même préoccupé des contra-
dictions flagrantes qui existent entre quelques-uns de ses témoignages [concernant
les Juifs). On dirait qu'il puise au hasard dans le répertoire connu, laissant au lecteur
le soin de se débrouiller, s'il le croit nécessaire ; plus désireux de produire une impres-
sion défavorable que de se conformer à la vérité, tout au moins à la vraisemblance
des choses. Ce qu'il dit du culte de la tête d'âne est inconciliable avec la constatation
d'une religion qui a pour objet la divinité rationnelle et invisible. Affirmer des Juifs
qu'ils ne reconnaissent ni patrie ni famille rend suspects les sentiments de solidarité,
de charité mutuelle qui sont constatés ailleurs. Y a-t-il un payen sensé qui, relevant
chez une nation la croyance à l'immortalité de l'âme et à l'existence d'un Dieu unique,
n'hésiterait ensuite à accumuler sur elle des qualificatifs infamants comme : Instituta
sinistra, fœda. . . Pessimus çuisque... Projectissima ad libidincm gens... Inter se
nihil illicitum... Judœorum tnos absurdus sordidiesque. Je veux bien que, dans tout
ce tableau, la confusion des chrétiens et de leur détachement des choses terrestres
avec les Juifs proprement dits, dont la pure croyance est d'un caractère plus positif,
a dû embarrasser un payen superficiel. Mais Tacite en est-il plus excusable d'avoir
négligé des renseignements qui étaient sous sa main, de n'avoir pas fait un effort
d'équité pour établir les choses vraies, en supprimant les choses contradictoires?
Aussi de tous les écrivains de l'antiquité gréco-latine, sans en excepter les calom-
niateurs de profession, comme Apion, dont les exagérations tombaient d'elles-mêmes,
pas un n'a parlé des Juifs avec un dédain plus grand, non seulement de la justice,
mais d'une saine méthode historique. Ajoutons qu'il a aggravé les erreurs des autres
par le ton d'ardente conviction qu'il apporte à l'expression de toutes ses idées. A
l'heure où les Juifs ont à se défendre et contre le polythéisme, surexcité par leur résis-
tance, et contre la propagande chrétienne, qui rompait enfin une solidarité compro-
mettante, Tacite jeta ses flétrissures en pâture aux passions politiques et religieuses. »
60 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
de leurs qualités. C'étaient des aristocrates, des hommes à tradi-
tions, à préjugés, des espèces de torys anglais, tirant leur force
de leurs préjugés mêmes. Ils furent profondément Romains. Per-
suadés que quiconque n'est pas riche ou bien né ne saurait être
honnête homme, ils ne ressentaient pas, pour les doctrines étran-
gères, ces faiblesses dont les Flavius, bien plus bourgeois, ne sa-
vaient pas se défendre. Leur entourage, la société qui arrive au
pouvoir avec eux, Tacite, Pline, ont le même mépris pour ces doc-
trines barbares. Un fossé semble creusé durant tout le 11e siècle
entre le christianisme et le monde officiel. Les quatre grands et
bons empereurs y sont nettement hostiles. . . Les défauts de ces
vertueux empereurs sont ceux des Romains eux-mêmes : trop de
confiance en la tradition latine, une fâcheuse obstination à ne pas
admettre d'honneur hors de Rome, beaucoup d'orgueil et de du-
reté pour les petits, pour les pauvres, pour les étrangers, pour
les Syriens, pour tous les gens qu'Auguste appelait dédaigneu-
sement ce les Grecs », et à qui il permettait des adulations inter-
dites aux Italiotes l. »
Aussi bien les préventions et les préjugés contre les Juifs n'ont
pas encore complètement disparu 2. De plus, l'antipathie de Tacite
était justifiée, dans une certaine mesure, par la conduite d'Hé-
rode et de sa famille.
Le principat fondé par Auguste avait produit une transforma-
tion dans le mode d'exercice de la politique romaine, transfor-
mation qui n'a pas échappé aux historiens 3. Le chef de la dy-
nastie qui succéda à celle des Asmonéens, Hérode le Grand, avait
bien compris le changement apporté par la puissance impériale à
Rome. Après avoir embrassé le parti de Brutus et de Gassius, puis
d'Antoine, Hérode avait abandonné celui-ci après Actium, pour
porter ses hommages et ses flatteries au vainqueur. Mais il savait
admirablement s'accommoder au caractère de l'homme qu'il vou-
lait séduire. Hérode gagna les bonnes grâces d'Auguste par de
solides considérations administratives et des vues politiques éle-
vées. Il ne négligea rien pour conserver et augmenter la faveur
qu'il avait conquise. Pour cela, il eut recours aux moyens qui
sont les plus puissants auprès d'un gouvernement monarchique,
1 Renan, Les Evangiles, p. 392 sqq.
1 Cf. Revue scientifique, 1888, II, p. 386 sqq.
3 Dion Cassius, LUI, 19 : Autrefois (avant Auguste) toutes les affaires, quelque
loin que la chose arrivât, étaient soumises au sénat et au peuple, et, par conséquent,
tout le monde les connaissait et plusieurs les écrivaient. Aussi la vérité se trouvait,
jusqu'à un certain point, chez les historiens et dans les Actes publics. Mais à partir
de cette époque la plupart des choses commencèrent à se faire en cachette et en
secret.
CE QUE TACITE DIT DES JUIFS 61
l'espionnage et l'intrigue. « Nous savons qu'Hérode et Salomé, sa
sœur , entretenaient avec la cour une correspondance suivie ;
Salomé était au mieux avec la fameuse Julie, la fille d'Auguste et
la future femme de Tibère; en mourant, elle l'institua son héri-
tière. Si la politique faisait le thème principal des lettres d'Hérode
à l'empereur et à son entourage, on peut conjecturer qu'entre
Salomé et Julie s'échangeaient des confidences d'une nature plus
intime. Tout le monde connaît l'histoire d'Acmé, cette esclave
d'origine juive qui, sans doute par ordre et en vertu d'un plan
combiné à Jérusalem, se trouvait au service de Julie. Antipater,
fils d'Hérode et de Doris, l'avait intéressée à sa cause ; il se servit
de son intermédiaire pour perdre Salomé, mais ne réussit qu'à se
perdre lui-même et elle avec lui1. »
On disait de Messalla qu'il était « le voltigeur des guerres ci-
viles », parce qu'il avait successivement abandonné tous les partis
jusqu'à celui qui resta définitivement vainqueur; on aurait pu
dire la même chose d'Hérode ; seulement, derrière sa souplesse
il y eut toujours chez lui un fond de caractère sauvage, qui ne
permettait pas d'oublier qu'il était Iduméen2. Il fit mourir sa
femme, la belle Marianne, la dernière descendante du sang as-
monéen ; il fit mourir également les deux fils qu'elle lui avait
donnés, puis un troisième fils, cet Antipater dont nous parlions
tout à l'heure. « Antipater, qui avait beaucoup contribué, par ses
basses délations, à la fin tragique des fils de Marianne, fut con-
vaincu d'avoir voulu empoisonner Hérode et périt à son tour sous
la main du bourreau. C'est à cette occasion, et non à celle du
massacre, historiquement controuvé, des enfants de Bethléem, .
qu'Auguste aurait dit, par allusion à l'un des préceptes alimen-
taires du judaïsme : « Il vaut mieux être le porc d'Hérode que
son fils. » Le vieux tyran ne survécut que cinq jours à son fils
Antipater et mourut, âgé de soixante-dix ans, proférant encore
des menaces de meurtre3. »
On comprend dès lors que Tacite résume ainsi l'histoire des
derniers rois de Judée : Judœi, Macedonibus invalidis, Parthis
nondum adultis ( et Romani procul erant ) , sibi ipsi reges
imposuere ; qui mobïlitate vidgi expulsi, resumpta per arma
dominatione, fugas civium, urbium eversiones, fralrum, con-
jugum, parentum neces aliaque solita regibus ausi, supersti-
1 Hild, Loc. cit., p. 28.
* Cf. Jugurtha.
3 A. Réville, Le peuple juif sous les Asmonéens et les Rérodes. Revue des Deua-
Mondesy 15 septembre 1867, p. 339.
62 REVUE DES ETUDES JUIVES
iionem fovebant, quia honor sacerdotii firmamentitm potentiœ
asswnebatur l .
On pourrait prétendre que ces paroles de Tacite s'appliquent à
une époque antérieure à celle du gouvernement des Césars à
Rome. Mais une remarque d'un autre historien ne saurait être
l'objet d'une semblable critique. Dans son histoire du règne de
Caligula, Dion Cassius dit : « Ces misères étaient moins pé-
nibles que l'attente d'un accroissement de cruauté et d'intempé-
rance de la part de Caïus, surtout parce qu'on apprit qu'il était
intimement lié avec les rois Agrippa et Antiochus, comme avec
des professeurs de tyrannie. » Le roi Agrippa, dont parle ici Dion
Cassius, n'est autre qu'Hérode Agrippa Ier, le plus illustre des
successeurs d'Hérode le Grand. Du vivant de Tibère, Agrippa
était le flatteur et le conseiller de Caligula ; il lui dit un jour en
parlant de l'empereur : « Ce vieillard ne mourra-t-il pas bientôt,
vous laissant le maître ici? » Agrippa se montrait ainsi peu re-
connaissant pour Tibère, qui lui avait prêté de l'argent. Les pa-
roles d'Agrippa auraient pu lui coûter la vie ; Tibère se contenta
de faire emprisonner son ingrat débiteur.
On comprend que les membres de l'aristocratie romaine qui,
comme Tacite, supportaient dans le gouvernement des Césars
un mal nécessaire, n'aient ressenti aucune sympathie pour les
rois juifs de la famille d'Hérode. Leur aversion dut encore
s'accroître lorsqu'ils virent que Titus, le vainqueur de Jérusalem,
était si épris de la reine juive Bérénice qu'il lui avait promis de
la faire monter sur le trône impérial, comme autrefois Livie et
Agrippine. Si le grand César s'était laissé séduire par Cléopâtre,
du moins il ne lui accordait aucune influence dans les affaires
publiques. On sait combien le renvoi d'Octavie, sœur d'Octave,
par Antoine, qui s'était laissé prendre aux mêmes séductions que
César, lui nuisit dans l'opinion à Rome. Aussi bien Bérénice était
peu recommandable par elle-même. Elle était aussi impudique
que belle. Elle était la sœur du roi juif Agrippa II, qui fut accusé
d'inceste avec elle. « Les désordres de Bérénice, dont la liste est
longue, ne l'empêchaient pas d'avoir aussi des accès de dévotion.
Quand l'insurrection éclata, elle était à Jérusalem, occupée à
s'acquitter d'un vœu de naziréat •» 2.
Les Romains, surtout ceux de la haute société, ne pouvaient
comprendre les idées judaïques. C'est ainsi que le christianisme
1 jSw*., V, 8, à la fin.
* A. Réville, Loc. cit., p. 341, note. « Le naziréen était un homme qui, par recon-
naissance ou repentir, se vouait pendant un certain temps au service spécial de
Jéhovah, et s'astreignait pour cela à certaines abstinences [Id.y ibid., p. 330). >
CE QUE TACITE DIT DES JUIFS 63
ne fut longtemps pour eux qu'une secte insensée et déraisonnable.
Les procurateurs venus de Rome en Judée recevaient « l'ordre
de ménager les scrupules religieux des Juifs, et ne cessaient de
les irriter, moins encore de propos délibéré que par ignorance et
maladresse » *. Les Juifs faillirent se révolter parce que Caligula
voulait qu'on lui élevât une statue dans le temple de Jérusalem.
Déjà Pilate, ramenant les troupes romaines de Césarée à Jérusa-
lem, fit entrer dans la ville sainte les étendards, sur lesquels était
représentée l'image de Tibère.* Il dut les éloigner, devant les sup-
plications menaçantes des Juifs. Claude v,r\it être agréable aux
Juifs en leur donnant pour gouverneur Tibère Alexandre, natif
d'Alexandrie, fils du célèbre arabarque Alexandre Lysimaque, et
neveu de Philon : il saurait mieux ménager les susceptibilités de
ses anciens coreligionnaires. Mais Tibère Alexandre était un
renégat et les Juifs eussent mieux aimé être gouvernés par
Belzébub en personne.
Mais il y avait un témoin oculaire et un acteur dans les événe-
ments, qui avait écrit la guerre de Judée : c'était Josèphe. On a
parfois soutenu que Tacite s'était servi de lui2. .Nipperdey dit,
avec raison, que Tacite n'a pas eu recours à Josèphe, et qu'en
général, il a bien fait 3. Tacite n'aimait pas les affranchis. C'est
justement à propos d'un affranchi de Vespasien qu'il indique son
sentiment4. L'auteur des Histoires devait donc être mal disposé
pour Josèphe, affranchi de Vespasien. De plus, Josèphe « se
montre assez favorable à Néron ; il trouve qu'on l'a calomnié, il
rejette tous ses crimes sur son mauvais entourage. Quant à Poppée,
il en fait une pieuse personne, parce qu'elle était favorable aux
Juifs, qu'elle appuyait les requêtes des zélés et peut-être aussi
parce qu'elle adopta une partie de leurs rites » 5. Le jugement de
Josèphe sur Néron et sur Poppée devait rendre suspecte à Tacite
l'impartialité de Josèphe ou sa clairvoyance.
» A. Réville, Loc. cit. p. 339.
2 Lehmann, Claudius und seine Zeit, p. 33 sqq., réfuté par C. E. Peter, Flavius
Josephus und der jûdische Krieg, Perleberg, 1871, p. 7 sq.
3 7e éd. des Annales, Introd., p. 30. Oq peut trouver exagéré le reproche que
M. Hild adresse à Nipperdey. « Tacite^ dit-il [Loc. cit., p. 176), a négligé de recourir
aux ouvrages de Josèphe et de Justus de Tibériade, dont il n'avait pu cependant
ignorer l'existence, puisque les premiers, du moins, avaient été écrits à Rome et
soumis à l'approbation de Titus. Il les a dédaignés, dit un critique allemand, parce
qu'ils étaient d'un juif et d'un affranchi, et, s'il en faut croire ce critique, il lit bien
d'en user ainsi. Des opinions de ce genre sont jugées quand on les a citées. »
4 Hist., III, 12 : Exsoluta statim vincula interventu Hortni, Casaris liberti: is
quoque inter duces habebatur. Cf. Hist., III, 28 : Hormine id ingenium (l'idée de pro-
mettre aux légions le sac de Crémone), ut Messalla tradit, an potior auctor sit
C. Plinius, qui Antonium incusat, haud facile discreverim, nisi quod neque Antonius
neque Hormus a fama vitaque sua quamvis pessimo flagitio non degeneravere.
5 Renan, L'Antéchrist, -p. 158.
64 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Une preuve décisive que Tacite ne s'est pas servi de Josèphe a
été indiquée par Bernays. Sulpicius Sévère, dans sa Chronique,
s'est servi de Tacite. On le voit en rapprochant le passage où les
deux auteurs parlent du mariage de Néron avec son affranchi
Pythagore.
Sever., Chron., II, 28, 2. Tacit., Ann., XV, 37.
Post etiam Pythagorce cuidam . . . Uni ex Mo contaminatorum
in modum solennium conjugiorum grege (nomen Pythagorce fuit) in
nuberet ; inditumque imper atori modum solennium conjugiorum
flammeum, dos et genialis torus denupsisset. Inditum imper atori
et faces nuptiales, cuncta denique, flammeum, missi auspices, dos et
quœ vel in feminis non sine vere- genialis torus et faces nuptiales,
cundia conspiciunlur , spectata, cuncta denique spectata, quœ etiam
in femina nox operit.
Le passage de S. Sévère est emprunté textuellement à Tacite,
à part deux différences ; mais on voit facilement la raison de celles-
ci. S. Sévère a omis les mots missi auspices, parce que ses lecteurs
n'avaient pas les connaissances nécessaires pour les comprendre;
l'expression quœ etiam in femina noœ operit semblait encore
trop nue : S. Sévère voile l'idée encore davantage.
On peut rapprocher de même le récit sur le supplice des chré-
tiens après l'incendie de Rome sous Néron. Nous citerons les deux
passages, parce qu7on a mis en doute dans ces derniers temps
l'authenticité du chapitre de Tacite.
Sever., Chron., II, 29, 1-3 Tacit., Ann., XV.
Sed opinio omnium inmdiam G. 40 . . . Videbaturque Nero
incendii in principem retorquebat condendœ urbis novae... gloriam
credebaturque Imper ator gloriam quœrere.
innovandœ urbis quœsisse. Neque G. 44 : Sed non ope humana, non
ulla re Nero efficiebat quin ab eo lar gitionibus principis aut deum
jussum incendiumputaretur. Igitur placamentis decedebat infamia ,
vertit invidiam in Christianos quin jussum incendium crederetur.
actœque in innoxios crudelissimœ Ergo abolendo rumori Nero subdi-
quœstiones; quin et novae mortes dit reos et quœsitissimis pœnis
excogitatœ , ut ferarum ter gis affecit quos per flagitia invisos
contecti laniatu canum interirent. mlgus Christianos appellabat. . .
Multi crucibus affixi aut flamma Et pereuntibus addita ludibria ut
usti. Plerique in id reservati ut cum ferarum ter gis contecti laniatu
defecisset dies in usum nocturni canum interirent, aut crucibus
luminis urerenlur. affixi aut flammandi atque ubi
defecisset dies in usum nocturni
luminis urerentur.
CE QUE TACITE DIT DES JUIFS 65
Le passage de S. Sévère est emprunté à Tacite. On s'explique
facilement, dit Bernays1, les changements laits par S. Sévère.
Il a remplacé condendœ urbis novœ par innovandœ urbis, parce
que l'expression de Tacite en dehors du contexte pouvait produire
une méprise : on pouvait croire qu'il s'agissait de fonder une
autre ville, dans un autre endroit. L'expression per flagitia invisos
est changée en son contraire innoxios. On remarquera qu'à la fin
flammandi, mot rare et peu usité, est remplacé par flamma asti,
ce qui fait croire que S. Sévère avait déjà sous les yeux le même
texte que nous. On ne saurait douter dès lors que le passage de
Tacite sur le supplice des chrétiens accusés de l'incendie de Rome
sous Néron ne soit authentique.
Suivant Josèphe 2, Titus ayant réuni un conseil de guerre, avant
la prise de Jérusalem, pour savoir ce qu'il fallait faire du temple,
les uns disaient qu'on devait user de tous les droits de la guerre :
les Juifs ne cesseraient pas de songer à se soulever tant que le
temple resterait debout et leur servirait de point de ralliement de
toutes les parties du monde ; les autres pensaient que si les Juifs
abandonnaient le temple et ne le défendaient pas les armes à la
main, il fallait le laisser debout ; mais s'ils l'occupaient et en
faisaient le centre de la résistance, il fallait le brûler ; dans ce cas
il n'était plus un temple, mais un fort ; la responsabilité de ce qui
arriverait retomberait non sur les Romains, mais sur ceux qui les
auraient contraints à agir ainsi. Titus dit que même alors il ne se
vengerait pas sur des choses inanimées et qu'il ne brûlerait pas un
si bel ouvrage : ce serait une perte pour les Romains, tandis que
si le temple subsistait, il serait un des ornements de l'empire. Trois
des six membres du conseil de guerre se rangèrent à l'avis de
Titus, qui fut adopté. Deux chapitres plus loin 3, Josèphe nous dit
que le temple fut brûlé par la faute des Juifs. Le combat ayant
recommencé entre les défenseurs du temple et les Romains, un
légionnaire saisit un tison et, sans attendre d'ordre, poussé par
une inspiration divine, il se fit soulever par un soldat et lança ce
brandon enflammé par la fenêtre d'or. Titus ordonnait de la main
et de la voix aux soldats d'éteindre l'incendie; mais sa voix fut
étouffée par le tumulte, et, dans l'ardeur du combat, on ne vit
pas les signes que faisait le général.
Le récit de S. Sévère est tout autre. Fertar Titus adhibito
concilio prius délibérasse an templum tanti operis everteret.
Etenim nonniillis videbatar aedeyn sacratam ultra amnia mor-
1 Ueber die Chronik des Sulpicius Severus, p. 54.
8 B. «/., VI, 24.
3 B. «/., VI, 26.
T. XIX, N° 37. 5
66 REVUE DES ETUDES JUIVES
talia illustrent non debere deleri, quœ servata modestiœ Ro-
mance testimonium, dinda perennem crudelitatis notam prœ-
beret. At contra alii et Titus ipse evertendum templum impri-
mis censebant, quo plenius Judœorum et Christianorum religio
tolleretur. Quippe has religiones, licet contrarias sibi, iisdem
tamen auctoribus profectas ; Christianos ex Jitdœis exstitisse ,
radice sublata stirpem facile perituram. lia Bel nu tu accensis
omnium animis templum dirutum i .
On a prétendu 2 que l'hypothèse de Bernays, suivant laquelle
Tacite serait la source de S. Sévère pour le passage sur la des-
truction du temple de Jérusalem, était invraisemblable, parce que
la petite communauté chrétienne était à peine connue de nom par
Titus ; par conséquent il n'avait pu tenir le langage que lui attri-
bue S. Sévère 3. On a répondu 4 que Néron avait déjà persécuté
les chrétiens, parce qu'il les regardait comme redoutables. On
comprend dès lors que Titus ait voulu détruire les chrétiens avec
les Juifs. On voit par le récit de Tacite dans les Annales 5 qu'il
regardait les chrétiens comme presque identiques avec les Juifs.
Non- seulement il dit que la religion chrétienne avait pris nais-
sance en Judée, mais encore il reproche aux Juifs comme aux
chrétiens une superstition indestructible G.
Une autre objection de Grsetz, que Titus voulait certainement
épargner le temple à cause de Bérénice, n'est pas plus plausible ;
en effet, Bérénice, la sœur du roi juif Agrippa, le partisan des
Romains, n'a pas dû s'employer beaucoup auprès de Titus en fa-
veur de ses compatriotes. Aussi bien, dans ce cas particulier, elle
n'aurait rien obtenu. Que Titus ne fut pas disposé à lui accorder
une influence quelconque dans les affaires d'État, c'est ce que
montre sa conduite au commencement de son règne, où il renvoya
de Rome Bérénice, quelque douloureuse que fût pour lui cette
mesure.
Non-seulement la résolution de Titus de détruire le temple de
Jérusalem était permise ; elle était encore commandée par des né-
cessités politiques. « La conservation du temple, remarque avec
raison Gfrôrer 7, était indigne de la politique romaine; c'eût été
une nouveauté et une folie philanthropique. Pour acquérir un re-
nom éphémère d'humanité, on se serait exposé, eh définitive, au
i Chron., II, 30, 6.
2 Greetz, Gesch. der Juden, III, p. 403.
3 At contra alii et Titus ipse, etc.
4 C. E. Teter, Op. cit., p. 14.
s XV, 44.
s Hist., V, 13.
7 Einkitung m der Uebersetzung der Gesch. des jild. Krieges, p. 10.
CE QUE TACITE DIT DES JUIFS G7
renouvellement d'une semblable révolte et de semblables cruau-
tés. » Épargner des villes prises d'assaut n'était pas dans le carac-
tère romain, comme le montre la destruction de Corintlie et de
Cartilage, où les Romains, dans l'intérêt de leur empire, crurent
ne pas devoir laisser une pierre sur l'autre. La conservation du
temple de Jérusalem aurait donc été une faute politique. Le temple,
dans sa magnificence et son éclat, aurait continuellement rappelé
aux Juifs la grandeur de leur passé; les partis se seraient rassem-
blés autour de ce sanctuaire national, si une occasion avait paru
s'offrir de secouer le joug romain abhorré1.
Le récit par Josèphe de la guerre de Judée et de la destruction
du temple de Jérusalem ne méritait donc pas une confiance abso-
lue. Josèphe n'était pas le seul Juif qui eût raconté les derniers
instants de sa patrie. Nous avons vu plus haut qu'on reprochait à
Tacite de n'avoir pas consulté, en même temps que les ouvrages
de Josèphe, ceux de Juste de Tibériade, qui avait, lui aussi, écrit
l'histoire de la guerre de Judée. Son livre pouvait servir à contrô-
ler celui de Josèphe, car Juste était l'ennemi de l'affranchi de Yes-
pasien, et lui reprochait d'avoir trahi sa patrie, dans son gouver-
nement de Galilée, et, plus tard, sous les murs de Jérusalem.
C'est pour répondre à ces accusations que Josèphe écrivit sa Bio-
graphie, qui, dans la dernière partie surtout, est une apologie
personnelle et une critique de l'histoire de Juste. « Il faut rendre
cette justice à Josèphe qu'il ne fit rien pour perdre ce dangereux
rival, ce qui lui eût été facile, vu la faveur dont il jouissait en
haut lieu. Josèphe, d'un autre côté, est assez faible, quand il se
défend contre les accusations de Juste, en invoquant les approba-
tions officielles de Titus et d'Agrippa. On ne peut trop regretter
qu'un écrit qui nous eût montré l'histoire de la guerre de Judée au
point de vue révolutionnaire soit perdu pour nous. Il semble du
reste que les témoins de cette catastrophe étrange éprouvassent le
besoin de la raconter. Antonius Julianus, un des lieutenants de
Titus, en fit un récit qui servit de base à celui de Tacite, et que le
sort nous a pareillement envié 2. »
Bernays, le premier, a dit 3 qu'il fallait chercher les sources du
récit de S. Sévère, sur la destruction du temple de Jérusalem, au
1 C. E. Peter, Op. cit., p. 13. Ces réflexions semblent plus justes que celles de
M. Hild [Loc.cit., p. 173) : « Comme on avait piétiné sur Carthage jusqu'à en effacer
les dernières traces, comme on avait traité Vercingétorix en vulgaire bandit, ainsi on
s'acharna sur le pays de Judée et sur les chefs de la résistance... L'écrasement
matériel des Juifs ne suffit pas aux rancunes de Rome ; elle tenta sur eux l'écrase-
ment moral, qu'elle avait épargné à tous ses vaincus, sauf à Hannibal. »
2 Kenan, Les Évangiles, p. 242 sq,
3 Op. cit., p. 56.
68 REVUE DES ETUDES JUIVES
delà de Tacite, jusque devant les murs de la ville assiégée. Ber-
nays fait remarquer que Tacite, plus qu'aucun autre historien
classique, prend plaisir à raconter en détail les discussions dans le
conseil de guerre la veille des événements décisifs1. Déjà Tille-
mont disait2 que le J'ulianus dont parle Minucius Félix3 était le
même que le procurateur de Judée nommé par Josèphe 4 comme
un des six membres du conseil de guerre tenu avant la prise de
Jérusalem, et qui avait voté pour la destruction du temple. Tacite
aime à se servir des mémoires militaires, comme ceux de Corbu-
lon sur ses campagnes en Arménie, et ceux de Vipstanus Messalla
pour la campagne de Flaviens contre les Vitelliens dans la haute
Italie. A propos du sac de Crémone il oppose le témoignage de
Messalla à celui de Pline l'Ancien, sans donner la préférence à ce
dernier3.
Pour la guerre de Judée et la destruction du temple de Jérusa-
lem, Tacite aurait pu se servir de la continuation d'Aufidius Bas-
sus par Pline l'Ancien. En effet, celui-ci avait assisté à la cam-
pagne de Titus contre les Juifs, et il avait certainement raconté
ces événements. Mais Tacite, au dernier chapitre du livre II des
Histoires, nous dit que ceux qui avaient écrit l'histoire sous les
Flaviens avaient souvent déguisé, par flatterie, la véritable nature
des événements6. Tacite fait cette remarque à propos de Cécina,
qui avait voulu trahir Vitellius pour Vespasien. Cécina fut en
grand crédit jusqu'à la fin du règne de Vespasien. Alors il conspira
contre l'empereur. Titus, ayant saisi un projet de proclamation
aux troupes écrit par Cécina, invita le conspirateur, et le fit poi-
gnarder à sa propre table. Mais cette catastrophe n'eut lieu que
tout à fait à la fin de la vie de Pline l'Ancien.
Tacite avait probablement en vue Pline l'Ancien dans ce qu'il dit
au dernier chapitre du livre II des Histoires. Mais ces paroles
s'appliquaient encore mieux à Josèphe, car l'historien juif,
comme nous l'avons vu par le récit du conseil de guerre devant
Jérusalem, n'avait rien dit qui déplût au vainqueur. C'est sans
doute pour cela que Titus voulait qu'on regardât son histoire
comme le compte-rendu officiel de la guerre de Judée, et prescri-
1 Cf. Hist., II, 32; 82; III, 2.
2 Hist. des Empereurs, I, p. 1021.
3 Oclav., 33 : Scripta eorum relege, vel si Romanis ma/jis gaudes, ut transeamus
veteres, Flavii Josepki vel Antonii Juliani de Judceis requirc. Ce passage est douteux»
(Cf. Halm).
4 B. T., VI, 4, 3 ou 24'.
5 Hist., III, 28.
6 tScriptores temporum qui, potiente rcrum Flavia domo, monumenta lelli htjusce
composuerunt, curam pacis et amorem reipublicœ, corruptas in adulationem causas,
tradidere.
CE QUE TACITE DIT DES JUIFS 69
vait, par un ordre signé de sa main, de placer son livre dans
toutes les bibliothèques publiques ».
Tacite n'avait pas pour les Flaviens les sentiments de Josèphe
ou de Pline. Celui-ci avait été l'ami et le ministre de Vespasien et
de Titus. Josèphe jouissait, de plus, de la faveur de Domitien.
Tacite, au contraire, accuse le dernier Flavien d'avoir empoisonné
son beau-père Agricola. Nous ne savons comment Tacite avait
retracé, dans les derniers livres des Histoires, le règne de Domi-
tien, puisque nous avons perdu le récit des dernières années de
Vespasien, à plus forte raison les règnes de Titus et de Domitien.
Mais dans ce qui reste des Histoires, on voit que Tacite jugeait
Vespasien et ses deux fils avec justice, mais sévérité 2. Dès lors,
pour le conseil de guerre devant Jérusalem, Tacite avait dû préfé-
rer le récit d'un des membres de ce conseil à celui d'un flatteur des
Flaviens, comme Josèphe. De plus, Antonius Julianus avait, sans
doute, raconté exactement les faits. Ses mémoires, certainement
en latin, s'adressaient à la partie de l'empire qui approuvait les
vieilles traditions de la politique romaine, tandis que l'ouvrage de
Josèphe, écrit en grec, devait être lu surtout dans la partie orien-
tale de l'empire romain, où les idées helléniques d'humanité et de
tolérance régnaient presque exclusivement.
On a cru que Dion Gassius, qui écrivit en grec l'histoire de
Rome depuis la fondation de la ville jusqu'à son époque, reprodui-
sait pour la guerre des Juifs le récit des Histoires de Tacite 3.
Mais on peut en douter. Pour les faits racontés dans la partie qui
reste des Histoires de Tacite, Dion Cassius montre beaucoup
moins de critique que l'auteur latin ; il est beaucoup plus favorable
•que lui à la dynastie flavienne. Il semble que Dion se soit servi de
ces historiens qui sont accusés de partialité par Tacite. C'est ce
qu'on remarque justement pour la trahison de Cécina et pour l'in-
cendie du Capitole4.
On ne saurait nier toutefois que Dion Cassius se soit servi de
Tacite, comme on le voit pour le 1er livre des Annales. On a
prétendu de nos jours que les Annales ont été fabriquées par le
« Josèphe, Vit., G5.
s Cf. C. E. Peter, Op. cit., p. 12 sq. « Tacite, dit M. Hild {Loc. cit., p. 175),
épouse toutes les rancunes des Flavius contre les empereurs précédents. » MaisTacilc
n'avait pas moins de rancunes contre les Flavius que contre les Césars.
3 C. E. Peter, Op. cit., p. 6 sq.
4 L'incendie du Capitole présente de grands rapports avec celui du temple de
Jérusalem. Suivant Dion (LXV, 17), ce furent les soldats de Vitellius qui brûlèrent
le Capitole, où ils pillèrent toutes les offrandes. On lit, au contraire, dans les His-
toires (III, 71): Ambigitur ignem tectis oppugnatores injecerint, an obsessi, quœ cre-
brior fama, dum niteutes ac progresses depcllunt... Sic Capitolium clausis foribus
indefensum et indireptum conflagravit.
70 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Pogge, au xve siècle1. Dans cette hypothèse on expliquerait les
ressemblances entre Tacite et Dion en disant que le Pogge s'est
servi de Dion. Mais il suffit d'avoir lu quelques livres de Dion
pour reconnaître combien l'historien grec est au-dessous de
l'auteur des Annales. Le goût seul prouve d'une façon irréfu-
table que les Annales ne sauraient être l'œuvre d'un faussaire.
Cette opinion ne pouvait guère être soutenue que dans le pays
où l'on a prétendu que les tragédies de Shakspeare étaient
l'œuvre de Bacon.
A quelle source Tacite a-Hl puisé les détails qu'il nous donne
sur la Judée, le baume, l'asphalte, la Mer Morte? On a cru qu'il
empruntait ces détails à Pline l'Ancien, curieux de ces sortes de
choses. Mais les rapports entre le commencement du livre V des
Histoires de Tacite et Y Histoire naturelle de Pline sont peu
importants. Tacite a moins encore copié Josèphe que Pline
l'Ancien. On a essayé d'expliquer les ressemblances entre Jo-
sèphe et Tacite en disant que tous deux s'étaient servis des
Mémoires de Vespasien2. Josèphe aurait même, par flatterie, re-
produit textuellement de longs passages de ces Mémoires. Mais
Vespasien était avant tout un homme pratique, et il n'avait dû
composer qu'une sorte de journal, où il notait avec brièveté les
faits les plus importants. Josèphe nous apprend 3 que, dans un
voyage à la Mer Morte, Vespasien fit jeter dans le lac des soldats
qui ne savaient pas nager et qui avaient les mains liées derrière
le dos. Ils revinrent à la surface de l'eau, comme sous l'action
d'un souffle puissant. On a dit que Josèphe mentionnait ces dé-
tails parce qu'il avait accompagné Vespasien à la Mer Morte.
Mais il la connaissait certainement de longue date, et il avait pu,
apprendre ce voyage de la bouche même de l'empereur. On a
supposé, avec vraisemblance, que les Mémoires d'Antonius Ju-
lianus sur la guerre de Judée étaient purement militaires. Il
devait en être de même de ceux de Vespasien.
Aussi bien, si Tacite a consulté Pline l'Ancien ou Josèphe, il
ne les a pas copiés. On peut tirer de ceci une conclusion im-
portante pour la façon dont l'auteur des Histoires et des Annales
employait les ouvrages dont il se servait. 11 ne les reproduisait
pas exactement, comme Tite-Live a fait pour Polybe. Il rendait
dans son style abrupt et sa langue concise les détails qu'il leur
empruntait. De plus, il ne consultait que les livres les plus
autorisés et les plus en renom. On le voit pour le règne de
1 Ross, Tacitus and Bracciolini, London, 1878.
2 C. E. Peter, Op. cit., p. 9.
^ B. /., IV, 8, 4.
CE QUE TACITE DIT DES JUIFS 71
Néron, où il cite Pline l'Ancien, Fabius Rusticus, l'admirateur
et ami de Sénèque, et Gluvius Rufus, qui avait joui d'une
grande faveur auprès du prince, mais sans avoir jamais fait
métier de délation. C'étaient ici les représentants des trois ten-
dances particulières dans l'histoire de ce règne : la tendance
néronienne, anti-néronienne et flavienne. De même pour les
Histoires, Tacite invoque le témoignage de Pline l'Ancien, qui
avait vu ces événements et y avait pris part, au moins en partie,
et celui de Vipstanus Messalla, qui commandait une légion dans
la campagne des Flaviens contre les Vitelliens dans la haute
Italie, et à qui Tacite donne ce bel éloge qu' « il était le seul qui
dans cette guerre eût apporté des sentiments honorables1 ».
On a dit : « Tacite compose les Annales et les .Histoires moins
sur la foi des documents originaux qu'en condensant les libelles,
les mémoires, les monographies de toute sorte, où des auteurs,
pour la plupart inconnus aujourd'hui, écrivaient non pas tant
sous la dictée des faits que sous celles de leurs rancunes et de
leurs intérêts2 ». Ce jugement rappelle certaines opinions du
xviii6 siècle. On avait répondu indirectement , par avance :
« Les gens qui n'aiment pas Tacite l'appellent un pamphlétaire ;
jamais nom ne fut plus mal appliqué. Ses Histoires et ses
Annales ne ressemblaient en rien à ces livres éphémères des-
tinés à flatter la passion du moment et à disparaître avec elle,
ce n'étaient pas de ces écrits anonymes et désavoués qui se
glissent furtivement dans le monde et tirent leur intérêt de leur
mystère. Ils se sont produits sans gêne, au grand jour; attendus
avec impatience, publiés avec éclat, ils furent accueillis sans
contestation et regardés dès leur apparition comme des chefs-
d'œuvre3 ». •
« Il y a trente ans encore, dit-on 4, les procédés de critique
admirative dominant dans l'histoire littéraire, on eût été mal
venu de contester la bonne foi de Tacite, ou même d'accuser sa
partialité inconsciente. La valeur artistique de son œuvre faisait
passer condamnation sur toutes les exagérations dans le blâme,
sur l'invraisemblance de certains récits, sur les contradictions
et les absurdités même qu'il était possible d'y relever quelque-
fois. » On ne connaît plus aujourd'hui les scrupules qui empê-
chaient de soumettre une grande œuvre à une critique minutieuse
et sévère. Il semble même qu'on prenne plaisir « à trouver *le
1 Hist., m, 9.
* Hild, Loc. cit., p. 173.
3 G. Boissier, L Opposition sous les Césars, 2e éd., p. 29G sq.
4 Hild, Loc. cit., p. 172 sq.
72 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
côté faible de la grandeur et à relever des excès dans la louange,
autant que des torts dans la gloire». Tacite a résisté à toutes
les attaques dirigées contre lui. On n'a pu prouver qu'il copiait
les historiens antérieurs, ou qu'il puisait à des sources suspectes
et malveillantes. Tacite a seulement les défauts de son peuple,
de son temps, de sa classe. « Tantôt il cède aux opinions de ceux
qui l'entourent et tantôt il leur résiste, mais ces alternatives
même font voir qu'il n'avait pas pris d'avance la résolution de
tout approuver chez eux, et que ce n'était pas, comme on le
prétend, l'homme d'un parti. En réalité, il ne leur cède que par
surprise et il leur résiste par raison l . »
Nous avons déjà indiqué comme une preuve de l'impartialité
de Tacite les témoignages opposés sur les Juifs au commencement
du livre V des Histoires. De même, pour l'incendie de Rome
sous Néron il rapporte deux traditions différentes : suivant l'une,
Néron aurait allumé l'incendie, tandis que l'autre le déclarait
innocent. On peut reprocher à ce propos à Tacite de ne pas se
décider explicitement pour l'une ou l'autre alternative, quoiqu'il
ne soit pas difficile de reconnaître pour laquelle il penche2. Ce
tort, chez Tacite, vient de ce qu'il ne remonte pas aux sources
premières, de ce que, par exemple, il ne fait pas ou presque pas
de recherches dans les archives.
Dans le sujet qui nous occupe on a reproché à Tacite de n'avoir
pas consulté les Antiquités judaïques de Josèphe pour l'histoire
primitive des Juifs 3. Mais on peut douter qu'il y eût trouvé la
vérité complète.
Josèphe, après avoir été en grand honneur jusqu'à la Renais-
sance, a depuis lors baissé dans l'estime des savants. On a bien
indiqué de nos jours quelles qualités avaient fait son succès à
l'époque où il écrivit et quels défauts expliquent la défiance des
modernes4. Lorsqu'on a voulu écrire d'une façon scientifique
1 G. Boissier, Op. cit., p. 296.
* Ainsi il n'ose pas accuser Pison d'avoir empoisonné Germanicus à l'instigation
de Tibère ; mais le tour qu'il donne à son récit montre qu'il regarde cette supposition
comme l'ondée. De même, il ne rend pas Néron responsable de l'incendie de Rome ;
mais il dit que le feu recommença dans les propriétés de Tigeliin, le tout-puissant
ministre de l'empereur, ce qui suffit pour inspirer les soupçons les plus graves.
3 Nipperdey, 7° éd. des Annales, Introd. p. 30 : t Tacite, pour ce qu'il dit des
Juifs [HisC, V, 2 sqq.), aurait pu apprendre de Josèphe des détails plus exacts. »
* Renan, Les Evangiles, p. 2o0: Le livre de Josèphe, précieux pour le savant, ne
dépasse point en valeur, aux yeux de l'homme de goût, une de ces Bibles fades du
xvme siècle, où les vieux textes les plus terribles sont traduits en une langue aca-
démique et décorés de vignettes en style rococo. » Cf. Reuss, Loc. cit., p. 274 :
« Jusqu'au commencement de ce siècle, il se conserva clans bien des familles, surtout
le long du Rhin, un exemplaire de quelque vieux Josephus, orné de grossières gra-
vures sur bois, et destiné, si ce n'est à l'instruction des grands, du moins à l'amu-
CE QUE TACITE DIT DES JUIFS 73
l'histoire d'Israël, on a dû démontrer que Moïse n'était pas
l'auteur de la loi; celle-ci ne fut rédigée et promulguée que sous
les successeurs de Salomon, les rois d'Israël et de Juda. Pour
toute cette partie Josèphe se contente de puiser dans la Bible et
dans les interprétations des rabbins, que nous possédons encore l,
en omettant toutefois ce qui rabaisserait la gloire de son peuple
et pourrait blesser des oreilles profanes. « En général, l'exa-
gération caractérise le récit de Josèphe beaucoup plus que la
réserve critique qu'on a cru remarquer en quelques endroits. Le
public pour lequel cette histoire des Juifs était écrite, tout
incrédule qu'il était dans le sens religieux de ce mot, ne l'était
guère en face du miracle. On n'a qu'à lire, pour s'en convaincre,
les récits de Tite-Live et mieux encore le fameux ouvrage de
Pline l'Ancien, qui débite avec une égale gravité les trésors de sa
science et les absurdes contes de la superstition populaire2. »
« La seule explication que nous puissions admettre pour nous
rendre compte des déviations réellement arbitraires que Josèphe
se permet à l'égard du texte canonique, c'est qu'il était et qu'il
voulait être le panégyriste de sa nation. Exalter ce qu'il y avait
d'honorable pour elle, effacer ce qui pouvait ternir sa gloire,
voilà quelle était sa préoccupation. Les preuves directes de
cette assertion sont tellement abondantes que nous n'avons
que l'embarras du choix » 3. Et l'auteur cite à ce propos de
nombreux exemples.
Josèphe est précieux pour la dernière partie de l'histoire
d'Israël, où, la Bible nous manquant, nous n'avons pas d'autre
témoignage que le sien. Mais on peut douter qu'ici Josèphe soit
toujours exact.
Il ne l'est certainement pas pour les époques récentes. « Suétone,
chroniqueur si exact du palais impérial, aurait souri peut-être
s'il eût jamais lu dans Josèphe qu'Hérode était, après Agrippa,
le meilleur ami de César (Auguste), et, après César, le meilleur
sèment des petits, et, aujourd'hui encore, plus d'une scène de l'histoire d'Israël ne se
présente devant l'imagination de l'auteur de cet article que sous la forme dont il
l'avait trouvée revêtue, il y a cinquante ans, dans les gravures imparfaites et uséçs du
vénérable in-folio. »
1 Cf. Bloch, Qucllen des Josephus in seincr Archaologie, Leipz., 1879 ; G. Tachauer.
Bas Verhâltniss von Flavius Josephus zur Bibel und Tradition, ErlaDgen, 1871, p.
40 sqq.
* Keuss, Loc. cit., p. 292. Cf. Renan, Les Evangiles, p. 245 : « Le public auquel
s'adressait Josèphe était superficiel en fait d'érudition ; il se contentait facilement ; la
culture rationnelle du temps des Césars avait disparu ; l'esprit humain baissait rapi-
dement et offrait à tous les charlatanismes une proie assurée. >
3 Reuss, Loc. cit., p. 293.
74 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
ami d'Agrippa1. . . Josèphe a beau redire dans ses Antiquités ce
qu'il a dit dans la Guerre judaïque sur la tendresse d'Auguste et
d'Agrippa pour Hérode ; quand il nous raconte ensuite les longs
et pénibles voyages du tyran juif au-devant et presque à la
poursuite de son puissant ami, on voit bien que cette prétendue,
amitié n'était de la part d'Agrippa qu'une protection dédaigneuse...
Il faut lire les voyages d'Hérode et de ses fils en Italie, ces
séances du conseil privé de l'empereur où les intérêts de deux rois
étaient débattus à huis clos par leurs avocats, quelquefois en leur
présence, et se décidaient sans appel par un décret de l'empereur ;
ces dispendieuses flatteries prodiguées à César, à ses parents, à
ses favoris par un roi qui épuise ses propres sujets pour répandre
l'or sur les avenues du palais impérial, ou seulement dans les
villes protégées du maître 2. »
Pour les événements qui précédèrent l'insurrection, le récit de
Josèphe n'est pas d'accord avec celui de Tacite, lequel paraît
plus vraisemblable 3.
Ce que rapporte Tacite sur les croyances et les coutumes des
Juifs n'était pas complètement invraisemblable pour un écrivain
romain4. Ses erreurs sont le résultat de sa méthode, qui s'en fie
plus au bon sens qu'à la science pure 5. Tacite est un Romain et
non un Grec, il poursuit le vraisemblable plutôt que le vrai,
oubliant que parfois le vrai n'est pas vraisemblable.
G. Thiaucourt.
1 É. Egger, Examen critique des historiens anciens de la vie et du règne d'Auguste,
ch. VIII: Flavius Josèphe, p. 202.
2 É. Egger, Loc. cit., p. 204 sq. On a repris dans ces dernières années la question
de savoir si les Antiquités judaïques de Josèphe sont exactes, surtout en ce qui
concerne les nombreux décrets rendus par le sénat, par les consuls, César, les trium-
virs ou les empereurs en faveur des Juifs. Cf. F. Rilschl, Rhein. Mus., XXVIII,
1873, p. 586-614; XXX, p. 337-334 ; L. JYIendelssohn, De senaticonsulti Romanorum
ab Josepho [Antiq., XXV. 8, 5) relati temporib us, Leipz., 1873; De senaticonsultis
Romanorum ab Josepho (Antiq., X\\\, 9, 2; XIV, 10, 22) relatis comment atio, Leipz.,
1874 ; Senaticonsulia Romanorum que sunt in Josephi Antiquitatibus, Acta societatis
philolog. Lips., IV, 1875, p. 87-288 ; Th. Mommsen, Der Senatsbeschluss bei Jose-
phus [Antiq., XIV, 8, 5), Hermès, IX, 1875, p. 281-291; B. Niese, Berner kun g en iïber
die Urkunden bei Josephus' Archâologie, B. XIII, XIV, XVI, Hermès, XI, 1876,
p. 466-488. Cette question avait déjà été examinée auparavant (cf. les auteurs cités
par É. Egger, Loc. cit., p. 193 sqq.), et Pon avait conclu à la négligence, sinon à la
partialité, de Josèphe. Il semble qu'on doive aboutir de nos jours au même résultat.
Josèphe a été trompé par les secrétaires (car il en avait : Cont. Ap., I, 9) chargés
de lui faire des extrails, comme Sénèque par les siens.
3 Cf. Ann., XII, 54, et A. J., XX, 5 et 6 ; Hist., V, 13, et B. /., VI, 5, 3.
4 Cf. Burnouf, éd. de Tacite, tome V, notes du Ve livre des Histoires ; le rabbin
Moïse Schuhl, Les préventions des Romains contre la nation juive, Paris, 1882, surtout
p. 26 sqq.
5 On pouirait comparer la méthode historique de Tacite à la méthode exégétique du
xvj]i 'siècle opposée et bien inférieure à celle du xixe.
INSCRIPTION JUIVE DE NÂRBONNE
L'inscription dont nous donnons ici un fac-similé, exécuté d'a-
près un moulage du musée de Saint- Germain, est conservée au
musée de Narbonne ; elle provient soit de cette dernière ville, soit
de ses environs immédiats. Le texte en a déjà été publié plusieurs
fois : par M. Tournai, dans son Catalogue du musée de Nar-
114 PAO
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559-9
MMtuM»» ^Kmn(i»rifch| |àti
bonne, p. 45; par M. Le Blant, dans ses Inscriptions chrétiennes
de la Gaule antérieures au vmc stécJe (tome II, p. 476, n° 621, et
pi. 86, fig. 511) ; par M. Lebègue, dans son Èpigraphie de Nar-
bonne (n° 1291, p. 379-80), qui forme le premier volume de la
nouvelle édition de Y Histoire générale du Languedoc ; enfin
M. Clrwolson a reproduit la partie hébraïque de notre inscription
au n° 33 (col. H8-9) de son Corpus inscriptionum hebraicarum
(Saint-Pétersbourg, 1882). Aucune de ces transcriptions n'est
76 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
tout à fait correcte ; celles qui sont complètes se trouvent d'ail-
leurs dans des recueils peu accessibles à la majorité des lecteurs
de la Revue des Études juives. C'en est assez pour justifier la
présente publication.
Commençons par donner la transcription en caractères ordi-
naires et la traduction de notre texte :
[Chandelier a sept bras). le {hic) requiescunt
in pace bene memori
très fili dni \domini) Paragori
de filio- condam dnT Sa-
5 paudi, id est Justus, Ma-
trona et Dulciorella, qui
vixserunt Justus aunos
XXX, Matrona anns XX, Dulci-
orela annos VIIII. bfinïïM b$ tnbtt.
10 obveruur (oMerunt) anno secundo dmï Egicani
régis.
« Ici reposent en paix les trois enfants d'heureuse mémoire du
seigneur Paragorus, fils du défunt seigneur Sapaudus, à savoir
Justus, Matrona et Dulciorella, qui ont vécu Justus trente ans, Ma-
trona vingt ans, Dulciorella neuf ans. Paix sur Israël ! Ils sont dé-
cédés dans la deuxième année du seigneur Egicanus, roi. »
Nous avons ici une épitaphe datée avec précision, fait toujours
rare et précieux, particulièrement dans l'épigraphie juive. L'ins-
cription est de la deuxième année du roi Wisigoth Egica (vidgo
Egiza), c'est-à-dire — puisque ce roi succéda à son beau-père
Euric le 24 novembre 687 -— de l'année 688 après J.-C. Est-ce,
comme le croit M. Le Blant, le plus ancien texte de ce genre con-
servé en France? On ne peut l'affirmer avec certitude, car il
existe deux inscriptions hébraïques trouvées l'une à Vienne,
l'autre dans un faubourg d'Arles (Ghwolson, op. cit., nos 51 et 94 ;
col. 179-80) qui paraissent appartenir à la môme époque, ou peut-
être même, d'après la forme de certains caractères, remonter un
peu plus haut. Disons tout de suite que la date précise de notre
inscription donne un grand intérêt à la paléographie de la partie
hébraïque, si courte qu'elle soit. On remarquera en particulier les
formes insolites du vav et du mem final (semblable à un bel)
clans le mot ûnbia. M. Chwolson, qui n'avait sous les yeux que le
fac-similé dessiné du recueil de Le Blant, déclarait ces formes
« impossibles » ; on voit, d'après notre photographie, qu'elles sont
pourtant bien réelles. Cependant il ne faudrait pas se hâter d'en
tirer des conclusions paléographiques trop générales, en raison
INSCRIPTION JUIVE DE NARBONNE 77
de la négligence avec laquelle notre texte a été gravé : c'est ainsi
que dans le mot b&nEn le lapicide a complètement omis le yod
initial.
Un mot seulement sur les particularités orthographiques et
grammaticales de la partie latine. L'alphabet est un curieux mé-
lange de formes capitales, onciales et même grecques (le D) ; on
remarquera que les lettres G, D, G, M, N, V offrent chacune deux
variétés, que dans le T la barre transversale est souvent si courte
que la lettre se confond avec un I. L'orthographe n'est pas moins
capricieuse que l'écriture : on trouve Dulciorella à côté de Dul-
ciorela, viœserunt pour vixerunt, obuerunt (et même, par une
étourderie du graveur, obuerunr) pour obierurd; hic est écrit sans
h, quondam par un c. Ce dernier mot est pris dans le sens de
« feu », comme déjà dans certaines inscriptions païennes de la dé-
cadence (Orelli, Inscriptiones seleclœ, nos 3550, 4229, 4825, etc.).
En revanche, l'adjectif benememorius est un barbarisme qui ne
se rencontre pas avant l'époque chrétienne (Le Blant, n° 59, et les
exemples cités sous cet article) ; on le trouve aussi dans la cu-
rieuse inscription juive trilingue de Tortose publiée par MM. Re-
nan et Le Blant [Revue archéologique, 1860, p. 344) l : beneme-
moria Meliosa filia Judanti ; les deux inscriptions paraissent à
peu près contemporaines. Notons encore, comme un exemple de
barbarie envahissante, la singulière apposition de la 1. 4 : Para-
gori de filio. . . SapaudL Le rédacteur hésite entre les anciennes
formes de la déclinaison latine et les nouvelles formations pré-
positionnelles, qui remplaceront la déclinaison dans les langues
romanes ; c'est un des traits caractéristiques de la grammaire
mérovingienne.
Je crois inutile de démontrer longuement l'origine juive de
l'inscription. Elle résulte suffisamment : 1° de la présence du
chandelier à sept bras — exactement à cinq bras 2 — gravé en
tête de la première ligne, à la place qu'occupe la croix dans les
inscriptions tumulaires chrétiennes. Malgré les doutes récemment
exprimés à ce sujet, il faut maintenir ferme le caractère exclusi-
vement juif de ce symbole (en ce sens: Martigny, Dictionnaire des
antiquités chrétiennes, article Candélabre) ; 2° des trois mots
hébreux qui se lisent à la ligne 10. Ces mots sont extraits d'un
1 Elle a été reproduite par E. Hûbner, Inscriptiones Hispaniœ christianœ (Berlin,
1871), n» 186, et (la partie hébraïque seulement) par Chwolson, op. cit., col. 167
suiv.
2 Des chandeliers semblables se sont rencontrés sur les épitaphes de la presqu'île
de Taman, dans la Russie méridionale (Ghwolson, col. 138, note 1), et sans doute
ailleurs.
78 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
verset des Psaumes (Ps. 125, 5, et 128, 6) ; ils se retrouvent fré-
quemment sur les épitaphes juives des premiers temps du moyen
âge, par exemple à Rome (Clrwolson, n° 23), à Venouse (Ascoli,
n° 16 = Clrwolson, n° 24) et dans l'inscription trilingue de Tortose,
^citée plus haut.
L'intérêt principal de notre inscription réside dans les noms
propres, au nombre de cinq ; nous allons les examiner successi-
vement et tâcher d'en déterminer l'étymologie et la provenance.
1. Paragoms. Tous nos prédécesseurs ont lu ce nom Paratori
« pour Parât oris », de Parator; mais cette lecture est inadmis-
sible. D'abord, il n'existe pas, à notre connaissance, de nom tel
que Parator ou Paratorius dans l'onomastique juive ou même
chrétienne ; ensuite, le prétendu T offre à sa haste verticale un
crochet bien accusé, où il est impossible de voir un simple acci-
dent de gravure. En rapprochant cette lettre du G dans les mots
Egicani régis, à la fin de l'inscription, on soupçonne tout de
suite qu'elle représente également un G ; un G tout à fait iden-
tique est donné par Natalis de AVailly dans les paradigmes de ses
Eléments de paléographie (tome II, p. 244, pi. I) l. Il faut donc lire
Paragori.
Aussi bien, ce n'est pas la première fois, que ce nom se ren-
contre dans la littérature juive. Le Talmud de Jérusalem, traité
Teruma, 11, 2, mentionne déjà un rabbin DWns, de l'école de
Césarée ; un autre rabbin du même nom passa de France eh
Espagne l'an 1035, au témoignage d'Abraham ibn Daud, Se fer
haccabala, p. 74&.Ces renseignements sont fournis par Zunz,
dans sa dissertation classique sur les noms des Juifs2, p. 9 et 34.
Zunz cite encore d'autres exemples du nom Paregorus, au
xie siècle (à Worms), au xme et au xive; mais je crains que dans
certains cas il ne se soit établi une confusion entre Paregorns et
Perigors, « originaire de Périgueux ». Quoi qu'il en soit, c'est
bien Paregoms ou Paragoms qu'il faut transcrire et non, avec
Cassel 3, Paragoras. Cette dernière forme équivaudrait au grec
napaydpaç, « le marchand », nom rare, qui, à ma connaissance, ne
s'est rencontré jusque présent qu'une fois, sur une inscription
archaïque du Bruttium (Bœckh, Corpus inscr. grœc, n° 4) ; il
1 M. Deloche me signale au dernier moment un G semblable à celui de notre ins-
cription sur une boucle de ceinture d'époque mérovingienne, qui porle la légende
Rcgnoveus (voir Revue archéologique, 1886, I, p. 221).
2 Namen der Juden, Leipzig, 1837 ; réimprimé et augmenté dans Gesammelte
Schrifteti, tome II (Berlin, 1876).
3 Cassel, art. Juden dans l'Encyclopédie Ersch et Gruber, p. 26, note 50, et p. 29,
note 80.
INSCRIPTION JUIVE DE NARBONNE 79
n'y a pas à penser à la survivance de ce nom insolite, surtout en
présence de la forme Paregorus, par un e long, comme dans cette
dédicace d'une statuette de bronze conservée au musée de Tou-
louse (Corpus inscr. latin., XII, 5690, n° 101) Paregorus Coeli(dd)
avitœ, et dans l'épitaphe de Grenoble (C. I. L., XII, 2230) où ligure
une Paregoria, dont le nom a été fort maltraité par les éditeurs
(on a lu, à cause d'une cassure accidentelle de la pierre, Pategoria,
Partegoria , etc., formes également impossibles). En réalité,
Thébreu DTU'nD, comme le latin Paragorus, représente le grec
napYïyopoç, « celui qui adoucit, le consolateur ». Je ne connais pas
d'autre exemple de l'emploi de ce mot comme nom propre à
l'époque païenne, car la déesse nap-^yopoç, dont il existait à Mégare
une statue, œuvre de Praxitèle ( Pausanias, 1, 43, 6), n'est
évidemment qu'une allégorie. En revanche , à l'époque chré-
tienne, on rencontre plusieurs personnages du nom de napn>poç ou
napriyoptoç , notamment un hérésiarque de l'école d'Apollinaire
(voir Fabricius, BiUiotheca grœca, éd. Harles, VIII, 591, note).
Paragorus, avec l'a long, résulte de nap^opoç par un phénomène
d'assimilation dont il y a beaucoup d'exemples ; c'est ainsi que
dans la langue ecclésiastique et médicale du moyen âge on trouve
les formes paragorizare, paragoricus (Du Gange, Glossarnim,
s. v.), et non paregorizare, paregoricus.
Si le nom Paregorus ne commence à être d'un usage habituel
qu'à l'époque chrétienne, c'est peut-être que ce nom, malgré son
étymologie grecque, cache en réalité un nom juif. Effectivement,
Zunz a déjà remarqué que nap^yopo? correspond exactement, pour
le sens, à l'hébreu ûrott, Menahem. Nous pouvons en conclure,
sans trop de hardiesse, que les personnages juifs ou judéo-chré-
tiens appelés Paregorus s'appelaient primitivement Menahem, et
qu'en particulier le Paragorus de notre inscription portait, dans
ses rapports avec la synagogue, le nom de Menahem. Le phé-
nomène des doubles noms chez les Juifs est trop connu pour qu'il
soit nécessaire d'en donner ici des exemples ; on en trouvera un
grand nombre dans le travail déjà cité de Zunz, p. 15 suiv.
2. Sapaudus. k la différence du précédent, ce nom est d'ori-
gine gallo-romaine. Le plus ancien exemple que j'en connaisse 1
1 Disons ici, à l'usage de ceux de nos lecteurs qui sont étrangers aux études de
philologie classique, qu'il est actuellement très difficile ou, pour mieux dire, impos-
sible de reconstituer l'histoire d'un nom propre latin commençant par une lettre d'un
rang plus élevé que le M ; c'est à cette lettre, en elfet, que s'arrête pour le moment
Y Onomasticum de Vincent de Vit, le seul répertoire de ce genre qui existe.
80 REVUE DES ETUDES JUIVES
est du ve siècle; le nom est alors porté par un professeur gallo-
romain de Vienne, correspondant de Sidoine Apollinaire et de
Mamert Glaudien [Sld. Apoll. Epist., v, 10; Glaudien chez Migne,
Pairologie, lui, 784). Un enfant nommé Sapaudus figure sur une
inscription du vie ou du vne siècle, qu'on a rangée, peut-être à
tort, parmi les inscriptions chrétiennes de la Gaule (Le Blant,
n° 460 A; Corpus inscr. lat., XII, 2033) ; nous en reparlerons
plus loin. Dans une autre inscription [C. I. L., XII, 1838, Vienne),
le nom est écrit Sapauidus. Chez Grégoire de Tours (iv, 30, et
vin, 38) on trouve la fofrne Sabaudus, nom d'un évêque d'Arles.
L'étymologie du nom Sapandus est inconnue. Sapaudus
vient-il de Sapaitdia, nom de la Savoie, qui se rencontre déjà
chez Ammien Marcellin (XV, n, 17) à la fin du ive siècle, et dans
la Notitia dignitalum, ou, au contraire, le nom de la province
viendrait-il d'un chef allobroge Sapaudus, d'ailleurs inconnu?
Les deux noms se rattachent-ils à la racine sapo (savon), mot
d'origine gauloise comme la chose elle-même (Pline, xxvm, 12)?
Je n'ose rien décider à cet égard l. Si les personnages appelés Sa-
paudus tirent leur origine du pays de Savoie -— et cela est pro-
bable pour le Sapaudus, ami de Sidoine Apollinaire, qui demeu-
rait à Vienne, comme pour le Sapauidus de l'inscription vien-
noise — , on peut en conclure que les familles juives où se ren-
contre ce nom étaient elles-mêmes originaires de ce pays. Le
Sapaudus de notre inscription attesterait alors existence d'une
communauté juive en Savoie dès le vu0 siècle. Ordinairement
on ne fait remonter l'établissement des Juifs en Savoie qu'au
xme siècle 2 (Gerson, Revue, VIII, 235; Loeb, ib., X, 32).
3. Justus. Après un nom grec et un nom gaulois, voici un nom
purement latin. Très usité comme cognomen à l'époque impé-
riale, Juslus est encore plus fréquent dans la littérature et l'épi-
graphie chrétiennes; il en est de même de son équivalent grec
A(xaioç (voir sur ce dernier Ramsay, Revue des Éludes grecques,
II, p. 35-36). Justus paraît aussi de bonne heure chez les Juifs :
tout le monde connaît l'historien Justus, fils de Pistos (autre nom
symbolique), de Tibériade, contemporain et rival de Flavius Jo-
» Comparez sur ces mots Zeuss, Grammatica ccltica, 2* édition (1871), pages 161
et 790.
2 On pourrait prétendre que la Sapaudia de l'époque franque avait un sens plus
coropréhensif que la Savoie moderne ; mais cette opinion, fondée sur un passage
d'Ennodius [Vie de saint Épiphane, chez Dom Bouquet, III, 371) paraît devoir être
reietée (Menke, préface de la 3e édition de Y Atlas ISpruner pour le moyen âge et les
temps modernes, p. 15). On voit par le texte cité d'Ammien que la Sapaudia était un
petit canton, le long du Rhône, peu après sa sortie du lac Léman.
INSCRIPTION JUIVE DE NARBONNE 81
sèphe1. Gomme exemple épigraphique, contentons-nous de citer
Pépitaphe de Vienne (Chwolson, ne 51) déjà mentionnée plus haut
parmi les plus anciens textes hébraïques de France. Elle est ainsi
conçue :
« Samuel bar-Justu. »
in'^T" est pour DirtiDr soit par une simple erreur du lapicide, soit,
comme l'a supposé M. Loeb, par une imitation de la prononcia-
tion vulgaire où Ys final de Jus tus disparaissait sous l'influence
de l'accent tonique de la première syllabe.
Le nom Juslus correspond pour le sens à l'hébreu Çaddih,
p*%, comme Zunz en a fait l'observation (op. cit., p. 16). On se-
rait tenté d'en conclure que toutes les fois qu'un Juif s'appelle
Justus, il portait dans ses rapports avec la synagogue le . nom
Çaddih. Effectivement, M. Loeb m'apprend qu'au xvii0 siècle un
Juif d'Amsterdam Jacob Çaddih publia sous le nom de Justus sa
Chorographie de la Palestine (Amsterdam, 1631). Mais cette assi-
milation, si séduisante qu'elle paraisse, semble n'avoir été faite
qu'à une époque tardive. Dans un texte du Midrasch Schïr Ilas-
chirim Rahba, récemment rappelé par M. Fùrst (Revue, XVIII,
300), on voit, au contraire, que le nom Juslus était censé cor-
respondre à Joseph, sans doute à cause de la consonance approxi-
mative des premières syllabes. Il est vrai que le texte du Mi-
drasch est corrompu et qu'au lieu de Juslus on a proposé de lire
Lestés (Hamburger, art. Namen dans la Real Encyclopàdie fur
Dibel and Talmud, tome II, Strélitz, 1883) ; mais quelle appa-
rence que beaucoup de Juifs aient pris le nom de « brigand » ? A
l'appui de la lecture Juslus on peut citer ce fait qu'un personnage
mentionné dans les Actes des apôtres (i, 23) s'appelait Joseph
Barsabas, surnommé Justus ('iwrij? tôv xaXoûpsvov Baprafâv, N iicexkftv
'loimoç) : c'est un exemple de l'équivalence Joseph = Justus. D'autre
part, YEpîlre aux Colossiens, iv, 11, mentionne parmi les colla-
borateurs de Paul un certain Jésus, dit « Justus », 'hjoouç ô Xeydjuvoç
'loGrcoç ; ici encore, l'équivalence paraît avoir été dictée par des rai-
sons de simple consonance.
En résumé, il ne me paraît pas possible de décider quel nom
hébreu portait l'historien Justus de Tibériade, ni à plus forte
1 Autres exemples de ce nom fjerus. Erabin, 6, 4 ; Me g Ma, 1,1, etc.) chez Zunz,
op. cit., p. 11.
T. XIX, n° 37. 6
82 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
raison le Justus de notre inscription ; on peut hésiter entre Jo-
seph, Çaddik, etc.
4. Malrona. Ce nom de femme se rencontre fréquemment,
comme cognomen, dans l'épigraphie latine impériale; par exemple
Corpus inscr. lat., II, 4370 (Tarragone) ; XII, 684 (Arles) ; Ephe-
meris epigraphica, IV, p. 300, n° 873. Le christianisme ne devait
pas hésiter à l'adopter, et c'est ainsi que des Malrona figurent sur
des inscriptions chrétiennes de la Gaule (Le Blant, nos 423, 468 ==
Corp. inscr. lat., XII, 2188). Chez les Juifs, le plus ancien exemple
cité par Zunz (op. cit., p. 46) se trouve à Worms, au xie siècle ; il
s'agit, sans aucun doute, ainsi que me le fait remarquer M. Loeb *,
de la Malrona portée sur la liste des martyrs juifs, à Worms, en
1096, lors de la première croisade (Ad. Jellinek, Worms und
Wien, Vienne, 1880, p. 1). Notre Malrona est plus ancienne de
quatre siècles. J'ignore quel peut être l'équivalent hébreu de
ce nom.
5. Dulciorella. Les noms masculins ou féminins dérivés de
l'adjectif Dulcis (en grec rXuxo?) sont particuliers à l'onomastique
chrétienne ; on trouve en Gaule Dulcisius (Le Blant, n° 405 A),
Dulcitius (ib., 466), Dulcitia (ii>., 406); on peut voir d'autres
exemples dans VOnomaslicum de De Vit. C'est sans doute aux
chrétiens que les Juifs ont emprunté l'usage de ces noms, en les
restreignant, cependant, au beau sexe.; nous avons déjà ren-
contré Dolça ou Douce [Revue, XVI, 40), Dulcia (il)., Y, 287,
288), Dolzetta (Zunz, op. cit., p. 45). Quant à la forme Dulciorella
de notre épitaphe, forme à la lois augmentative et diminutive, je
n'en connais pas d'autre exemple. M. Renan a proposé de voir
dans ce nom, ou plus généralement dans tous les noms féminins
dérivés de Dulcis, l'équivalent de l'hébreu Noémi., raw, de la
racine ù?3. C'est une explication très plausible.
Avant de quitter l'inscription de Narbonne, il me reste à dire
un mot de son sens général. Il est assurément très triste et très
insolite de voir un père ensevelir, comme ici, ses trois enfants, en
une même année, surtout lorsque ces enfants sont d'âges si diffé-
rents. Les éditeurs qui m'ont précédé ont été si frappés de cette
anomalie qu'ils se sont efforcés d'en chercher l'explication, les
1 M. Locb soupçonne également la Maronne de la liste des juifs de Paris, en 1296
[Revue, I, 69) d'être une corruption ou une forme vulgaire pour Matrona. Je saisis
cette occasion de remercier vivement mon cher ami et collaborateur des nombreux et
précieux renseignements qu'il a bien voulu me fournir pour le présent article.
INSCRIPTION JUIVE DE NARBONNE 83
uns dans une de ces épidémies terribles, telles que la France du
moyen âge en a tant connues, les autres, dans un fait de persécu-
tion religieuse, comme les rois Wisigoths en ont commis à mainte
reprise, sous la pression des évêques. Je dois dire, toutefois, que
les documents n'autorisent aucune de ces deux hypothèses. On
ne trouve pas d'épidémie mentionnée sous l'année 688 dans la
Septimanie, et les persécutions religieuses du roi Egiza ne com-
mencent qu'en l'an 694 (Graetz, Geschichte der Juden, V, 148).
D'ailleurs, quelle vraisemblance qu'un roi fanatique eût immolé
les trois enfants et laissé vivre le père? Il vaut donc mieux épar-
gner à la mémoire déjà suffisamment chargée d'Égiza le soupçon
d'une nouvelle barbarie que rien ne justifie; naccusons de la
mort des trois enfants de Paragorus que quelque coup du destin
ou la mauvaise hygiène de l'époque. L'inscription suivante,
trouvée à Sainte-Colombe, et classée parmi les inscriptions chré-
tiennes de la Gaule, quoiqu'elle soit dénuée de tout symbole reli-
gieux (Le Blant, n° 4G0 A; Corp. inscr. lai., XII, 2033) fournit
d'ailleurs un parallèle curieux à l'inscription de Narbonne ; je la
reproduis d'autant plus volontiers que les deux textes ont un
nom, Sapaudus, en commun, et qu'on pourrait être tenté d'as-
signer également à l'inscription de Sainte-Colombe une origine
juive. Yoici cette inscription : Ego pater VUalinus (Hayem?) et
mater Martina scripsimus non grandem gloriam sed dolum
(=dolorem) filiorum. Très filiosin diebus XXVII hic posuîmus :
Sapaudum (ilium qui vixit annos VII et dies XXVI, Rnsticam
filiam qui (sic) vixit annos IV et dies XX, Rnsticula fitia (sic)
gui vixit annos III et dies XXXIII.
Théodore Reinach.
GLOSES D'ABOU ZAKARIYA BEN BILAM
SUR ISAÏE
(suite1)
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j^5/i byz> bïpnun m6 lai >niK ^ria iscp^a ^k^si jâ» .nai» î3
Ghap. X.
4. ...û^ppnin ^in. Il s'agit de ceux qui faussent les écritures et
les actes, afin d'extorquer par là les biens, contre le droit. Ce qui
prouve ce sens, ce sont les mots maïlb, etc. du verset suivant. On
parle ensuite de ceux qui émettent des opinions qui égarent les
hommes, surtout de ceux qui les fixent par écrit, car ceux-là com-
mettent la plus grande injustice.
4. . . . 3>"D ^nba : « Seulement vous serez courbés comme des pri-
sonniers et vous tomberez frappés à mort. » Le mot nnn est sans
emploi, puisque le sens est complet sans lui.
7. r^"1 : « Il suppose »; le sens primitif est « avoir l'intention j> ;
cf. Juges, xx, 5. C'est un futur du piel.
) Voyez Revue, t. XVH, p. 172, et t. XVIII, p. 71.
GLOSES D'ABOU ZAKARIYA BEN BILAM SUR ISAIE 85
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bti £M8ta *:s?o 'fi bapriD» •dw r^nj ypki '3 t^p/i bnpriDû
n&uyûi iKibisn ^pJ^K ;d *â«û vwïem »vww DrrnHinm rvby
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»W «b njo p]»b3^k ;«b bpKD «b nba *on nu ♦*]£ ii: rrn «bi 4 4
b^urr dk 15 î'p?ba brwo byo p vn bbp wna p#3 d^shi n^/ioi
>#' nbty p^ I6 t*^iflw >& mj»a d^i * nmoa ip .uraa by w»n
rbvtin p pbtnpabK }K »$>« w ptpi jeh p ffeï . pn rjo^aa jti*03é
•jbo rutra itn tjbï b*n in^ bi inrn n^tpsi TKiJK^tf) batûnaba Hiao
p msta ma didqd kbk mrt^K awrta ♦ddu did»d rrm ^ t in?*
10. bblDYT*a dîTVwi, etc. c'est-à-dire dblûYii ib^S&a ù^m dïl *W3a,
« qui sont plus nombreux que les idoles de Jérusalem et de Sa-
marie ».
12. 3?£a*> : « Il achèvera » ; cf. Zaeharie, iv, 9. C'est un futur de la
forme lourde.
13. . ..TDK1. C'est un futur avec le sens du parfait, comme le
prouve le mot VTODTO. Ce dernier mot est un parfait de la forme pôel,
qui signifie « s'emparer d'une propriété et la prendre de force».
. . .THIKI : « j'abaisserai ses principaux habitants ».
14. 112 est ici un qualificatif et non un participe, parce que le qal
de ce verbe n'est pas transitif, cf. d^UtSSI [Ezéch., i, 7) ; ce mot dérive
d'un verbe à la seconde radicale faible.
15. ...TNDaîT J'ai expliqué ce mot à l'occasion de înaaa (II Sam.,
xn, 31).
1C. T»Ma©)33. C'est un qualificatif dans le sens de jWi (Is., xxx,
23) ; il indique par ce mot que les hommes tués étaient les héros et
les princes, comme on le voit par II Chron., xxxir, 21.
18. DD3 ODttn : « Comme le départ du fuyard » ; le premier de ces
1 II faudrait : d'une racine géminée. Ibn Ezra considère 115 comme étant ici tran-
sitif par exception ; mais Kamchi regarde h 5 5 comme un terme circonstanciel.
2 B. Bilam n'explique pas à cet endroit ""|Y£>3, mais ÏT1573,. Voici ce qu'il dit :
Bnbajnort ^p*i VwiKb» daba ^d Trù im ^«©attbN !twm n^osm
anba* *jk abN ttnna ttboa bha dON im irnaaa "mai anbap ba^ba rmi
•û"obn ^d n-oiioi ïmiiaa nrmia ^aaabN ^ ba*fioan -nSn «b
« STMa signifie r la scie » ; le mot est fréquent chez les docteurs ; ils emploient la
racine comme verbe dans "mil. ÎT")553 est un nom de la forme ttboa, ÏTfifiai
seulement le resch ne peut pas recevoir de daghesch ; ce mot est employé à propos
des constructions (I Rois, vu, 9] ; j'en parlerai à cet endroit ». En effet, B. Bilam
remarque, à l'occasion de ce verset :
sfcnp» brs ym ^rn-m "ma \n bjas y-inai n^na snaaa mhniw
« mTnaa est le participe de 1^115, dénominatif de ÎTUtt, qui est le nom de la
scie. » Nous n'avons rencontré dans la Mischna que le singulier Ttà"1, Para, II, 2.
86 REVUE DES ETUDES JUIVES
^«B^« DDK [1flfi CDU *tt3Kl] DJM aa^> Dai >#a >D tftôb» DDD
p twi«] }«i '[•»♦•] ^pi .13' fbrwi »« tin nDDu »"* mu p pntpo
♦ aaro» tni m ibdo njr py ikem ^ tKantuyai «onôD^» a-iap/i^ p^K
W oyai fhfo kw?k "dra natpa^K anmo naoy frpa tt
anaia oip» fet^K {« DnnnKrai onttëp p *k toi» rforn «jkih aana>
£ ntuya ♦npia *p&> pm p^a ia aw -iKt» 22 ♦ «irm^a o^ar ^«
fhap WD p td^k ns«n^« *6« orna pa> d^> to^k ^ai3 aiao
kuîo [«i p*W h'ôit ^s&k p pnm «anaa *pu* '« p]«5t3«a dhsw
î^aDtf tfarn naimi rta >o [jara^K ^aD 6? -my» d/î tiki »#a >e
•a 23 : " n^Ji p w iai nao: ruvn >a r^/iai frrra natnnai *d pa^«i
criûpD *bki wn rfca rrnpn ♦ on^tan bv >dki ayn rhs\ nyra tapa tu
Dnn«^a] j?a o^^an ^ \wai .dt man w ^ria ffaoa^K «» rua
Dm }aa> >aiu }« *a n^a p n^an ^jia.r6a p ddk w DTiutDi]
rnya^K *o n3;aa î»aD ^y tt •anaa ^îia ikew 2^ jonn^e» kîk
deux mots est l'infinitif de DS?û au qal, dans le sens de ott'n (Jos.,
vu, 5) ; le second est un participe dans le sens de iiDDli (îs., lix,
19), qui signifie : emportant. On dit que ces deux mots ont été
réunis, bien qu'ils diffèrent de racine, parce qu'ils se rapprochent et
par leur prononciation et par leur signification.
19. . . ."îKIDl. C'est-à-dire le reste de l'armée de Sennachérib, qui
était comparée aux arbres de la forêt à cause de son grand nombre.
Les mots « et un enfant les inscrira » expriment la facilité et le peu
de peine ; le sens est que l'armée sera si peu nombreuse et tellement
réduite qu'un enfant sera capable d'en faire le recensement sur les
tablettes de comptes.
22. . . ."WD. Le sens est : « S'ils étaient même comme le sable de la
mer, il n'en resterait que fort peu de chose, par suite d'une ruine
absolue, qui les entraînera avec justice, c'est-à-dire pour exercer
la justice sur eux ». — ynn dérive d'un verbe et qualifie '{"pbiD,
quoique ces deux mots aient la même signification. Ensuite comme
explication, le texte répète : ïii^tn ï"îbs ■©, qui sont deux noms,
dont le second est formé par l'addition d'un noun, comme ï"D03
(II Chr., x, 15) et nbi (Is., xxx, 12).
25. &?ï est pour Wr, le suffixe yod est tombé comme dans rrran
(Ex., xv, 2). dmbarrb* signifie : « avec leur destruction et leur
anéantissement » ; le nom est tiré de ïibn, comme mbsn de ïibi. Le
sens est : « Ma colère s'apaisera et aura un terme quand je les aurai
anéantis ».
26. tmtt'E ^p^s. C'est-à-dire « comme il a agi envers les Egyp-
tiens » ; il entend par là la perte et la destruction. La même explica-
1 Le mot qui manque est peut-être N^fail.
2 La citation est inexacte, elle provient d'une confusion de Isaïe, lix, 13, avec
xxx, 12.
GLOSES D'ABOU ZAKARIYA BKM BILAM SUR ISA1E 87
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pn#a ^b ♦ nanyaa rtntffi ^aa M jnyna -ppa n« vyn nbw *b îm
irtn ma »b aij^a ^ipm }*««*&« yûp' m' ;tfsn*6K M >r&« nwo ja
pjpii 3* ifrp^K rouya bbk nuirai ♦ anJKaip nyûp »« aia^a naâp
^Kp "iBKa^« ppK^a aiy^K a^a »bi iBpy a^n mai yop» ♦ijrn 'aaa
rbfà Knrt *rpi naaa ^ 3bù:n rp*u t6k j-ikibb ^ amyrop
nwfeto pian ^« tw ira h^k tbîAso ^b^k «b ppb p:^i
fta&* b«5«i piiïib^ pjnno Wi^ bkb$>k tt ^b» "hks pja^m
♦ ^ t-tk pua ^«p mao na«pa
tion s'applique au verset 24. e Bien que les Assyriens aient été vos
maîtres, comme l'avaient été les Egyptiens, Dieu suscitera contre
eux des plaies, comme auparavant il en avait suscité contre Midian
et l'Egypte. »
27. "îbaa. Avant d'être pourvu d'un suffixe, le mot était btop, et on
a supprimé le vav et on en a conservé l'influence dans le hateph
qames (qui se trouve sous le bel). — . . .bnm : « le joug qu'ils impo-
sent ainsi que leur force disparaîtront par la destruction du gros de
leur armée. »
31. lïVïi : « Ils ont fui et, en fuyant, se sont réunis dans les cita-
delles et les forteresses ». Le verbe est un hiphil intransitif, mais il
est transitif dans T2!"» (Exode, ix, 19).
33. tp'D'a est un dénominatif de î-pDVO (Is., xxvir, 40), 6 les bran-
ches », et signifie : c il coupe les branches ». Les Arabes disent de
même n^p, dans le sens de : « il a taillé les sarments (ïNaitp) des
vignes ». — ï"ï£i:?73 est un nom signifiant a force ».
34. 5]pDl : « il coupera »; cf. iDp^ (Is., xxix, 4). En arabe, E|p&«bN
veut dire « celui qui brise ». Un de leurs poètes a dit : « Au proprié-
taire des acacias de la tribu, qui coupe les coloquintes. » Nous avons
déjà mentionné des exemples pareils. Le noun de £|p3l est la pre-
mière radicale; ce mot a pour sujet ^Ifctti du verset précédent. —
THK3, Il veut dire : « Par la hache puissante ». Le nom qualifié
est supprimé et le qualificatif a pris sa place ; c'est comme si le texte
portait : bc thk jnaa.
1 Ms. baïa. Mais voyez Ous., c. 473, 1. 22.
* B. B. aurait-il pensé pour VjBft au sens que ÏIjS a quelquefois en hébreu ?
Pour •jfàia, voyez ci-dessus, v. 16.
3 Le mèlre est tawil.
88 REVUE DES ETUDES JUIVES
K*
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^na nybyv on:« »jy« *]H to bx îtb parrv ^"r j^i*6kï •*£«
{KDa^a >ao ^Wn n«^« >d omtaK »pii>K thûj }« payn na natr^ m«
tpe win» nï«tr Rôd^ ;nvi rr ^i»a t «mto ^ao ^p *nm ontpa nw
Chap. XL
1. ^lan. C'est le targum de fiatt (Nomb., xvn, 17). ...littl : « un
rejeton a ; cf. xiv, 4 9. Le sc/m& de Y»«5*fl8îa devrait avoir un qames
hatouph, puisque c'est le pluriel de WD (ci-dessous v. 4 0) ; mais on
a donné au quames un son plus large pour en faciliter la pronon-
ciation.
3. WiîTî. Le mot primitivement s'applique à l'odorat, mais il a été
étendu aux perceptions de tous les sens. Le verset signifie : son in-
telligence et son discernement ne proviennent que de la crainte de
Dieu, et son inspiration ne dépend pas de ce que montrent les sens,
qui, par leur nature, sont envahis par l'illusion et l'erreur.
4. .. .nvm. Il veut dire que par un ordre de sa part il tue celui
qui mérite la mort.
8. yw®\ Verbe quadrilitère, qui signifie « s'amuser, jouer »,
parce que l'âme s'épanouit, lorsqu'elle est en joie. — rHIÈtta a le
même sens que mn « trou », sans aucune différence entre les deux
mots; ces deux noms s'emploient pour l'antre du serpent. Delà le
nom de û^UiS *m, c'est-à-dire la plaiue encaissée des Chaldéens,
avec permutation de l'aleph pour le het. Les docteurs ont à cet égard
une opinion différente et donnent à *n&* le sens de feu, comme dans
Is., xlvii.4 4. C'est qu'ils prétendent que Nemrod a jeté Abraham
dans le feu, et l'endroit aurait été appelé pour cette raison tik
D-^tta ; c'est du midrasch. — m- est un verbe rare de la forme ÏTE52,
etc. Il semble avoir le sens de a s'adonner et s'amuser ».
GLOSES D'ABOU ZAKARIYA BEN B1LAM SUR ISAIE 89
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par utf : nn «od w d^d ff&«à*6« ^in p mjrn n»n pjna ^iia
■rai ^j? it ppm < s : qnyûœo ^k non rwiai dtwpkb . drwwa
»^i« tdw&* irrt nw rao^i naS:i p p5ea . .Ta nos . înn o*ya
"p w ♦tt^W, ynm tannp jkdb rr*6« p frwa *ki nn pma
i*îo^ô^« in *fat p]t^i p Dip npnwx *d: ikb> nstPJ in hy 2
d^x?o [«sa »$>« aiwa n:« n« Ka*i ♦ 'bxy bai »a D»e# p rua ^*pi
mai nbipa wd^« ïto nos •D»a»ia tob iwi j*]eu nn bs? ^p Kan
rfawi iRij» ^KûaK i»ww *n^p 3 tlyy tm nwiDa nnB3ji«
iron tik ^iia rioa îm fiîpK
43. ■Vttfci : « Il traitera en ennemi » ; futur d'une racine géminée ; cf.
Ps., xxiii, 5.
4 4. .. .1321 : a Ils tourneront sur les côtés de la Philistée ». — t|rù
devrait avoir la même ponctuation que dans I Rois, vi, 8, à cause de
l'état d'annexion, mais il est resté invariable, comme tu le vois. —
dn*)3izJ73 : « leur obéissent », de même I Sam., xxn, 44.
45. lim d"3>a. (Saadia) a traduit: dans l'ardeur de sa colère ; pour
cette traduction il aurait mieux fait, à mon avis, de se taire ; car
bva est un mot dont on ne connaît pas le sens ; mais si l'on disait
que inn d^n signifie « par la force du vent », on s'approcherait de
la vérité. — "p-nirï etc. : a II fera un chemin (""p*!) qui sera foulé par
les chaussures ».
Ghap. XIII.
2. !"UHZ53. Certaines gens l'ont dérivé de SpBS, qui est l'obscurité ;
d'autres ont comparé d"«BTB et traduisent : « sur une montagne éle-
vée ». Quant à moi, je crois qu'il s'agit d'un endroit déterminé,
comme S|tt» "nïi (Jér.; xin, 46).— *nnd. On l'a traduit par épées,
comme Michée, v, 5 ; c'est possible.
3. ipb* : « Les héros et les braves ». Le sens provient de l'idée de
force que renferme le mot et c'est un adjectif, comme "Vin et
d'autres '
» Le traducteur est ici Ibn Djanah ; voy. Oms., c. 594, 1. 10. — Ms. t]"0.
90 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
'je t py^K hrwn b'pf\ p ÇopriDa pyiw n«wa &ffrh* n-i^VDi 8 ♦ ♦ .
3.-6 fnam aninyn »n^« /ikd*6k p d.toï Hiai m&> ♦ d.tjb ttsrfe
in«1 3313 DDK p^K >B K3KJ ^K ♦ D:T^D3Ï DW1 '3313 '"° nK^K
}« -jt? *6b p^«3 j^e» ^no t>«p» Kxrs îm ^dsi nao rw ^P3
^pnoa bj?a . mia An* $6 t d^d3 Knaaoi 33Kï3^k p htjj rrèa dS»
:{kjjû^k rmai-mi btf »a m« n«i« dk n^ftai ;^iia^« riKVi ^p/i p
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8. *jnb^rr* signifie : « ils souffriront » ; c'est un futur d'une forms
lourde d'un verbe à la seconde radicale faible. — «.-.'Qfi. La rougeur
de leur face, qui provient des malheurs qui leur arrivent, est com-
parée à la rougeur de la flamme du feu.
9. dï"pb^05i. Dans les textes que nous possédons, b'OS est le nom
d'une seule étoile (Amos, v, 8) ; c'est, d'après ce qu'on dit, le Ganopus,
qui se lève au sud; sans doute on y a joint d'autres étoiles, qui en-
semble sont nommées tpb^OS. — ibîrp est un futur d'une forme lourde
d'une racine géminée, qui signifie « briller » ; cf. Job, xxxi, 26. —
•W1 : «n'éclairera pas », c'est-à-dire ne donnera pas de lumière;
futur hifil avec première radicale nun ; comme on le voit par !"tt3,
Job, xxn, 28.
12. . ..T^DIN ûro et îd sont deux noms pour l'or, comme on le
voit ibid., xxxi, 24. T^plN est un futur du hifil et signifie « rendre
rare ». Il veut dire : « Les hommes manqueront, tant on en aura
tué ». Cette défaite a été infligée par les Perses aux Ghaldéens à la
fin du règne de Balthasar, descendant de Nabuchodonosor, après l'a-
chèvement des soixante-dix ans de la dynastie de Nabuchodonosor,
de son fils et de son petit-fils ; c'est à cela que se rapporte la parole
de Jér., xxix, 10.
14. m tt est le participe passif de IT^ïl ; la forme primitive est
mttWa, comme ^btitt (II Sam., xx, 21) = ^bt^tt. Le mot désigne la
ruine et la perte.
15. !"»2D3 est un participe nifal, qui signifie « être écrasé et exter-
miné ». Le sens est : « Quiconque d'entre eux sera retranché ne
mourra que par l'épée et non autrement ».
GLOSES D'ABOU ZAKARIYA BEN BILAM SUU 1SAIE 91
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rt fwn p** v» pnu tfton ^ is^n D'jn d: nîipi «rrmc son py
46. iiaa-p signifie « être déchiré et être mis en pièces ».
48. ...mntDpn, Le sujet du verbe est mnttîp, et le complément
direct est b'i'W, qui est entre le sujet et le verbe ; c'est-à-dire que
les arcs les viseront et les feront périr.
49. . . .îirPîn comme s'il y avait: Babylone qui était l'ornement des
royaumes; l'attribut de ïimïn est rû&ïtaîD.
20. biTV Il devait y avoir bîTK\ car c'est un futur, dans le même
sens que bïifin (Gen., xin, 48) ; mais c'est un hifil dont on a retran-
ché la première radicale. Il faut traduire : « Un Arabe n'y dressera
pas sa tente ».
21. d"^. Ce sont des animaux ; leur nom se rapporte à Ï"PSS « dé-
sert ». — û^ritf a été traduit par Saadia furet, mais sans preuve.
— !W> rvttîa. Saadia traduit : « autruches ». — ÛTJiD. Ce sont les
chèvres de la montagne ou les antilopes ; dans le langage du Penta-
teuque, cet animal est appelé ipN (Deut., xiv, 5j, d'après la version
du Targum.
22. ...îWi: « L'oiseau chantera dans leurs châteaux ». — d""in
est un pluriel irrégulier de ll^N (Lév., xr, 44). — Ï153> signifie
« chanter », comme Ex., xv, 21, et Nombres, xxi, 17. — Le lamed de
TmattbN est nécessairement pour le resch. — û^m. Saadia l'a tra-
duit par Hrbidd. Mais, d'après l'auteur du livre des animaux, l'irbidd
est un serpent qui s'enroule, et qui a une longueur d'environ trois
empans ; il n'est donc pas possible que ce soient les û^n, dont il est
dit : « Ils découvrent leurs mamelles... » (Lam., iv, 3). Il s'agit donc
d'un quadrupède. On ne rencontre pas le singulier de tPSn, mais on
1 Le Targum porte, en elfet, frô^.
92 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
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bip p mk ^pi »^3? troia «5 (W swirr t^m p ^«û ♦ cru
ort^ipa on^y snnp» î«a rua *k cwTpn ^y on^n p^isa Vî ;^i*6&
trouve aussi le pluriel en ôt (Mal., i, 3). Le singulier paraît être 'jn,
comme p, dont le pluriel est d^l, ou ï"ttn sur la forme de fttt, et
Chap. XIV.
4. ïiaî"ffiO iirûttï : « La perception du tribut a cessé ». FDîTTB dé-
rive du Targum frOï^n = snï. D'autres disent que FDïTiE est pour
;~:3N"jfa « affliction », par un changement de l'alef en hé, mais c'est
peu probable.
6. n^tt a la forme de l'état construit, comme n^ (Ps., cxxxii, 4).
4 0. rnbfi est un passif du piel (Deut., xxix, 21).
44. . .."pnnnMfc'* est un passif. La traduction est : « On a étendu
sous toi les vers » (en guise de tapis).
4 3. bb^ï-j est un qualificatif. Traduisez : a 0 toi qui brilles le ma-
tin ». Il est surnommé ">ntï5 *p, parce que c'est le dernier des astres
qui apparaissent à notre horizon après le point du jour, car ceux
qui le suivent sont éclipsés par la lumière éclatante du soleil. —
ttîblrt est le participe de tDbfPI (Ex., xvji, 4 3), bien qu'il soit construit
avec hy. D'autres disent qu'il a le sens du mot ù^ttîbn employé par les
docteurs*(Sabbat, xxm, 2) ; c'est-à-dire que le roi de Babylone jetait
le sort sur les nations, cf. Ez., xxi, 37.
1 C'est la version de Saadîa.
GLOSES D'ABOU ZAKARIYA BEN B1LAM SUR ISA1E 93
bbibm bxynzx bapnoa .\vbyb naia <4 x&b&r? ODpn rwi iran
hj?jv abi naty/iba naopai . >rmtp bn rm« biia pyb« ffw ^bi »by
xv5> j« ih . b« frawi ^a bai »iwwi ^ab b*p ban ik cabbio vhvt
^•îa ptfbi» «0 uritei e*Di ;n fûbba nii onb^aynDa na «wb«
Wîa barbai JiKDnbtfbK najya •in,j^»i'^ T**"1 16 îl*™ ^w
rb« pianai biia iwa nmps * ♦uaïaiv *pb« ttrawi irûtp psaa
pa KamnK [Kâcb ptb yania Kaa ♦d^d d*u ^nba bs ^ npaa
idd ♦•papa wb^n nnai ^ rwnwi ina mx^ »*» n« noabK \v
»jt*o bip n:ai "ttp no "]b n^n *3 nbipa d:ji "pirp jo rima n»fi
biii pn »d ™p ;a e^j bs b^pi 'pma piutpa »k iéwi nnnp dwi
nnaiin îaiba T?a b>p/i bys ja biysa^nn ^îtoa nima did^k
>:i?abKi «nba rrabs b'pàba [a biysa ♦ D3ia uas : *pb«3 piimaba
anya yanin **b . rrnapa on« Ttn sb 20 $ ! ^p o^ «rn ;a D*nb«
onnab wn bip mai byabK «o in «nbxi anba p nb« pbba psob«
4 4. ïittTN est le futur du hitpael, ce qui est prouvé par le dagesch
de la seconde radicale, comme rtTW (Is., xxxvm, 15); le sens est
« ressembler », ce verbe se construit avec le lamed ou btf ([s., xlvi,
5, et xl, 18). Il faut considérer comme une faute l'emploi que fout
de ce mot les poètes sans l'intermédiaire d'une préposition, et ce-
pendant ils agissent ainsi souvent par négligence et oubli.
16. i'rp-fll)\ Ce verbe signifie : « examiner et considérer », comme
Ps., xxxiii, 14. — liïia^ a le même sens, cf. I Rois, m, %\.
18. bs ...ûVd. On a réuni deux mots dont l'un suffirait, comme
nNet in» (Is., vin, 13).
19. ^nnp?^. Ou a traduit : « Tu as été jeté hors de ton château »,
en comparant Is., xxn, 16. Le même sens se retrouve dans Eccl.,
vin, 10, où tm*np signifie « gardés dans leur château ». D'autres di-
sent que le roi de Babylone fut même arrache de sa tombe au mo-
ment où les Perses entrèrent à Bagdad. — Wûîa est un participe
passif d'une forme lourde avec addition du vav (pôel). Le sens est
« transpercés par l'épée ». — 03110. Participe passif du hifil, qui
signifie « fouler aux pieds », comme Ps., lx, 14.
20. . . .Tnn Nb : « Tu ne. seras pas réuni avec eux ». La quiescente
douce qui est entre le tav et le net représente la première radicale ;
dans le même sens on trouve (Ez , xxxvn, 17) : tnntfb VÏT1 « Les
deux bois s'unifieront. >
1 B. B. donne ici à ^2p un sens spécial, et rattache ce verset à celui qui le pré-
cède et qu'il a compris comme s'il s'agissait de rois dormant tranquillement chacun
dans son palais. L'explication est surtout ingénieuse pour le passage de l'Ecclé-
siaste. L*exégète cilé ne peut pas être ici Saadia, qui traduit IDp ici, comme par-
tout, par tombeau.
2 11 faut 1jT"]£ ; Ben Bilam a confondu ce mot avec Ps., xliv, 6.
94 REVUE DES ETUDES JUIVES
TDsn p dkAk aijp ♦ ony ^an >jb i«^oi 21 jfhnna tha *k ^ra
î?a^>K fnfiaa FhKûj^K *i« Tiaa n# im *ny*6*$ ony ^b nos je
^d:^« on ♦ *dh pu iKtan d# ^aa^> *mam 22 ♦ nyiiûa pnw na ^i«
na^i wAi nh&a nrya nW« p î«a «oam t^k nya *rw n^K
.tb idd .iTBp wy\vb rrriDEn 23 : jkbdk 8»ni na na^i nafe nouim
«a twiai n^tf "n^a Tja ;«rn m pi?i*6K nay ytob n^na m nsap^
.yb idd ♦ nwn «û«aoa .tjikekbi taw^a nj^rè» ona^N ^b pa>
♦ ruvnp'nw i^m^ok 24 ♦^am ^s im -tkb^k n'Diaaa «nwaK
urm ^n «in ♦ spw» ?pw mai 29 ♦ ^n^ 10*7 via r6/ioi map «aa
mmbx }o pkt^k n^i j« >k nei^o *ptf nsi nnpj£Ki nmb pn«
;^n 'fra^K p wb& jk any^« ^ipn «in $>/ia >bï rirat^** ffr&H
pa*o n:« *:x?oa ma ;a îrrpm ^8 sina ikbm »fhn *6« h'm^« n^n
nyiai jy yibjb *6* . mjjiûa nma pai ' 31 ♦ n»a« p n'KBi n^« na^y
txi ^ nia ^ria mai ♦ nsmaïaj yy n:v in« ^5iv «^ >«
21 . d^^. On est surpris qu'un traducteur ait rendu d^l* par les
ennemis, ce qui, à mon avis, est très faible, parce qu'un repeuple-
ment par les gens nobles convient davantage et s'adapte mieux au
contexte.
22. TOI V3- Ce sont les générations qui viennent après les enfants.
Peut-être ]"0 désigne-t-il l'enfant lui-même, comme dans Gen., xxi,
13, où le Targurn traduit : « à mon fils et à mon petit-fils » ; et ce
sont deux noms.
23. YiBp. Saadia a traduit TOp « hérisson ». Il était connu chez
les docteurs sous ce nom ; c'est un petit animal dont la peau est cou-
verte d'épines, et qu'on trouve souvent dans les vignes, parce qu'il
aime le raisin. . . .\nN::NLn. Saadia traduit : « Je le balaierai avec le
bal3i de l'extermination ». C'est un quadrilitère.
24. TTW TiLèO : « Comme je m'étais proposé » ; cf. Juges, xx, S.
29. . . .Yn». C'est comme "pN îmm (Gen., i, 24), c'est comme s'il
y avait tptïî "HB1 ; c'est-à-dire le petit du serpent brûlant sera le ser-
pent volant. De même les Arabes disent : « Le bâton ne peut venir
que d'un petit bâton » et « jamais un serpent n'engendre autre chose
qu'un serpent ». Il fait allusion par là à Ezéchias fils d'Achaz, vou-
lant dire : « Il sera plus intraitable pour vous que son père ».
31. . . .Ym — *pKl : « Personne ne se détachera de ses réunions » ;
c'est-à-dire « personne ne restera en arrière de lui » (Nabuchodo-
nosor), vm a le même sens que Ps., en, 8.
1 Voyez Proverbes arabes, I, p. 17.
» Ibid.t II, p. 582.
GLOSES D'ABOU ZAKARJYA BEN BILAM SUtt ISAIE %
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pn^«D^« *k kh^d . iî;^ ij? rprrn s ♦ risyii nwi m njm ♦ é
j?ti »jya p tp* [«] ito îkj «ami ^sys* rum .tkd p rirons
ja ^y 7 ns^ rna^K «in ^ nJîii wi p «arèpa |«i oyn
ftpatai îvi*6k p ns^ôn «a tkdi p:n^« tt ♦ ampoi rw rnjr
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ffrip:a awa na*^ »fî h^k n*bh& \)y {« pa> ♦ ma n«ia nis^D^
anaa rAe» p >« m&6 naia jib^b -mpn^ pr >nn ma p
cnriK^D^ d6 }k >k nnii >hv \\y ;« pa*i ♦ y« sd^ki id*6k anonncn
Chap. XV.
3. b^\ Le yod du futur yêlil a été redoublé, puisque la quiescente
douce qui se trouve entre le second yod et le lamed est la première
radicale.
4. ïtjh. Comme l'arabe 3>m « être saisi de terreur », c'est-à-dire :
« elle devient lâche et faible ».
5. ïTVPia : « Ceux qui ont été mis en déroute », c'est-à-dire :
« ceux qui ont échappé à la défaite ». — "i"W< a le sens d' « exciter,
mettre en mouvement » ; la première radicale est donc redoublée, et
la forme est alors nba3>D\ Peut-être se peut-il qu'il soit de la même
racine que sn'n (Jos., vi, 20), et il y aurait une transposition de
1W1T, et le type serait de cette façon "iDb3>b\
7. ...p bs\ On entend par là les enfants et tout ce qu'ils avaient
abandonné de leur famille, et le reste qu'ils ont laissé.
9. mDOTB. C'est un nom, dans le sens d'extermination. — . . .n^bab.
Il se peut que le lamed de nû^beb soit transporté du mot miN,
comme s'il y avait : rmtfb SNito ntrbs, c'est-à-dire : « les Moabites
qui s'échapperont seront déchirés par les lions et les bêtes féroces ».
Il se peut aussi que le lamed soit à sa place, et on traduira : « Pour
les fuyards, il ne restera que les bêtes féroces »; le sens est le même.
1 Ibn Djanah soutient la même opinion contre celle de Hayyoudj ; v. Zuma, p. 61 ,
270 et 282.
* Ces deux mots représentent le texte analogue de Jérémie, xlviii, 5.
3 B. B. a donné à Êpi ici le sens de Ï1DD; cf. Saadia, ad Inc.
96 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
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i«iriD« [a nnD ^» prr ^s Wd vpip 3 :dkdi^«3 rrav ffîm
[pntria vn r6 fp fur j& ]6f\rbx mfi jo noa ♦ pan ddk ra 4 » Dm
tiki }aœn ïwb ^k ntri wi dd^k >& [♦ w ffea : rua pn/ion
Chap. XVI.
4. . . .nïtbiû. (Le ni est appelé ynN bttltt), parce que, à cause de la
rapidité de sa course, il est comme s'il possédait la terre et l'enrou-
lait sous ses pas ; les anciens ont appelé le dromadaire nïtid Nb»a
(chameau volant). J'ai vu dans le livre des Emirs de Médine qu'un
homme a franchi sur un chameau de race la distance de Mina (loca-
lité située près de la Mecque que les pèlerins étaient obligés de vi-
siter) à Médine en un jour et quelques heures ; or, c'est une route de
plus de dix jours. Les Chrétiens prétendent qu'il s'agit du Messie, et
ils prennent -D pour le singulier de û^D (Ez., xxvn, 21) , ils ont dit
que le Messie a été ainsi nommé à cause de sa douceur et de sa rési-
gnation ; mais c'est presque du délire.
3. . ..ViiiS. (Le prophète) engage (les Moabites) à cacher ceux qui
cherchent un refuge auprès d'eux.
4. ynTi est un nom d'une racine géminée sur le type de "jp (Ps.,
lxxxiv, 4) ; il est dérivé du verbe l£ftn (Is., lxvi, 41), c'est-à-dire :
« Il n'y a plus de quoi savourer ni moyen de faire couler la boisson
dont vous vous désaltériez ». — iffi ïibi*!. « La graisse a disparu ».
THÎ5 et 1D (Nombres, xi, 8) ont le même sens, comme 1M et ""D, et
1 Yebamot, 116 a.
a II s'agit probablement du livre intitulé ï^j^l^bN IN^iN de Bachia ben Djaa-
far ; voy. Hadji Khalfa, Lexique bibliographique, t. I, p. 190 ; II, p. 144. M. Wùs-
teniéld [Geschichte der Stadt Médina, 1860, p. 6) cite parmi les sources de l'Histoire
de Médine de Samhoûdi un ouvrage de ce Bachia (mort en 297 de l'hégire), qu'il
nomme le « Stammvater der Emire von Médina ». Nous soupçonnons fort que
M. Wùstenfeld a traduit ainsi les mots ÏTO^^îabN ^OfaiX 3nN£, qui signifieraient
plutôt : « L'auteur des Emirs de Médine. »
1 Voy. saint Jérôme, Comm. in Isaiam, éd. Vallarsius, t. IV, p. 189.
GLOSES D'ABOU ZAKARIYA BEN BILAM SUR 1SA1E 97
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rpm i^ wa yjpb own î^Aq m*ai «ein ik ^a îy^ *ft« pr ;« *6k
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^Jîa Ttaks rnnKJm kiyda .w rup ipéh rwim^ t^m pa^a
p ^apnoa yriK nîi^M a^pa ♦ wbï *]in« 9 : nn^tsji . ™a^n
»n , *]Yasp *?jn "p'p by : fnKj;i?K YJ ^y *6a«a «ii n^a^a ^pr6«
nous en avons déjà parlé. — . . ."ittn. L'oppresseur qui vous oppri-
mait a fini, grâce au roi qui a été placé sur le trône de David.
5. . .."lï-itoi : « Habile à agir avec équité » ; c'est-à-dire : « qui ad-
ministre bien, avec équité et justice » ; le sens est le même que
*Tï"573 dans Ezra, vu, 6 ; mais il est changé par l'état construit.
6. a«. La troisième radicale est retranchée ; il devrait y avoir MM,
comme Is., n, 12.
7. . . .'tD'toK est le pluriel d'un masculin, car si c'était le pluriel de
ma^tf, il faudrait nwnb», Cant., n, 5 ; mais il a la même forme que
Osée, ni, 1.
8. n"Wniî est ici la vigne elle-même, comme Deut., xxxi, 32. Je dis
ici, parce que dans Is., xxxvu, 27, il signifie « la semence », comme
on le voit par les mots iittp ^&b, qui signifient : « avant que l'épi
soit debout ». Le mot devrait avoir l'accent sur l'ultième, car le plu-
riel des verbes à troisième radicale faible a toujours l'accent sur l'ul-
tième, à moins que le mot suivant n'ait l'accent sur la pénultième ou
soit monosyllabique, comme Ez., xxvn, 5. On a retranché, après "\yn,
la préposition, c'est-à-dire le Mt, comme on le voit régulièrement
employé dans Ps., cvn, 4. — 1115133 : « On les a laissées aller et elles
ont traversé la mer »; c'est dans le sens de tinïîaan, Ex., xxm, 14.
9. ^THN. Il y a transposition ; car il faudrait '■plN, qui est le futur
du piel ; contrairement à l'habitude, ce verbe se présente complet.
— ^srp désigne les fruits de l'été, et Tvsrp les céréales ; cf. Is.,
xvni, 5.
1 C'est le nom que les grammairiens donnent à la préposition n. V. Zumct, p. 66,
1. 21.
T. XIX, n° 37. 7
98 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
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ton nefu na tt rtto n^/io mrt ipi t • ♦ » ♦ 3d^oj;j^bj] 40
40. . ..tpwi. Le hé du féminin est tombé, et peut-être cela pro-
vient-il de ce que le verbe précède, comme on laisse tomber le vav
du pluriel quand le verbe est en tête, comme dans Ez., xiv, 1 ; les
exemples sont rares. — 13 *p et 3W sont deux verbes au passif qui
signifient « crier, vociférer » ; dans le dernier, la troisième radicale
est redoublée ; tandis qu'elle est simple dans JH^i (Jos., vi, 20) ; il est
impossible de le prendre pour un futur (actif) comme pio^ (Is., lxii,
7), parce qu'il est joint à un passif et doit sans aucun doute lui res-
sembler. — TPÏ1 est une interjection qu'emploient ceux qui foulent
les raisins pour s'exciter au travail et se soulager de leur peine. En
arabe c'est àêd hêd*
Chap. XVII.
2. "W. C'est une ville dans le pays de Moab ; elle ne fait pas
partie du territoire de Damas. Le prophète a voulu dire seulement
que les villes de Damas deviendraient [abandonnées comme Aroer
dans le pays de Moab].
40. [tPDftj^ r^3] Nous avons déjà mentionné beaucoup
d'exemples pareils. Il entend par là de belles plantations. La racine
1 Les grammairiens arabes ajoutent 13 "^3>fà3.
x Le ms. présente ici une lacune qui va jusqu'au verset 10. La phrase interrompue
se terminait probablement par ^V^HV b'r\12. C'est l'explication de Saadia et d'ibn
Djanah, Luma, c. 295, 1. 8.
3 Nous avons complété ce passage, dans notre traduction, d'après Zuma, p. 223,
1. 18.
GLOSES D'ABOU ZAKARIYA BEN BILAM SUR ISAIE 99
}«3a ♦ wwi i? ffiian : najn *a tn«n jikï ja n^«i m rra p^ai
ipaai <townwi "]j>bj or3 m :Dirw^3 jnr> vb foik* \vb uyan
rp?«sna bf\n D>a »{*a in» rw tn^i ja Ppaina h?B • •nnwi *]jn?
ip "P")3 j« ^ tiô }« n:« ^ înp^a «in TOai] nyn ja rriyrioa
♦ ♦ ♦ ♦ . b*] rhum NûJ«D nynoa larit^K rai "i«n yyin jnen
«in Wa *d aiy^K ^ipJii 2[ni?r«o] ^ ttnjKi 'o^ia jrôm
n«ao D3K^>k twr6« in ♦nsio ^ W:dï 13 :d^ ^aa d^k vu
^t>h #p3 ^^3 îajw v£k n^/iai tifiatwta n«n^K3 ni*inini> 3^n3
mnb nraii maîw œmîtt rnupa *nrrè>3 nam aiy-nj^ u :nn
•nircÀ ré» «in tria mi ww
est û3>5, comme dans Gen., xlix, 15, et le nun est ajouté. — IsyiTn
est pour Wttn, parce que les sarments ne se sèment pas, mais se
plantent.
44. ijKZiïttDn est une forme redoublée de îlàtf) (Job., vin, 44), comme
ynynft'D est redoublé de !i3>n (Gen., xxvn, 4 2). Ce verset signifie :
« S'il t'a semblé que ta plantation avait déjà produit des rameaux,
était arrivée à maturité et que ses fruits s'étaient augmentés rapi-
dement, le résultat n'en sera pas moins et une douleur cui-
sante ». — ilîiDtf est un adjectif dans le sens d'un participe actif; les
Arabes emploient de même l'adjectif tnbtt dans le sens de ûb"i».
43. baba est l'herbe sèche, nommée ainsi parce qu'elle est roulée
par les vents violents ; baba est employé de même Ps. lxxxiii, 4 4.
4 4. ïittba. Le sens est : « La surprise et la stupéfaction » ; le plu-
riel est mïiba (Ez., xxvi, 21), ïibm (Is., lxv, 23) a la même signifi-
cation.
J. Derenbotjrg»
(A suivre.)
1 Ce passage présente plusieurs lacunes, mais îe sens n'est pas douteux. Dans le
verset de Job qu'il cite, B. B. paraît avoir lu Ïiai3'\ avec hê% comme dans plu-
sieurs mss.
2 Cette addition est justifiée par Ous., c. 60, 1. 14.
3 II faut probablement ajouter ÎTfàOn.
CHANDELIERS A SEPT BRANCHES
Le chandelier que nous reproduisons ici est un des plus intéres-
sants que nous connaissions, soit par les feuillages et autres or-
nements qui en forment le cadre et les accessoires, soit par le
dessin du chandelier lui-même, dont les lignes sont faites de suites
de petits ronds creusés dans la pierre. Ce chandelier est sculpté
sur une colonne de la mosquée de Gazza appelée Djami El Kebir.
Nous en avons reçu un estampage par M. Nissim Behar, direc-
teur de l'école de Y Alliance israélile à Jérusalem. L'original a 37
centimètres de haut (non compris le cartouche avec l'inscription)
et 28 à 29 centimètres de diamètre (cercle du feuillage). Les em-
blèmes qui se trouvent dans le cercle sont, à droite, un schofar; à
gauche, une amphore d'huile (l'huile qu'on verse dans les petites
lampes placées au haut du chandelier). A côté de cette amphore
se trouve un corps à peu près rond, qui semble être un elrog ou
une grenade, et peut-être même les branches du chandelier sont-
elles construites avec le même fruit.
L'inscription porte le nom de Hanania, fils de Jacob; elle est
en hébreu et en grec :
np2-< p sran
ANANIA
TIOO IAKIO
Les deux triangles placés à droite et à gauche du cartouche
portent des branches qui pourraient être des branches de lulab.
Nous ne voyons pas de raison pour ne pas attribuer ce monu-
ment à un Juif, peut-être de l'époque du second temple. La forme
ûeYoméga (CO et non n) montre, comme nous le dit M. S. Rei-
nach, que dans tous les cas notre chandelier n'est pas antérieur à
l'époque où les Romains sont venus en Palestine ; leur première
apparition dans ce pays date de Pompée.
102 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Nous rattachons à la description de ce chandelier l'analyse d'une
note publiée par M. de Vogué dans la Revue archéologique, 3e série,
tome XII, mars-avril 1889, p. 163 et suiv., sur des dessins de
chandeliers juifs découverts parle P. Delattre dans la nécropole de
Gamart ou Qumart, cimetière creusé dans le flanc du Djebel
Khawi, au nord de Carthage, sur le bord de la mer. L'un de ces
iïrz
dessins se trouve sur une lampe (n° 1 ci-dessus), nous le repro-
duisons ici très sommairement d'après la photogravure de la
Revue archéologique ; l'autre (n° 2), reproduit également d'après
CHANDELIERS A SEPT BRANCHES 103
la môme Revue*, est gravé sur pierre. Sur la lampe (fig. n° 1) se
trouve le Christ d'un côté, et d'autre part, lui faisant face, le chan-
delier. La pierre (fig. n° 2) paraît porter, à côté du chandelier, les
ir°3
lettres [û]ibta. Une autre pierre (n° 3), de môme provenance (fbid.),
porte également le mot dbra pour ûibio. Nous ne savons ce que
Kl/Cl/E IN PACE
WJ
(,«£
%&
w
'jr°4
c'est que le signe que porte cette pierre au-dessus de ce mot.
Nous ajoutons trois dessins graffltti de même provenance [Revue
1 Même numéro.
104 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
archéol., ibid.) envoyés à M. de Vogué par le P. Delattre (n° 4),
et enfin le dessin d'une lampe trouvée à Carthage par le P. De-
lattre et reproduit ici (n° 5) d'après son travail intitulé : Lampes
chrétiennes de Carthage, Lyon, 1880, p, 38. La lampe de notre
figure n° 1 a donné lieu à un échange d'observations dont on se
fera une idée suffisante par la lettre ci-dessous de M. Salomon
Reinach, insérée dans la Revue archéologique de juillet-août
1889. M. Reinach nous a prié de supprimer, dans la dernière
partie de cette lettre, une phrase dont l'expression dépassait sa
pensée, et il a ajouté en note quelques lignes qui sont destinées à
la rétablir.
Monsieur le Directeur,
M. de Vogué a publié dans la Revue (mars-avril 1889, pi. VIII, fig.
33) une lampe en terre cuite découverte à Carthage où figure le Christ
écrasant le serpent; à cette représentation est opposé, du côté du
bec de la lampe, un chandelier à sept branches. M. de Vogue,
d'accord avec le R. P. Delattre et M. le Blant, qui avait déjà entretenu
de cet objet l'Académie des Inscriptions [Comptes rendus, 4 888, p. 445),
y reconnaît « le. chandelier à sept branches renversé et foulé aux
» pieds en même temps que le serpent infernal, par le Christ vain-
» queur ».
Permettez-moi de m'inscrire en faux contre cette interprétation. Si
l'on regarde avec attention l'héliogravure publiée dans la Revue, on
se convaincra que le chandelier à sept branches n'est nullement
foulé aux pieds par le Christ. La figure crucigère est debout sur la
base du candélabre, qui lui est exactement opposée ; si cette double
image devait être interprétée rigoureusement, elle représenterait
bien plutôt la nouvelle loi appuyée sur l'ancienne, suivant le mot de
J.-C. : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes;
» je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » {Saint Mathieu, v, 17,
4 8.) Je crois cependant qu'il vaut mieux ne pas chercher si loin. Sur
une lampe africaine publiée par Y Annuaire de Constantine (1862, pi.
IX) et rééditée par Martigny (p. 408), on voit deux agneaux debout
sur des croix gemmées ; il ne s'agit pas là, évidemment, de l'agneau
qui écrase la croix, ni de l'agneau immolé sur la croix, selon la trop
ingénieuse hypothèse de Martigny : c'est la juxtaposition de deux
symboles chrétiens. La lampe de Carthage comporte une explication
analogue ; le candélabre a, en effet, été regardé par les Pères comme
le symbole de J.-C, de la croix et même de l'Église tout entière
(textes dans Martigny, p. 115) l,
1 II est vrai que le chandelier ne se rencontre dans les Catacombes que sur des
objets mobiliers qui ont pu être fabriqués pour des Juifs ; cela tient sans doute à ce
que le symbole, ayant été de bonne heure adopté par les Juifs, était évité par les
chrétiens, qui Pauront considéré comme équivoque. Les textes cités par Martigny
CHANDELIERS A SEPT BRANCHES 105
J'ajoute que je n'admets nullement, avec le R. P. Delattre, que la
nécropole de Gamart soit exclusivement judaïque: elle est judéo-
chrétienne. M. dp Vogué a d'ailleurs senti la nécessité d'une réserve
à cet égard {Revue, p. 185).
Salomon Reinach.
Nous ajoutons enfin deux dessins de chandeliers (nos 6 et *7)
JTTG
2?:2
trouvés dans le Khurbet Summâkha du mont Carmel et publiés
dans le Quarterly Stalement du Palestine Exploration Fimd,
1884, p. 41, et 1886, p. 8.
Isidore Loeb.
prouvent cependant qu'ils n'y voyaient pas un symbole hostile, et l'on comprend, dès
lors, qu'il puisse se rencontrer, bien qu'à titre exceptionnel, sur un objet certaine-
ment chrétien comme la lampe de Carthage.
BUT RÉEL DE LA CORRESPONDANCE
ÉCHANGÉE VERS LA FIN DU XVe SIÈCLE
ENTRE LES JUIFS ESPAGNOLS ET PROVENÇAUX
ET LES JUIFS DE GONSTANTINOPLE
Le regretté Arsène Darmesteter a appelé l'attention, il y a
maintenant neuf ans [Revue, I, 119), sur de prétendues lettres
échangées vers la fin du xv° siècle, entre les Juifs de l'Europe
occidentale et ceux de Gonstantinople, et dans lesquelles les pre-
miers exposaient leurs souffrances et les seconds leur donnaient
des conseils. La communication de M. Darmesteter ne nous avait
rien appris de complètement nouveau. Les deux lettres, comme
l'a fort bien remarqué M. Morel-Fatio (it>., p. 302), avaient, en
effet, déjà été publiées plusieurs fois, et par M. Amador de los
Rios, et par M. Adolpho de Castro et par M. Kayserling. Elles
existent en manuscrit dans plusieurs bibliothèques espagnoles
ainsi qu'à la Bibliothèque nationale de Paris (z*&.,p. 303). M. Morel-
Fatio les a également trouvées imprimées dans une sorte de recueil
d'anecdotes, de Julien de Medrano, La Silva curiosa, édité à
Paris, en 1583.
M. Darmesteter nous avait cependant fait connaître quelque
chose de nouveau et d'intéressant ; il nous avait montré que la
première de ces deux lettres existe en langue provençale et pré-
sente des variantes importantes. Jusque-là, cette correspondance
n'était connue qu'en langue espagnole. La version provençale n'a
pas encore été signalée ailleurs que dans l'ouvrage de J. Bouis, et
l'on ignore si elle existe également en manuscrit.
Aujourd'hui, personne ne doute plus de l'inauthenticité de ces
deux lettres. Du reste, M. Isidore Loeb a montré surabondamment
(dans Revue, XV, p. 262) les nombreuses maladresses qu'elles con-
tiennent. On admet également que la version espagnole de la lettre
BUT RÉEL D'UNE CORRESPONDANCE DU XV SIÈCLE 107
soi-disant écrite par les Juifs d'Espagne est plus ancienne que
la version provençale publiée par Bouis et qu'il» attribue aux
Juifs d'Arles. On est moins d'accord sur le caractère ou la ten-
dance de cette correspondance. M. Amador de los Rios croit
qu'elle visait un but sérieux, qu'elle cherchait à rendre suspects
les néo- chrétiens d'Espagne, en faisant supposer que leur piété
était simulée et qu'ils poursuivaient, en réalité, la destruction des
chrétiens et du christianisme. MM. Morel-Fatio, Darmesteter et
Loeb pensent, au contraire, que ces lettres sont l'œuvre d'un plai-
sant juif ou chrétien, et ils appuient leur hypothèse sur le nom de
Chamorro ou Chamorra, 'principe de los Judeos de Espana,
qui forme la signature de la première lettre : le nom de a Cha-
morro » rappelle, en effet, le mot hébreu Chamor « âne », ou peut
signifier « tête de chou ». A notre avis, ce nom même, quoique
fictif, prouve que ces lettres avaient un but pratique. Des docu-
ments qu'on n'a pas utilisés jusqu'à présent montrent d'une façon
certaine que cette correspondance n'était pas une simple plaisan-
terie.
Ces deux lettres se trouvent comme appendice dans un ouvrage
remarquable, Le livre vert d'Aragon (el Libro verde de Aragon),
publié en 150*7, par le secrétaire de l'Inquisition Juan de Anchi-
sas, et qui donne la généalogie et les diverses branches des fa-
milles néo-chrétiennes pour empêcher les vieux chrétiens de
s'allier avec elles. Ce livre a été détruit sous Philippe IV, et, au-
tant que l'on sait, il n'en existe plus qu'un seul exemplaire. Sen.
Rodrigo de los Rios a fait réimprimer cet exemplaire dans la
Revista de Espana (année XVILI, tome 105 et 106) ; les deux
lettres se trouvent au tome 106, p. 568. Le texte diffère peu de
celui qui a été publié dans la Revue (tome XV, p. 263 et, par
fragments, tome I, p. 121 et 302) *. Ces deux lettres sont accom-
pagnées, dans le Livre vert, d'une préface et d'un épilogue qui
en font connaître clairement la tendance. Ils montrent, en effet,
qu'elles ont été fabriquées pour engager le pape Paul III à ne
confier aucun poste dans la grande église de Tolède à des ecclé-
siastiques d'origine marranite.
1 Deux variantes sont particulièrement importantes et méritent d'être notées. Dans
tous les exemplaires espagnols, on a omis le passage où les Juifs sont engagés à
accepter le baptême. Ce passage est conservé dans Bouis {Bévue, I, l. c.) : t qu'ils
se lassent baptiser, dit-il, mais que leur cœur reste juif •. — Voici une autre variante
importante: « Hazed vustros hisos canonicos y clericos y tbeologos para que los pro-
fanen y destruyen su religion y templos ». Ce passage n'est complet dans aucun
texte, il contient cependant une pointe contre les Juifs, en faisant dire aux Juifs de
Constantinople que les fils des marranos élevés et préparés pour des fonctions ecclé-
siastiques doivent profaner leurs fonctions et détruire ainsi la religion chrétienne et
l'Église.
1C8 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Voici la traduction littérale de ces deux morceaux l :
« Le Maître Siliceo, archevêque de Tolède, était fils de parents vieux
chrétiens (de padres limpios), mais il était pauvre. C'est pourquoi
les Juifs, qui étaient les maîtres (satrapas) et chefs dans la grande
église de Tolède et qui, conformément à leur nature, considéraient
comme une affaire importante de persécuter des gens comme lui, se
mirent à l'outrager par des pasquinades et des paroles injurieuses,
et allèrent si loin dans cette voie qu'ils l'obligèrent de donner satis-
faction aux exigences de son honneur, d'ouvrir une enquête sur la
vie, la façon d'agir et les habitudes des Juifs et de faire connaître par
son témoignage leurs inclinations diaboliques, afin que tous les
hidalgos, dont les sentiments sont si purs et si élevés, fussent avertis
et ne pussent plus être trompés par eux. Il arriva qu'un jour, en
cherchant de vieux documents dans les archives de Tolède, il découvrit
une pièce scandaleuse et honteuse, c'est à savoir la copie et la tra-
duction d'une lettre que les Juifs d'Espagne envoyèrent aux Juifs de
Constantinople lorsque le roi Don Hernando, de bienheureuse mé-
moire, inspiré par le divin Consistoire, les expulsa d'Espagne. Dans
cette lettre, ils priaient leurs coreligionnaires de Constantinople de
les guider et de leur donner des conseils satisfaisants.
Cette préface seule indique déjà la tendance des deux lettres,
mais l'épilogue est encore plus explicite sous ce rapport. En voici
la traduction :
1 Comme ces documents, ajoutés en appendice dans El Libro Verde ne se trouvent
imprimés que dans la Revista et que cette publication est assez rare, il me paraît utile
de les donner ici en espagnol :
I. El Maestro Siliceo, Arçobispo de Toledo, fué hijo de padres limpios, aunque
pobres, por la quai, correspondiendo à su natural inclinacion, los judios que se
hallaron satrapas y canonigos de la Iglesia mayor de Toledo, haziendo su officio de
perseguir a los taies, intentaron, y de hecho pusieron en execucion, afrentarle con
pasquines y palabras injuriosas, hasta obligarle a satisfacer su honra y bacer inqui-
sicion de la vida, tratos y costumbres de los judios y dexar un exemplar y testi-
monio de su daîiada inclinacion, para que lodos los hidalgos, por su pura y sincera
condiçion, estuviesen tan prevenidos y que no pudiesen scr enganados de los taies ;
y assi, entre otros que hallo en un vituperio y vilipendio dellos, fué, que un dia,
reuoluiendo unas antiquissimas scripturas en el Archivo de Toledo, hallô una copia y
traslado de una carta original, la quai inuiaron los judios de Espana a los judios de
Constantinopla, quando el Rey de felice memoria don Hernando, inspirado del divino
Consistorio, los desterro de Espana, en la quai les consultauan el caso y rogaban les
diessen el consejo y acuerdo que mas les conuiniera, lo quai es del ténor siguiente.
IL Estas cartas fueron en parte causa que el dicho Arçobispo Siliceo recavase con el
Padre Santo, Papa Paulo tercero, que ningun çonfesso pudiese obtener beneficio
alguno en la Iglesia mayor de Toledo, porque el Padre Santo lo rehusaba mucho por
lo mucho que podian los judios en dicha Iglesia, que casi toda estava en poder dellos
por la mayor parte, como sus Arziprestazgos y Canonicatos y otras dignidades ; pero
vistas por el padre santo estas cartas y otras infinitas scripturas, que descubrian la
malicia é maidad dellos, concediô al dicho Arzobispo que contésso alguno no pudiese
tener canonicato ni beneficio alguno, como lo vemos por experiencia, que para hauer
de servir por escolano en alguna capilla de la dicha Iglesia, se haze probança de como
es Christiano viejo, tan auténticamente como se puede hazer para ser officiai del
Santo Officio.
BUT RÉEL D'UNE CORRESPONDANCE DU XV8 SIÈCLE 109
C'est en partie grâce à ces lettres que l'archevêque Siliceo obtint
du Saint -Père Paul III que nul juif converti au christianisme
(confesso) ne pût recevoir de bénéfice dans la grande église de Tolède.
Le Saint-Père avait déjà repoussé plusieurs fois cette requête, et les
Juifs, qui avaient entre leurs mains presque toute cette église, pou-
vaient y être nommés archiprètres, y obtenir des canonicats ou d'au-
tres diguités. Mais quand le Saint-Père eut vu ces lettres avec d'autres
documents qui révélaient leur ignominie et leur méchanceté, il con-
céda à l'archevêque Siliceo que nul juif converti ne pourrait recevoir
de canonicat ou quelque autre bénéfice. Nous savons, en effet, par
expérience que celui qui désire être nommé simple chapelain dans
une chapelle de cette église est obligé de démontrer par pièces
authentiques qu'il descend de vieux chrétiens, aussi bien que s'il
voulait se faire attacher comme officiai au Saint-Office.
Le prologue et l'épilogue semblent donner un renseignement
réellement historique, ils constatent comme un fait certain que
l'archevêque de Tolède a fait parvenir ses lettres à Paul III pour lui
faire adopter sa proposition et empêcher les néo-chrétiens d'être
appelés à une dignité quelconque, au moins dans la riche église de
Tolède. Les deux lettres, la question comme la réponse, sont rédi-
gées avec assez d'habileté pour produire l'effet qu'on en attendait;
elles devaient convaincre Paul III que la conversion de tant
de Juifs au christianisme n'était qu'une comédie pour détruire
l'Église. Paul III protégeait efficacement les marranos, il s'était
opposé pendant longtemps à l'établissement de l'Inquisition en
Portugal, avait toléré le séjour des marranos à Ancône et fermé
les yeux sur leur tendance à pratiquer le judaïsme. Comme le
montre le prologue, il s'était refusé à déclarer les néo-chrétiens
impropres aux fonctions ecclésiastiques. La prétendue corres-
pondance échangée entre les Juifs d'Espagne' et ceux de la Tur-
quie devait lui prouver combien il serait dangereux pour le chris-
tianisme de confier à de faux chrétiens des fonctions sacerdotales.
C'est, sans conteste, dans ce but que ces lettres ont été fabriquées.
Du reste, l'archevêque Siliceo dut compter sur la crédulité du
pape pour lui faire admettre que ces lettres avaient été décou-
vertes dans les archives. Car il parait singulier que les marranos
les y aient déposées, au risque de révéler leurs mauvais desseins à
toute la chrétienté ' : d'habitude, on prend plus de soin de cacher
des pièces aussi compromettantes. Quant aux faits mêmes rap-
portés par le prologue et l'épilogue, on peut d'autant moins en
1 L'auteur de la Silva curiosa a accepté légèrement et répandu l'affirmation de
Siliceo, qui déclarait que ces lettres avaient été trouvées dans les Archives. 11 a fait
précéder ces lettres de ces mots : Este caria siguiente lue hallada por el Eremitano
de Salamanca en los Archivos de Toledo [Revue, I, p. 303 ; XV, p. 263).
HO REVUE DES ETUDES JUIVES
douter qu'il fallait, en effet, prouver son origine purement chré-
tienne pour être appelé à une fonction ecclésiastique à la cathé-
drale de Tolède. Cette obligation, qui n'existe pas dans les autres
églises, n'a pu être prescrite que par un bref du pape.
Mais, s'il est certain que ces deux lettres ont été fabriquées dans
un but déterminé, il ne Test pas moins que le falsificateur était
l'archevêque Siliceo lui-même ou, comme on l'appelait aussi, le
cardinal Juan Martinez Guijarro. Il avait composé, en 1547, un
écrit intitulé : E statut o de limpieza, c'est-à-dire « Statut pour
démontrer la descendance sans tache d'ancêtres vieux-chré-
tiens ». Cet écrit avait également pour but de faire refuser les pré-
bendes et bénéfices dans la cathédrale de Tolède à ceux qui
n'avaient pas une origine purement chrétienne. M. Adolfo de Cas-
tro avait déjà fait valoir l'argument que nous venons d'invoquer.
Dans ce Statut, dont le P. Fidel Fita a publié un extrait [Boletin
de la real Academia de la hisloria, 1887), Siliceo ne s'est pas
gêné de commettre une erreur historique. Après avoir affirmé
que les Juifs ont été les plus grands ennemis du Christ, que leur
haine contre lui et ses serviteurs (les prêtres) s'est perpétuée jus-
qu'au temps présent et que la sainte Inquisition doit brûler tous
les ans, dans ces pays, ces faux chrétiens et leur imposer des
expiations et des mortifications, il ajoute qu'il n'y a pas long-
temps qu'à La Guardia, un enfant d'environ huit ans a été cru-
cifié par une tourbe d'hérétiques1. C'est volontairement cer-
tainement qu'il donne ici une date fausse, car le procès relatif à
l'enfant de La Guardia avait eu lieu vers 1490-91, c'est-à-dire
depuis plus d'un demi-siècle. L'archevêque-cardinal ne l'ignorait
certainement pas, car les pièces du procès devaient alors encore
exister. Il avait donc l'intention de tromper le lecteur, de lui
faire accroire que ce crime avait été commis tout récemment par
des néo-chrétiens et qu'il pourrait se renouveler chaque jour. Si-
liceo s'était servi de l'affaire de La Guardia comme argument
contre des membres estimés du chapitre de Tolède qui s'oppo-
saient à l'exclusion des ecclésiastiques d'origine marranite. La
polémique soulevée sur Cette question ainsi que la lettre de
Paul III, qui intervint dans cette affaire, se trouvent dans un
ms. (Fidel Fita, ib.). Or, celui qui, dans un but de polémique, n'a
pas craint de falsifier un fait historique, peut parfaitement avoir
été capable, dans un but analogue, de fabriquer ces deux lettres.
Que dit le prologue? Que Siliceo a recherché des documents pour
se venger « des satrapes et des chanoines » de l'église qui étaient
1 É de poco tiempo aca... crucificiaron â un nino. . . circa de la villa de la
Guardia.
BUT RÉEL D'UNE CORRESPONDANCE DU XV SIÈCLE 111
d'origine juive, qui l'avaient injurié et avaient composé des pas-
quinades contre lui. Cette correspondance était également une
espèce de pasquinade contre les faux chrétiens, ses ennemis :
œil pour œil, dent pour dent.
La méchanceté de cette falsification se fait jour dans le choix du
nom de Chamorro, dont la première lettre est signée. Ce n'est pas
du tout un nom de fantaisie, c'est le nom d'une famille marranite,
comme le prouve clairement le Livre vert. La famille néo-chré-
tienne Clémente, très estimée dans l'Aragon, avait pour aïeul
Moïse Chamorro. Un des fils, Felipe Clémente, était protonotaire
du roi catholique d'Aragon, et il avait eu un fils, Miguel Velasquez
Clémente, qui lui avait succédé, à la cour, dans sa dignité. Felipe
Clémente fut jeté en prison par l'Inquisition, qui l'obligea à faire
pénitence le 30 juin 1503 l. Ce fait est rapporté également par le
cardinal Mendoza y Boabdil, auteur du livre El Tizon de la
noUeza de Espana. Dans cet ouvrage, le cardinal montre que
bien des familles nobles d'Espagne sont d'origine juive, et il dit :
« A cette cour se trouvent des petits-fils de Felipe Clémente, qui
était un fils de Moïse Chamorro, qui lui-même était un converti. »
Ainsi, des descendants de Chamorro étaient encore au xvie siècle
dignitaires de la cour. Cette circonstance a dû engager le falsifica-
teur à signer la première lettre du nom de « Chamorro, prince
des Juifs. » Il voulait ainsi prouver que même les membres de la
famille Clémente, qui étaient regardés à la cour comme des chré-
tiens orthodoxes, étaient aussi faux que tous les autres néo-chré-
tiens. D'après ces lettres, en effet, leur aïeul se serait plaint que lui
et ses coreligionnaires eussent été contraints d'accepter le chris-
tianisme, et il aurait reçu du représentant des Juifs de Constanti-
nople le conseil de se convertir en apparence au christianisme ou
plutôt de se faire chrétiens dans le seul but de profaner et de
ruiner l'Eglise et, en général, de nuire au christianisme. Donc, si
Chamorro a accepté le baptême, c'est dans une intention crimi-
nelle et, comme le prouve la lettre de Constantinople, il a légué à
ses enfants l'ordre de faire du mal aux chrétiens par toute sorte
de moyens, comme médecins, pharmaciens, commerçants, ecclé-
siastiques et notaires. Le choix du nom de Chamorro était cer-
tainement un trait habile. La fin de la réponse est également très
adroite : « Ne vous écartez pas des conseils que nous vous don-
1 ~El Libro Vcrde, dans la Eevista, ib.y p. 256: Mosseh Chamorro, judio de Çara-
goça, el y su niujer se hicieron Christianos y huvieron un hijo, entre otros, clamado
Felipe Clémente, el quefue Protonotario del rey catholico el quai huvo un hijo olmado
Miguel Velasquez Clémente que succedio en la casa y en el oficio de su padre. El
Protonotario Felipe Clémente estuvo preso por la Inquisicion y fue penitenciado en
a seo de Çaragoça a 30 de junio 1503.
112 REVUE DES ETUDES JUIVES
nons. Vous verrez que vous vous élèverez ainsi de l'abaissement à
la considération ».
Il est donc évident que ces lettres ont été fabriquées en Es-
pagne. Tous les points traités dans cette correspondance ne s'ap-
pliquent, en effet, qu'à ce pays, où les Juifs avaient le choix
entre la conversion et l'expulsion, où ils sont parvenus comme nou-
veaux-chrétiens à amasser des richesses, à exercer la médecine,
à devenir prêtres, avocats et notaires. L'époque est également
choisie avec habileté, c'est le moment où Ferdinand le Catho-
lique a expulsé (1492) ou se prépare à expulser les Juifs et pense
ainsi d'un côté à les pousser au baptême et, d'autre part, à s'em-
parer facilement de leurs richesses. On sait, en effet, qu'ils ne
purent emporter ni or, ni argent.
Il est permis de conclure de ce qui précède que les lettres pu-
bliées par Bouis et écrites dans l'idiome d'Arles ne sont conformes
ni à la vérité historique ni à la situation des Juifs de cette con-
trée. Comme la réponse est la même dans les deux textes et que
la demande est identique dans bien des parties, un de ces textes
est certainement l'original et l'autre la copie. Or il me semble
hors de doute que la version d'Arles a été faite d'après le texte
espagnol. Le texte d'Arles se trahit comme une simple copie par
l'addition faite au nom de Chamorro des mots de : RabMn des
Iuzions de Arler lou 13 de Sabbath 1489. Y avait-il donc égale-
ment un Chamorro à Arles ? Y était-il rabbin ? Dans le texte es-
pagnol, ce Chamorro n'est pas rabbin, mais « principe » des Juifs
d'Espagne. Il semble donc évident que la version d'Arles a tout
simplement conservé le nom de l'original espagnol. D'ailleurs, ce
que les lettres disent de la contrainte imposée aux Juifs pour se
faire baptiser et des fonctions élevées, même ecclésiastiques,
dont les nouveaux convertis étaient revêtus, ne peut s'appliquer
ni à la France ni à la Provence. Et quel est le roi de France qui
aurait obligé les Juifs d'Arles à se convertir? Toutes ces cir-
constances prouvent que la version d'Arles n'est qu'une repro-
duction provençale du texte espagnol.
Dans le livre de Bouis, cette correspondance est également pré-
cédée d'une préface qui en explique l'origine par un événement
historique. Mais c'est un pur anachronisme. La préface dit, en
effet, « que les chrétiens d'Arles, exaspérés contre les Juifs, les
menacèrent de les jeter dans le Rhône. Pour gagner les bonnes
grâces des habitants de cette ville, le roi Charles VIII expulsa
en 1493 la race maudite du territoire. » Cette dernière date aussi
est fausse, car les historiens de la Provence placent l'expulsion
des Juifs de cette région en l'année 1498 (Depping, Les Juifs dans
BUT RÉEL D'UNE CORRESPONDANCE DU XVe SIÈCLE 113
le moyen âge, p. 209). La préface ajoute que déjà deux ans aupa-
ravant, et même plus tôt, sous le règne de Louis XI, qui les
chassa également de son royaume, avant qu'il ne fût encore de-
venu comte de Provence, les Juifs, se sentant menacés d'expulsion,
avaient demandé conseil à leurs coreligionnaires de Constanti-
nople. Au point de vue chronologique, toutes ces assertions sont
absurdes. Deux ans avant leur expulsion de la Provence, c'est-à-
dire, d'après la préface, deux ans avant 1493, on est en 1491.
Mais alors comment auraient-ils pu demander déjà conseil en
1489? Et que vient faire ici Louis XI? Ce roi ne vivait plus à
cette époque : il est mort en 1483 et il n'avait eu la Provence
qu'après la mort du roi René, en 1481. Mais la date indiquée
dans la correspondance même est fausse également, car le roi
qui a eu la Provence ne peut être que Louis XI. Or, ce roi n'a
nullement chassé les Juifs de la Provence, ils n'ont été expulsés
de cette contrée que par son fils Charles VIII, en 1498. Mais alors,
à quelle époque les Juifs d'Arles ont-ils été poussés par les me-
naces d'une expulsion à s'adresser aux Juifs de Constantinople ?
Le texte d'Arles présente encore d'autres inexactitudes histo-
riques. D'abord il raconte que le roi leur a donné le choix entre
la conversion et l'exil, et ensuite il dit que les chrétiens d'Arles,
d'Aix et de Marseille leur ont pris leurs biens, ont détruit leurs
synagogues et leur ont infligé toutes sortes de mauvais traite-
ments.
Il résulte de toutes ces erreurs de faits et de dates contenues
dans la version d'Arles qu'un Provençal, ayant sous les yeux le
texte espagnol, l'a copié et a placé per fas et nefas les événe-
ments qu'il relate à Arles ou en Provence. C'est ainsi que le roi
d'Espagne est devenu un roi de France. Mais comme Charles VIII
se montra assez indulgent pour les Juifs lors de leur expulsion
de la Provence et que, par conséquent, on ne pouvait pas lui
appliquer le passage relatif au roi dans le texte espagnol, on
ajouta dans la copie que les habitants d'Arles, etc., commirent
des violences à l'égard des Juifs.
Apparemment, les deux textes ne contiennent que des pièces
fabriquées, mais tout indique que c'est la version espagnole qui
est l'original. Les griefs énumérés s'appliquent parfaitement au
roi d'Espagne, qui oblige, en effet, les Juifs à choisir entre le
baptême et l'exil, leur ravit leurs biens, détruit leurs synagogues
et leur fait endurer encore d'autres souffrances. Ces plaintes ne
sont formulées dans la première lettre que pour permettre au
falsificateur de mettre les conseils abominables de la réponse dans
la bouche des Juifs baptisés.
T. XIX, N° 37. 8
114 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
La version d'Arles ne pouvait certainement pas avoir la même
tendance que le texte espagnol. Dans quel but a-t-elle été fabri-
quée ? pourquoi diffère-t-elle en partie de la version espagnole.
Celle-ci, on le sait, a été rédigée pour être remise au pape
Paul III et lui arracher des mesures d'exception contre les ecclé-
siastiques d'origine juive. Rien de pareil n'a certes donné nais-
sance à la copie d'Arles. Il est à remarquer que le livre de Bouis,
où la première des deux lettres est écrite en provençal, a été im-
primé par un ecclésiastique à Avignon en 1641. Les variantes
que présente cette lettre semblent avoir été inspirées parla situation
particulière des Juifs dans le territoire d'Avignon. Par suite d'une
inconséquence, les papes toléraient encore des Juifs à Avignon
alors que ceux-ci avaient déjà été chassés deux fois de la France
et, en 1498, de la Provence. Cette tolérance froissait certains
ecclésiastiques, et les plus fanatiques d'entre eux ont sans doute
pensé qu'il était de leur devoir de la faire cesser. C'est pour cela
que la falsification espagnole a été falsifiée à son tour à Avignon.
La correspondance avait pour but de montrer la méchanceté des
Juifs et la haine dont ils étaient poursuivis par les chrétiens de
Provence, elle devait engager le pape à traiter les Juifs d'Avignon,
ce blasphème vivant contre le christianisme, comme ils avaient
été traités par le roi de Provence et la population d'Arles.
Bouis, l'éditeur de cette lettre, paraît aussi être l'auteur des
variantes. Il n'a pas manqué de parler, dans son livre, de l'expul-
sion des Juifs de la France et d'une partie de l'Allemagne, et de
rappeler que les Juifs avaient crucifié un enfant chrétien à Trente
en 1474 et un autre à Venise en 1477 {Revue, I, p. 123). Par
erreur, il donne le nom de Simon à l'enfant tué à Venise, tandis
que ce nom appartient à l'enfant assassiné à Trente. Il écrit ceci
à la fin : « Et le pape Sixte IV mit cet enfant, qui s'appelait Simon,
au nombre des saints martirs. » Le pape a, au contraire, défendu
la canonisation de cet enfant « Sixtus quintus encyclis per
Italiam datis vetuit ne puer Simon pro sancto haberetur et cole-
retur » (Annales ecclesiastici, de l'année 1475). Un menteur est
bien capable de falsifier. Bouis a probablement falsifié la première
lettre de la version d'Arles de même que Siliceo a fabriqué toute
la correspondance du texte espagnol. Par noUle fratrum. Ils
ont un autre trait de ressemblance. L'archevêque de Tolède a
cité comme preuve de la méchanceté des Juifs le prétendu
meurtre de l'enfant de La Guardia, et le prêtre d'Avignon a rap-
pelé contre eux le non moins prétendu meurtre de l'enfant Simon
de Trente.
H. Graetz.
EXTRAITS
DE
L'ANCIEN LIVRE DE LA COMMUNAUTÉ DE METZ
Le catalogue des manuscrits de Carmoly, 2°, n» 18, contient une
sèche indication disant que le Livre de la communauté israélite
de Metz se trouvait dans la bibliothèque qu'il a laissée. Grâce à
l'obligeance du possesseur actuel du manuscrit, M. Salomon
Schloss, de Londres, j'ai pu réaliser mon vif désir de voir ce mo-
nument historique. Il est vrai, ce que j'ai eu sous les yeux n'est
qu'un misérable fragment de ce qui a dû former autrefois le con-
tenu de ce Livre, mais toutefois ces débris contiennent encore des
renseignements suffisants pour augmenter et confirmer les notices
que nous possédons sur plusieurs points importants de l'histoire
de la communauté israélite de Metz. De l'ancien in-folio, il n'est
parvenu à M. Carmoly que treize feuillets écrits souvent sur le
recto seulement et même quelques-uns seulement sur une partie
du recto. Des procès-verbaux des élections il n'est resté qu'un
feuillet, dont le texte commence au milieu d'un procès-verbal.
Les feuillets blancs, entre lesquels M. Carmoly a fait insérer les
pages du manuscrit, ne sont là que pour nous rappeler la perte
irréparable de ce qui manque.
Le temps, l'affaissement produit par les persécutions et l'igno-
rance, qui semblent avoir conspiré contre les monuments de notre
histoire, ont exercé surtout leurs ravages contre les anciens
livres des communautés. On avait consigné dans leurs pages, avec
un soin qui dénote presque un sens historique parfaitement cul-
tivé, tous les incidents de la vie communale, tous les événements
historiques, les fluctuations les plus légères comme les courants
les plus puissants de l'histoire contemporaine. Les Archives de la
communauté étaient leur ictvaÇ opîs, le Livre par excellence.
116 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Mais au lieu de conserver celui-ci avec le même soin qu'on mettait
à le rédiger, on le laissait tomber en ruines, pourrir jusqu'à
destruction complète, dès qu'on l'avait remplacé par un nouveau.
Il en fut de même pour les MemorUœh. De là vient qu'un peuple
qui aurait dû posséder plus que tout autre des inventaires spéciaux
et des sources historiques, est devenu si pauvre en matériaux
historiques.
LA CONSTITUTION DE LA COMMUNAUTÉ DE METZ 1699-1702.
S'il était permis de reconstituer l'organisation de la commu-
nauté de Metz d'après l'unique page qui nous a été conservée des
procès-verbaux électoraux de l'ancien Livre de la communauté,
voici à peu près le tableau qu'il faudrait en tracer :
« Un collège électoral de quarante membres était nommé par les
contribuables de la communauté. Ceux-ci choisissaient dans leur
sein un corps électoral de onze membres qui nommaient, ordi-
nairement à la fin du mois d'Ab, pour une durée de trois ans,
l'Administration delà communauté. Celle-ci se composait de douze
membres, cinq administrateurs et sept assesseurs. A partir de
l'an 1702, ce nombre paraît avoir été réduit à neuf; dès lors on
ne nomma plus que quatre administrateurs et cinq assesseurs. En
cas de décès dans le cours d'un exercice, les onze électeurs se
réunissaient trente jours après la mort pour élire un remplaçant.
Le serment que prêtaient les élus lors de l'entrée en fonction
portait aussi sur les statuts de la communauté auxquels il leur
était défendu de toucher. Seul le collège des quarante pouvait
établir de nouveaux statuts. Une commission spéciale de neuf
membres était chargée d'y veiller. L'exécution des statuts était
confiée à un comité de cinq personnes, qui semblent avoir été
chargées en même temps du contrôle des comptes de la commu-
nauté i.
Les deux collèges avaient pleins pouvoirs pour l'exécution de
leurs décisions et l'Administration était obligée de les seconder à
cet égard, sans restriction.
1 Primitivement il y avait aussi un comité de rédaction des statuts, composé de
douze personnes et un comité exécutif de neuf membres. Ab. Cahen, Annuaire de la
Soc. des É. J„ I, 97, note 2 ; Revue, VIII, 257 et 258, note 1.
EXTRAITS DE L'ANCIEN LIVRE DE LA COMMUNAUTÉ DE METZ 117
ïl y avait aussi une commission spécialement instituée pour la
protection de ceux des membres de la communauté qui n'avaient
pas encore acquis le droit de séjour ; cette commission comptait
sept membres.
Quand des nominations extraordinaires étaient nécessaires,
par exemple quand il s'agissait de désigner quelque personnalité
influente ou une députation devant intervenir auprès des auto-
rités ou à la Cour royale de Paris, les membres de l'Administra-
tion étaient tenus de s'adjoindre, lors des séances qui avaient lieu
en vue de ces nominations, quelques membres pris dans le sein de
la communauté. Celui qui était désigné par l'élection était obligé
d'accepter le mandat ; on n'accueillait jamais de refus en pareil
cas. Aucune indemnité ne pouvait être réclamée pour la perte
de temps et les efforts déployés.
Quoique la période que ces procès-verbaux électoraux nous
permettent d'étudier soit fort courte, il nous est cependant pos-
sible de reconnaître une certaine fixité dans les élections. Isak
Ahron, que nous trouvons en tête des élus, est Aron Worms, le
rabbin de Neuf-Brisach et de Mannheim qui plus tard s'était fixé
à Metz, où il acquit une position très influente dans la commu-
nauté, dont il devint l'administrateur. Son érudition lui valut
plusieurs fois l'honneur de devenir le suppléant du rabbin1.
Abraham b. Meïr Schwab ou Schwob, appelé aussi Grumbach,
était sans doute le plus riche et le plus influent parmi les Juifs de
Metz. Il était le gendre d'Élia Gomperz d'Emmerich, le fondateur
de l'école talmudique de Metz. — Jacob b. Mardochée Israël est le
fils de ce Mordechaï qui se distinguait à la fois par son érudition
et sa grande fortune et dont le vrai nom était Sùsskind Israël,
mort au commencement de l'année 1640 2.
L'administrateur Abraham Speier est aussi mentionné dans les
mémoires de Glùckel Hameln 3. Quand elle se rendit de Francfort
à Metz, en l'an 1700, pour y épouser en secondes noces Hirtz
Lévy, Liebermann Halberstadt était un de ses compagnons de
voyage ; ce dernier allait rendre visite à son vieux père Abraham
Speier, administrateur de la communauté.
mb^nran rsra inabï-n toTi-fà wn wvd uns fcjpDirt nwr û5
iravïN nstrrm 'idn '"nna hiaipaa in î-id yn nainbfipa s-mab
irnbnpT s"n BjTVxm 'w bnpn rpo^n Yvwn !"i""P ^b^n
1 Kaufmann, Samson Werthcimer, 90, note 1, et Die letzte Vertreibung dcr Judeii
ans Wien, p. 225, note 1.
* Revue, VII, 217.
3 Cod. Merzbacher, 91, 164 b.
118 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Birth nwnrcîi ma^ODb a^aian avaria ftr»« aiirria î-mn *îwqp
fczniaa in s-nb^nn taitfîa ibttînm bab itûviû irna b3? baitt
t]M tanrna *na* nm t-iûvio '^a» ïws ^ba tannai n"n awo
ù"sri biba i-i"-«"j 'n tzm taaoïri ai. *j53T imab y*in 'Wtt taa
.b"Dïi p"ab
a'nittN «"•«ïi MWia nanij p"ab ûwan bnba a""> 'n ar> d"pna pa
aTa mbssn issm 'n n^3> nsm m^i^a-i wia ïiiattb a-nattii
broa nhu^p hiw ^tw *itt)3> a*w aïrb* ttrap'w ta^isn V:
n^STO bvwtt a-iii ij^îti trôna twan J-na^n antt ïsï-m aro
■Y'ntta «yOTn y""1 na^au; tai-na** Ynrtà tt^fli Via ■pïia
n"-iïia y^pm b"sa y-nn *bnto Tnna tokti *"© y^ft -is©^
Yhïta tpbNn imbtip ^aiu *towa TOaiai ^"të 'pEï-u tamaa
patpïn *nb ap3>^ Ynîra rpbNi-n n^tio ban^ "Witt i"nïn!Qa apjn
p^brau** "ï'nïia rpbNî-n y"-> ■jna ^a^n t'-iïts Epbam -nb btv ies
uauînabîi apt» n"irta tpb«n *"© *\^ny apjn i"nna tpbaïii b";o
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i*"> ï-wmph bïipn spwib arriî y^an caaab piwm rréMœ a^a
ï-r-iï-î^a bfiniai wa yaip^a ^ ûïts n« yw Nbn v»«* tarrba
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n^aa w^tt pi&a njaiaan b"3r: rvfittrwi ûîT»b3> ibapi w*pi dren
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aiiiaN *i"*#b yinpm y"^ in^du: anna^ n^-ina »«»id,<ti ma in!i«
■^arj '^3^03 ï-itï^m y^ "jïia uja^n n7/nna ^ib^m ■»"« -jNaaiia
C|ib«m >*«ttt b^-iu:^ ^n» n^nirr^a ap^^ n"nïtt r^nb^rr i^nbnp
n"ina tjibHni v*» ^^^r ap^ n"nna rjnbNï-r b"5o p^bpta^a "V-ina
"iDiia ^a-i^n ib« ^'-îû '^ïtssm y^~ n"»s Bpbwn LûLD^-iabn apr
Jrm^n ^nna mani i^nbnp ">aita "t3>ti— lait:^ ntonMi b"aîi
b'^arr rt"on T^n n"-i t^a^n anjnœ ^ pî ^uj^d br ta^i^p abia
V72^n aaab pnn^i n^b^û a^^a 'n yanrn bnuja^ ba?j uikw tau:n
n?< ttîqi e^bi i^^duj^ tsïr^bN i"**' i-i©T7prt bïipn a^ïisinb ta^iiV
. 173ô< iawa innn^a bisn^-« ini3 yanp^tu *iy an^a
1 = ïl^^ïl "W^p, d'après Nombr., i, 16 ; dans les écrits du xvii6 siècle et plus
lard, le yod, à la fin des mots, est très souvent remplacé par un h€.
EXTRAITS DE L'ANCIEN LIVRE DE LA COMMUNAUTÉ DE METZ 119
imaw) irafc '^inn '"ninafcîn nar '"nûà* n""1 '^baii ^sto dddin
bdtt innn ta'nna iManai tzanar^a lasamaiû Va*"1 Nattai '^da^s
n"oii mwripa P twnpatt nan baa nwi* dïïiptta ùmaa aip^a
TNttd i-n^pi-ï inb 'w ï— tuDnnpî-ï ^Nffia in a-nna mmpba in
. tnptti
taa^pb fcananata fin bibab V'sri lû"ia "ifiibafi fca^iniï aa
fca-nttd ta-^aa s-ianttn B"a* lapine trsipnït ba ptnbi nuîNbi
in tanaa na*! av^a taïTS inns-» a*bn Y'sr twipn ^ba>a a^iato
^dibwxn wia -oa ittï^S'û d^anpnïi ^3 na* ntû^ra dnbid d^anpn 1:0
iniN ba> rwœi-jb tsntïd d'naaa* ï-73>aia larron Y'ar ûtos» d^ana
■wn taan^a J-nu^n "isanh wi ia*a Fï^wa» rnptn fca^b ■pwa
™ttnrr in w»» d^aipn ^bj>a yn fcaîrd na* Frnsa'nD ■*»« ma^awi
bp?a taîib 'TH tMipnïi bd ba> maras-ib î-raitab lattmra tar^aa
iza,o,nn» m-na £|nd \rrm ^ bdb fc-ntûwi nrsaa rpab S-wism
iba?a d"a» dot nu:a* d^aian t-iTsairs bd y-w^b-i prnb fao ta"ia!-r
■ppTi toiw ad^b na^i taïus -na^r j^bi b"aa taa^îrpaîUfc in ta^anpn
/^dd in
l"n ina"* ta»© V'ajF d^idaN d^a^ia* krsnbNh ^na daoïïi da
tara'nrraiB &y»ïtb aa^au} ï-uab^rt !pn "Tar ïa"ia d^siba*;-; "jtt ina*
*jnn tpaaô b"aii V'afci tf'ia iYna tanTEa aa^aaa* n'^ aa^ban
b*mrt t"a» nfcram ddirw d'naaa* d^ana* 'wbwi iwb d"p a*nabti
iman i^nnn -in» 2^avj in dans *nab aa^-itta aa^aa* «"i aiiiaa
aa^iria* b"ibïi da> wnb "iwa ssspn t-nir* ma1*» iaha nu aa-ian
, dïiii awa t»ït nu:N
an^atpïri ^enb^ln itfa 'ba"dn dria^a Va •ji'ûîN'nïn d"p ïitïi di^di
toïrba» ibapT i?a^p"i dnan ù^i^i t-iiain ï— rcatt d^mn n"a^ û"ib
b"ai-: bd na ■nuJNbr d^pb i-ran?aNai pniia ia>au5ai b"aii s-nsttnnn
. 1»n mE b^î^^ab iab '^n^ d^ït ti^n t]pm bda
, b"T banu^ qav i"mïi»3 n^driïi a^n N"aba i^^n pn^ d^a
nN^au) b7,24t ntiît1 praf ^"nîinîa "ja d!-naa rpM
aNnia b"t n^N)a n"n |a dïrnaN d^a
y^a)a y7,a «a^i ^in ppîi d^a
fcnttt ^"n b"T bNTia^ ^di^^a n',fcîïntt "jin^^î i7aN"Nb p api>->
3 a7/dn
V'TlV^p tjor 'n^bN ^"nii «"«a dip^b^
1 d^anm d'Wns.
8 La forme imta = 'b^Ip!^ "'aiU et, ainsi la lecture bîlpÏT ^lÛNI au lieu du
bilpîn IdN1! est parfaitement juste et prouvée par la prononciation. Chaque individu
était désigné par le nom de sa classe ou de sa catégorie. C'est pour cela que chaque
membre d'une communauté exilée signait : itfJTiaiQ ou ^ttTna/Qft, ^blA ou iblSE-
3 C'est une coutume assez répandue d'ajouter l'année de la signature au nom du
signataire.
120 REVUE DES ETUDES JUIVES
b"ï ^pifc* )W^ Y'nï-î N"Nbn ypy*
II
R. ABRAHAM BRODA, RABBIN DE METZ.
Je savais déjà (v. Samson Wertheimer, p. 89, note 2) que
R. Abraham Broda était encore rabbin à Prague en 1*709 ' et qu'il
n'occupa son nouveau poste de rabbin de Metz que vers le milieu
de cette année. La certitude absolue sur ce point nous est fournie,
d'une manière aussi décisive qu'inattendue, par le contrat ou
décret conférant cet emploi, document qu'un heureux hasard a
conservé dans le fragment de l'ancien livre de la communauté de
Metz. Nous y voyons d'abord que le contrat entre la communauté
de Metz et son rabbin R. Abraham Broda n'a été conclu que le
17 Hesvan 1708. Par l'énumération des conditions du contrat, ce
document nous donne de la mission, de la sphère d'action et de la
position du rabbin de Metz un tableau si précis qu'il en acquiert
une valeur historique très grande, non seulement au point de vue
de l'histoire de la communauté, mais de l'époque elle-même. .
En effet, la communauté accorde tout d'abord au rabbin
R. Abraham Broda, nommé par le libre choix des 80 membres de
la communauté ayant voix élective, la pleine juridiction rabbi-
nique. Il avait le droit de faire admonester publiquement à la syna-
gogue ceux qui étaient rebelles à ses ordres. Toutefois il ne
pouvait user des moyens coercitifs de l'interdit qu'après entente
avec l'administration, qui s'engageait à donner force légale à ses
ordres et à ses décisions.
Le traitement annuel du rabbin s'élevait à 750 livres ou 250
thalers.
Pour chaque contrat de mariage il était dû au rabbin, tant par
le fiancé que par la fiancée, 1 thaler, n'importe l'endroit où le
contrat avait été rédigé, et quel que fût le rédacteur.
Pour tout mariage de gens appartenant à la communauté de
Metz, sur une dot s'élevant jusqu'à 400 thalers, il recevait 2 tha-
1 Lel6Iyar 1709, il donnait encore à Prague son approbation aux tp"p ttîN"! n'YtÛi
Francf. s. O., 1709.
EXTRAITS DE L'ANCIEN LIVRE DE LA COMMUNAUTÉ DE METZ 121
lers ; sur une dot de 400 thalers et au-dessus, il recevait 4 thalers.
Pour la remise de leur douaire aux veuves, le rabbin recevait,
pour le serment préalable, sur une somme de 1,000 thalers,
3 thalers ; sur une somme de 1,000 à 2,000, 6 thalers, et sur des
sommes plus fortes encore, 8 thalers.
Pour les divorces et les renonciations au lévirat, outre la taxe
précitée fixée pour la prestation du serment, il y avait encore à
payer au rabbin 10 thalers.
Pour l'audition des témoins dans les procès civils, chacune des
deux parties avait à verser 3/4 de thaler.
Pour la collation de la dignité de Haber, qui ne pouvait avoir
lieu qu'avec l'accord préalable de l'administration de la commu-
nauté, il fallait lui payer 6 thalers. Cependant dans certains cas la
communauté pouvait réduire cette taxe.
Cette dignité ne pouvait être conférée à personne que deux ans
après son mariage, afin d'assurer ainsi la continuité du zèle dans
les études. Même ceux qui avaient déjà reçu ce titre de rabbins
allemands ou polonais ne pouvaient en obtenir la reconnaissance
officielle avant ce délai et devaient payer la même taxe au rabbin.
La communauté fournissait au rabbin et à sa famille un loge-
ment convenable, digne de ses fonctions, et l'exemptait de toutes
contributions et de tous impôts à payer, soit à l'État soit à la com-
munauté.
La communauté s'engageait aussi éventuellement à laisser le
logement, en cas de décès, à sa veuve et à sa famille, qui jouis-
saient aussi du bénéfice de l'exemption d'impôts. En même temps,
la communauté s'engageait à garantir solidairement le rabbin
contre tous attaques et risques'pouvant le menacer par le fait de
son entrée en fonctions. Sans son consentement, la communauté ne
pouvait permettre ni à un étranger ni à un indigène de prêcher,
de même il ne pouvait donner lui-même cette autorisation sans
l'assentiment de l'administration.
Dans les procès civils et les procès pour injures, le plaignant et
l'accusé ont le droit de récuser le rabbin comme président du tri-
bunal, même quand il s'agit d'orphelins et de veuves. En ce cas
le plaignant n'a pas besoin de s'adresser au rabbin, il demande à
l'administrateur de service du mois ou aux autres administrateurs
de faire comparaître son adversaire.
Cependant il peut demander au rabbin de faire citer son adver-
saire par le bedeau de la communauté, devant un autre tribunal,
et le rabbin est forcé d'y prêter la main. Si l'accusé ne veut pas
que le procès soit plaidé devant lé rabbin, il faut qu'il le déclare
de suite au bedeau qui le cite à comparaître. Une fois que le rab-
122 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
bin a été accepté, il ne peut plus être récusé. De même le rabbin
ne peut plus être récusé quand on lui a demandé de faire compa-
raître la partie adverse, sans mentionner que le procès doit avoir
lieu devant un autre tribunal.
Les contrats s'élevant j usqu'à 25 thalers sont j ugés par le rabbin
seul, sans qu'aucune des parties puisse lui adjoindre un assesseur.
De même, les parties ne peuvent le récuser, à moins que le rabbin
ne soit leur ennemi déclaré au su de tout le monde. Les frais du
jugement ne sont payés par les parties qu'après l'expédition du
jugement.
Lors de l'établissement de nouvelles institutions qu'il faut pu-
blier en édictant la peine de l'interdit contre les transgresseurs, il
faut que le rabbin ait pour cela l'assentiment préalable de l'admi-
nistration.
Lors des jugements prononcés avec l'assistance de deux asses-
seurs, les frais du jugement qui n'étaient payables qu'après la ré-
daction du jugement sont partagés en trois parties égales.
Pour les transferts de maison et pour les significations d'actes
on paie 3 livres ; pour des places au temple, un demi-thaler. Les
transferts sont faits par le rabbin et deux administrateurs. Cepen-
dant il n'est pas délivré d'actes à ce sujet, on se borne à faire
apporter par le bedeau de la communauté le livre foncier où les
droits des intéressés sont déclarés abolis, en vertu de leur signa-
ture, ou par le tribunal l.
Le rabbin doit être le père des orphelins et des veuves jusqu'au
moment où, après entente avec l'administration, un tuteur aura
été institué, ce qui doit avoir lieu dans le délai strict de trois mois.
Lorsqu'il était stipulé expressément dans un testament que le rab-
bin et l'administration ne devaient pas s'ingérer dans les affaires
des veuves et des orphelins, le testament était exécuté sans que
l'administration pût y rien changer.
Contre ceux qui sont rebelles à ses ordres ou qui agissent contre
sa volonté au sujet des décisions prises par lui, ou par son tribu-
nal ou tout autre tribunal, le rabbin a le pouvoir exécutif et
fait proclamer publiquement les arrêts à la synagogue. Cepen-
dant il' ne peut recourir à l'excommunication qu'après entente
avec l'administration.
Le rabbin est tenu de faire ses conférences d'école aussitôt après
1 Dans les grandes communautés, il existait autrefois de ces livres fonciers synago-
gaux dans lesquels les possesseurs des places du temple étaient indiqués. Un frag-
ment.d'un de ces livres, se trouvant en possession de la coinmuaauté de Prossnitz,
en Moravie, date du milieu du xviie siècle. Voir Kaufmann, p. 186, n. 4.
EXTRAITS DE L'ANCIEN LIVRE DE LA COMMUNAUTÉ DE METZ 123
les offices du temple, pour permettre aux membres de la commu-
nauté d'y assister.
Pour faciliter l'étude des Saintes-Ecritures, la communauté en-
tretient un certain nombre d'étudiants talmudistes dont le nombre
est fixé chaque année par l'administration.
Le rabbin est également tenu de réciter tous les jours de se-
maine, après l'office du soir et le samedi après l'office de Mous-
saph, un chapitre de la Mischna.
Le rabbin a pour mission de veiller avec soin à toutes les ques-
tions religieuses et rituelles intéressant la communauté, de guider
et de maintenir la communauté dans le vrai chemin de la loi
mosaïque. Chaque semaine il doit examiner les enfants de l'école,
inspecter les maîtres; tous les deux mois, le sabbat où on pro-
clame la néoménie, il doit prononcer un sermon, outre les ser-
mons des fêtes et les discours de circonstances. Enfin il doit faire
avec assiduité les conférences journalières.
Les honoraires du rabbin, son traitement annuel ainsi que ses
autres recettes ne peuvent être augmentés ni par l'administration
ni par le Comité électoral, sous peine d'une amende de 200 louis
d'or et de l'excommunication majeure. La même peine est encou-
rue par toute administration ou tout comité qui proposerait seule-
ment cette augmentation.
Quant à une nomination pour une durée de trois ans seulement,
nomination renouvelable, par conséquent, après cette période, le
contrat n'en dit pas un mot (V. Catien, Revue, VIII, 261).
Comme nous le rapporte Glùckel de Hameln, dans le VII0 livre
de ses Mémoires, R. Abraham Broda n'exerça ses fonctions à Metz
que peu de temps, mais d'une façon très brillante. Son activité ne
démentit pas la renommée qui l'avait précédé. Même ses adver-
saires, qui tenaient pour R. Gabriel Eschkeles,'passèrent avec en-
thousiasme de son côté. On lui avait fait une réception si extraor-
dinaire que Glùckel Hameln en parle comme d'un événement
notoire. Pour le loger convenablement lui et les siens, on lui fit
bâtir une maison neuve, dans iaquelle il faisait aussi ses confé-
rences talmudiques. Glùckel n'a pas cru devoir en dire davantage
de sa personnalité, de son érudition et de ses bonnes œuvres,
parce que tout le monde les connaissait suffisamment. Il imprima
à l'étude du Talmud dans la communauté de Metz une impulsion
toute nouvelle et fit de la diffusion de la science juive sa tâche
la plus chère, même sa tâche exclusive. Il prit sous sa surveil-
lance les enfants qui n'avaient rien appris et les instruisit d'une
manière vraiment remarquable. En voyant cette entente parfaite
existant entre le rabbin et la communauté, résultat des services
124 REVUE DES ETUDES JUIVES
rendus et des témoignages d'égards mutuels, nous ne pourrions
guère nous expliquer la résolution subite prise par R. Abraham,
après une période si courte, si le fragment de l'ancien livre de la
communauté de Metz ne nous apprenait que ce tableau plein de
lumière et d'éclat avait aussi ses ombres. La décision de la com-
munauté du 1er Adar I de Tan 1712 contre le misérable insulteur
du rabbin honoré de tous, Meïr b. Juda Loeb Bonn, montre que
les avanies ne manquèrent pas à R. Abraham Broda de la part
de ses adversaires. Cette agression contre le rabbin fut res-
sentie comme un crime pesant sur la communauté entière.
L'administration, composée de neuf des principaux membres de
la communauté, se réunit en conseil avec dix des plus érudits
talmudistes pour décider de quelle manière cette faute devait
être réparée par le délinquant. Meïr Bonn était confus et repen-
tant; néanmoins il fut condamné à la privation de toute fonction
pendant dix ans ; il lui fut défendu d'exercer pendant trois ans la
juridiction rabbinique et il dut pendant un an occuper une place
au temple au-dessous de l'Almemor. Au lieu de la condamnation
méritée à trente-neuf coups de fouets, il fut condamné, en outre,
à payer 39 thalers. Ce qui fut le plus pénible, ce fut l'insertion
de cette décision dans le livre de la communauté, où elle s'est
conservée avec les dix-neuf signatures des juges. C'est cet évé-
nement qui a dû provoquer chez R. Abraham Broda la réso-
lution d'accepter les fonctions qui lui étaient offertes par une
autre communauté. Dès l'année suivante, il se trouvait à Franc-
for t-sur-Mein *.
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1 Horovitz, Frankfurter Rabbinen, II, 79 et s.
EXTRAITS DE L'ANCIEN LIVRE DE LA COMMUNAUTÉ DE METZ 125
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m^an nobo ib rrîr ta^n^ ^"^ in m^n "i^aara»n t^siri !ia^^
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126 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
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D^Nnti nvamto d^ato ba?a aana irmabi inasbi dana ima laabi
î-td™ î-ie batt aYa^n aa-^tai dY^an ûYaia> "piaa abtai "piaa
ïi"n^ rmtanb in fir* bnpb yn . nmnb absn nanb bar
toa* Ifniaa'iïi "întaab *jnYa n*ar bnpri ta^arrna m?aa abi ^na
i-ïarinto V3^ ^ '^n w ^ Tiaaa ïw rtmaab» wtt a"a ba
tD^p?a ba>3 î-rm^sbi iTisaïab tana-nma taaai "pïï p"p me "inb
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d^-nanan dYnaiaa baiï fw a-in pbab amarra 1"& bttpfi dan
i"£i bnpm i^a s-naann n>artf3 rba» laïa-na Y'n mp^tti s-naaon
nîb ï-ît d^aia» art
atam in rm« fcntab mta"i }mb î"^ ^P^ n"i^"i î-W1 ab
Y'a^ Yaab r-ntm î-nm ab aai Y'a&tti niffll ^ba ta-^a^a ta-nnb
far bnpn m«n Y: a a™ ditab d^a-ia ta-mb "jmb
a-£p ab Va^b "ittYa tfanaii in a>ainn pi nns ba Ta mttTïi
fnatttt wa -jn i-nattban û^w ^3 Ya->aa ta^bta nri-ib rba' f^a
bicaYa arma ia^ Y'awïi rb'a> auî-» abtû nttiN jainn dNi m»ia in
a^aana "nwa *pa 1* 'tftoîi Va p-i *pb -i^i-art 'paînia i"afi«a miûn
Y'ab r^arnb ta m ■*"* Y'awa mtm np^b ma mtzîn aai d^taan
•j-iib nz^ Nbta 'hwin banane dwsai rrrcn In^b a^in^ Y'aNSm nn^
Misna dNa pis ta7atab t]a\n ina>1 mbab a^in» ^tn Y'na Y'aa ^aab
tana np^b d^ taai nboab bia^ ia\N aiia Y'aaï-ï taan^ba» ibapta
•jTib ïirhffl î-ibnn a>^in r<bi ynb i^an "pftïï-ib shiusn T'asïa
la^btab ipin mmb ^Ntan na^N aita ^rtN l'a ^aab
na: taaita ysi ^m 'ji'ib ^"a^ï-î a^in» ta"-i s-nasam d^ntra» ^a»
t^b dN nbaab bia^ iaa d^ ^n taaa ib^N )^i tar^ a^iïib bia->
paaM -«ni |mb £2"»a^n7a ywi ^ba^arr ■j-'jsn iwNai^ ^imuj aa-naTata
paa^ dnnvT ana^u: "ir
in t^nbtt "îiattb Niiita ^aipn tpn ipnb d^i"i Y'^ bnpn dN
d^aortb a^iriTa anna dii^aa^ d^aa"1 Y'-ia iwawD dimi ^tidn» rçD*nwi
diN dita d^nnbT miab m\a-i i"aNb y^i dïi^a> dinnb dai hr^y
Y'3ti bnprî rDaaana aa ^a
d^paaïi 1731 pbrt^ ibara a^a^i ^ata da» pia aayp i"aNttï a^a
poan i»i tabtab û^a^-inîa p*»n ^ba^a ji«i ïntaa ït«b a^pbn ntabtab
d^a^iïi ba?a ainm anna paari n^n^ia v
-atn ^"aa n"!73ip73 V3"> ^^^ /;; ^^pîni taa^na nrjbn -ia\a.
1 =iaTinoa-ian.
EXTRAITS DE L'ANCIEN LIVRE DE LA COMMUNAUTÉ DE METZ 127
lA^tttttt b'niûa a^ as> Ta^rt "paon nfcnnrp rrcabniiii ban' a"n
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lattrvta i^ anpaa> b:> matûiib maTabai a^irv ia« '^v faNfi
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fcaa inbiï aiar^at* t-nvab tzpavn?.] tww Snrobtt ^inno imN"1
mauanb n'ar bnp in -fa» a*nab nvm 'ijt aôia irvab a in mar
pn vpa^a bba rrsiaî-ib r-nian ib "p« -»tn vrvattban vttirv ^para
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•pnb aab ana*na ittb^&n "pTa^a tpab îwarn bp?a **rv Y'aab
nbaza vai 'lira ar^n a* p T733fc*a rjui fna p paan a^pb in
tnvBai mia-aa ba t-ma^b nna< Y'aa poaan paan d^pb "pna ffl
b"aa i*ati b-prt aii nwia a"a ana BTta d"nm ab "pa nnana
fc-wap nna spTi b^n ba b^a ^b^b arma ma Y'a&tfi ■paar:
anfctab a^arnta a^Taib d\na iba>an asu: ^a wfcbn na^icb n"a?a
vbe niTabb n*n anapb d^bia-> d^n ErpbN "nai vbm
^aa *ût* bripr? d"j> 'tv n"^n irnbnpa p*nrpia n^n -mna n^a
'•^ijoibi smn p-tnïib ïi*idïi ^sbi )i2tn ^aa ban ûïtw nwi
mb^an nna< spn nvaraw "ina pns insabb V'na Vaan ann» aa
cpva mb^an ara nnaô tp^n p"u; avai i»va dr ^5a n^V
bbaa ta^ra^ ba b* t-i^ana înrau:ïi in^b a^nn» V'na ^"a^sn
nn^'m ma\s ■niOKtt "na-naab rjo^prt nrn-rn m^ib jr^»n Lnam
liTibnp aijronbi V3T"> n^ "^ rtbioan [i. bpabi] pbabi n^^ nn^ab
ainnio aa bônt5ii r-natt ma irrmn m*i ^9 b* t=ujn ^nia n"^"1
rr^a b© mpnrm an^an bia a^papa im-nbi mpnb n^iao baa
to^in ira ba to^a-ia tainnb t=ai ■yTil ^npa b^ n^'anb-i "jan
•jiïîrn ûtïi tniannb antD rmiamn ^aba la^in ©Ni ^ssbuî naïaa
nan ntai bN-iu:^a mir y^anïib "na ta va av ^» ïia-»\a^a TOnnbi
n'^a i?3N bNvrr n^ab
■•«•np a"a >p*y»aa n"^ lû"id a^aiban ^aa aaain b"an ba b:n
1*5^ la^nbrtp mip^ a"a a^aaia Ejio^ln a"3> n-i^ainu: n"^ î-n»
nvr^attîn ipnaa b^ ib tpainb l'w qia\Nb in bnpb mian ^»w
■«me ^Nia b^ tr^ainb in ï-raiaa t-iatta iin« ipnaa ^aiarj p b"ar-r
aïob van n"nai înpTatb nfin \sib mara ^au: aapa b"an ca^nam
b"aa na'r im^a nai dnu: na^ib rjia^N d"iu:b in Sis "nsia in n"na
^b a*im tannn n« mcas"1 Nb aapn i2'"n b"aa tannai aapa
u"id !-i"ï-ï "^d^ kèi b"a- ba aayb bav in^ aaprr trou mcaD"»
a"a tjioiNn 17a ■nnaimo tavTaa a^aN n'^-j n^n t]in^a Y'ar
» = T> n?a->nna.
128 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
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^icris b"3£î ■'ibrr m 1211a a"ab p fnaa «b a"on
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1"aa i"13 r^nia taiiia^ i"ima t3aoiisa;i busn "paun iî^n
ira '^biîbn taui ù^iaia pn ^baa vd i3>di i"ri i3Tibiipi a"m
isa-ani pa , aabua fints 3>atta abi i^pîi b? imbamb ^ini «b
nwar nbnpn 'w^a ^ons israp "arn '^snbNïî n"n aaïaab masa
ysbn *pia i"ina spbtfii is^iii i"ki i^nbnp ^iaib SjTman
i"ina jpbNm "vun apan i"iîia ïpbNm "nb -oiia i"in2 ïpbfittn
misa^b p^a i"iîia spbN!-n pa ^»na Yina spbwn ya^a yi^
ïpbaim "aanta l'wa i"iïia Bpbaïn baniana 22!ii2N i"ina spbNïri
p'-ipibi yub ,y33>baNp iya« i"iro tpbKï-n 22123? yi^n i"irra
hy rainbi rbb:*a "nsa ib^aanbi b"3ïi lia i\sa i"iïia biû is^a
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i"a "ja D"WD !ia2 rtnna rap^ai 'irnanm a-nnan 13322 lab hN
-«D2 nibav biaab aistt i3ina nast* b3> ba^p dm i"i3 ^"aa "p^ii
nui an io''3> i3D5<a Karn 10312a isbpn 2"r a"n isnaa ns* ira
r^îbi navibïipa ^i3^a taira ib '*tv s^bo b"3ïi yo i\Na i"iïia b:*
-paaa manpara 121 aairab t^bi bripr» pora lai aaitab spnst?
nït Nbi . 2^3U5 siï5b«5 ^u:a2 tfùrn miûb N2^ Nbi . ûi^na û^ïj nnu^y
na^ab^na rrjab pi la^ab^ïi ia nb3>ab 2"m diuj2 2^^b niasi ib
jm aa ♦ 2^212 tzionsb nia m^D32 "»naa 1^12^ a^ . tzrna nn» n3t5
CDmai . i^T-ip ï-iïîan a"n ba -û"-\ î-iy«rn d^^b© mpba ii^isb
Tda bp 112^^1 n^ii i"n t=N2 iaui Mima b"3M i^a i"itd
Mi3U vhy ib^b^-« ^tn i"i3 bilan *jiN:n bu: 111222 n? t2i^Db
raiD"> 3»nau) taNi .MNu:b bai^ rxb ion d^p a^D3ua ta^i^ixi
■jiiïîni niN n"i 'a 'vb ms b"32 rt^oKa ma23 niawîii .ib tz^si^
. p"Db n"->a V'u l'^n
iT^ai^n iin« prûf di^3
y^aa y7,2 oa^i ^iin ppn diéo
^ib p^bu^s.
a'^n u^oiabM ap^">
b"2it N-na ap3>^ i"iina N"Na li^po^T tiuj
b'^î «^iï!"" t|DT» i,/nna2 ibn&a
ûû^bo ^ibrr £]Dr i"a yi^m
ina *;abT nabo
EXTRAITS DE L'ANCIEN LiVRE DE LA COMMUNAUTÉ DE METZ 129
b"T nsii© bifrnaM n"nrn?D p tup» -3N
■pçbn V't tmwt dîtd« *p 'JTp
b":o b"T rp-p '^ba n"nn n'n p wro
KTW1 b"Kï bafâTO n"nr; K"«ba ap:p
y^to b"r ■d©** n"nn n"îa a"Nb p y-p- ""brisa'
ca^bjos . . y"D oa^i ni» n"nr: p ïi©-iît dïtok
s "m
jmMrb ■ps^a TO73 tpT nn para pnsf
bamB'na û^bo kyiït nn dïma
b"^T to» s|ot^ 13 ypn •in&a fp?i '«a
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n"rn
b"£T BPÎtt SpJT .^bM3 nw"Tït3 m553f! K"«3 ya3>ba«p )WnW 'p~
a"2n
III.
FRAGMENT D'UN PLUS ANCIEN LIVRE DU LA COMMUNAUTE DE METZ.
Le fragment du livre de la communauté de Metz nous a conservé
un petit extrait d'un livre plus ancien, qui, outre l'intérêt et la
valeur qu'il offre par lui-môme, montre en même temps quelle
mine de documents historiques a été perdue par la disparition
d'un pareil livre. Cet extrait consiste en une décision des admi-
nistrateurs de la communauté de la fin de l'année 1645, consignée
sur le verso du procès-verbal de réception du lundi rrYn yvctm
nos btD de l'an 1717. en vertu duquel Salomon b. Mosé de Fùrth
fut nommé premier ministre-officiant de la communauté messine.
Sans doute en répétant cette ancienne ordonnance, on voulait lui
donner une nouvelle vigueur.
Grâce à l'admirable et ancienne coutume du judaïsme ordonnant
de secourir les nécessiteux sans enquête approfondie de la part de
la communauté, il peut arriver facilement qu'on abuse delà charité
publique et cela du fait de gens qui peuvent se suffire. Aussi, en
1G45, fallut-il édicter que les héritiers de ceux qui auraient eu
recours sans nécessité aux sociétés de bienfaisance de la commu-
nauté seraient obligés de rembourser les sommes indûment reçues
par le défunt. Par l'auteur de ce règlement, nous savons le nom
du rabbin de cette époque : Saùl Juda b. Mosé Naftali. Dans l'his-
toire du rabbinat de Metz de M. Abraham Calien (Revue, VU, 210),
T. XIX, N° 37. 9
130 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
le nom de ce rabbin, que Carmoly avait déjà cité à sa véritable
place, dans les Annales de Jost, If, 76, manque; cependant Car-
moly ne le connaissait que par le Memorbuch de Mayence où Saùl
Juda exerça plus tard les fonctions de rabbin et où il mourut. Le
passage de l'ancien livre de la communauté de Metz qui nous a
été ainsi conservé nous fournit le premier témoignage de l'acti-
vité que ce rabbin a déployée à Metz ; c'est en qualité de rabbin
de cette communauté qu'il signa ladite ordonnance, vers la fin
de l'année 1645.
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David Kaufmann.
DOCUMENTS
SUR
LES JUIFS DES ETATS PONTIFICAUX
Les recherches auxquelles nous nous livrons sur les Juifs des
Etats romains nous amènent quelquefois à la découverte de
documents très curieux. Le texte suivant, concernant la permis-
sion accordée à un Juif de Ferrare d'épouser deux femmes, nous
paraît intéressant à connaître.
Henricus etc Camerarius.
« Tibi Moysi Merlino hebreo in civitate Ferrariensi commoranti
viam veritatis agnoscere et agnitam custodire Sancta Mater Ecclesia
hebreos in memoriam Passionis Domiaiea) inter Cristianos versari
suisque ritibus et moribus uti tolérât ut aliquando resipiscentes
judaica cecitate abiecta ad verarn Gristi lucem convertantur; cum
itaque iuxta eorum consuetudinem ab immeiisurabili tempore citra
observata de qua nobis sut'ficienter constitit, liceat hebreis qui cum
sua uxore per deceonium permanserunt et ex ea filios non susce-
perunt illa vivente aliam superducere, Tu qui ut asseris cum
Morosilla tua uxore non solum per decem, sed per viginti circiter
annos permansisti et ex ea nunquam filios procreasti, minusque ob
ejus sterilitatem procreare speras et juxta dictam consuetudinem ea
vivente ac et ut dicilur consentiente aliam uxorem ducere illamque
una cum ipsa Morosilla retinere cupias ne propterea te dcsuper a
judicibus chrislianis moleslari contiagat nobis humiliter supplicari
fecisti ut tibi super hoc de opportuno remedio providere dignaremur,
nos itaque tuis huiusmodi supplicationibus inclinati de maodalo
Sanctissimi, et auctoritate etc.
Tibi ut etiam eadem Morosilla vivente matrimonium cum alia
muliere hebrea juxta hebreorum ritum, morem et consuetudinem
hujusmodi contrahere et iu illo remanere libère valeas, nec proplerea
132 REVUE DES ETUDES JUIVES
realiter vel personaliter a quoque molestari queas per présentes
quantum cum Deo et sine peccato possumus tolleramus et tollerari
debere mandamus, stricte propterea inhibendo mandantes Reve-
rendis Prioribus Dominis ejusdem civitatis Ferrariensis ac quibus-
vis aliis episcopis eorumque in spiritualibus vicariis nec non
Gubernatoribus presentibus et aliis tam ecclesiaslicis quam secula-
ribus et temporalibus judicibus officialibusque Barisellis executo-
ribus, subexecutoribus aliisque quibuscumque justitiee ministris
sub mille ducatorum auri Caméras Apostolicee inferendorum et in
subsidium exeommunicationis et censuris ecclesiasticis aliisque nostri
arbitrii pœnis ne te autsecundam quam ducisuxorem preemissorum
occasione quomolibet impediant removentur vel molestent vel in-
quiètent. Alioquin etc. Irritum nihilominus decernentes quicquid
secus fiet super his a quoque quavis auctoritate scienter vel igno-
ranter attentari contingerit, non obstantibus constitutionibus et
ordinationibus apostolicis ac legibus imperialibus ceterisque in con-
trarium facientibus quibuscumque. Datum Romse in Caméra Aposto-
lica die septima mensis decembris 1590. Pontificatus sanctissimi in
Christo Patris et D. N. D. Gregorii XIII Papse Anno Primo.
Henricus ' Cardinalis Camerarius 2. »
Cette autorisation n'est pas un fait isolé ; on en trouve beaucoup
d'autres du même genre. Nous en reproduisons une ci-dessous,
qui se trouve dans un chirographe de Grégoire XV, du 12 mai
1623.
e Ci ha fatto esporre Salomone del quondan Giuseppe Toscano e-
breo in Roma, cbe, avendo egli facoltâ di qualcLe considerazione e non
avendo nessun figliuolo, nemmeno da venti anni in qua ne ha fatti
Giammilla sua moglie, desidcra per aver successione di pigliare
altra moglie etiam viventedetta Giammilla. E perô ci ha anco fatto
supplicare a volergliene concedere licenza e venendoei riferto esserc
stato fatto per ilpassato da atcuni altri ebrei, con la présente ordi-
niamo a voi che concediate a detto Salomone la licenza di poter pi-
gliare un' altra moglie, vivente la prima, etiam senza consenso di
detta prima, purche la seconda che piglierà si ritenga fuoridi Roma,
mentre vivra la detta prima, e questo con le clausole solite apporsi
in simil licenza, sopra di che gliene spedirete le patenti opportune,
non ostante qualiasi costituzione e ordinazione apostolica e ogni
altra cosa che facesse in contrario a quali tutte per questa nostra
deroghiamo. Dato nel nostro palazzo di Montecavallo il 12 maggio
1623, Gregorius Papa XV. »
Le chirographe ci-dessus mentionné a été expédié au pro-
1 Cet Henri est le camerlingue et cardinal Caetani.
a Archives des États romains. Diversorum del camerlingo, vol. XXXI, fol. 28.
DOCUMENTS SUR LES JUIFS DES ÉTATS PONTIFICAUX 133
camerlingue cardinal Marc-Antonio Gozzadini, qui rédigea les
patentes d'exécution, le 19 mai 1623, en édictant une amende de
1,000 ducats d'or contre quiconque mettrait empêchement à l'exé-
cution dudit ordre. Le document se trouve à la page 102 des
Diversorum de 1623 (Archives des Etats de Rome).
Derrière la signature de Gozzadini, sont apposées les signatures
suivantes : « Domenico Cecciiini, auditeur ; Fonchia, secré-
taire ».
Ces pièces n'indiquent pas la somme exigée pour ces sortes
d'autorisation, mais il est certain qu'il fallait payer pour les
obtenir.
Les Juifs, à cette époque, s'occupaient spécialement de prêts
d'argent et de prêts sur gages. A Rome, il y en avait plus de
soixante qui jouissaient de ce privilège ; en vertu de ce privilège,
ils n'étaient justiciables d'aucun tribunal, excepté de celui du
camerlingue. La formule de l'autorisation d'exercer le prêt sur
gages était la suivante :
a Henricus etc. Camerarius.
« Sanctissimo et Reverendissimo Domino meo sanctissimi D. N.
Papee in aima Urbe ejusque districtu Vicario et illius vicegerentibus
ac locumtenentibus nec non reverendissimis patribus Dominis
almee Urbis preedictee Gubernatori et vicecamerario, curiarum came-
ree apostolica3 generali auditori, nostris eorumque locumtenentibus
et ejusdem urbi senatori et cameree ipsius urbis conservatoribus
curieeque Gapitolii et appellationum capitaneo nec non Ripee, Ri-
pettee, Burgi, Turris nonee et de Sabellis ceterarumque dictée urbis
curiarum judicibus ordinariis et extraordinariis nec non gabellario
maiori nuncupato ejusque officialibus et ministris ac Dohanarum
Ripee, Ripettee, grasciee, et mercium dictée urbis Dohaneriis ac vice-
dohaneriis administratoribus et ministris dictarum curiarum nota-
riis nec non Barisellis, capitaneis executoribus et Justitiee ministris
ceterisque ad quos spectat et présentes nostree exbibitee vel ostentee
fuerint. De mandato etc. et auctoritate etc. Ac ex mero officio nostro
tenore presentium sub mille ducatorum auri Gameree apostolicee
inferendorum et mandati executivi ac in juris subsidium sub cen-
suris ecclesiasticis aliisque nostro arbitrio pœnis stricte inhibemus
et inhibendo expresse precipimus et mandamus ne abhinc deinceps
audeatis seu presumatis aut aliquis vestrum audeat seu présumât
in quibusvis causis ad cuiuscumque personee etiam fisci instantiam
contra Danielem quondam Moyis de Tybure hebreum bancherium in
urbe commorantem aut ejus filios ejusque agentes factores famulos
et ministros seu aliquem ex eis ratione exercitii fenoris et pecu-
niarum pereos seu aliquem ex eis tam super pignoribus quam ad
scriptura sub fenore mutuatarum et mutuandarum ac pignorum
734 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
quorumcumque per eos pro eorum pecuniis ad fenus ut prœfatur
mutuatis et mutuandis receptorum et recipiendorum ac rerum qua-
rumcunque eorum bancum feneralitium aut ferions exercitium et
pignora huiusmodi quomolibet concernentia sive ab eis dependentia
et emergentia tam civiliter quam criminaliter motis et movendis
etiam sub eo quod executionem obligationum in forma cameree de-
super factarum et faciendarum contra eorum debitores coram nobis
pétant et consequi curent et consequentur et ex officio vestro aut
aliter quomolibet procedere seu vos ingerere intromittere aut raan-
datum aliquod in personis seu bonis contra preedictum Danielem
ejusque filios et alios prœdictos aut aliquem ex eis relaxare sive
eos super premissis aut sub pretextum assertee pense per eos aut
aliquem ex eis ut a vobis forsan pretenditur incursee vel incurrendee
ex eoque non tenuerint sive non teneant bilancias mercium pondéra
etstateras ad quasvis mensuras et quantus teneant aut tenerevelint
pro eorum scandalio sub pretextu quod non sint sigillatse sigillo
dicti gabellarii aut alio quovis pretextu et quovi colore per vos vel
alium seu alios et vigore cuiusvis mandati ad instantiam fisci seu
partis vel ex officio aut alias desuper relaxati vel relaxandi realiler
nec personaliter aut alio quovis modo molestare vel executionem
aliquam realem vel personalem contra eos facere audiat. Prœdictus
Daniel Moysis praedicti ac omnes alii bebrei bancherii in urbe rési-
dentes ratione pramissorum sunt soli nostree jurisdictioni subiecti
et a cujusvis alterius judicis et tribunalis juris dictione liberi et
exemptietut nobis exposuerunt huiusmodi bilancias, marcos, sta-
teras et pondéra non nisi pro eorum scandalio retinere et cum eis
nec vendere nec emere oonsueverunt et propterea ad illa retinenda
non tenentur. In quorum etc. Datum Romse in Caméra apostolica
die prima aprilis 4591, Pontificatus S. D. N. Gregorii papae XIII anno
prima.
Henrigus, Gardinalis camerarius l. »
Pour les Juifs établis hors de Rome, la concession était ordi-
nairement faite pour une durée de dix. ans ; pour les Juifs de
Rome, le temps n'était pas fixé et l'autorisation devait être renou-
velée fréquemment.
Beaucoup de Juifs se distinguèrent dans l'exercice de la méde-
cine. La patente suivante est très instructive à ce sujet :
« Licentia medendi*
« Tibi Moysi Alatino spoletano tuoque filio Bonaiuto hebreis
artium et medicinee doctoribus veram fidei agnitionem et sanioris
consilii spiritum humilibus nomine vestro nuper nobis porrectis
precibus inclinati ac de fide idoneitate et experientia vestra quo ad
1 L. c, vol. XXXI.
DOCUMENTS SUR LES JUIFS DES ÉTATS PONTIFICAUX 135
a ne m medendi fatis super quod informati ac et moti leslimonio
Reverendissimi Domini vicarii episcopi nec non et jumi Pretoris
Givitatis Ferrarise nonnullorumque nobilium et fide dignorum
virorum ejusdem ci vitatis vobis propterea specialem gratiam facere
volentes, de mandato et auctoritate etc. vobis qui publicœ Christia-
norum utilitati in Themistii versione olim incubuistis ac nunc et in
canonis Avicennœ versione assidue incumbetis artemque mcdiciuœ
et medendi multis jam retroactis annis probe et diligenter (utacci-
pimus) exercuistis et quam plures infirmos vestra opéra et industria
altissimo Favente ad sanitatem restituistis ut egrotantibus in vobis
confîdentibus tam Christianis quamHebreis in dicta Givitate totoque
Dominio serenissimi Ducis Ferrarise, ipsius Ducis ad hoc accedente
consensu medelas ad eorum sanitatem profuturas dare et prestare
possitis et valeatis indulgemus ac licentiam et facultatem conce-
demus et impartimur stricte propterea inhibendo mandantes Rmo
Domino dictée civitatis Ferrariœ episcopo ejusque in spiritualibus
et temporalibus vicario generali omnibusque aliis ad quos spectat
seu spectabit quomodolibet in futurum ne sub mille ducatorùm auri
Caméra) apostolicee inferendorum et in subsidium sub censuris
ecclesiasticis aliisque nostri arbitrii pénis vos super huiusmodi
medendi exercitio sub pretextis quod in Christianos infirmos curam
geritis vel alias contra presentium literarum forma ipsos Christianos
infirmos vestree curas comendatos ad quorumvis etiam medicorum
chiistianorum vel aliorum instantiam quomodo libet realiter vel
personaliter molestare, inquitare, vexare, perturbare vel remorari
audeant vel présumant aut eorum aliquis audeat vel présumât sed
eos licite et absque ullo scrupulo a vobis curari posse volumus et
mandamus, alioquin etc., quibusvis Constitutionibus et ordina-
tionibus apostolicis ceterisque contrariis non obstanlibus quibus-
cumque. In quorum, fidem etc. Datum Romse in Caméra apos-
tolica, die sexto mensisjulii 4592 pontificatusClementis papee8 anno
primo.
Henricus cardinalis camerarius, auditormartini l. »
On sait que la communauté juive de Rome devait payer au
Capitole une taxe annuelle de 1,130 florins, à l'occasion de cer-
taines fêtes athlétiques, en compensation de la dispense accordée
aux Juifs de l'obligation de se livrer à des courses pendant les
réjouissances populaires. Toutes les communautés moins impor-
tantes des États pontificaux devaient contribuer à cette taxe,
ainsi que les Juifs d'Avignon, de Carpentras, de Liste et de
Cavaillon. Ceux-ci refusèrent plusieurs fois de payer leur quote-
part. La lettre suivante explique la manière dont se faisait la
perception de cette taxe :
1 Arch. de l'État romain. Divasorum, vol. XXXIV, 1° 32.
136 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
« Federicus etc. Procamerarius
« Universis etc. salutem in Domino.
Noveritis nuper nobis in Caméra apostolica expositum fuisse pro
parte Universitatis hebreorum almee Urbis commorantium quod li-
cet ad solutionem summee pecuniarum quam ipsi singulis annis
senatui, Populoque Romano pro festo Testacci et Agonis ut moris
est solverint universi et singuli ulriusque sexus hebrei in statu
Ecclesiastico ; et prœsertim in Givitale Avenioni, Garpentratii, Lilla,
etGaviglione degentes pro eorum rata, seu quarta contribuere et
concurrere consueverint , tamen nonnulli ex ipsis diversimodo
subterfugientes eorum quarta seu rata contribuere récusant, seu
diflerunt et prolrahunt, quod factum est ut pro consequendis pecu-
niis huiusmodi Isach de Ariccia et Raphaelem pariter de Ariccia
hebreos presentium ostensores eorumque nuucios ad hoc expresse
destinare cogantur.
Et propterea cupientes pecunias- pra)dictas quanto citius mi-
norique fieri possit dispendio consequi, nobis humiliter supplicari
fecerunt ut eis in prœmissis opportune providere dignaremur. Nos
itaque huiusmodi precibus moti considérantes eosdem exponentes
difficiliter ut prœfertur solvere posse, nisi ipsi etiam ab aliis ut
consueverunt exigant propriœque eorum indemnitati et commoditati
ut par est providere volentes, de mandato et auctoritate etc.
Vobis omnibus et singulis supradictis et vestrum cuilibet in soli-
dum habere série precipimus, et sub 500 ducatos auri Cameree apos-
tolicse applicandos aliisque ecclesiasticis sententiis censuris etpœnis
stricte precipiendo mandamus. . . et post quam pro parte dictœ Uni-
versitatis per eosdem Isach et Raphaelem de Ariccia latores presen-
tium super hoc fueritis requisiti, aut aliquis vestrum fuerit requi-
situm, universos et singulos hebreos in locis Jurisdictionis vestrre
et cujuslibet vestrum subiectos degentes ad prsedictEe Universitatis et
pro ea preefatis Isach et Raphaeli presentium ostensoribus ratam,
seu quartam pecuniarum per Universitates seu hebreos eorumdem
locorum dicta de causa respective solvi solitam etiam summarie
simpliciter et de piano absque aliqua tela judiciaria cum effectu sol-
vere omnibus viis, factis, et facti remediis opportunis, etiam per
segregationem a sinagoga, carcerationem et arrestationem, et si
hebrei ipsi in huiusmodi solutione morosi fuerint, Universitas he-
breorum cujuslibet loci quee morosa fuerit eisdem ostensoribus pro
expensis victus julios quinque pro quolibet die si Universitas ipsa
sive Givitatis sive Oppidi aut alterius inferioris loci fuerit, qua?
ultra scula quinque solvere debueri t.
Si vero minus scutorum quinque preedictos solvere debuerit pro
uno die, tantum postquam présentes nostrse eis per eosdem osten-
sores intimatœ fuerint re ipsa, et cum effectu ad solvendum cogatis
DOCUMENTS SUU LES JUIFS DES ETATS PONTIFICAUX i:.7
et compellatis etc. Alioquin elc. Datum hoc die 20 octobis 1647.
Jacobus Antonius. Serperius Auditor1. »
Le camerlingue nommé ci-dessus était le cardinal Frédéric
Slbrza.
Dans la collection que nous compulsons, nous trouvons aussi
une lettre d'absolution, pièce très curieuse, en latin, que nous
donnons ci-dessous en abrégé :
« Par ordre exprès du pape, nous absolvons les Juifs de Rome
de tout crime, excès, transgression et délit, grave et énorme, en
exceptant seulement ceux de lèse -majesté, homicide, faux-
monnayage, comme des contraventions aux lettres et bulles apos-
toliques; nous voulons que personne ne les moleste, en réservant
le droit d'agir civilement à la partie lésée. Les ministres et prévôts
de Rome sont tenus, sous peine de 1,000 ducats d'or et d'autres
peines, d'observer ces ordres. — Rome, 5 septembre 1622. —
Pour le camerlingue, le cardinal M. -A. Gozzadini 2. »
Quelquefois, ces lettres d'absolution étaient nominatives et
avaient le caractère de sauf-conduit. On les appelait non gravelur.
Nous en donnons un spécimen ci-dessous :
« Sotto pena di ducati 100 e di altre pêne, si proibisca di moleslare
personalmente e realmente Salomone Toscano ebreo banchiere m
Roma e stimatore degli spogli délia Caméra apostolica. Elia e Guiseppe
suoi figli, Angelo Toscano suo fratello parimenti ebrei banchieri.
Niuno perciô deve osare di molestarli con esecuzioni o altro tanto
pei béni quanto per le persone. Poichè il detto Salomone, oltre di
essêre banchiere, è pure estimatore degli spogli, e trovasi eseute
dalle altre giuridizioni e solo è soggetto alla giuridizione nostra.
Roma 14 gennaro 1623. Per in Camerlengo, il card. M. A. Gozzadini. »
On appelle Spogli, les objets d'habillement, l'argenterie et le
mobilier que laissaient en mourant les évoques et les autres prélats
ayant charge d'âmes. Ces Spogli revenaient à la chambre aposto-
lique, et, comme on voit, l'expert chargé de les estimer était
un Juif.
La communauté de Rome avait le monopole des pains azymes.
Voici un document à l'appui :
« Ad istanza dei camerlenghi délia université ebraica di Roma,
Sabato Segni, Leone Bisissa, Isacco Trêves, si proibisce a Beniamino
Veneto ebreo dimorante in Roma e a tutti gli altri di fare e cuocere
1 Diversorum de 1646.
2 Diversorum de 1622.
138 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
pani azzimi tanto di grano proprio quanto di grano di altri ebrei,
escluso ogui preteslo di forno proprio, ecc. Poichè la confezione
degli azzimi solo spetta air uaiversita, di che sopra per servizio e
comodo suo. Roma 28 Marzo 1624. G. Naro, prefetLo delr" annoaa. Pel
notaio Dom. Fonchia, Stefano Spada. »
Quant aux taxes que les Juifs avaient à payer à la communauté,
celle-ci disposait de tous les moyens de coercition en vue de la
perception, avec la faculté de saisir des gages. A preuve, le docu-
ment suivant :
<f Goncediamo licenza ad Isach Todesco ed altri fattori dell' uni-
versita' delli ebrei che saranno pro tempore che possino far vendere
li pegni presi ad altri ebrei per pagare li pesi camerali e altre cose
spettanti ail' universita' dei medemi ebrei, senza portarli in deposi-
teria conforme al solito e in fede ecc. Di casa 45 di luglio 4 631.
Fulvio Benigni auditore. Giulio Donati notaro *. »
En sautant des xvi° et xvir3 siècles au siècle actuel, ou au temps
de Grégoire XVI, nous trouvons encore un document qui mérite
d'être cité ; en effet, tout en relatant le règlement du présent, il
rappelle aussi les règlements et coutumes remontant à Fan 1690.
Ce document concerne les Juifs d'Ancône et est ainsi conçu :
« Notificazione. Antonio del titolo di S. Pietro in Montorio délia
S. R G. Prête cardinale Tosti, délia santitâ di N. S. e délia R. G. A.
Pro tesoriere générale.
» Degnatasi la Santità di N. S. papa Gregorio XVI di prorogare per
altri 12 anni, a contare dal 13 settembe 1843, a favore dell' universita'
degli ebrei di Ancona la facoltà, di cui la medesima per concessione
di Alessandro ottavo incominciô a godere fin dall anno 1690, ad esi-
gere una certa determinata tassa sopra le merci degli ebrei forestieri,
corne da chirografo sanctissimo in data 29 novembre 4843, sia a tutti
noto che nella présente notificazione viene richiamato in ogni sua
parte ad esecuzione l'editto ail' occasione délie antecedenti proroghe
pubblicato dalla chiara memoria del card. Lante li 48 juglk>1806,
e dalla chiara memoria del Cardinale Gristaldi li 3 aprile 482I,
ambidue già tesorieri generali del tenore che segue.
» Editto
» Per Tesigenza délia tassa imposta sopra le merci degli ebrei
forestieri e prorogata a favore delF université degli ebrei di Ancona
per dodici anni.
» Alessando Lante ecc.
» Avendo la Santita di N. S. papa Pio settimo felicemente régnante
1 Diversorum de l'année 1620 à 1631 ; volume non numéroté.
DOCUMENTS SUR LES JUIFS DES ETATS PONTIFICAUX 139
con suo spécial chirografo segnato sotto li 12 marzo prossimo
passalo prorogata a favore dell' université degli ebrei d'Ancona per
altri anni dodici la facoltà già conceduta alla detta università sin
dair anno 1G90 dalla S. M. d'Alessandro VIII c successivamente
dagli altri sommi pontefici di tempo in tempo prorogata, d'esigere
baiocchi 25 per ogni scudi cento sopra tutte e singole merci che
dagli ebrei forestieri si manderanno a vendere, o a comprare nella
detta città d'Ancona e d'altri baiocchi 12 1/2 per ogni cento scudi
sopra quelle merci ohe li detti ebrei porteranno essi medesimi a
vendere o compreranno nella città suddetta, affine di potere con il
ritratto di taie esigenza corrispondere al pagamento dei pesi ca-
merali ed altre occorenze délia istessa università, e volendo noi che
la mente di N. S. si renda a tutti nota ed abbia la sua totale e
pronta esecuzione ; perciô col présente nostro editto, coll' autorità
del nostro officio e coll' oracolo datoci in voce dalla Santita di N. S.
ordiniamo e comandiamo a tutti e singoli ebrei forestieri, che in
qualunque maniera manderanno a comprare e rispettivamente a
vendere qualunque sorta di merci nella detta città d'Ancona siano in
avenire tenuti di pagare alla detta università degli ebrei di detta
citta baiocchi 25 per ogni scudi cento sopra il prezzo di detta
merci, comme ancora baiocchi 12 1/2 per ogni cento scudi sopra il
prezzo di tutte e singole merci che i detti ebrei porteranno essi me-
desimi a vendere o compreranno nelle città suddelte ; e mancando
di fare detti pagamenti, incorrano nella perdita délia roba ed a tutte
le pêne imposte alli fraudatori, da applicarsi per un terzo ail' accu-
satore, per altro terzo alla Reverenda Caméra ed il resto a favore di
detta università. »
a Per evitare poi le fraudi, che potessero comettersi vogliamo ed
ordiniamo cheli detti ebrei forestieri portando loro istessi o mandando
a vendere e rispettivamente comprare in Ancona mercanzie di
qualunque sorta sieno tenuti ed obbligati dare nota distinta di tutte
le dette merci in mano degli esattori o massari, che a tal effetto si
deputeranno da detta università, ed in caso di contravenzioni, oltre
al duplicato pagamento a favore délia medesima università, restino
soggetti anche alla pena di scudi 10 perciascuna mancanza da appli-
carsi in tutto e per tutto corne sopra ».
« Ed acciô la istessa università possa godere gli effetti délia
grazia accordata senza esser defraudata nelle tasse, che dalli detti
ebrei forestieri di tempo in tempo in consequeranno alli detti fat-
tori o massari da deputarsi corne sopra, ordiniamo a tutti e singoli
i ministri délia dogana d'Ancona in quali spetta : che ad ogni
richiesta di detti Fattori o massari debbano dare ai medesimi^le note
délie rispettive compre e vendite, che da detti ebrei si faranno o si
manderanno a fare in detta città, acciè li medesimi possano regotarsi
nella esigenza délia suddetta tassa corne sopra accordata a detta uni-
versità, corne ancora ai sensali cristiani ed ebrei dovranno dare le
note a detti massari délie mercanzie, che saranno proviste o venute
140 REVUE DES ETUDES JUIVES
per gli ebrei forestieri, e finalmente gli ebrei abilanti in Ancona
dovranno aggiungere nel di loro conto dell' vendite, o compre dell'
mercanzie che si fararmo per gli ebrei forestieri, li importi di
questa imposizione, ritenendo aggresso di tutta précisa quantité di
essa per pagarla alli detti massari destinati dall' universita sotto
la pena di scudi dieci comminata corne sopra. »
» Avverta pertanto ciascuno di non contravenire a quanto si pre-
scrive nel présente nostro editto mentre si procédera contro ai tras-
gressori, anche ex officio per inquisizione, e col detto di un sol tes-
timonio sulla cui fede si darannole pêne, corne sopra comminate.
Volendo e decretando che il présente editto afïisso e pubblicato nei
modi soliti délia città d'Ancona, astringa ciascuno, come se perso-
nalmente gli sie stato intimato. Dato dalla nostra solita residenza
nel palazzo di Montecitorio questo di 18 juglio 1806.
» Alessandro Lan te Tesoriere gererace.
9 Nicolas Nicolai commissario générale délia R. C. A.
» Luigi Salvatori seg. e cancelliere délia R. C. A 1.
Ciascuno pertanto opérera quanto sopra in forza dell' ennunciata
proroga, quale si intende ad ognuno personalmente intimata dopo la
pubblicazione délia présente.
Data dalla solita residenza di Montecavallo, 20 gemaio 1844. —
A Gard. Tosti Pro Tesoriere générale. Angelo Maria Yannini, com-
missario générale délia R. C. A.
Nous ne nous livrerons à aucun commentaire au sujet de ce
privilège accordé à la communauté d'Ancône (privilège consistant
à prélever une taxe sur les marchandises achetées ou vendues à
Ancône par des Juifs du dehors ou pour leur compte). Nous ferons
seulement remarquer que cette faveur était accordée à cette der-
nière afin de la mettre en état de payer à la chambre apostolique
les différents impôts qu'on exigeait des Juifs d'Ancône.
Nous avons sous les yeux d'autres documents inédits, que nous
publierons dans un prochain travail.
Rome, août 1888.
P.-L. Bruzzone.
1 Archives des États romains. Leggi gregorianus.
LES JUIFS AU PIÉMONT
Si quelqu'un voulait entreprendre des études généalogiques sur
les familles juives du Piémont, il pourrait utiliser en partie les
présentes notes tirées de documents authentiques. Elles fournis-
sent aussi des indications sur les principales professions exer-
cées en Italie par les Juifs au xvie siècle, et montrent combien ils
étaient répandus sur le territoire sub-alpin.
Nous trouvons d'abord le texte d'une permission accordée au
juif Lazzarino Pogietto d'exercer le prêt à intérêt et de tenir une
banque à Asti et à Canelli ; permission valable pour dix ans.
Donnée à Rome, le 25 octobre 1584 ; an XIII du pontificat de N. S.
Grégoire XIII. Filippo Vastavillani, cardinal camerlingue. Andréa
Martini, notaire '.
Cette pièce est suivie des notes suivantes :
La même permission est accordée :
A Abramo Palestrio, pour deux banques à Susa et à A\i-
gliana;
A Mosé Melgo, pour deux banques à Pignerol et à Rivarolo
Torinese ;
A Meyer de Benedetti, pour trois banques dans les com-
munes de Cherasco, Brà, Fossano ;
A Benedetto Pogetto , pour deux banques à Crescentino
Canale Vercellese ;
A David Nicese, pour deux banques à Garignano et à Villa-
franca et à Torinese.
Le tout à la même date que ci-dessus.
Nous trouvons ensuite, f° 133 des Diversontm cités, une autre
lettre semblable à celle qui est adressée à Lazzarino Poggetto.
Elle est écrite en faveur de Gresino Tosaio, juif, demeurant
1 Archives des États romains, Diversontm, vol. X.VI.
142 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
à Arborio Vercellese. C'est une permission d'exercer le prêt à
intérêt pendant dix ans, datée du 25 octobre 1584, avec la signa-
tare de S. Émin. le cardinal Vastavillani.
Suit la liste d'autres Juifs, favorisés du même privilège :
Mosè Trabozi, pour une banque à Rivoli ;
Emannuele Golegna, pour une banque à Ghieri ;
Abramo Nicese, pour une banque à Chieri ;
Fortunio Lattes, — à Cunéo ;
Giuseppe Bassano, à Gavaglià Vercellese ;
Leone Segre, à Gavallermaggiore ;
Alessandro Lattes, à Cavour Torinese ;
Gabriele Viverio, juif, à Ghivasso ;
Benedetto Soavero, à Cigliano Vercellese;
Oiacobbe Abibio, à Poirino ;
Emannuelle Lattes, à Fossano ;
Leone Ulmo, à Fossano ;
Fabio Trêves, à Sommariva Torinese ;
Benedetto Sacerdote, à Montechiaro d'Asti ;
Aronne Sacerdote, à Mondovi ;
Simone Viverio, à Moncalieri ;
Vitale Trêves, à Lanzo Torinese;
Guiseppe Segré, à Villanova d'Asti ;
Gabriele Norcio, à Vercelli ;
Anselmo Carmio, à Vercelli ;
Ismaele de Belzion, à Gassino Torinese ;
Lazzaro Levi, à Gattinara ;
Michèle Trêves, à Burgo Allessii, diocèse de Vercelli ;
Giacobbo Avigdor, à Barge ;
Angelo Trabozi, à Cunéo ;
Clémente Alfano, à Ivrée ;
Elia Nicese, à Asti ;
Angelino Pogetto, à Asti ;
David Lanternari, à Castelnuovo d'Asti ;
Angelo Poloni, à Ceva ;
Abramo Segre, à Nice, diocèse d'Alba ;
David Roveria, à Cortemiglia.
Une autre lettre de privilège est adressée à Giulio et aux frères
Iona, demeurant à Biella, diocèse de Vercelli, accordant la per-
mission de tenir une banque et de pratiquer le prêt à intérêt pen-
dant dix ans. Donné le 25 octobre 1581, portant la signature du
même cardinal.
LES JUIFS AU PIÉMONT 143
Sait la liste d'autres Juifs qui obtinrent la môme faveur, à la
même date. Voici cette liste :
Graziadio et les frères Trêves, à Gherasco , diocèse de
Turin ;
Leone Ascoli et Bena, à S. Agata.
Mosè et les frères Veronesi, à Corgné ;
Mosè et les frères Lattes, à Guneo ; ■
Les fils et héritiers de feu Jacob Momelliani, à Busca ;
Matasio et les frères Trêves, à Vigone, diocèse de Turin ;
Aronne et les frères Segré, à Bene, diocèse de Mondovi.
Autre lettre de privilège du même genre, en faveur de Elzafan
Sacerdote, juif, demeurant à Casai Monferrat, États du duc de
Mantoue. La permission est valable pour dix ans ; elle porte la
signature du cardinal Enrico, camerlingue, et du notaire Andréa
Martini, avec date du 2 avril 1593, II0 année du pontificat de
Clément Y1II1.
La lettre est suivie de la liste suivante de concessions sem-
blables :
Vito Pogetti et Simone Cofa, juifs, pour une banque à
Tonco, diocèse de Casale, pour vingt-deux années. Datée
du 15 mars 1594 ;
Clémente Pavese, juif de Casale, pour une banque à Bis-
tagno. Pour une durée de dix ans. Donné le 7 février
1594;
Giosuô alias Susone, juif de Cunéo, pour une banque à
Cunéo, pour une durée de dix ans. Donné le 10 fé-
vrier 1596 ;
Aronne Sacerdote et Viviano de Angeli , associés pour
une banque à S. Stefano Belbo, pour dix ans. Donné le
25 mars 1599.
Il y a une autre lettre de privilège en faveur de Laudadio
Mutmen, juif, demeurant à Cunéo, lui accordant la permission de
tenir une banque de prêt à Cunéo, pendant dix ans, avec les
mêmes faveurs accordées précédemment aux autres Juifs, ban-
quiers des États Pontificaux. Donnée le 28 janvier 1595 et signée
par le cardinal camerlingue Enrico Caetani.
Le même privilège a été accordé à la même date à Mario Lattes
pour Cunéo.
Autre lettre accordant la même permission à Savigliano, à
1 Archives des États romains, Diversorum, vol. LX.
m REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Emannuele Lattes, juif. La concession est de dix. ans. Datée de
Rome du 25 février 1598 ; signée par le cardinal camerlingue
Enrico Gaetani.
Cette lettre est suivie d'une liste de personnes ayant obtenu le
même privilège :
Angelo Poggetto, pour tenir une banque à Asti ad decem
annos ;
Aronne et Gaiseppe Sacerdote, juifs, pour une banque à
Vercelli, pendant dix ans ;
Alessandro Lattes, une banque à Savigliano;
Les fils et héritiers de Raffaele et Michèle de Rimini, pour
une banque à Verceil ;
Angelo et Gabriele de Jona, pour deux banques à Ivrée
et à Biella ;
Vita Poggetto, pour deux banques à Asti ;
Mosè Muli pour une banque à Pignerol ;
Les héritiers de M^ir Benedetti, pour deux banques à Che-
rasco ;
Israele Trêves, pour une banque à Ciriè ;
Fortunio Lattes, pour une banque à Gunéo ;
Emilio Trêves, pour une banque à Savigliano ;
Mosè et frères de Verona, pour une banque à Corgné ;
Emannuele Colegna, pour une banque à Chieri ;
David Rovera et Ventura Bacco, pour une banque à Cor-
temiglia ;
Mosè Riglieri, pour une banque à Verceil;
David Lanternaro pour une banque à Castelnovo d'Asti ;
Giulio et Jona frères, pour une banque à Rivarolo Ca-
navese ;
Jacob Uelmo, pour une banque à Fossano ;
Vitale Trêves, une banque à Moncalieri.
Toutes ces concessions sont également de dix'ans, mais la date
en est différente.
Giacobe et Concilio de Levitis, une banque à Arborio Ver-
cellese; datée du 4 mai 1598 ;
Mataxià et Vitale Trêves, une banque à Finale, G mai 1598 ;
Salomone Cresca, une banque à Nizza (Nice), 15 juin 1598;
Guiseppe Stella, une banque à Nice, 31 août 1598.
Nous publions intégralement la lettre suivante qui contient des
renseignements relatifs aux titres de suzeraineté :
LES JUIFS AU PIÉMONT 14S
« A vous Simone Milli, Abramo Iona et Michèle Ottolenghi,
juifs, qui désirez établir une banque de prêt à Sassello, diocèse
d'Acqui, Etats du domaine impérial des illustrissimes seigneurs
E. B. Carretti, comte de Millésime, et Bartolomeo Beccaria, baron
de Marbello, comme commissaires de S. M. impériale, nous concé-
dons votre demande et par les présentes nous ordonnons que les-
dits comte et baron et leurs officiers permettent tout ce qui est
ci-dessus, à Sassello, pendant dix ans.
» Rome, 12 octobre 1599, 8e année du pontificat de Clément VIII.
Signé: le cardinal camerlingue Enrico Coelani ; Luigi Martini,
notaire de la Chambre ».
Voici d'autre part, une lettre d'absolution qui certes a dû coûter
gros et qui mérite d'être citée :
« A toi Simone Jerach, juif d'Asti. Nous étant disposé à favo-
riser ta demande, nous donnons absolution de tous les crimes
excès, transgressions et délits, môme graves et énormes, pourvu
qu'il ne s'agisse pas de choses condamnées par le Saint-Office, et
nous ordonnons qu'en aucune manière tu ne sois molesté, toi, tes
agents ou tes parents et ordonnons que l'évêque et le vicaire d'Asti
observent les présentes et que le contrevenant soit puni d'une
amende de mille ducats d'or à verser à la chambre apostolique.
Rome, le 22 mars 1603.
» Pietro Aldobrandini cardinal camerlingue.
» Cesare, évêque de Forli, auditeur, Scanardi notaire ».
Nous empruntons aux mêmes sources les notes suivantes :
a A Donato et Emannuele Bacchi, juifs d'Acqui, est accordé le
privilège de tenir une banque à Millesimo, terre impériale, appar-
tenant aux seigneurs illustrissimes E. Battista et Prospero de Car-
retti, et il est ordonné qu'ils jouissent des tolérances et privilèges
accordés à d'autres en pareil cas. Pietro Aldobrandini, cardinal
camerlingue, le 20 novembre 1610.
» Semblable permission a été accordée aux héritiers d'Aronne
Sacerdote de Mondovi, pour tenir une banque à Volpiano, dans le
Monferrat, diocèse de Milan, Etats du sérénissime duc de Man-
toue; le 4 janvier 1611.
» Au juif Mosè Antom, permission de tenir une banque de prêt
à Tassarolo, terre impériale de l'illustrissime comte Agostino Spi-
nola, diocèse de Genova (Gênes). Le concessionnaire est favorisé
de tous les privilèges que comporte le prêt à usure pour une durée
de sept ans. Août 1611.
T. XIX, n° 37. 10
146 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
» P. Aldobrandini, cardin. cam. Le même privilège pour huit
ans est accordé à Duiele Sacerdote, à Cortemiglia;
» A Davide Sacerdote, pour une banque à Settebrio, diocèse
d'Acqui, Etats du duc de Savoie, juridiction du marquis Jérôme
Serra. Le privilège est pour une durée de huit ans. 15 novembre
1611 ».
Dans ces concessions de banque de prêt, le taux de l'intérêt
n'est pas stipulé mais ce dernier était admis au chiffre de 10, quel-
quefois de 18 0/0, selon les temps et circonstances.
A mesure que nous nous éloignons de l'époque de Sixte V, les
faveurs accordées aux Juifs vont toujours en diminuant.
Nous citerons encore au sujet des Juifs une note trouvée dans le
Mémorial du grand prince Charles Emanuel II :
« Le duc de Florence étant mort et son successeur n'aimant pas
les Juifs auxquels il impose des taxes, il faudrait envoyer le
Morena pour engager quelqu'un des plus riches parmi eux à faire
des maisons dans le port de Villafranca 1 ».
Le duc ennemi des Juifs de Toscane, c'était Ferdinand II, monté
sur le trône au mois de mai 1670.
Parmi les documents curieux nous en trouvons encore un très
intéressant relatif à un juif de Gunéo qui eut la permission de
prendre une seconde femme, du vivant de la première, frappée de
stérilité.
P. L. Bruzzone.
1 Publication de Gaudenzio Claretta, 1879.
NOTES ET MÉLANGES
MELANGES LEX1COGRAPHIQUES
I.
Dans le Midrasch Esther, s. v. ntti D"id b^n , il est dit :
ïmn wa "iriN moins mSbttîi pn nbn^p^ *sb ons ïim« fnip ïifcb
IêoStin wn nruNv « Pourquoi ce peuple est-il appelé oid? Parce
qu'il n'est parvenu à la domination que petit à petit (par inter-
valles ou peut-être parce qu'il n'a possédé que des parties de
l'ancien royaume des Perses et jamais le royaume tout entier, tel
qu'il était constitué sous Cyrus) une fois à l'époque de Tarda, et
une fois au temps d'Ardachian. »
Quels sont ces rois? Le premier nom désigne Tiridas I, qui,
avec son frère Arsace, a fondé le royaume parthe.
Dans •jfcroTiN, qui vient de 'kww, c'est-à-dire n&wna, nous
aurions le fondateur du royaume néo-persan, Ardechir. En effet,
le royaume néo-persan n'a jamais atteint l'étendue de l'ancien-
royaume de Perse. L'auteur de l'Aggada cite donc les fondateurs
du royaume parthe et du royaume néo-persan.
IL
Au commencement d'Echa Rabba, au sujet de l'explication de
an nb bj> anitw ^i, 0n lit: R. Berachia dit : &ô fin&T n»n b3
tanpTi Kj^iNa b^a. Ce passage offre une double difficulté. Que
signifie le mot b^n? C'est évidemment une corruption de ;mj :
« Tous ceux qui chantent des chansons n'arrivent pas à captiver
l'oreille du]j danseur ». Le dernier mot est également difficile à
148 REVUE DES ETUDES JUIVES
comprendre. Car d'abord nous nous attendions plutôt au sens
suivant: « La voix du chanteur arrive aux oreilles du danseur ».
De plus, cette explication ne concorde pas avec le texte : « Celui
qui se dépouille de son vêtement au jour du froid ressemble à
celui qui répand du vinaigre sur la nitre et à celui qui chante en
présence d'un affligé ». L'explication du Midrasch serait donc
absolument contraire au sens du texte biblique. Ce ne peut donc
être là l'explication de R. Berachia. Or, en syriaque, np^i signifie
bien « danser », mais a aussi souvent le sens de « porter le deuil ».
La Peschita traduit Gen., xxm, 2, iTTtab TiD&b par ïno bj> •np-ittb,
et, ïbid., l, 10 : b™ -idoïï ûtiï TTBbii par anm «niipa» i»n "Hpn&n ;
de même II Sam., i, 12, iMn nsD'n par ism V7pnN"i; Jérémie,
xvi, 6, ûnb "iiDD-1 Nb par f-imb* l^pn^ «bi. Le passage est donc
expliqué par R. Berachia de la manière suivante :
Aucun chant n'arrive aux oreilles de Vafftigé,
ce qui répond bien au sens du verset biblique.
Si on se demande d'où viennent ces deux significations opposées
d'un même mot, la chose s'explique parla coutume qui existait de
célébrer des danses en l'honneur du défunt. Voilà pourquoi le
mot ipn a aussi pris le sens de porter le deuil.
Furst.
LE NOM DE FANGAR
Le Midrasch sur Lamentations, I, 5 parle de quatre généraux
(•j^D^it = duces) qui avaient accompagné l'empereur Titus lors
de sa conquête de Jérusalem. Parmi eux se trouvait le général
des Arabes (a^my), qui, selon les uns, s'appelait Kilos (onb^p),
selon d'autres, Fangar (tod). Le premier de ces deux noms
rappelle le mot arabe b^p, que portaient les chefs ou princes
yamanites et qui est aussi un nom propre. Mais qu'est-ce que
Fangar? Un passage du commentaire de Saadia sur les Pro-
verbes nous prouve qu'il faut lire -îlDN, et qu'il s'agit d'un
membre de la famille célèbre des Abgar, qui pendant trois siècles
ont régné à Édesse, et dont un surtout est fameux par sa pré-
tendue correspondance avec Jésus-Christ.
NOTES ET MÉLANGES 149
Voici, du reste, ce passage curieux du commentaire de Saadia
sur Proverbes, chap. xxvi, vers. 19 :
n^ïi h9& : 32wNb K5N nt^n bnp-'i muait ■nsatoi inosn ^étd
ipNhbN rvob» air: ^d ■vaanjbN ^3N >aa n^di '«nfcbN ïtd ttba aban
.owta 3>tt
« Ainsi l'homme trompe son voisin et dit ensuite : je ne fais
que plaisanter. — C'est ce que font les hypocrites : ils dirigent
leurs menées contre celui auquel ils veulent faire du mal ; s'il
s'en aperçoit, ils disent : nous avons plaisanté avec toi ; s'il ne
s'en aperçoit pas, ils exécutent leurs projets. Ainsi fit Abgar
l'Arabe lors de la destruction du second temple en accompagnant
Titus. »
Il est peut-être utile de faire observer que les rois d'Édesse por-
taient chacun un nom particulier en dehors du nom d'Abgar, qui
paraît avoir été l'équivalent de chef ou prince, comme le nom de
Kaïl dans le Yémen ou celui de Kaisar (Gaesar) à Rome. Les
chroniques syriennes, autant que je sache, ne parlent pas de la
participation d'un roi d'Édesse à la guerre de Titus; mais elles
sont, en général, très sobres dans leur récit de la destruction du
Temple.
J. Derenbourg.
NOTE SUR LE TRAITÉ DE POLÉMIQUE PEÏÏLVI
Les communications de moi que M. J. Darmesteter a bien voulu
insérer au bas des textes pehlvis qu'il a publiés 1 étaient de
simples notes jetées à la hâte à la marge d'une épreuve. En les
relisant aujourd'hui, je m'aperçois d'une inexactitude que j'ai
commise. J'avais remarqué que l'histoire du malade qui demande
à Dieu « abondance de subsistance » en ce monde est celle que le
Talmud raconte de Rabbi Hanina ben Dosa. En revoyant ce ré-
cit, dans le texte, j'avais en vain cherché l'épilogue, je veux dire
ces mots de l'ange : « Quand je détruirais le firmament, quand je
1 Revue, t. XVIII, p. 14 et 15.
150 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
referais à nouveau ciel et terre, quand je disposerais à nouveau
et referais la marche des étoiles, je n'en verrais pas mieux s'il
doit t'échoir un bon sort ou un mauvais. » (Voir Revue, t. XVIII,
p. 15). J'avais eu tort de ne pas pousser plus loin mes investiga-
tions, car, quelques lignes plus bas, voici ce qu'on lit :
« Eléazar ben Pedat était très malheureux. Un jour qu'il s'était
fait saigner et n'avait rien à manger, il prit un morceau d'oignon,
mais il en fut malade et s'endormit. Comme les rabbins étaient
venus le consulter, ils le virent pleurer et rire, dans son sommeil,
et une flammèche de feu jaillir de son front. A son réveil, ils lui
demandèrent pourquoi il avait ainsi ri et pleuré. « Dieu, répondit-
il, était assis près de moi ; je lui demandai jusqu'à quand je serais
ainsi malheureux en ce monde ; et il me dit : « Eléazar, mon fils,
veux-tu que je détruise ce monde et le crée à nouveau, peut-être
alors naîtras-tu sous le temps de la subsistance. » Comment,
m'écriai-je, tant que cela, et tu dis seulement peut-être ! . . . » On
voit donc que l'auteur dont s'est inspiré le polémiste persan avait
fondu ensemble les deux historiettes, qui s'étaient soudées dans sa
mémoire, à cause de leur ressemblance. Mais, chose curieuse, la
confusion est encore plus grande : un troisième élément est entré
dans cet amalgame et pour les mêmes motifs.
On remarquera que , dans le texte pehlvi , le mari demande
cette faveur en secret, tandis que dans l'histoire de Hanina c'est
sur l'instigation de sa femme; en outre, dans l'un, il est ques-
tion d'un trône de perles précieuses ; dans l'autre, d'une table
d'or. Or, le Midrasch, racontant de Rabbi Schimon ben Halafta
une légende presque identique à celle de R. Hanina, montre le
héros priant Dieu à Vinsu de sa femme et recevant du ciel une
pierre précieuse (Exode Rabba, 52) l.
Toutes ces histoires s'étaient donc mêlées dans la tête de l'écri-
vain juif, qui rédigeait de mémoire, et c'est ainsi que s'est formée
une nouvelle version composite.
Je crois donc volontiers que beaucoup des confusions que
semble faire l'écrivain pehlvi ne doivent pas lui être imputées, et
que les traditions contre lesquelles il s'escrime lui étaient fournies
par un auteur de basse époque qui ne savait pas recourir aux
sources.
Israël Lévi.
1 Remaniement d'un passage de Ruth Rabba, III, qui a l'air d'un extrait du Ta!
mud jérusalmi.
NOTES ET MELANGES 151
ENCORE UN MOT SUR UN ALPHABET HÉBREU-ANGLAIS
AU XIV" SIÈCLE1.
Saint Jérôme, dans son interprétation de l'alphabet hébreu,
dont il a été parlé ici à propos d'un alphabet anglo-hébreu, s'est
borné à reproduire les explications d'Eusèbe (Preparalio evan-
gelica, liv. X, ch. v, et liv. XI, ch. vi). Ces interprétations ayant
passé du grec en latin, plusieurs d'entre elles ne se comprennent
plus que si on se reporte au texte grec.
En se livrant à ce jeu, qui avait pour but de démontrer aux
païens que seul l'alphabet hébreu donne un sens si on lit les noms
des lettres à la suite les uns des autres, Eusèbe ne se faisait pas
faute de recourir au grec pour trouver à quelques-uns de ces
noms un sens qui permît de les faire entrer dans des phrases
complètes. C'est ainsi qu'il traduit daleth par des tables, à cause
du grec SéXxo;, « table », zai (pour zaïn) par il vit, à cause de Cxi,
et noun par les choses éternelles, à cause de aiwvta. Il est donc
inutile de croire à une faute de copiste dans l'alphabet hébreu-
anglais pour l'interprétation de zai par vit a. Peut-être l'expli-
cation de nun par sensus rentre-t-elle dans le même genre d'éty-
mologie. Un auteur aura rapproché nun de voûç, à l'accusatif
voûv. Le unus de saint Ambroise est également imaginé par ana-
logie avec l'assonance de nun. Toutes les autres étymologies
d'Eusèbe sont tirées de l'hébreu et de l'araméen. La plus étrange
est celle de van par in illa : Eusèbe s'est contenté de l'assonance
de vau avec la, ou un, sans voir que le v était ici un b.
Israël Lévi.
LE MÉMOIRE DE GANGANELLI
Nous avons à faire deux additions au Mémoire du cardinal
Ganganelli sur la calomnie du meurtre rituel publié par nous
dans la Revue, tome XVIII, p. 179-211.
1 Voir Revue, tome IV, p. 255 et suiv.
152 REVUE DES ETUDES JUIVES
Nous avons été embarrassé pour identifier André « de Rin-
nense, in diocesi di Bressanone », affaire de 1462 ^ Nous n'avions
pas soupçonné que la Bulle de Benoit XIV, mentionnée dans ce
passage de notre texte, nous donnerait les moyens de faire la vraie
identification 2. Elle dit : « in vico Rinnensi, Brixinensis diocesi. »
D'autre part, les Acta Sanclorum, à la date du 12 juillet (année
1462), portent « prope Oenipontum ». L'endroit où s'est passée
l'affaire de Saint-André, en 1462, est donc Rinn, dans le Tyrol,
près d'Innsbruck, diocèse de Brixen.
2. En parlant des Juifs baptisés, Ganganelli cite « il famoso
Leone da Modena3 ». En disant, dans une note, que Ganganelli a
pensé, dans ce passage, au célèbre Léon de Modène, nous avons
omis de dire pourquoi nous n'admettions pas l'explication de
M. Berliner, qui croit que Ganganelli a pensé à un Jtida (Léon)
de Modène qui a vécu à Prague en 1559 4 et s'est effectivement fait
baptiser, tandis que le Léon de Modène, de Venise, ne s'est pas
converti au christianisme. Nous ne pouvions pas croire que
Ganganelli eût donné au Léon Modena, de Prague, le surnom
de « il famoso ». Il nous parait donc assez probable que notre
hypothèse doit être maintenue : Ganganelli a cru que Léon de
Modène, de Venise, s'était fait chrétien. Connaissait-il le Léon
Modena de Prague ? l'a-t il confondu avec celui de Venise et est-ce
pour cela qu'il compte ce dernier parmi les Juifs convertis ?
Gela est possible. Paul Médici parle, dans la préface de ses Riti,
de Léon de Modène, de Venise, et Ganganelli a peut-être pensé
qu'un Juif converti comme Paul Médici ne pouvait citer que des
Juifs convertis. Dans Ugolini, à qui Ganganelli paraît se référer,
nous n'avons rien pu trouver sur un Léon de Modène baptisé.
Isidore Loeb.
UN PORTRAIT DE FARADJ, LE TRADUCTEUR
L'existence d'un portrait, d'une authenticité incontestable d'un
éminent savant juif delà fin du xme siècle est assurément une
* Voir Revue, XVIII, pages 181, 183, et surtout p. 202.
s Bulle du 22 février 1755.
3 Revue, ibid., p. 201.
4 Gutachten Ganganelli' s, p. 46, note sur page 23, 1. 15.
NOTES ET MÉLANGES 153
des surprises les plus inattendues de la littérature juive, où d'ail-
leurs les surprises ne sont pas rares. Nous ne possédons le por-
trait d'aucun de nos grands penseurs et poètes, de nos hommes
d'État et docteurs de la Loi, le portrait de Maïmonide étant
considéré généralement comme non authentique. Or ce portrait
unique, qui pendant si longtemps était resté ignoré, ne repré-
sente même pas un de ces hommes qui sont arrivés à la consi-
dération et à la célébrité dans le sein de leur communion, mais
un de ceux qui sont placés, pour ainsi dire, aux frontières de
deux mondes, un simple traducteur. Le privilège de passer à la
postérité sous forme de portrait ne fut réservé qu'à un seul juif,
à un serviteur de roi, qui était comblé des faveurs du prince et
qui avait, de par ordre de Sa Majesté, mission & d'allumer une
lumière en laissant briller son esprit ». De tous les honneurs et
de toutes les distinctions dont Charles I d'Anjou gratifia son
fidèle traducteur attitré, le juif Faradj Mosé b. Salem, la faveur
la plus haute qu'il lui accorda fut de faire exécuter par un maître
de l'art de l'enluminure, sur le premier exemplaire de la traduc-
tion latine de l'encyclopédie médicale d'Ar-Razi, Al-Hawi, faite
par Faradj et dédiée à ce prince, le portrait du studieux et cé-
lèbre traducteur, à côté du sien propre.
On savait depuis longtemps *, que parmi les trésors des Colber-
tina: à la Bibliothèque nationale de Paris, le ms. 6912, se com-
posant de cinq in-folios, contenait la traduction de-1'Al-Hawi,
confiée à Faradj par Charles d'Anjou. Mais il était réservé au
coup d'œil sagace de M. Paul Durrieu2 d'y reconnaître, grâce à
une comparaison minutieuse des indications existant dans les
archives angevines de Naples avec les particularités artistiques
du manuscrit, la première copie de l'Al-Hawi latin, que le roi
Charles I fit faire pour lui-même et que Giovanni, moine du
Monte-Cassino, illustra par son art d'enlumineur. Faradj com-
mença son œuvre le 6 février 1278 et la termina le 13 février
]279. Mais le travail des copistes et de l'enlumineur exigea plus
de temps que n'en avait employé le traducteur. Ce fut seulement,
le 31 août 1282, que la première copie put être considérée comme
terminée. Sans doute, Faradj dut encore faire nombre de correc-
tions plus ou moins importantes, qu'il fallait reproduire dans ce
chef-d'œuvre de la calligraphie.
La démonstration de M. Durrieu est tellement inattaquable et
1 Wûstenfeld, Die Uebersetzungoi arabischer Werke in das Latelnische seit dem
XI Jahrhundert, p. 107 et suiv. ; Steinschneider , Archiv de Virchow, XXXIX,
p. 296 et suiv.
* Gazette archéologique, XI, 192-201, et planche 23.
154 REVUE DES ETUDES JUIVES
probante, la ressemblance de Charles I d'Anjou si bien établie
par d'autres exemples, que nous n'hésitons pas un seul instant à
reconnaître dans le portrait de Faradj une reproduction fidèle et
authentique. Du reste, l'art de Giovanni s'est élevé dans ce por-
trait à la perfection. Il a représenté trois fois notre héros. La
première fois, il l'a peint recevant des mains du roi le livre à
traduire ; ensuite, il l'a représenté au travail dans sa cellule,
ayant devant lui sur un pupitre le manuscrit d'Ar-Razi et tenant
sur ses genoux la traduction commencée ; enfin, recevant des
mains du prince les honoraires de son travail terminé. Nous ne
doutons pas qu'un artiste ne distingue dans ces trois scènes les
traits d'ensemble qui doivent composer le portrait parlant de
Faradj.
L'image qui le représente au travail est parfaite d'expression.
Cette petite miniature est inoubliable quand on l'a une fois bien
regardée. La figure de Faradj révèle les traits distinctifs qui sont
les éléments constitutifs du type sephardi, l'ovale prononcé du
visage, les contours nets et la fine coupe du nez, fortement
busqué, les yeux perçants et pétillants d'intelligence, les lèvres
minces et le menton proéminent. A en juger, d'après ce portrait,
qui nous paraît aussi indiquer des cheveux blancs, Faradj doit
avoir été d'un âge avancé au moment où l'artiste a immortalisé
ses traits.
Disons, eh terminant, que le portrait de Faradj conviendrait ad-
mirablement au frontispice de l'œuvre monumentale de M. Stein-
schneider sur les traducteurs juifs.
David Kaufmann.
BIBLIOGRAPHIE
REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
[Les indications en français qui suivent les titres hébreux ne sont pas de V auteur du livre
mais de V auteur de la recension, à moins qu'elles ne soient entre guillemets.)
1. Ouvrages hébreux.
Û^TEÎ nDON « Poésies hébraïques, par Armand Kaminka ; 1er vol., Odes et
Ballades, Élégies, Poésies étrangères. » Paris, libr. Durlacher, 1888 ;
in-8° de 112 p.
TWlVïl "i"n '0 Bio-bibliograpkisches Lexicon, publié par Effrath. Vilna,
impr. Romm, 5649 (1889) ; in-8° de 64 p.
abb —z^ '0, 6e partie, Novelles talmudiques sur le Schulhan Arukh Orah
Hayyim ; sans nom d'auteur. Smyrne, impr. Hayyim Abraham de Segora,
5428 ; in-8° de 82 fit. La date 5428 paraît erronée et devoir être remplacée
par 5448 (1888).
pi"!!^ y>y '0 Consultations sur les quatre parties du Schulhan Arukh, par
Isaac Elhanan Spector, rabbin à Kowno. Vilna, impr. Rosenkranz et
Schriftsetzer, 5649 (1889) ; in-folio de 202 + 38 ff.
2. Ouvrages en langues modernes.
Anuar pentru Israeliti en un supliment calendaristic pe anul 5650 (1889-
1890); publié par M. Schwarzfeld; 12e année. Bucarest, impr. Eduard
Wicgand, 1889 ; in-8° de vm-215 p.
Bibliothèque de l'École des Hautes Études, sciences religieuses. Premier
volume. Études de critique et d'histoire par les membres de la section des
sciences religieuses, avec une introduction par M. Albert Réville, prési-
dent de la section. Paris, libr. Leroux, 1889 ; in-8° de xxx-371 p.
Contient les articles suivants : Massebieau, Le classement des œuvres
de Philon ; H. Derenbourg, Un nouveau roi de Saba sur une inscription
sabéenne inédite du Louvre ; Maurice Vernes, Les populations anciennes
1:6 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
et primitives de la Palestine, d'après la Bible ; M. Esmein, Les questions
des investitures dans les lettres d'Yves de Chartres ; Ernest Havet, La
conversion de saint Paul ; Albert Réville, Du sens du mot Sacramentum
dans Tertullien ; A. Sabatier, L'auteur du Livre des Actes des Apôtres
a-t-il connu et utilisé dans son récit les Épîtres de saint Paul ; Jean
Réville, Le rôle des veuves dans les communautés chrétiennes primitives ;
F. Picavet, De l'origine de la philosophie scolastique en France et en
Allemagne; Sylvain Lévi, Deux chapitres du Sarva-DarçanaSamgraha ;
Le système Çaiva et le système Paçupata ; Isidore Loeb, La chaîne de la
Tradition dans le premier chapitre des Pirké Abot ; Amélineau, L'Hymne
au Nil.
Brandt (Wilhelm). Die Mandâische Religion, ihre Entwickelung und
geschicktliche Bedeutung. Leipzig, libr. J. C. Hinrichs, 1889 ; in-8° de
viii-236 p.
Corpus inscriptionum semiticarum ab academia inscriptionum et literarum
humanarum conditum atque digestum. Pars quarta , Inscriptiones
himyariticas et sabacas continens ; Tomus primus, fasc. primus. Paris,
irapr. nationale, 1889; in-4° de 102 p., avec carton de 12 planches.
L'introduction est signée de M. Joseph Derenbourg et nous savons que
l'ouvrage a été fait avec la collaboration de M. Hartwig Derenbourg.
Feilghenfeld (J.). Kurzgefasstes Lehrbucli der jùdischen Religion fur
Schule und Haus. Rostock, libr. Cari Meyer, 1889 ; in-8° de 67 p.
Fischer (Bernard). Hebrâische Unterrichtsbriefe nach bewâhrter Méthode
fur den Selbstunterricht in Alt- und Neuhebrâisch. Leipzig, libr. C. A.
Koch, 1889, in-8°de212p.
Guttmann (J.). Die Philosophie des Salomon Ibn Gabirol (Avicebron).
Gôttingen, libr. Ruprecht, 1889 ; in-8° de iv-272 p.
Contient : 1. Les écrits philosophiques de Gabirol ; 2. Les sources de
la philosophie de Gabirol ; 3. L'influence de la philosophie de Gabirol.
Hoerning (Reinhart). Descriptions and collation of six Karaits manuscripts
of portions of the Hebrew Bible in Arabie characters with a complète
reproduction by the autotype process of one, Exodus, i, 1. — VIII, 5,
in-42 facsimiles. Londres, Williams et Norgat, 1889, in-4° de xn-68 p.
et 42 planches.
Holtzmann (Oskar). Das Ende des jùd. Staatswesens und die Entstehung
des Christenthumes. Fascicules 148, 152,153, 154 et 157 de l'Allgemeinc
Geschichte de W. Oncken. Berlin, libr. G. Grote, 1888, in-8° de 674 p.
Fait suite à la Geschichte des Volkes Israël de Bernhard Stade, même
collection.
Kôhler (Auguste). Lehrbuch der biblischen Geschichte AltenTestamentes ;
2e partie, 2e moitié, 1er fascicule. Erlangen et Leipzig, libr. Deichert,
1889 ; in-8° de 1-168 p.
Lagarde (Paul de). Uebersicht ùber die im Aramâischen, Arabischen und
Hebraischen ùbliche Bildung der Nomina. Gôttingen, libr. Dietrich,
1889; in~4° de 240 p. Extrait du 35° vol. des Abhandlungen der
K. Gesellsch. der Wissensch. zu Gôttingen.
Lippe (K.j. Das Evangelium Matin œi vor dem Forum der Bibel und der
Talmud. Jassy, impr. et libr. Isidor Schorr, 1889, in-8° de 279 p.
BIBLIOGRAPHIE 157
Lersch (B. M.)- Einleitung in die Chronologie oder Zeitrcchnung verschie-
dener Vôlker und Zeiten, nebst christlichem und jùdischem Festkalender.
Aix-la-Chapelle, Rudolf Barth, 1889 ; in-8° de 184 p.
Lowv (A.)- The Elohistic and Jehovistic propcr Names of men and women
in the Bible. Londres, impr. Harrison et fils, 1889 ; in-8° de 10 p.
Extrait des Proceedings of the Soc. of Biblic. Archœology.
Mahler (Eduard). Chronologische Vergleichungs-Tabellen, nebst einer
Anleitung zu den Grundztigen der Chronologie; IIe Heft, Die Zeit und
Festrechnung der Juden. Vienne, impr. A. Fanto, 1889 ; in-4° de 140 p.,
comprenant p. 69 à 140. Donne, comme dans les tables que nous avons
construites, l'identification du 1er de chaque mois du calendrier juif.
Muller (Gustav-Adolf). Pontius Pilatus, der fùnfte Prokurator von Judâa
und Richter Jesu von Nazareth, mit einem Anhang : Die Sagen ùber
Pilatus und einem Verzeichnis der Pilatus-Literatur. Stuttgart, libr. J.-B.
Metzler, 1888 ; in-8° de vin-59 p.
Mueller (Joël). Die Responsen der spanischen Lehrer des 10. Jahrhunderts,
R. Mose, R, Chanoch, R. Joseph ibn Abitur. Berlin, imp. Rosenthal,
1889 ; in-4° de 37 p. Dans 7. Bericht ùber die Lehranstalt f. d. Wissensch.
d. Judenthums in Berlin.
Orientalische Bibliographie, publié par A. Muller, 3e année, 1er et 2° fas-
cicules ; Berlin, libr. H. Reuther, 1889; in-8° de 57 p.
Philonis Alexandrini Libellus de Opificio mundi. Spécimen novae edi-
tionis operum Philonis ab Academia Regia Berolinensi prsemio ex dona-
tione Carlottiana ornatum ; edidit Leopoldus Cohn. Breslau, libr. Wilh.
Koebner, 1889 ; in-8° de lviii-108 p.
Reusch (Heinrich). Index librorum prohibitorum, gedruckt zu Parma 1580
nach dem einzigen bekannten Excmplare. Bonn, libr. M. Cohn, 1889 ;
in-8° de 43 p. Le Talmud, à ce qu'il nous semble, ne figure pas dans cette
liste.
Resgh (Alfred). Agrapha, Aussercanonische Evangilien Fragmente ; dans
Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur,
de Gebhardt et Harnack ; 5e volume, 4e fascicule. Leipzig, libr. J. C.
Hinrichs, 1889 ; in-8° de xn-520 p.
Saineanu (Lazar). Studiu dialectolocic asupra graiului evreo-german. —
— I. inlroducere ; Bibliografic, literatura, elemente lexicale. Bucharest,
impr. Ed. Wiegand, 1889 ; in-8° de 78 p.
Sghaffer (S.). Das Rccht und seine Stellung zur Moral nach talmudischer
Siiten-und Rechtslehre. Francfort-s.-M., libr. Kauffmann, 1889 ; in-8° de
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thèque de Ny Carlsberg, avec 8 planches zincographiées dessinées par
J. Eutiuget 18 photogravures. » Copenhague, libr. Th. Lind, 1889 ; in-8°
de 63 p. et 18 pi.
Sorel (E.-G.). Contribution à l'étude profane de la Bible. Paris, libr.
Auguste Ghio, 1889 ; in-8° de vni-339 p.
158 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
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Zweite neu verarbeitete Auflage des Lehrbuchs der neutestam. Zeitge-
schichte, erster Theil, erste Hâlfte. Leipzig, libr. G. Hinrichs, 1889; in-8°
de 256 p.
Vernes (Maurice). Précis d'histoire juive depuis les origines jusqu'à
l'époque persane, Ve siècle avant J.-G. Paris, libr. Hacbette, 1889, in-18
de 828 p. et 2 cartes.
Jùdiscber Volks-und Haus-Kalender fur das Jahr 5650 (1890), mit einem
Jabrbucb zur Belebrung und Unterbaltung, herausgg. von M. Brann.
Breslau, impr. Chatzky, 1889; in-8° de 118 p.
Contient: Brann, Alte jùd. Grabsteine in Schlesien ; L. Cohen, Chro-
nologische Beitrâge zur jûd. Geschichte, Bibliographie und Biographie.
Wolf (Lucien). Jewish Coats ofarms. Londres, impr. du Jewish Chronicle,
1889 ; in-8° de 10 p. Extrait du Jewish Chronicle.
WiJNSGHE (A.ug.). Der Babylonische Talmud in seinen haggadischen Bes-
tandtheilen ; wortgetreu ùbersetzt ; Zweiter Halbband, 3. Abtheilung.
Leipzig, libr. Otto Schulze, 1889 ; in-8° de x-470 p. Contient Sanhédrin,
Aboda Zara, Maccot, Horaïot, etPirké Abot.
Wellhausen (J.). Die Composition des Hexateuchs und der historischen
Bûcher des Alten Testaments ; Zweiter Druck mit Nachtrâgen. Berlin,
impr. et libr. G. Reimer, 1889 ; in-8° de 260 p.
3. Notes et extraits divers.
= E. Havet : La modernité des Prophètes. — Dans Revue des Deux-
Mondes, nos du 1er et du 15 août. Nous croyons la thèse de M. Havet très
exagérée, mais elle est soutenue avec des arguments sérieux, il serait
absolument injuste de la traiter par le dédain; elle mérite, au contraire,
un examen approfondi et sur beaucoup de points, plus ou moins secon-
daires et néanmoins importants, nous croyons qu'il a parfaitement raison.
On pourra lire aussi sur ce sujet le livre de M. Maurice Vernes que nous
annonçons plus haut et qui contient beaucoup de choses intéressantes,
sur lesquelles nous faisons cependant les mêmes réserves que sur le
travail de M. Havet.
: Dans Boletin de la Real Academia de la Historia, fascicule juin 1889,
p. 568-571, notes de M. Fidel Fita sur une inscription de Marviedro, déjà
signalée par M. Neubauer dans les Archives des missions scientifiques,
2e se'rie, vol. 5, p. 432 (Paris, 1868) ; la pierre est si mal conservée que
ni la partie hébraïque ni la partie latine n'ont encore pu être déchiffrées
d'une manière satisfaisante. Autre note de M. Fidel Fita sur une inscrip-
tion de la terre seigneuriale de Benavites ; voici la lecture de M. Fita :
3>"a nb^m ï-nn ïrrnia rmap nas»
Cette inscription est, en général, très facile. Le nom de la défunte est
Dona Jamila ; le nom de son mari est plus difficile ; mais M. Fita parait
avoir résolu le problème : DH^b est Lagem ou Legem, nom qu'on trouve
à Sagunto, chez les Juiis, à la fin du xive siècle {Boletin, t. XIV, p. 557)
BIBLIOGRAPHIE 159
et qui, en arabe, signifie boucher. Benavites est dans cette même région.
M. Chabret, dans son Histoire de Sagunte, t. II, p. 186, parle de'jà de
cette inscription. A la page 429 du même volume, M. Cbabret donne une
pièce e'manant de 48 familles juives demeurant à Sagunte en 1352 ; on y
trouve le nom d'un Salomon Legem traduit en idiome de Valence par
Salamo Cornicer (boucher). Cette même écriture contient les noms de
Içach Acrix (évidemment UJvip^), d'une femme appelée Mira et d'un
Jaffuda (Juda) Adoctori.
= Le Jugement de Salomon (suite et fin) ; n° VI, En Italie et en Angleterre.
— Dans Mélusine, IV, juillet 1889, p. 446.
= Les Jahresberichten der Geschichtswissenschaft (Berlin, libr. Gaerner),
contiennent l'excellente revue littéraire de M. Kayserling, pour l'anne'e
1886, sous le titre de : Jûdische Geschichte von der Zerstôrung Jerusa-
lems bis zur Gegenwart, pages i, 32 à i, 42.
= Un article de M. Leroy-Beaulieu sur le centenaire de 1889, de Paris,
publie' par la Revue des Deux-Mondes, n° du 15 juin 1889, contient
divers discours fictifs prononcés par des représentants de divers peuples
et de diverses opinions ; on y trouvera un très beau et très remarquable
discours d'un rabbin parlant au nom des Juifs.
= Dans Nord und Sud, publié par Paul Lindau ; 493 volume, 147e fascicule
(Breslau, libr. Schottlaender, 1889), intéressant article de M- le Dr Joest,
de Berlin, sur les Juifs du Maroc, sur V Alliance israëlite et sur les e'coles
de Y Alliance isr. univ. au Maroc. Nous aurions pourtant à faire des
réserves, mais nous aimons mieux remercier M. Joest de ses sentiments
bienveillants.
4. Chronique des Journaux.
11 y a un peu de calme, et ce n'est pas malheureux, dans l'histoire des
journaux. Le seul journal nouveau qui ait paru a pour titre : Zeitschrift
zur Bekàmpfung des Antisemitismus, erscheint in zwanglosen Heften.
Le 1er fascicule a paru à Linz, impr. Tagwerker, en juillet ou août 1889
et est composé de 16 p. in-8° ; prix, 1 flor. par an. Pas de nom d'édi-
teur ni de rédacteur.
= Lire dans le Theologischer Jahresbericht, de Lipsius, 8e volume, année
1888 (Fribourg en Brisgau, libr. Mohr, 1889), les très intéressantes et
très abondantes notices sur la théologie, où la théologie et l'histoire
juives trouvent également leur place. La 2e partie du 8e vol. vient de
paraître.
Isidore Loeb.
ADDITIONS ET RECTIFICATIONS
M. S.-J. Halberslam, de Bielitz, et M. D. Kaufmann ont bien voulu
nous envoyer les additions et rectifications suivantes sur notre article
concernant les Polémistes juifs et chrétiens {Revue, tome XVIII). = =
M. Halberstam : P. 226, la fin du Bittul ïlikaré kanoçerim a déjà été' publiée
par Steinschneider, dans Hebr. Bibliogr., VI, p. 3; l'imprimé, d'après lui,
serait de Salonique, 1862. — P. 231, sur nWiln '0 de Geronimo, voir
M. Halberstam dans Jeschurun de Kobak, VI, 45-46. = = M. D. Kaufmann :
P. 226, 1. 5, en remontant, la rime prouve qu'au lieu de ""itoïl, il faut lire
^faïl. et traduire : « Lorsque Dieu me bénit en tout, etc., le temps eut envie
de l'éclat de mon honneur. » — P. 223, 1. 1, lire probablement nfrtBïl
Û^pï-n Ù^fc«!l (non d"^)» c'est-à-dire fruits verts et durs, et traduire en
conséquence, p. 224, 1. 11, en remontant. — Ibid., 1. 12, en remontant, il
faut peut-être d^pDnOfaïi, « qui se contentent ». — P. 233, 1. 15, « quod
evangelia sunt peccatum publicum », les mots soulignés sont probablement
une traduction maladroite de •pib^ "pN. La vraie traduction de ces deux
mots est, après interversion de l'état construit, qui est fréquente, « rouleau
du péché », comme s'il y avait "ptf )vb$, et par opposition à l'idée que
les chre'tiens se font de l'Évangile, qui est pour eux le rouleau du salut. —
P. 235, n° 38. Goguerço (confortium) est la traduction littérale de fjN-nn
ou Si&nsïl nll^D, le repas fait après Penterrement. = = Nous ajoutons
que si «peccatum publicum » est effectivement la traduction de yrfyï *J~1^>
le traducteur paraît avoir pris ï"pbA comme un mot dérivant de nb^j
découvrir, dans le sens de péché découvert. — Isidore Loeb.
Tome XVIII, p. 85. D'après M. Halévy, Revue de V Histoire des Religions^
t. XV, p. 94 et suiv., le roman de Barlaam et Joasaphn'a pas été écrit d'abord
en grec puis en arabe, mais en arabe d'abord. S'il en est ainsi, il faudra
remplacer, pour ce chapitre, les mots « éléments chrétiens » par « éléments
arabes » ; et ma thèse n'en sera pas changée : j'ai bien pris soin, t. XVII,
p. 315, et t. XVIII, p. 89, de déclarer qu'à mon avis, l'auteur du Pirké R.
Éliézer a puisé à pleines mains dans les légendes syro-arabes. — P. 87.
R. Méir [Erubin, 18 b) dit, contrairement aux autres Midraschim, qu'Adam
était très pieux, que voyant que la mort avait été décrétée à cause de lui,
il se mit à jeûner pendant 130 ans, que pendant cet espace de temps il n'eut
pas commerce avec sa femme, et qu'il lui poussa des bourgeons de figuier
sur le corps. Si donc le Pirké R. Éliézer s'était inspiré de ce texte, reste-
rait à expliquer pourquoi il a réduit la durée- de ce jeûne (les 130 ans s'im-
posaient, parce qu'Adam eut Seth à l'âge de 130 ans) ; pourquoi surtout il
fait entrer Adam dans le fleuve, où il a de l'eau jusqu'au cou, tout comme
dans la Vie d'Adam. — Israël Lévi.
Le gérant,
Israël Lévi.
VERSAILLES, IMPRIMERIE CERF ET FILS, RUE DUPLESSIS, 59.
RECHERCHES BIBLIQUES
XVII
LE ROYAUME HÉRÉDITAIRE DE CYRUS D'APRÈS LES INSCRIPTIONS
BABYLONIENNES ET LA BIBLE.
La question relative au sens exact du titre du roi d'Anshan que
Cyrus, le fondateur de l'empire perse, se donne à lui-même, dans
son inscription babylonienne, est de celles qui ont besoin d'être
souvent reprises, avant qu'on puisse s'arrêter avec quelque con-
fiance à l'une des solutions présentées par les divers savants qui
en ont fait l'objet de leurs études.
Le pays d'Anshan a fait sa première apparition sur le domaine
assyriologique au commencement de 1880, où Sir Henry Rawlin-
son publia, avec une traduction interlinéaire, dans le Journal of
the Royal Asiatic Society, le texte d'un cylindre babylonien dans
lequel Cyrus raconte comment, grâce à la protection de Marduk,
il s'est rendu pacifiquement maître de Babylone et a mis fin au
règne impie de Nabonicle. Le dieu Marduk, dit-il, voulant réta-
blir les rites violés par ce roi, a passé en revue (ihit ibrêma) tous
les pays, s'est adressé (ishtéma) à un roi juste, favori de son cœur,
dont il soutient la puissance, et il a appelé au gouvernement de
l'univers le nommé Cyrus, roi d'Anshan (lignes 11 et 12). Aux
lignes 20-2, il nous initie à sa généalogie et au titre officiel de ses
ancêtres : « Je suis Cyrus, roi des légions, roi grand, roi puissant,
roi de Babylone, roi de Sumer et d'Accad, roi des quatre ré-
gions (21), fils de Kambuziya, roi grand, roi de la ville d'Anshan,
petit-fils de Cyrus, roi grand, roi de la ville d'Anshan, arrière-
petit-fils de Shispish, roi grand, roi de la ville d'Anshan (22), reje-
ton d'une longue suite de rois, dont Bel et Nabou aiment le gou-
vernement. . . »
T. XIX, n° 38. 11
162 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
Placé subitement devant ce fait inattendu, que Cyrus, au lieu
de s'intituler « roi de Perse », s'assigne à lui-même et à ses trois
ancêtres la royauté de la ville d'Anshan, M. Rawlinson vit tout de
suite que, malgré le témoignage d'Hérodote, le pays d'Anshan ne
peut pas être la Perse proprement dite, mais une partie d'Élam ou
de Susiane. Il lui compara, avec raison, le nom du pays écrit an-
du-an, qui doit se lire Ashshan et qui est interprété mai Elamtu,
« pays d'Élam », par un document assyrien. Au premier abord,
M. Rawlinson pensa placer la ville et le pays d'Anshan sur la
plaine de Mal-Amir ; mais, en raison du caractère anaryen des
inscriptions découvertes dans le voisinage de Kal-Faraun et de
Shïkaft-i-Salman, il inclina à chercher la position de ce pays dans
la plaine susienne de Ram- Hormuzd, près de Shuster. Toutefois,
pendant l'impression de son article, M. Rawlinson, s'étant aperçu
que M. Sayce avait déjà signalé l'identité d' 'Anduan- Ashshan avec
YAnzan des inscriptions de Suse, se décida à revenir à sa pre-
mière impression en faveur de la plaine de Mal-Amir , qu'il
suppose avoir été peuplée par des Perses ariens dès le temps
d'Achéménès.
Au mois de mars suivant, M. Théophile Pinches fit paraître,
dans les Proceedings of the Society of biblical Archaeology, le
résumé d'une tablette babylonienne qui relate an par an les événe-
ments du règne de Nabonide ; un peu plus tard parut le texte,
avec traduction littérale, dans les Transactions de la même
Société. Là aussi Cyrus était nommé roi d'Anshan (avec un signe
différent pour sha). Cette coïncidence tout-à-fait remarquable de
documents si indépendants me détermina à consacrer à l'avène-
ment de Cyrus un travail spécial, inséré dans le premier numéro
de la Revue des études juives. Entre autres questions, j'y traitai
aussi celle qui concerne la position exacte du pays d'Anslian, et,
après avoir établi l'identité des trois orthographes : Anduan
{Ashshan), Anshan et Anzan, je me décidai en faveur de l'idée
de M. Rawlinson, qui la place dans la plaine susienne, située entre
les montagnes et le bassin inférieur du Tigre, contrée qui est
l'Élam proprement dit des Assyro-Babyloniens. Ceci prouvé, j'en
tirai cette conclusion que les Achéménides, à partir de Téispès, .
malgré leur origine iranienne attestée par leurs noms, régnaient
en Susiane, voire à Suse même, au lieu de régner eh Perse,
comme on le croyait jusqu'alors, d'après les historiens classiques
et principalement d'après Hérodote.
Cette opinion, qui admettait cependant l'origine aryenne du fon-
dateur de l'empire perse, causa une émotion générale dans un
certain milieu d'historiens conservateurs. On m'accusa d'avoir
RECHERCHES BIBLIQUES 163
voulu enlever à la race indo-européenne un de ses héros les plus
purs et les plus glorieux, de faire fi des traditions les plus respec-
tables consignées dans la Bible et les histoires accréditées, et
d'autres méfaits semblables. Les contradictions et les réfutations
vinrent, serrées et violentes, de presque tous les pays de l'Europe.
J'ai cherché à répondre à ceux dont les arguments avaient un
caractère scientifique, et j'ai laissé les autres se débattre à leur
aise, car j'avais la ferme espérance qu'une nouvelle trouvaille
assyriologique viendrait un beau jour dissiper la dernière ombre
de doute qui planait encore sur la position précise du pays
d'Anshan. Cette trouvaille a été faite en effet par mon ami
M. Arthur Amiaud, cinq ans plus tard. En examinant l'inscription
B. de Gn-de-a, M. Amiaud trouva un passage qui nous apprend
que cet Jshakku (pa-te-si) de Lagashu (shir-bur-la) a battu le roi
de la ville à'Anshan 1 du pays d'Élam (col. vi, 65). A mon grand
désappointement, cette donnée si claire ne produisit pas sur mon
savant ami l'effet que j'en attendais. Au contraire, dans un
mémoire publié dans les Mélanges Rénier 2, M. Amiaud chercha
plus que jamais à justifier le point de vue traditionnel. Il fallut
donc attendre de nouveau d'autres témoignages en faveur de ma
thèse. Ces témoignages, j'ai la satisfaction de pouvoir les signaler
à l'heure qu'il est, et voilà pourquoi je prends la liberté de revenir
sur la question d'Anshan huit ans après la publication de mon
premier mémoire sur ce sujet. Ma réponse, j'ai à peine besoin de
le faire observer, visera uniquement les objections faites au nom
de l'assyriologie et, par conséquent, les deux travaux principaux
qui s'en réclament, à savoir : le mémoire de M. l'abbé Delattre,
intitulé YEmpire des Mèdes, qui a été couronné par l'Académie
de Belgique, et le mémoire tout à fait remarquable de mon sa-
vant collègue et ami, dont les travaux occupent le premier rang
dans l'assyriologie française, mémoire intitulé Cyrus, roi de
Perse et datant de 1887.
Dès le début de la discussion, j'avais indiqué à mes contradicteurs
un moyen héroïque de détruire mes conclusions, c'est d'identifier
le nom d'Anshan avec la Perse. Quelques-uns d'entre eux, préfé-
1 Ecrit avec le signe sha, qui tigure dans ce nom dans l'inscription de Cyrus.
* Bibliothèque de l'École des Hautes-Études, LX XIIIe fascicule. Paris, 1887,
pp. 241-2t)0.
164 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
rant la tradition aux documents contemporains, s'y sont aussitôt
cramponnés comme à une ancre de salut. Les autres, mieux
avisés, reconnurent le poids des raisons que j'avais développées
contre l'impossibilité d'une telle interprétation. Les deux auteurs
précédemment nommés sont de ce nombre, mais ils cherchent,
chacun à sa façon, un biais, afin d'échapper aux conséquences
historiques du fait. Examinons-les séparément et sans parti pris.
En traduisant shar mat Anshan par « roi de la Susiane », j'ai
été guidé par une considération de fait que j'ai clairement expri-
mée dans mon article. Quelque étroite qu'eût pu être primitive-
ment la province susienne de ce nom, il est indubitable que, dans
la bouche de Nabonide, de Cyrus et de leurs chanceliers, le mat
Anshan embrassait la Susianne tout entière avec Suse, sa capi-
tale. Prétendre le contraire serait aussi absurde que d'entendre
dans les titres de « roi de France » et d' « empereur d'Alle-
magne », les seuls territoires des Francs et des Alamans. Je ne
m'explique guère comment une considération aussi élémentaire a
pu échapper à M. Delattre, qui ouvre son examen critique de mon
opinion par les mots suivants : « M. Halévy est le seul, à notre
connaissance, qui ait attribué la seconde langue des inscriptions
trilingues au pays d'Anshan. Bien que ce soit aussi notre avis, il y
a une différence essentielle entre son opinion et la nôtre. Pour nous,
Anshan est une partie d'Élam ; pour M. Halévy, Anshan est absolu-
ment identique à Élam (ou Susiane) ». M. Delattre n'a évidemment
pas réfléchi à la portée de sa subtile distinction, car il en résulte-
rait que, même après la conquête de Babylone, Cyrus n'était pas
encore maître de la Susiane entière, et cependant tous les histo-
riens classiques attestent unanimement qu'il résidait à Suse. De
plus, M. Delattre croit-il que les rois susiens contemporains auraient
laissé pendant quatre générations les ancêtres de Cyrus et Cyrus
lui-même dans la tranquille possession de leur principauté minus-
cule d'Anshan, sans jamais penser à les chasser du pays, avec l'aide
de leurs alliés les Mèdes ouïes Babyloniens? D'autre part, est-il
imaginable que les princes d'Anshan, d'origine perse et étrangers
au pays, n'aient jamais pensé à s'emparer du reste de la Susiane?
On le voit, l'idée de restreindre l'Anshan de Cyrus à une seule pro-
vince susienne ne tient pas debout, et il devient clair que l'expres-
sion « roi d'Anshan » équivaut à « roi de Susiane ». Un tel titre,
vu la grandeur et l'antiquité de la Susiane, était aux yeux de
Cyrus autrement glorieux que celui de « roi de Perse », et c'est
pourquoi il ne le prend jamais dans ses inscriptions, bien que
l'annexion de la Perse à la Susiane ait été, suivant toutes les vrai-
semblances, l'un des premiers actes guerriers de ce conquérant.
RECHERCHES BIBLIQUES 16b
Le titre de « roi de Perse » lui est donné une fois par l'auteur des
annales de Nabonide, ainsi que par les auteurs hébreux et grecs,
qui insistaient surtout sur l'origine perse de Cyrus. Les histo-
riens grecs ont même entièrement ignoré l'existence d'une dy-
nastie perse dans la Susiane avant Cyrus *.
Cet exposé suffit pour enlever toute base aux objections de
M. Delattre; les témoignages des anciens, y compris Darius, qui
attribuent aux Achéménides seuls le droit à la royauté, ne contre-
disent en rien le fait constaté par Cyrus, que ses ancêtres occu-
paient depuis plusieurs générations le trône de la Susiane. Que les
auteurs postérieurs aient parlé de la Susiane comme d'une pro-
vince perse, personne ne peut s'en étonner; mais, au début de
la fondation de l'empire perse, la situation était différente : la
Susiane, gouvernée par plusieurs générations de princes perses,
l'emportait de beaucoup sur le pays d'origine de ces princes.
Aussi est-il arrivé que, malgré l'agrandissement immense de
l'empire perse du côté de l'ouest, Suse resta la capitale aussi
longtemps que dura la dynastie des Achéménides, bien, que la
position d'Egbatane ou de Babylone aurait été plus avantageuse,
surtout en raison de leur climat plus agréable que celui de Suse.
« La Susiane, Strabon le remarque expressément, a un climat
de feu, et la chaleur y est tout spécialement intolérable dans la
partie où est Suse. » Alexandre, en préférant Babylone, a tenu
compte de cette considération impérieuse ; mais les Achéménides
ne pouvaient pas quitter si facilement le berceau de leur empire
et la capitale héréditaire de leur dynastie. M. Delattre ferme les
yeux sur ce passage et m'oppose l'autre passage, où Strabon ex-
plique la préférence des rois perses pour Suse par la position
centrale de cette ville. 11 n'a pas remarqué que l'auteur grec, peu
satisfait lui-même de cette raison, y joint une autre, d'un ordre
politique. « C'est, dit-il, que la Suside n'avait jamais par elle-
même rien entrepris, ni rien réalisé de grand ; c'est qu'elle avait
toujours eu des maîtres, qu'elle avait toujours dépendu d'empires
plus vastes, si ce n'est peut-être à l'origine et à l'époque héroïque
de son histoire. » Vu l'ignorance absolue des auteurs grecs rela-
tivement à l'histoire de la Susiane, les paroles de Strabon sont
au fond très exactes : après la terrible invasion d'Assurbanipal,
qui discrédita la dynastie indigène, la Susiane, gouvernée par les
Achéménides d'origine perse, est devenue, comme la Perse elle-
même, une simple dépendance de l'empire mède. J'ai depuis long-
1 On verra plus loin qu'une allusion à la domination en Susiane d'une dynastio
étrangère se trouve chez un écrivain prophétique du vie siècle avant J.-C.
166 REVUE DES ETUDES JUIVES
temps tiré ce fait historique du célèbre passage de la grande ins-
cription de Nabonide relative à la construction du temple du
soleil à Harran, passage dans lequel Cyrus, roi d'Anshan, est
appelé le plus petit des serviteurs d'ishtuioegu, roi des umman-
manda, c'est-à-dire d'Astyage, roi des Mèdes.
II
Le mémoire de M. Amiaucl revêt une forme sévère et profondé-
ment scientifique. Le titre : « Gyrus, roi de Perse » caractérise
déjà à lui seul l'esprit d'énergique décision du savant assyriologue
qui entre en lice pour la défense de traditions respectables. Dans
le prologue, M. Amiaud trace une image séduisante de l'accord
parfait sur ce point des livres juifs, des historiens grecs et des
traditions persanes, accord qui avait emporté la conviction de
tous les savants ; il prend vigoureusement à parti les assyrio-
logues trop hâtés et assez peu circonspects pour entrer en lutte
avec les historiens anciens, qui n'avaient apparemment aucune
raison de n'être pas véridiques, qui étaient plus rapprochés des
lieux et des événements dont nous nous occupons, et qui, par
conséquent, s'ils ne pouvaient toujours, non plus que nous, puiser
directement aux sources, y pouvaient, du moins, remonter par des
intermédiaires nombreux et par des interprètes plus autorisés que
nous ne sommes.
Voilà un procès dressé en toute règle et sans ambages contre les
assyriologues assez osés pour porter le trouble dans l'accord gé-
néral des historiens. Le coupable, cela va sans dire, c'est moi,
mais M. Amiaud emploie l'expression « les assyriologues » au
pluriel, parce qu'il vise en même temps un travail de M. Sayce qui
m'est resté inconnu et dans lequel cet auteur nie l'origine persane
de Gyrus. Cette dernière opinion, que je ne partage nullement,
est aussi réfutée par M. Amiaud. « Gyrus, dit-il avec raison, a pu
parler avec un respect plus ou moins intéressé des dieux de
Babylone, mais sa nationalité perse n'est pas douteuse », car, ainsi
que je l'ai fait remarquer dès le commencement, les noms de ce
prince et de ses pères Kurus, Kambujiya, Tchaispis, Hakhâmanis
suffisent pour éclaircir cette origine. En dehors de cette seule
observation à l'adresse de M. Sayce, le mémoire en question est
consacré à l'élucidation de la position géographique. d'Anshan et
ne vise que moi seul.
J'aurais peut-être pas mal à redire contre l'autorité absolue
RECHERCHES RIBIJQtJES 167
que mon savant ami octroie aux historiens anciens. Précisément
parce qu'ils ne sont que les interprètes par intermédiaires de nar-
rateurs asiatiques dont ils ne comprenaient pas la langue, on
doit examiner leurs traditions à la lumière des documents venant
directement des personnages dont il est question ou de leurs
contemporains. Aujourd'hui même, il serait parfois très difficile
d'établir certains faits historiques, si les écrits composés pendant
les événements nous faisaient défaut. Or, sur ce point comme sur
tant d'autres, les anciens n'étaient guère plus parfaits que nous.
Gomment peut - on donc les déclarer des guides infaillibles et
torturer les documents originaux, afin de créer un accord qui
n'existe pas?
Mais laissons-là les généralités et occupons-nous des objections
de détail par lesquelles M. Amiaud cherche à justifier son adhésion
à l'opinion traditionnelle. Voici comment il pose et résout du pre-
mier coup la question en litige.
« Au dire de M. Halévy, les premiers Achéménides, malgré
les noms qu'ils portaient, s'étaient si bien nationalisés en Susiane,
que le plus puissant d'entre eux, Gyrus, prend dans son protocole
officiel le titre de « roi de Susiane », au lieu de celui de « roi de
Perse ». Ce dernier titre lui est exclusivement donné par des
étrangers, soit dans le but d'indiquer sa conquête de la Perse, soit
dans celui de préciser son origine. » Selon le même auteur, « de
ce que la Bible appelle Cyrus « roi de Perse » ou « le Perse », on
peut seulement conclure que la Perse faisait partie de son empire
et qu'il descendait d'une famille originaire de la Perse, non qu'il
est immédiatement venu de ce pays. » Je crois ici, avec d'autres
contradicteurs, que M. Halévy tient trop peu compte de l'autorité
des auteurs sacrés et profanes, qui font de Cyrus un roi de Perse.
Je crois et je vais essayer de prouver que le titre de roi d'An-
shan emportait, dans la pensée, des scribes babyloniens qui l'ont
employé, soit qu'ils écrivissent en leur propre nom, soit qu'ils
s'exprimassent au nom de Cyrus, la signification de roi de Perse,
que les deux titres s'équivalaient. »
La contradiction est, comme on le voit, aussi tranchée que pos-
sible : pour moi l'Anshan est l'Élam ou la Susiane; pour M. Amiaud,
c'est la Perse. Mais pourquoi le savant assyriologue revient-il de
nouveau à mon peu de respect pour l'autorité des auteurs sacrés
et profanes ? Dans la science sévère et impartiale, le maniement
du levier de V autorité me semble parfaitement déplacé et, pour
la plupart du temps, inutile. Du reste, mon contradicteur a oublié
de me signaler un passage où les auteurs sacrés ou profanes
auraient affirmé que les premiers Achéménides n'ont pas régné
168 BEVUE DES ETUDES JUIVES
en Susiane, car c'est le contraire de cette négation seul qui fait la
substance de ma thèse. Quant au titre de roi de Perse, il pouvait
légitimement être donné à Cyrus plusieurs années avant la con-
quête de Babylone , voire même probablement avant la chute
d'Astyage, car la prise de possession de la Perse était, ainsi que
je l'ai dit plus haut, suivant toutes les vraisemblances, le premier
acte d'agression de Cyrus à l'égard de la Médie.
M. Amiaud continue : « Sans cette équivalence (d'Anshan et de
Perse), comment expliquerait-on que le rédacteur des Annales de
Nabonide, qui nomme deux fois Cyrus en faisant suivre son nom
de son titre royal, l'appelle une fois roi d'Anshan, shar Ans h an
(col. 2, 1. 1) et une fois roi de Perse, shar mat Parsu (col. 2, 1. 25) ?
Qu'on (lisez: qu'Halévy) n'objecte pas que dans le cylindre où Cyrus
lui-même a la parole une pareille variante ne se rencontre pas,
qu'il s'y nomme toujours et qu'il y nomme ses prédécesseurs rois de
la ville (ou du pays) d'Anshan, qu'il connaissait apparemment son
propre titre mieux qu'un scribe babylonien. Je pense, au con-
traire, que la leçon roi de Perse est bien plus probante sous le
style d'un Babylonien que dans la bouche de Cyrus. Qu'on veuille
y voir un lapsus ou une modification intentionnelle, cette leçon
ne peut s'expliquer, dans l'opinion que je combats, que par la
préoccupation où était son auteur de l'origine perse du roi d'An-
shan et de sa domination sur la Perse. Mais cette préoccupation
se comprendrait bien mieux chez Cyrus que chez des étrangers.
Qu'importait aux Babyloniens l'origine dynastique de leur vain-
queur ? Ils auraient vu avant tout dans Cyrus, roi de Susiane, non
pas le Perse roi de Perse, mais l'héritier de l'antique puissance
élamite, et, s'ils avaient pu songer à modifier son titre officiel,
c'était celui si célèbre de roi d'Élam, shar mât Élamti qui serait
venu le plus naturellement à leur pensée. Car autre chose était
la royauté d'Élam et autre chose la royauté d'Anshan. »
Je n'ai pas voulu abréger le passage où M. Amiaud explique sa
pensée, mais qui ne voit que la pointe de son raisonnement, qui
réside dans la dernière phrase soulignée par moi, est une simple
pétition de principe : d'abord il admet que TAnshan n'est pas
l'Élam et ensuite il demande pourquoi on ne trouve pas le titre
roi d'Élam. Pour moi, qui soutiens l'identité d'Anshan et d'Élam,
le titre roi d'Anshan était précisément celui qui avait un carac-
tère officiel, sans toutefois exclure celui de roi de Perse, surtout
à un moment où la Susiane, suivant la parole de Strabon citée
plus haut, était devenue comme partie intégrante de la Perse.
M. Amiaud aurait dû penser qu'on pourrait retourner la ques-
tion et lui demander pourquoi, si la Susiane n'est rien dans leurs
RECHERCHES BIBLIQUES 169
affaires, Cyrus et ses contemporains n'ont pas employé le titre
autrement clair de roi de Perse, seul titre qui convient à une dy-
nastie nationale de ce pays. A moins d'affirmer que mat Anshan
ou Anzan était de tout temps le nom de la Perse chez les riverains
du Tigre et de l'Euphrate, opinion qui n'est admise ni par
M. Amiaud ni par aucun autre assyriologue, la rareté si extraor-
dinaire du nom de la Perse dans les inscriptions de Cyrus et de
ses contemporains doit avoir sa raison d'être et ne saurait être un
simple effet du hasard, et comme il est peu probable, d'autre part,
que le Mat Anzan ait désigné primitivement un tout petit terri-
toire comme celui de Mal-Amir, il ne reste que l'hypothèse qui
y voit la désignation indigène de l'Élam proprement dit, la partie
de la Susiane occidentale située entre les montagnes et les rives
du Tigre et de la mer adjacente, bien que, dans le sens général,
il désigne la Susiane tout entière.
Il y a plus, la base même de l'argument que je discute, savoir
l'inapplication à Cyrus du titre de roi d'Elam, dans les annales de
Nabonide, est contredite par les faits : le titre réputé absent s'y
trouve en toutes lettres, bien que l'idéogramme de « roi » soit
effacé sur la tablette, ce qui explique pourquoi on ne s'en est pas
aperçu jusqu'à présent. La traduction inexacte de quelques autres
mots du texte a encore augmenté l'obscurité du passage, mais
ces obstacles sont maintenant levés, et la clarté reparait autant
qu'on peut le souhaiter.
Aux lignes 21 et 22, on lit ce qui suit :
Ina arah Siwanni um eshtin-eshrâ [shar] slia mat Elamiya
ina mat Akkadi [irub]-ma shar sha mat ina Uruh [irub ?]
« Dans le mois de Siwan, le vingt et unième jour, le [roi] du
pays d'Élam (= Cyrus) entra dans la Babylonie et le roi du pays
(= Nabonide) (s'enferma ?) dans Érek. »
Après le récit concernant la reddition paisible de Babylone, il
est de nouveau question d'Élam dans un passage mutilé, mais
néanmoins assez clair pour montrer qu'il s'agit d'une exporta-
tion, de Babylonie en Élam, d'une grande quantité de dattes :
. . .ina siduppi ushbi Flami
« . . .il rassasia de dattes le pays d'Élam. »
Cette fois le nom d'Élam est écrit par l'idéogramme ordinaire
nim-ma-ki.
En un mot, l'inscription des annales de Nabonide, qui a été
rédigée plusieurs mois après la prise de Babylone, appelle Cyrus
« roi d'Élam », et le met en connexion avec ce pays, désigné
deux fois par la forme susienne indigène, Anshan, une troisième
fois par la forme assyrienne vulgaire, Elamiya, et une quatrième
170 REVUE DES ETUDES JUIVES
fois par l'idéogramme nimma. Le titre de « roi de Perse » n'y
figure qu'une seule lois. D'autre part, l'inscription de Nabonide
et celle de Gyrus lui-même désignent le royaume des Achémé-
nides exclusivement parle nom indigène aman ou anshan. Tout
commentaire me paraît inutile.
Mais continuons à examiner les autres objections de notre sa-
vant collègue. J'ai dit que le nom d'Anzan désignait la plaine
susienne qui confine au bas Tigre, l'Élam des inscriptions assy-
riennes. M. Amiaud trouve cette affirmation assez surprenante,
puisque raâtu Elamtu signifie « le haut pays ». Le mot de l'é-
nigme ne paraît pas très difficile à trouver : l'application du nom
d'Élam à la plaine est due à l'annexion de celle-ci au domaine des
rois susiens originaires du pays montagneux, tandis que le nom
indigène du royaume, Aman et Shicshunqa, représente des divi-
sions administratives, l'un la partie occidentale, l'autre la partie
orientale du pays, sans le moindre égard à la configuration du
terrain. Le fait que l'Anzan a le pas sur le Shushunqa, dans le
titre de ces princes, s'explique aisément par l'importance produc-
tive de la plaine, comparée aux terrains incultes de la montagne,
et rien n'autorise à en conclure, comme le fait M. Amiaud, que
l'Anzan a été le berceau des rois susiens. On ne doit pas s'étonner
non plus que la mention de l'ancienne ville d'Anzan, qui a donné
son nom à la plaine d'Élam, ne se rencontre pas dans les listes
des villes prises par les rois assyriens ; outre la considération que
ces listes sont très incomplètes, il y a l'analogie du titre officiel
de la Babylonie : pays de Sumer et d'Accacl, qui est indubitable,
bien qu'on n'ait constaté nulle part la mention d'une ville du
nom de Sumer. Il n'est même pas nécessaire de penser , dans
les deux cas que nous comparons, à des villes séparées : Aman
comme Sumer ont très bien pu n'être, dès le début, que les parties
respectives de Suse et d'Accad et changer de nom dans le cours
des siècles.
D'après M. Amiaud, le pays d'Anzan doit être placé dans les
montagnes qui séparent la Susiane de la Perse. Il trouve cette
indication dans le passage connu où Sennachérib décrit ainsi
qu'il suit la composition de l'armée de son adversaire susien,
Oummanmenanou : « Lui, l'Élamite, dont j'avais pris et ruiné les
villes dans ma précédente campagne au pays d'Élam, ne devint
pas plus sage dans son cœur * ; il accepta les présents des Babylo-
niens ; il réunit ses troupes, ses chars et ses chevaux ; il réunit
1 Libbush la ihsus = b^DiDîl itfb llb ; M. Amiaud traduit : « ne put me par-
donner dans son cœur ».
RECHERCHES BIBLIQUES 17!
les (hommes des) pays de Parsuash, (V Anzan, de Pashiru, d' El-
lipi, les peuplades tfYasan, de Lakapri, de Harzunu, des villes
de Dumrnuqu, de Sulaya, et tous ensemble ils prirent ie chemin
du pays d'Accad. » Un autre texte donne : « Parsuash, Anzan,
Pashiru, Ellipi, la totalité des Chaldéens et des Araméens. »
Les pays de Parsuash, de Pashiru et de Ellipi sont connus comme
étant situés au nord de la Susiane, mais, sous prétexte de trouver
un ordre géographique dans rénumération, M. Amiaud identifie
Parsuash avec la Perse, et place Anzan immédiatement après, no-
tamment plus près de la Perse que de la Susiane, à l'est de Mal-
Amir, où commence précisément la Perse. Il y a, dit le savant
assyriologue, dans les deux premiers noms de la liste deux dési-
gnations équivalentes, mais non identiques ; le Parsuash est la
Perse des Perses aryens, l'Anzan est la Perse allophyle habitée
par les Mardes ou Amardes, les Hapirdip de la deuxième espèce
des inscriptions achéménides qu'on doit appeler l'anzanite. Du
temps de Sennachérib, ajoute M. Amiaud, la conquête de l'Anzan
par les Perses n'était pas encore achevée ou même commencée.
Les Perses viennent seulement d'arriver ; ils sont aux portes. Au
contraire, quand les annales de Nabonide ont été écrites, il y
avait longtemps que la conquête était chose finie. Pour l'auteur
de ces annales, les deux mots de Perse et d'Anzan étaient devenus
absolument synonymes.
J'ai le regret de le dire : toutes ces hypothèses entassées si soi-
gneusement l'une sur l'autre reposent sur une base bien fragile,
le rôle exagéré, en dehors de toute proportion vraisemblable et
même imaginable, qu'on fait jouer à un canton minuscule de la
Perse avant les Perses. Quoi, ce pays ignoré des Assyro-Baby-
loniens et des auteurs de la Bible aurait été le pays d'origine de
la vieille dynastie susienne ! Chose singulière, cette conjecture
admise, on ne s'explique pas encore pourquoi Cyrus a préféré
pour lui et ses ancêtres le titre de roi d'Anshan à celui de roi de
Parsuash. Puis, si un district perse pouvait réclamer en particu-
lier un tel honneur, c'eût été, sans contredit, le district de Pasar-
gade, où se trouve, en effet, le tombeau de ce héros, tandis que
l'Anzan, d'après l'opinion de M. Amiaud lui-même, était peuplé de
tribus barbares conquises et méprisées par les Perses. Cette seule
réflexion suffit déjà pour renverser l'édifice historique construit
si péniblement par mon savant collègue, en vue de justifier ce
qu'il appelle la tradition classique et biblique. A ce compte, l'hy-
pothèse de M. Rawlinson, qui place l'Anzan à Mal-Amir, a, du
moins, cet avantage de faire naître la dynastie millénaire de Suse
dans un territoire susien.
172 REVUE DES ETUDES JUIVES
Les autres points de la thèse que j'examine ne me semblent pas
non plus à l'abri des plus graves objections. Je demande la liberté
de les passer successivement en revue sous les yeux de mes lec-
teurs.
Premièrement, le Parsuash ne saurait être la Perse. Partout où
l'on rencontre ce nom dans les inscriptions assyriennes, il s'agit
d'un pays du nord, notamment d'un pays situé près de Namri,
voisin d'Ellibi, c'est-à-dire à peu près au sud du lac d'Ourmie. La
distance entre ce pays et Suse n'est pas assez grande pour que
l'adversaire élamite de Sennachérib n'ait pu en tirer des troupes
auxiliaires. Chose curieuse, M. Amiaud, tout en identifiant les
ternies Parsuash et Perse, les distingue soigneusement au point
de vue géographique. Gomme le pays de Parsuash disparaît des
annales assyriennes après Sargon, il en conclut que les habitants,
qu'il suppose de race iranienne, avaient émigré vers le sud en deux
étapes principales. Au temps de Sennachérib ils étaient encore
aux portes de l'Anzan, habité par des aulochthones non iraniens.
Le territoire où s'était effectué ce premier arrêt des émigrants
serait le Parsuash des annales du roi assyrien. Après la mort de
celui-ci, les émigrants auraient atteint l'Anzan élamite, qui reçut
alors, à côté de son ancien nom, celui de Parsu, variante de Par-
suash. M. Amiaud émet même l'avis que l'émigration a été con-
duite par Achéménès, dont la descendance devrait être rétablie
ainsi : Téispès I, Cambyse, Cyrus, Téispès II, puis les deux
branches sorties de ce dernier, savoir, Cyrus II, Cambyse II, Cy-
rus III, Cambyse III, rois d'Anzan, d'une part; Ariaramnès, Arsa-
mès, Hystaspes, Darius, d'autre part, formant la branche cadette
et qui, sauf le dernier, n'avaient pas exercé la royauté effective.
« Alors aussi, en comptant par génération vingt-deux ans, chiffre
qui ne semble pas trop restreint eu égard aux usages orientaux,
on reconnaîtra dans Achéménès un contemporain de Sargon (de
•722 à 706) et le conducteur possible de l'émigration des Perses;
et Téispès IJ, le prince dont la dynastie des Achéménides
s'honorait le plus, après son fondateur, celui auquel Cyrus a
arrêté sa généalogie, contemporain de Nabuchodonosor, sera le
premier roi de Perse ayant étendu sa domination sur l'Élam.
Enfin, nous aurons une série possible de neuf rois de Perse avant
Darius. Nous aurons même dix rois possibles. Mais ne pourrait-on
pas supposer qu'un des trois premiers descendants d'Achéménès
soit mort avant son père, et sans avoir régné? »
Voilà toute une théorie d'émigration des plus compliquées créée
d'emblée et dans le seul but de justifier au pied de la lettre l'asser-
tion de Darius, que huit de ses ancêtres avaient régné avant lui
RECHERCHES BIBLIQUES 173
en deux branches. M. Amiaud compose la première avec Aché-
ménès et trois rois hypothétiques qu'il fait précéder à Téispès, et
la seconde avec les quatre rois issus de ce dernier et formant la
branche aînée. Mais de quel droit scinde-t-il en deux branches
une série si directe et si ininterrompue de rois qui se succèdent de
père en fils depuis Achéménès jusqu'à Gambyse III? Pour tout le
monde, une lignée aussi continue ne peut que former une seule
série, tandis que, d'après Darius, les huit Achéménides qui l'ont
précédé ont régné en deux séries ou en deux fois (duvartim) ;
puis, si, malgré tout, la dualité pouvait y être assignée, Darius
n eut pas manqué de désigner son propre avènement au trône
comme l'inauguration d'un troisième rameau achéménide. On le
voit, avec la meilleure volonté du monde, la solution présentée
par mon savant contradicteur, outre son caractère purement hy-
pothétique et au fond très peu vraisemblable, est beaucoup moins
simple que celle que j'ai défendue dès le commencement et qui
consiste à voir dans l'affirmation de Darius, relative à ses huit
prédécesseurs, une appréciation personnelle envisageant les trois
membres de la branche cadette, Arsamès, Ariaramnès et Hys-
taspes, qui avaient droit à la royauté, comme de vrais rois. Si la
qualification de mensonge répugne à quelques-uns, qu'ils le rem-
placent par contre-vérité ou seulement par exagération ; mais,
par Dieu, qu'ils ne créent pas des rois imaginaires et un Exode
encore plus imaginaire pour les besoins de leur cause ! L'histoire
n'est une science positive qu'à la condition de ne point verser dans
l'arbitraire.
En effet, quoi de moins fondé que la supposition que les Par-
suash auraient quitté leur pays natal pour se fixer au midi de la
race iranienne ! Est-on seulement sur que les Parsuash étaient
de race iranienne? Qu'on nous donne des preuves et nous nous
inclinerons.
Puis, en ce qui concerne ce Parsuash numéro II, qu'on place
au nord d'Anzan au temps de Sennachérib, n'est-il pas singulier
que le monarque assyrien ait été si bien informé de la trans-
formation de l'onomastique géographique qui se passait sur le
versant oriental des monts susiens, où les armées assyriennes
n'avaient jamais mis les pieds?
Enfin, ce fameux Anzan qui aurait été, jusqu'à la mort de Sen-
nachérib, la Perse sans les Perses, veut-on sérieusement nous faire
croire qu'il formait le plus beau fleuron de la vieille monarchie
élamite? Mais une telle velléité d'interprétation géographique est
formellement ruinée par le témoignage direct et formel de l'ins-
cription de Gudea d'après laquelle cet Ishahku ou souverain-
174 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
pontife du troisième millénaire avant notre ère, au plus bas mot, a
pris et saccagé la ville d'Anshan du pays d'Élam. Ici il ne peut
être question de la conquête d'une ville située à l'est de Suse, qui
n'est pas mentionnée, et moins encore d'une ville du territoire
de la Perse, où l'on ne peut arriver qu'en traversant les mon-
tagnes qui séparent ce pays de la Susiane. C'est là une preuve
irréfragable que, ainsi que je l'ai toujours soutenu, l'Anzan est la
province occidentale du royaume de Suse, province voisine de la
Babylonie et, par conséquent, exposée aux attaques des rois ba-
byloniens de tous les temps.
La situation occidentale d'Ànzan une fois fixée par un document
de la plus haute autorité, toutes les hypothèses exposées précé-
demment s'écroulent l'une après l'autre. Les Parsuash ne sont pas
les Perses et n'ont pas émigré ; Achéménès n'est pas un contem-
porain de Sargon ; Téispès est le fils et suocesseur immédiat d'Aché-
ménès, et le royaume héréditaire des Achéménides est la Susiane
tout entière, bien que le nom d'Anzan ou d'Anshan désignât au
propre la partie ouest de ce royaume.
Mais un pareil résultat ne fait-il pas trop peu de cas des témoi-
gnages unanimes des auteurs classiques et de ceux de la Bible?
Non, mille fois non. Il faut absolument retirer du débat les auteurs
classiques, Hérodote en tête, qui n'ont commencé à connaître la
Susiane qu'à une époque où elle était intimement annexée à l'em-
pire perse et avait perdu toute existence propre. Pour Hérodote
surtout, la Gissie ainsi que tous les territoires des montagnes voi-
sines forment une partie intégrante de la Perse. Il y a plus, parmi
les sept tribus perses qu'il énumère comme n'appartenant pas à la
noblesse, on en distingue, pour le moins, cinq qui habitaient des
pays extra-perses. Ainsi la tribu agricole des Germaniens semble
être une peuplade de la plaine située à l'est du Tigre entre le petit
Zab et le Diala, le Bê[th) Garmê des Syriens. De même, les tribus
nomades des Sagartiens, des Daïens et des Dropiques * habitaient
certainement au nord de la Perse propre ; les Mardes, enfin, sont
très probablement les indigènes de la Susiane montagneuse, les
Hapirdi des inscriptions de la deuxième langue achéménide. Dans
de telles conditions, Hérodote et les autres écrivains grecs qui le
copient ne peuvent entrer en comparaison avec les monuments
antérieurs, qui connaissent une distribution géographique toute
différente.
Quant aux écrivains bibliques, la même élimination doit être
opérée relativement à ceux qui sont postérieurs au retour de la cap-
1 Visiblement le même nom que celui des Derbices (Amiaud).
RECHKKCIIKS BIBLIQUES 175
tivité : ceux-là, ainsi que le premier historien grec, nomment Cyrus
roi de Perse, et ils ne pouvaient le nommer autrement. Mais, par
une bonne fortune extraordinaire, un prophète anonyme de l'école
d'Isaïe nous a laissé une description poétique de la prise de Baby-
lone telle qu'il l'avait prévue peu de temps avant que les événements
n'eussent pris un tour inattendu. Cet auteur, à qui nous devons
Isaïe, xxi, 1-10, voit venir Cyrus du côté de la Chaldée maritime
(D*1 '"iSi'Ift, v. 1), note les révoltes et les trahisons des troupes baby-
loniennes en face de l'ennemi et distingue dans l'armée d'invasion
deux éléments ethnographiques : Élam et Madaï, la Susiane et la
Médie :
« Monte, Élam ; assiège, Madaï ; je vais mettre fin à toutes ses
oppressions (v. 2) ! »
Sous la plume de ce témoin oculaire, Élam ou la Susiane a le
pas sur Madaï ou la Médie, l'une étant le pays héréditaire du
conquérant, l'autre un pays conquis. Quant à la Perse, elle y figure
aussi peu que dans les inscriptions babyloniennes de Nabonide et
de Cyrus lui-même. Le texte de Cyrus ne mentionne à côté d'An-
shan que le pays de Quii, c'est-à-dire la Médie du sud. L'accord
entre le prophète et le texte authentique de Cyrus est le plus
parfait qu'on puisse imaginer.
La Bible nous donne même, si je ne me trompe, la date exacte
de la fondation de la dynastie perse en Susiane. Une prophétie
de Jérémie, datée du début de Sédécias (xlix, 34-39), annonce
la ruine d'Élam, aboutissant à la dispersion de ses habi-
tants et à la destruction de la dynastie et de la noblesse na-
tionales :
« Je placerai mon trône dans Élam et j'en exterminerai roi et
princes, dit Iahwé (n° 38). »
Cette prophétie se terminant par l'annonce de la délivrance
d'Élam dans l'avenir (û"^- rmnôn), on a eu tort d'affirmer que
cette promesse se rapportait à l'avènement de la dynastie persane
qui aurait arraché l'Élam aux mains affaiblies de Babylone. Mais la
supposition que la Susiane ait jamais fait partie de la domination
babylonienne, qui était très légitime il y a quelque temps, est for-
mellement contredite par Nabonide, qui appelle Cyrus le petit ser-
viteur ou vassal d'Astyage. Il en ressort que la Susiane a été un
fief de la Médie. De plus, l'idée d'une prophétie post eventum,
invraisemblable en elle-même, tient encore moins debout dans ce
cas particulier, non seulement à cause de la date formelle du début
du règne de Sédécias, mais surtout par cette raison péremptoire
que les promesses analogues de restauration touchant l'avenir de
Moab et d'Ammon (Jérémie, xlviii, 47, et xlix, 6) ne se sont
176 REVUE DES ETUDES JUIVES
jamais réalisées. Le point de vue d'autrefois doit donc être modifié
aujourd'hui. C'est la destruction totale de la dynastie indigène
d'Élam qui est le point historique que vise ïe prophète, destruc-
tion qui n'a pu être amenée, en définitive, que par l'établissement
de la dynastie perse et, par conséquent, étrangère au pays. L'a-
vènement de cette dynastie étrangère ne s'est certainement pas
effectué sans opposition de la part des Élamites et sans provo-
quer un déploiement de mesures de répression de la part des
Perses. De là, le grand nombre des réfugiés ou transportés d'É-
lam dont parie le prophète l. L'avènement de la dynastie perse
avec Téispès en Susiane date donc de 598, qui est la première
année de Sédécias. Les soixante années qui s'écoulèrent entre la
fondation de la nouvelle dynastie en Élam et la prise de Baby-
lone par Cyrus sont à distribuer entre les trois prédécesseurs de
celui-ci, ce qui donne une moyenne de vingt ans par règne. Cette
moyenne est déjà beaucoup plus forte que celle qui résulte, par
exemple, des 416 ans distribués par Ptolémée en -trente règnes,
depuis Nabonassar jusqu'à Darius Codoman et qui ne comporte
que 13 ans et 26/30 par règne. La comparaison des tables de Pto-
lémée montre aussi l'impossibilité, même après intercalation de
trois membres régnant entre Achéménès et Téispès, de faire,
sans preuve à l'appui, d'Achéménès un contemporain de Sargon,
en admettant, avec M. Amiaud, une moyenne de vingt-deux ans
pour chaque règne. Quant à l'attribution de « rejeton d'une longue
suite de rois », que Cyrus se donne dans son inscription, elle se
rapporte sans doute, non seulement aux Achéménides d'Elam, mais
aussi aux dynastes perses antérieurs à cette occupation, qui étaient
à la tête des Pasargades, la tribu la plus noble de la Perse. Les
paroles de Darius : « Depuis les temps anciens nous sommes illus-
tres, depuis les temps anciens ceux de notre famille sont rois »,
ne paraîtront pas trop prétentieuses si l'on tient compte des chefs
qui gouvernaient le clan des Pasargades avant le départ de Téispès.
Nous savons déjà, d'autre part, que dans la bouche de Darius le
mot « roi » avait un sens très atténué et pouvait même désigner
celui qui n'avait que le droit de régner.
Je terminerai par une remarque sur le peuple des Parsuash, qui
a été identifié, sans raison suivant moi, avec les Perses. Ce nom
ethnique se trouve aussi écrit Parsua et Barsua, et désigne très
vraisemblablement le pays et le peuple nomade des Màpfioi ou
'Afjuxpoot mentionnés par les géographes classiques dans la Médie,
1 Une nouvelle inscription de Nabuchodonosor récemment découverte mentionne
l'arrivée en Babylonie de prêtres élamites chassés de leur pays et à la suite de laquelle
le roi babylonien entreprend une razzia destructive dans une partie de l'Élam.
RECHERCHES BIBLIQUES 177
en Arménie et au nord de la Perse (Strabon, xi). Le nom de
Smerdis, en perse Bardhia, est un simple dérivé de ce nom natio-
nal et signifie « le Mardien », de même que Cambyse, Ka^uaoç, en
perse Kanïbudjia, vient de l'appellation géographique Camby-
sènè = Kambudja* . Comme on voit, le dh perse est rendu en grec
par une s, tandis que les Babyloniens le rendent par un z et écri-
vent Barziya, ce qui suppose un nom simple Barzu pour Mardhu.
Le Barsua des inscriptions assyriennes semble n'être qu'une lé-
gère variante du même nom. Il paraît donc que les Parsuash sont
restés dans la même contrée jusqu'à la période romaine et n'ont
nullement disparu de l'histoire. Une autre question est celle de
savoir si les Mardes étaient iraniens ou non. Gomme ces nomades
peuplaient tous le Zagros jusqu'au voisinage de la Perse (Strabon,
l. c), il se peut que, ainsi que M. Sayce et moi l'avons supposé
dès le commencement, la deuxième langue des textes achéménides
soit le mardien. Les Mardes seraient alors la race susienne des
Hapirdi, proche parente de celle qui a tracé les inscriptions de
Mal-Amir. Peut-être encore, le nom royal Salsal-Marshu que
M. V. Révillout a trouvé dans un contrat de Sipar, n'est-il autre
chose que la forme mardienne du nom de Bardhia- Bar zia-
Smerdis, ou Mer dis, et l'élément Marshu signifierait alors
« Marde », circonstance qui favoriserait singulièrement notre
explication du Parsua{sh)- Barsua des Assyriens. Mais ce sont
là de simples conjectures qui attendent l'appui de. preuves plus
positives.
Je vais maintenant résumer, sous forme de conclusions, les
points historiques que je crois avoir élucidés au cours de cette
étude :
1. Cyrus et ses trois prédécesseurs : Cambyse, Cyrus et Téispès
ont été rois de Susiane. Pour Achéménès, la chose est douteuse,
car il peut être resté en Perse.
2. La Susiane formait un royaume vassal de la Médie.
3. Les huit rois achéménides, que Darius dit l'avoir précédé en
deux branches, comprennent trois princes de la branche cadette :
Hystaspe, Arsamès et Ariaramnès, qui n'ont pas régné effec-
tivement.
4. Le début de la dynastie perse en Susiane coïncide avec le
début du règne de Sédécias, qui est l'an 598.
5. Les Parsua[sh), Parsita ou Barsua des inscriptions assy-
1 Les identifications de ces noms propres ont été établies pour la première fois par
M. J. Darmesteter dans ses Études iraniennes.
T. XIX, n° 38. 12
17b REVUE DES ÉTUDES JUIVES
riennes peuvent bien être la nation nomade des Mardes ou
Amardes, proche parente des anciens Susiens '.
Remarque additionnelle. — Je profite de l'occasion pour rec-
tifier quelques points de détail dans mon article relatif aux Gi-
mirrâ ou Cimmériens. Les expressions textuelles ne disent pas,
comme je l'ai cru, que Kashtaritu était un chef gimirrien, ni que
la ville de Karkashshi se trouvait sur le territoire des Gimir. J*ai
trouvé dernièrement la vraie position de cette ville. Elle est men-
tionnée, sous la forme peu différente de Garkasia, dans la liste des
villes médiques qui ont payé tribut à Salmanassar II. Ce fait ex-
plique très naturellement le caractère visiblement iranien du chef.
Quant au nom de Teuslipa, roi des Gimir, qui fut battu par Assur-
ah-iddin Ier, je ne crois pas qu'on puisse le comparer à Téispès qui
est toujours rendu en assyrien par Shishpish. On sait que le tsch
persan devient sli dans le Talmud, chez les Syriens et les Arabes ;
jamais ces auteurs ne l'expriment par t. Je ferai remarquer fina-
lement que l'existence d'une ville du nom de Corocondamé près
de Sinope est affirmée par Etienne de Byzance qui, sous l'ar-
ticle Kopoxov3a[j.ï), invoque le témoignage d'Artémidore.
XVIII
L'ÉPOQUE D ABRAHAM D'APRÈS LA BIBLE ET LES DONNÉES RÉCENTES
DE L'ÉPIGRAPHIE ÉGYPTO-BABYLONIENNE.
L'opinion qui place l'immigration d'Abraham en Palestine au
cours du xxie siècle avant notre ère se fonde notoirement sur des
données chronologiques fournies par divers auteurs bibliques,
avec une précision telle que, à une cinquantaine d'années près, il
est impossible de s'en écarter, si l'on ne veut pas les rejeter toutes
comme apocryphes. Or, à ma connaissance, les critiques les plus
avancés n'ont jamais poussé le doute à cette extrémité, bien que
» Ce mémoire, préparé dans l'intention d'en faire lecture dans la séance annuelle
de la Société asiatique du 21 juiu dernier, avait été communiqué en substance à
M. Amiaud, qui me fit espérer qu'il assisterait à celte séance. La mort subite de mon
cher et regretté ami quelques jours avant cette séance m'a privé, malheureusement
à tout jamais, de ses précieuses observations, et l'assyriologie française a perdu en
lui son champion le plus savant et le plus actif.
RECHERCHES BIBLIQUES [79
quelques-uns d'entre eux eussent refusé toute réalité aux person-
nages marquants que la tradition fait remonter à ces âges reculés.
Sans partager cette dernière opinion, émise sans preuves suffi-
santes, je me placerai, dans ce qui suit, sur un terrain neutre, et
j'envisagerai les personnages antérieurs au règne de Salomon
comme des personnifications de diverses époques.
Le point de départ, pour calculer les données bibliques dans un
ordre ascendant, est, de l'avis de tous, l'an 721 avant J.-C, la
première année de Sargon, dans laquelle, d'après la Bible et les
inscriptions de ce roi, eurent lieu la chute de Samarie et l'exil des
dix tribus d'Israël. Cet événement tombe dans la sixième année
du règne d'Ézéchias, roi de Juda.
En additionnant les cinq premières années d'Ézéchias, les 255
ans, en chiffres ronds, des rois de Juda et les 20 dernières années
du règne de Salomon, formant un ensemble de 280 ans, nous
atteignons une date mémorable dans l'histoire du peuple hébreu,
l'année de la construction du temple de Jérusalem. Mais ici,
comme je viens de le dire, il faut laisser une marge d'environ 50
ans, par suite du désaccord qui semble régner entre les suppu-
tations du livre des Rois et le tableau des éponymes assyriens.
A partir de la construction du temple, nous pouvons remonter
jusqu'à un nouveau point de repère, qui forme une date encore
plus célèbre, celle de la sortie d'Egypte. D'après la donnée formelle
du livre des Rois, l'Exode eut lieu 480 avant la construction du
sanctuaire jérusalémitain.
Vient ensuite une série de 430 ans pour le séjour des enfants de
Jacob en Egypte, y compris les 17 dernières années que le pa-
triarche passa dans ce pays.
Les autres points de repère de l'époque patriarcale sont : les 130
années de Jacob, coïncidant avec la 60e année de son père Isaac,
puis la naissance de celui-ci, qui arriva 25 ans après que son père
Abraham se fut établi en Palestine.
Quand on récapitule ces diverses indications, on obtient le
tableau suivant, en chiffres ronds.
Destruction de Samarie en 720
Construction du temple, 280 entre 1000 et 950
Sortie d'Egypte, 480 » 1480 et 1430
Descente de Jacob en Egypte, 430 » 1910 et 1860
Naissance de Jacob, 130 » 2010 et 1090
Naissance d'Isaac, 60 » 2100 et 2050
Immigration d'Abraham en Palestine, 25. . » 2125 et 2075
480 REVUE DES ETUDES JUIVES
En un mot, les auteurs de la Bible placent l'époque d'Abraham
entre la fin du xxir3 siècle et le début du xxie siècle avant l'ère
vulgaire.
Pour apprécier la valeur historique du point d'arrivée de cette
computation, on pourrait émettre à la lois deux considérations
contraires, qui, se contrebalançant l'une l'autre, ne mèneraient à
aucun résultat certain. On peut faire valoir, d'une part, et en
prenant pour exemple l'histoire grecque, que tout ce qui concerne
les époques antérieures au deuxième millénaire avant notre ère
appartient au domaine de la fable et des légendes populaires, que
le souvenir de l'immigration du premier noyau des Hébreux en
Palestine a dû s'effacer avec le temps et rester dans un état flottant
jusqu'aux époques littéraires et tardives. D'autre part, et avec un
sentiment historique du meilleur aloi, on pourrait substituer à
l'exemple de la Grèce celui de l'Egypte, ou plutôt celui des
Assyro-Baby Ioniens, qui sont de la même race que les Hébreux, et
chez lesquels l'époque historique remonte à des âges autrement
reculés. Est-on bien sûr que les Hébreux n'ont pas dès leur pre-
mier séjour en Palestine adopté l'écriture phénicienne en même
temps que la langue, et rendu ainsi inutile l'effort de la mémoire,
toujours prête à faillir ?
Il y a plus, les découvertes récentes qui nous ont révélé l'usage
de la langue et de l'écriture assyro-babyloniennes comme une
langue littéraire chez tous les peuples syriens pendant le xve siècle
avant l'ère vulgaire permettent même de supposer l'existence
d'une littérature palestinienne cunéiforme et savante, avant la
formation de la littérature alphabétique et nationale. Le fait même
que les Hébreux, loin de se dire, comme presque tous les autres
peuples de l'antiquité, autochtones du pays, ne font remonter
leur immigration que vers le xxne siècle, qui est, pour ainsi dire,
le moyen âge de l'histoire de l'Egypte et de la Babylonie, ce fait,
dis-je, peut être invoqué en faveur de la chronologie biblique.
Mais, je le répète, ces considérations pour et contre se neutralisent
au bout du compte et ne suffisent pas pour faire prendre une
décision assez fondée.
Heureusement, en racontant la migration d'Abraham, la Genèse
a eu soin de nous apprendre que, quelques années après l'arrivée
du patriarche sur le sol de la Palestine, ce pays, et notamment
la Pentapole de la Mer Morte, a été envahi et dévasté par une
armée de quatre princes orientaux, savoir : Kodorlogomor,
roi d'Elam, monarque suzerain, avec ses trois vassaux : Amra-
phel, roi de Sennaar, ou Babylonie, Ariok, roi d'EUasar, ou
Larsa, et Tadal (ou Targal), roi d'un pays non encore déterminé,
RECHERCHES BIBLIQUES 181
mentionné sous le vocable de Goyim (Genèse xiv). Grâce à ce
synchronisme important, découpé dans une des plus glorieuses
pages de l'histoire babylonienne, nous sommes aujourd'hui en état
de contrôler la donnée biblique à l'aide de documents contempo-
rains et émanant du prince babylonien lui-même qui, après avoir
été le vassal du grand roi élamite et le collègue d'Ariok, roi de
Larsa, a fini par arracher son pays à la domination de l'un et de
l'autre et à mettre fin pour toujours à l'expansion de la Susiane
vers l'ouest. Ceux qui ont prêté quelque attention à mes recherches
sur le xive chapitre de la Genèse y reconnaîtront tout de suite le
roi Amrapalt, nommé d'habitude Hammurabi, vainqueur d'Eriaku,
roi de Larsa, et du père de celui-ci, Kudur-Lagamari (écrit
Kudiir-ma-ba-ag), souverain d'Élam, le dernier monarque d'une
dynastie élamite qui a gouverné la Babylonie pendant une période
encore indéterminée, mais qui paraît avoir duré plusieurs siècles.
Fixer l'époque d'Hammurabi, c'est fixer celle d'Abraham, c'est-à-
dire le début de la nationalité hébraïque.
La possibilité de déterminer la date du règne d'Hammurabi sur
la base d'une chronologie sérieuse a pris corps depuis la décou-
verte des tablettes cunéiformes de Tell-Amarna, contenant des
lettres adressées à Aménophis IV, roi d'Egypte, par Burraburiash,
roi de Babylonie et d'origine cosséenne. La contemporanéité de
ces rois, ainsi soudainement révélée au monde, a fait entrer en
même temps la chronologie égyptienne comme auxiliaire précieux
dans le champ clos de l'antiquité babylonienne. Dans le cas spé-
cial que nous traitons, tous les égyptologues sont d'accord pour
faire régner Aménophis IV aux confins du xive siècle avant J.-G.
Mais, si Burnaburiash appartient au xive siècle, on n'a qu'à ajouter
les 700 ans qui, d'après le témoignage explicite de Nabonide,
séparent Burnaburiash d'Hammurabi, pour trouver que ce dernier
a régné au xxne siècle avant notre ère, c'est-à-dire à l'époque que
la Bible assigne à la migration d'Abraham.
Malgré la simplicité de la computation, le résultat s'en est
récemment heurté à une contradiction tranchante, dont nous
devons rendre compte avec l'impartialité la plus entière. En invo-
quant les quelques incertitudes de détail relatives aux princes
égyptiens de la fin de la xvme dynastie, on s'est hâté d'affirmer
que Burnaburiash, le correspondant d'Aménophis IV, a dû régner
deux siècles plus tôt, c'est-à-dire au xvne siècle, et on est parti
de là pour placer Hammurabi deux ou trois siècles avant l'époque
d'Abraham.
La nouvelle proposition est tirée de la Liste des dynasties
publiée par M. Pinches. En désignant l'avènement d'Hammurabi
182 HE VUE DES ETUDES JUIVES
%
par H et comme le début d'une ère, on trouve la liste suffisam-
ment intacte jusqu'à II 628. Puis vient une lacune qui s'étend
jusqu'à H 972, et nous avons trois règnes sans noms, mais évalués
par des chiffres ; la liste commence entière à II 1037 et continue
jusqu'à II 1271. Comme nous savons que le roi babylonien Marduk-
nadin-ahe fit une expédition en Assyrie 418 ans avant Senna-
chérib, entre 1123 et 1106 avant J.-C, la date de 2150 pour
Hammurabi ne serait possible que si l'on plaçait Marduk-nadin-
alie à la date de H 994, ce qui donnerait pour le commencement
du règne d'Hammurabi 2116 avant J.-C, mais cette hypothèse
ferait tomber la fin de la liste en 846 avant notre ère ; or à cette
époque tardive, nous y devrions rencontrer les noms de Nabu-
shum-ishkun, de Bin-nadin-ah, de Bin-abal-iddin, de Shamash-
mudammiq, de Nabu-abal-iddin (930 ou 884), de Marduk-bel-usate
(898 ou 852), de Marduk-balatsu-iqbi (870 ou 824), cités par les
rois assyriens, et, comme ils n'y sont pas, il ne reste qu'à faire
remonter de deux siècles le règne d'Hammurabi et de choisir entre
les deux alternatives que voici : ou bien Aménophis IV a vécu vers
1650 avant J.-C, et alors le Burnaburiash de Tell-Amarna est le
même dont parle Nabonide ; ou bien Aménophis IV a vécu plus
tard, et alors le correspondant du Pharaon n'est pas celui du
dernier roi babylonien.
Je viens de rapporter fidèlement l'argumentation adverse, je
dois dire maintenant pourquoi elle me paraît peu convainquante.
L'affirmation que, si l'on fait régner Hammurabi en 1116, la fin de
ladite liste tomberait en 846 repose uniquement sur la transcription
de M. Pinches, .qui a cru distinguer, dans la ligne résumant la
durée totale de la dynastie cosséenne dont le roi Burnaburiash
lait partie, le chiffre de 576 ans et 9 mois. Malheureusement,
d'après les informations que j'ai prises auprès des assyriologues
qui ont examiné l'original sur ma demande, les chiffres y sont
presque illisibles, de façon qu'il est impossible de les utiliser en
quoi que ce soit. Cette base enlevée, l'objection perd tout appui,
voire toute vraisemblance, car il n'y a plus aucune raison pour ne
pas identifier le Burnaburiash de Nabonide avec le correspondant
d'Aménophis IV. Au contraire, leur identité résulte déjà de cette
considération seule que, en cas qu'il y eût deux rois de ce nom,
Nabonide n'aurait pas manqué de désigner le sien soit par l'épi-
thète « l'aîné » ou « le jeune », soit par celle de « fils d'un tel ».
La mention du nom propre seul fait voir qu'aucune confusion
n'était à craindre ; ne serait-ce pas parce qu'il n'y en avait point
d'autre homonyme dans la série des rois babyloniens"?
Je serai encore plus négatif à propos de la conclusion que l'on
RECHERCHES BIBLIQUES 185
pourrait chercher à tirer de la mention dans cette liste, à la date
de 1401, d'un roi dont le nom mutilé commence par Sha-ga-slud
et que l'on serait porté à identifier d'emblée avec le prince nommé
ShcKjashaltiburiash que Nabonide fait régner 800 ans avant lui,
c'est-à-dire environ 1355 avant l'Are vulgaire , ce qui ferait
remonter le règne d'Hammurabi à l'an 2401 avant J.-C. Outre
l'incertitude relative aux chiffres et à la succession des dynasties
de la liste dont il s'agit, il y a celle qui concerne la date de Sha-
galtiburiash, car le chiffre de 800 vu par M. Pinches a été lu 500
par M. Delitzsch. Il y a plus, la restitution de Shagashal. . . en
Shagashaltiburiash fût-elle même plus certaine qu'elle ne l'est,
il serait encore impossible d'identifier ce roi avec le Shagashalti-
buriash de Nabonide : celui-ci était le fils de Kudurbel, tandis que
l'autre a pour prédécesseur un nommé Gish-am-me- . . M. On
voit donc que la tablette susmentionnée doit être absolument mise
de côté pour la question qui nous occupe.
La liste des dynasties babyloniennes ne pouvant nous fournir
aucun élément pour déterminer l'époque de Burnaburiash, il ne
reste qu'à consulter l'égyptologie pour savoir s'il est possible de
placer au xvne siècle le règne d'Aménophis IV. Mais, à ce sujet, je
suis heureux d'avoir des renseignements précis de la part de
M. Maspero. A ma question relative à la chronologie de l'intervalle
s'étendant entre Sheshonq, vainqueur de Roboam, fils et successeur
de Salomon, et les premiers rois de la XVIIIe dynastie, le savant
égyptologue me répondit littéralement ceci :
ce En plaçant la mort de Salomon vers 930 on a :
environ 15 ans de Sheshonq Ie1 930 - 945 ;
pour la XXIe dynastie, environ 120 ans. 945-1065 ;
pour la XXe dynastie, environ 140 ans. 1065-1205 ;
pour la XIXe dynastie, environ 150 ans. 1205-1355 ;
pour la fin de la XVIIIe dynastie (rois
hérétiques), environ 50 ans 1355-1405 ;
pour Amenhotpou (Aménophis) III, en-
viron 40 ans 1405-1445 ;
pour les premiers rois de la XVIIIe dy-
nastie, environ 120 ans 1445-1565 .
Tous ces chiffres sont approximatifs : l'erreur sur la somme
totale ne me paraît pas devoir être supérieure à 50 ans. >>
On voit que le règne d'Aménophis III ne saurait nullement
dépasser la première moitié du xv° siècle ; à plus/ forte raison
la chose ne peut se faire au sujet d'Aménophis IV, lequel pour-
184 HEVUE DES ETUDES JUIVES
rait même appartenir à la fin du xive ; de là à 1650 il y a un es-
pace de près de trois siècles que la science ne permet pas de
franchir.
Cette computation, admise d'ailleurs par tous les égyptologues,
a été tout récemment confirmée par les calculs de M. le Dr E.
Mahler, de Vienne, qui, sur la base des précieuses tables d'Op-
polzer, a fixé les dates respectives des deux observations astrono-
miques notées dans les inscriptions égyptiennes. Ces dates sont :
Le renouvellement de la période sothiaque sous Rameses II eut
lieu le 20 juillet de l'an 1318 avant J.-C.
Le jour du 23e anniversaire du couronnement de Thutmès III,
tombant le 4 Pachon, qui était un jour de néoménie, répond au
19 mars 1481 avant J.-C.
Thutmès III mourut le dernier jour de Pliaménotli de l'an 54 de
son règne, il a donc régné depuis le 20 mars de l'an 15U3, jusqu'au
14 février de l'an 1449 avant notre ère.
Si l'on retranche de la dernière date une génération de 30 ans
pour y placer convenablement le règne de Thutmès IV, on obtient
l'an 1419, pour l'avènement d'Aménophis III. Son fils et succes-
seur Aménophis IV a donc régné dans le cours du xive siècle avant
l'ère vulgaire.
Nous résumons les résultats de notre recherche dans les points
suivants :
1° La liste des dynasties babyloniennes, dans l'état de mutila-
tion où elle se trouve à présent, n'a aucune valeur pour la fixation
chronologique du règne d'Hammurabi. Quand on en aura décou-
vert un exemplaire intact, il faudra encore prouver la succession
directe des règnes, car plusieurs rois appartenant à diverses
dynasties ont bien pu vivre à la même époque.
2° Burnaburiash, le correspondant d'Aménophis IV, a régné
après 1419, année qui marque l'avènement d'Aménophis III.
3° Le règne d'Hammurabi, antérieur de 700 ans à celui de Bur-
naburiash, s'est écoulé entre le xxie et le xxne siècle avant notre
ère et coïncide exactement avec l'époque à laquelle la Genèse
place l'immigration d'Abraham et l'invasion de la Palestine par
l'armée élamito-babylonienne de Kodorlogomor et d'Amraphel.
Il va sans dire que notre identification d'Hammurabi avec
Awaphel ainsi que celle d'Ariok avec Eri-Aku et de Kudur-Laga-
mari (écrit ma-bu- ug) avec Kodorlogomor est par cela même mise
hors de doute. L'époque d'Abraham appartient désormais à l'his-
toire documentée et astronomiquement fixée. De plus, l'exactitude
remarquable dont la Genèse fait preuve en ce qui concerne le
V
RECHERCHES BIBLIQUES 18b
synchronisme qu'elle fournit, plaide Considérablement en faveur
de l'historicité des événements qu'elle relate à cette occasion.
Quelque idée qu'on se fasse de la personnalité d'Abraham et de ses
auxiliaires, le récit portant que l'armée élamito-babylonienne
envahit la Palestine à cette époque et fut battue à son retour sur
le territoire de la Damascène, doit être considéré comme rappor-
tant un fait historique et réel. Qui sait si l'insuccès essuyé par le
grand roi élamite en Syrie n'a pas été la cause déterminante de la
défection d'Hammurabi et de la ruine de la domination élamite en
Babylonie 1 L'histoire abonde en faits pareils, où la chute de toute
une dynastie provient d'une petite escarmouche manquée contre un
faible adversaire, surprise qui enlève au monarque tout puissant
jusqu'alors son prestige d'invincibilité et encourage les peuples
vassaux à secouer le joug que la foi dans leur impuissance les
avait longtemps condamnés à porter avec résignation.
Après ce résultat général, deux autres observations ne seront
peut-être pas déplacées.
Au point de vue de la critique littéraire de la Genèse, on est
maintenant forcé d'admettre l'unité d'auteur pour les chapitres x
et xiv de ce livre. Si le généalogiste de Genèse x, 22, n'avait pas
en vue l'absorption de la Babylonie tout entière par l'empire
élamite indiquée dans le chapitre xiv, comme un fait du temps
d'Abraham, il n'aurait jamais eu l'idée de faire d'Élam l'aîné des
fils de Sem, ni de refuser à la Babylonie-Sennaar une place à
part dans sa généalogie. A côté d'Élam, il n'admet qu'un seul
royaume indépendant, l'Assyrie, personnifiée par le second fils de
Sem, Assur, qui se serait sauvé de la Babylonie pour échapper à
un usurpateur Couchite du nom de Nimrod. Comme état politique
la Babylonie ne compte pas pour lui ; il l'envisage comme une
proie partagée entre les peuples du sud. Dans le chapitre xiv, de
même, Amraphel et Ariok, princes babyloniens, suivent Kodorlo-
gomor en vassaux soumis, Assur seul n'est pas de la partie, il
conserve son indépendance vis-à-vis d'Élam.
Quant à la question de savoir à quelle époque les Hébreux ont
pu apprendre les exploits de Kodorlogomor en Palestine, nous ne
pouvons guère la résoudre avec les éléments insuffisants que
nous possédons à l'heure qu'il est sur la littérature internationale
de la Syro-Phénicie. Une chose est cependant hors de doute, c'est
que les renseignements dont il s'agit ne leur ont pas été commu-
niqués de vive voix par les Babyloniens du temps de l'exil. A cette
époque tardive les inscriptions d'Harnmurabi étaient depuis long-
temps ensevelies sous les décombres d'anciens temples et tombées
186 REVUE DES ETUDES JUIVES
dans l'oubli. Les Babyloniens ont bien eu des bibliothèques pour,
l'éducation des princes, mais ils n'ont jamais eu de musées' pour
conserver les antiquités. Les faits et gestes de Kodorlogomor res-
taient donc inconnus aux Babyloniens eux-mêmes et les listes
royales qu'ils possédaient alors n'ont pu leur donner que son nom
et la date de son règne. Ses rapports avec Amraphel-IIammurabi,
de Babylone, Ariok-Eriaku, d'EUasar-Larsa, et Tidal, roi des
Goyîm, devaient leur rester inconnus. Conséquence forcée : le
chapitre xiv de la Genèse date d'une époque antérieure, où la
littérature internationale qui reliait la Syrie à la Babylonie des
anciennes dynasties n'était pas encore entièrement hors d'usage
et trouvait même des lecteurs dans le milieu assez particulariste
de la Palestine. La seule époque qui y convienne, à notre avis, est
celle du règne de Salomon, caractérisé par des tendances fran-
chement cosmopolites. Nous avons démontré ailleurs que le cha-
pitre x de la Genèse a été rédigé sous ce même règne.
Au sujet du nom d'Abraham, il me paraît nécessaire de faire
remarquer ceci. De toutes les hypothèses émises pour expliquer ce
nom, celle qui y voit un composé de Ab-Orham « Père-Orham »,
en rappelant un nom royal babylonien Ur-Kham, doit être défini-
tivement abandonnée. Un tel roi n'existe point dans les textes qui
sont parvenus jusqu'à nous. La fausse lecture Ur-Kham avait été
inspirée aux premiers déchiffreurs par le vers d'Ovide, Métam,
iv, 212 :
Rexit Achaemenias urbes pater Or charnus, isque
Septimo a prisco numeratur origine Belo.
Mais il est facile de voir que Orchamus, père de Leucothoé, qui
gouverne les possessions achéménides, est simplement le dieu
perse Ahuramazda, prononcé alors OchràftiùzÛ * . Le nom baby-
lonien que je viens de mentionner se compose des idéogrammes
ur « homme » et Zïh ou guru « iieuve », et se lit vraisemblable-
ment Amel-Ban. Du reste, on ne s'attend guère à trouver chez
les autres peuples sémitiques la forme Abraham, si intimement
liée à la religion d'Israël. Ce sont les noms antérieurs et, pour
ainsi dire, profanes du couple patriarcal : Ahram et Saraï, que l'on
pouvait espérer rencontrer en Babylonie, et, en effet, ils y figurent
tous deux sous les formes respectives de A~bu-ram.ii et Sara -.
Un mot, enfin, sur "la date que le Pentateuque entend fixer pour
1 La métathèse Orchamus pour Ochramus a été amenée à la fois par la nécessité du
mètre et par une réminiscence de l'Orchamos homérique.
2 Voir Revue, 1887, p. 184.
RECHERCHES BIBLIQUES 187
la sortie d'Egypte, d'après les données citées plus haut. Les égyp-
tologuea qui considèrent l'Exode comme un événement historique
le placent d'ordinaire sous le règne de Ramsès II. Leur principal
argument est que ce roi a élevé beaucoup de constructions dans
les villes de Patum et de Paramsès que le narrateur de l'Exode,
sous la forme de Pithom et de Ramsès, fait construire par les
Israélites ; mais cet auteur ne dit nulle part que le roi oppresseur
portait le nom de Ramsès, et il devait le dire s'il en était ainsi. Au
contraire, la désignation de « pays de Ramsès » comme équivalant
à celle de « pays de Gosen » se présente déjà dans le passage
Genèse, xlvii, 11, qui relate l'arrivée de Jacob et de ses enfants
en Egypte. L'admission d'une dénomination rétrospective est peu
vraisemblable, parce qu'on n'en conçoit pas l'utilité. Il est plus
probable que la ville de Ramsès a existé longtemps avant Ram-
sès II et que les Israélites y ont exécuté des travaux sur l'ordre
d'un roi antérieur. Gomme le comput biblique ramène l'Exode au
xve siècle, ce roi pourrait bien être Aménophis III ou son pré-
décesseur immédiat. On sait que Manéthon fait tomber l'Exode
dans le règne d'un roi du nom d'Aménophis. Les objections de
l'historien Josèphe sont loin d'être péremptoires. On fera peut-
être bien de revenir à cette date, qui a pour elle l'autorité de deux
auteurs dont chacun disposait de ressources que nous n'aurons
probablement jamais.
J. Halévy.
NOTES
SUR
LE CHAPITRE Ier DES PIRKÉ ABOT
Dans un volume de Mélanges publié par la Section des sciences
religieuses de l'école des Hautes-Études à l'occasion de l'Exposition
universelle, nous avons inséré un article intitulé : La Chaîne de
la Tradition dans les Pirhé Abot, que nous demandons la per-
mission de résumer ici en quelques lignes, dans le seul but d'y
ajouter un certain nombre de développements que nous avions dû
laisser de côté, faute de place suffisante et parce qu'ils s'adressent
plus spécialement à un public initié aux études talmudiques *.
Voici Ips principales conclusions de notre travail :
1. La Chaîne de la Tradition est une fiction, qui a pour objet de
faire remonter jusqu'à Moïse et au Sinaï la tradition rabbinique et
pharisienne, et de déposséder rétrospectivement les prêtres, qui
formaient le parti sadducéen, du rôle important qu'ils avaient
joué dans l'histoire du judaïsme pendant la période du second
temple.
2. Les Anciens qui, dans la Chaîne de la Tradition des Pirké
Abot, succèdent à Josué, ne sont plus les vrais Anciens des temps
bibliques, mais des Anciens transformés en docteurs de la Mischna,
c'est-à-dire les membres du Grand-Sanhédrin ou des Sanhé-
drin rabbiniques qui ont existé après la destruction du temple.
C'est la projection dans le passé d'une institution rabbinique qui
1 Nous avons omis de citer, dans notre travail, un article de M. Graetz sur les
escolot, dans sa Monatsschrift. 1869, p. 20-32. M. Graetz paraît avoir raison de dis-
tinguer deux Iosé b. Iuézer et peut-être d'attribuer le titre de hasid au second, non
a celui des Abot. Il y a aussi un article de M. Oppenheim sur les zuggot et les escolot
dans le Sclachar, année VII, mais il n'oll're presque aucun point de contact avec notre
travail
NOTES SUR LE CHAPITRE Ier DES P1RKË AHOT 189
a existé plus tard. Gela seul explique qu'on attribue un roie
important aux Anciens dans la conservation de la tradition reli-
gieuse ; les Anciens des temps bibliques, malgré leur interven-
tion dans certains actes religieux, ne semblaient pas mériter cet
honneur et n'auraient pas attiré l'attention des rabbins, si on ne
les avait pas pris pour des rabbins l.
3. La Grande-Synagogue est le Grand-Sanhédrin rabbinique
postérieur à la destruction du temple et placé, par la fable, aux
premiers temps du second temple. Les noms de Grande-Syna-
gogue et Grand-Sanhédrin sont identiques.
4. Les Couples {zuggol) sont également une fiction; les cinq
couples des Pirké Abot ont existé, mais non à l'état de couples ;
ils n'ont pas eu, de leur temps, l'autorité qu'on leur attribue, ils
n'ont jamais été naci ni ab bel din. Le naci, du temps du second
temple, était le prince ou roi Asmonéen ou Hérodien ; Yab bêt din
était le président du Sanhédrin, qui était toujours le grand-prêtre.
En réalité, dans cette tradition des Pirké Abot ou dans celles qui
font remonter le zuggot jusqu'aux prophètes, on veut, par le mot
zuggot, désigner uniquement les rabbins, soit que, suivant une
hypothèse que nous avons cherché à démontrer, mais qui n'a
pas autrement d'importance, les disciples fussent associés par
couples dans l'école, soit que l'usage d'associer deux rabbins
(zagga de rabbanan) dans des «commissions juridiques, dans des
tondions rituelles et dans les fonctions de témoins, ait créé l'ha-
bitude de compter par couples les rabbins et disciples de rabbins
et de les désigner par le mot de zuggol 2.
5. Les associations des rabbins par trois étaient aussi fréquentes,
ne serait-ce que pour la constitution des petits tribunaux ;
c'est Yescol, la grappe, qu'on peut représenter graphiquement par
trois points en triangle, comme dans le signe du ségol. Les escolot,
à leur tour, qu'on fait remonter jusqu'à Moïse, ne sont pas autre
chose que les rabbins et leurs disciples.
6. Il est oiseux de chercher à faire concorder les textes relatifs
aux zuggot et aux escolot, ce sont des textes indépendants les
uns des autres, contradictoires, et qui n'ont pas la prétention de
s'accorder.
1 La forme dont nous nous sommes servi, dans notre travail, pour exprimer notre
pensée sur ce point, a fait croire à certaines personnes que nous voulions complète-
ment supprimer ici les Anciens bibliques. Ce n'est pas notre pensée. Les Anciens
bibliques ne sont pas évincés, ils sont conservés, mais transformés en rabbins. Les
docteurs de la Mischna ont cru se reconnaître en eux et c'est pour cela qu'ils se sont
empressés de prendre prétexte de quelques passages bibliques pour en faire les conser-
vateurs de la Tradition.
* Voir les 80,0uU couples de trompettes autour de Bethar ; Taanitj., 68 d.
190 REVUE DES ETUDES JUIVES
1. En particulier, le caractère légendaire du texte où il est dit
que les escolot cessent avec Iosé b. Ioézer, est révélé par le
contexte, où l'on voit cesser une foule de choses plus ou moins
mythiques, et même des choses qui ne sont que des métaphores,
telles que l'éclat de la Tora, la gloire du sacerdoce.
8. Il est difficile de comprendre comment des talmudistes, dont
toute la vie se passe dans la discussion religieuse et qui en font
leur pâture, blâment les escolot postérieurs à Iosé b. Ioézer de
s'être livrés aune discussion, mais la théorie de la Chaîne de la
Tradition explique cette contradiction. Ceux qui font la Chaîne
manquent à leur devoir en discutant, ils n'en ont pas le droit;
mais une fois la Tradition entre les mains des rabbins de la Mis-
chna, elle est arrivée au port, elle est en sûreté, et la discussion
peut se donner carrière. Le voyage de la Tradition s'arrête à
Iohanan b. Zaccaï, presque tous les textes, quelle que soit d'ail-
leurs leur teneur, s'accordent à le considérer comme le dernier
anneau de la Chaîne.
9. Malgré la diversité de ces légendes sur les Anciens, la Grande-
Synagogue, les Couples, les escolot, elles ont pourtant toutes une
seule et même signification. Elles veulent dire que de tout temps
et déjà à partir de Moïse ou de Josué, le judaïsme a été dirigé
par les rabbins. Les Anciens, la Grande-Synagogue, c'est l'aris-
tocratie rabbinique ; les zuggot, les escolot, sont les classes rab-
biniques inférieures. Avec eux, l'œuvre de la Tradition descend
un échelon de plus et devient encore plus démocratique.
Après cet exposé nous passons aux observations nouvelles que
nous avons annoncées sur ce sujet.
1. Ce que nous avons dit, dans notre travail, sur l'esprit pha-
risien de notre page des Aoot, aurait demandé des explications
pour lesquelles la place nous manquait. Nous ne croyons pas qu'on
puisse contester sérieusement les tendances pharisiennes des
premiers paragraphes de notre Mischna, à partir du § 2. Les per-
sonnages qui sont en scène, dans ces paragraphes, ont vécu à la
grande époque tles luttes entre Pharisiens et Sadducéens, ils n'ont
pas pu rester étrangers à ces luttes. Cela n'a, du reste, pas beau-
coup d'importance. Le rôle que nous avons attribué à l'esprit
pharisien dans le g 1er de notre Mischna peut seul donner lieu à
contestation. On pourrait soutenir que c'est tout innocemment et
sans penser à mal que les rabbins auraient formé la Chaîne de la
Tradition telle qu'on la trouve dans ce paragraphe; ils n'auraient
surtout pas pensé aux Sadducéens, qui auraient déjà été complè-
tement oubliés, et si les prêtres sont exclus de la Chaîne, ce serait
aussi qu'on ne savait plus rien du rôle qu'ils avaient joué à l'époque
NOTES SUR LE CHAPITRE I" DES P1RKE AROT 194
du second temple. Pour vider cette question, il faudrait d'abord
être fixé sur l'époque où s'est formée la Chaîne de la Tradition de
notre § 1er, car nous ne parlons pas ici du rédacteur, nous avons
dit nous-même qu'il peut parfaitement n'avoir rien soupçonné des
tendances anti-sadducéennes du morceau. On peut supposer que
cette Chaîne a été formée avant la destruction du temple, on peut
supposer qu'elle est postérieure à la destruction du temple, per-
sonne n'en sait rien. Si elle est antérieure à la destruction du
temple, les arguments qu'on pourrait être tenté d'opposer à
notre interprétation ne peuvent avoir aucune valeur ; si , au
contraire, cette Chaîne a été formée et imaginée après la destruc-
tion du temple, surtout un peu tard, vers le 11e siècle, on peut se
demander si effectivement il y avait encore quelque intérêt, pour
les rabbins, à partir en guerre contre les Sadducéens, et même
s'ils savaient encore grand'chose du passé de ce parti. Mais c'est
une question que, dans l'état actuel des études, il nous semble
bien difficile de résoudre par l'affirmative ou par la négative. En
ce qui concerne les faits historiques, les Juifs du 11e siècle n'avaient
que des souvenirs vagues et singulièrement indécis du passé,
mais ils savaient mieux leur histoire religieuse ou pouvaient la
savoir mieux. Le Talmud connaît les Sadducéens et en parle sou-
vent (il faudrait étudier de près les passages, il est vrai, pour en
mesurer la portée) ; la glose de la Megillat taanit s'intéresse
encore beaucoup aux discussions contre les Sadducéens ; bref,
nous ne savons pas au juste quand les Sadducéens ou au moins
l'esprit sadducéen ont cessé d'exister chez les Juifs et d'exciter la
polémique des Pharisiens. Mais lors même que tout ce qui était
sadducéen eût disparu bientôt après la destruction du temple, et
que notre Chaîne de la Tradition, dans le § 1er des Al)ot, eût encore
été rédigée plus tard, il nous est impossible de ne pas y reconnaître
les traces et l'écho des anciennes luttes et c'est justement ce que
nous avons déjà dit dans notre travail lorsque nous avons parlé
d'anciens mots d'ordre et programmes de bataille. L'exclusion des
Juges, des Rois, des prêtres, tous autrement importants que les An-
ciens ou qu'une Grande-Synagogue imaginaire, n'a pas pu se pro-
duire par pure candeur ou ignorance. Si, après la destruction du
temple, les Juifs ne connaissaient plus l'histoire du second temple,
ils connaissaient au moins la Bible, ils n'avaient oublié ni Aron,
Pinhas et Joad ; ni David, Josaphat et Ézéchias ; ni Débora et
Gédéon. Rien n'était plus facile pour nos talmudistes, s'ils y avaient
mis de la bonne volonté, que de faire des théologiens de tous ces
personnages et même de Débora, ils l'ont même fait, à l'occasion,
pour beaucoup d'entre eux, et s'ils les ont exclus de la Chaîne de
192 REVUK DES ÉTUDES JUIVES
la Tradition, ils ont dû avoir leurs raisons pour cela. Nous voulons
admettre, néanmoins, qu'il est possible à la rigueur, quoique peu
probable, qu'à l'époque où cette Chaîne de la Tradition s'est for-
mée, on n'y a pas mis d'intention malveillante envers les Saddu-
céens ou les anciens partis ; mais pour être inconscientes et ins-
tinctives, les choses n'en ont pas moins une raison et un sens.
Cette Chaîne de la Tradition n'est pas une pure fantaisie person-
nelle, elle est l'œuvre collective de plusieurs générations, le résidu
du travail intellectuel et religieux qui s'est poursuivi pendant
deux ou trois siècles. Les idées, les préjugés et les engouements
d'un rabbin du 11e siècle sont sortis d'une longue élaboration qui
a commencé à l'époque du second temple. Les auteurs et le rédac-
teur de notre Chaîne de la Tradition ont eu pour collaborateurs
tous les Pharisiens et rabbins qui les ont précédés. Admettons, si
on veut, qu'ils ne s'en doutaient peut-être pas et qu'en distribuant
les rôles dans l'histoire de la Tradition, ils ont exécuté sans in-
tention les intentions des Pharisiens.
2. Dans notre travail, nous avons cité les textes qui montrent
quelles idées différentes, et cependant concordantes au fond, on
avait sur la transmission de la Loi à partir de Moïse. D'après les
uns, la Loi passe de Moïse à Josué, puis aux Anciens, aux Pro-
phètes, à la Grande-Synagogue, à Simon le Juste et Antigone de
Sokho, puis à cinq couples et finalement à Iohanan b. Zaccaï.
D'autres textes font intervenir les zuggot et les escolot. D'après
d'autres traditions, la transmission de la Loi va de Moïse aux
Prophètes, des Prophètes aux zuggot, et des zuggot aux rabbins
(le père de R. n©n^, ce N^îott et Nahum le librarius) ; ou bien :
Moïse, les Prophètes, Iohanan b. Zaccaï (Tos. Iadaïm, II, 16) ; ou
bien: Moïse, les rabbins, de génération en génération, jusqu'à
Iohanan b. Zaccaï [Iadaïm, IV, 3). Voici un texte que nous ne
connaissions pas et qui est du même genre que ces deux derniers.
Il se trouve dans le Tanhuma, section Bemidbar l : 'ntt ^n bsnpa
'm 73"ttb i-tobn [ijbnpia d^pTn \u bsptt nid&p». Ainsi R. mûkto,
déjà nommé plus haut, a reçu la Tradition des Anciens, qui l'ont
reçue de Moïse au Sinaï. Les membres intermédiaires varient de
nom, mais tous ces noms désignent au fond la même chose : les
rabbins ou les autorités rabbiniques constituées.
1 Ce texte est cité par Baer, dans son édition de la tefilla, sur la prière du schemoné-
esré commençant par les mots Û^p^^îl b$. Les zek<fnim de ce paragraphe sont
les mêmes Anciens du Sanhédrin, comme Kaschi le lait déjà remarquer (Baer, ibid.).
Le passage cité du Tanhuma se trouve dans l'édition Buber, au n° 27. 11 est vrai que
M. Buber a cru devoir corriger le texte et ajouter les zuggot, mais rien ne prouve qu'il
ait eu raison de le faire. Même avec les zuggot, ce texte diffère de tous les autres et
présente une variante nouvelle.
NOTES SUR LE CHAPITRE I ■ DES P1RKË ABOT 193
3. On s'est quelquefois demandé si les cinq couples des Pirké
Abot s'appellent zuggot et s'ils sont compris ou non dans les
zvggot qui, d'après d'autres textes \ ont vécu depuis les prophètes
jusqu'à la fin du second temple. La première de ces deux questions
n'a plus d'importance, du moment que nous admettons que nos
traditions sur les zuggot ne sont pas historiques; la seconde n'a
presque pas de sens, puisque nos textes sont indépendants les
uns des autres. Il est bon seulement de noter que, d'après la Tosefta
de Hagiga-, les cinq couples de notre Mischna s'appellent zuggot,
et que d'autre part, les textes qui attribuent la décadence des
escolot à la discussion des docteurs sur la semikha 3, considèrent
probablement nos cinq couples comme des escolot, puisque ce
sont précisément ces cinq couples qui discutent sur la semihha.
Il n'en résulte nullement que les escolot soient identiques aux
zuggot, le texte de la Tosefta et les autres textes dont nous venons
de parler ne sont pas obligés de concorder. Mais, dans un passage
talmudique que nous n'avons pas encore cité, une tentative très
intéressante est faite pour concilier nos traditions divergentes sur
les zuggot et les escolot 4. Ce passage du Talmud prend note de ce
que, d'après la Mischna, les escolot ont cessé d'exister avec Iosé
b. Ioézer, mais le rédacteur y trouve de la difficulté, puisque les
zuggot ont vécu jusqu'à la fin du second temple, encore longtemps
après Iosé b. Ioézer, et que les zuggot pourraient bien être la
même chose que les escolot. Pour résoudre cette difficulté, le Tal-
mud imagine qu'il y a une différence entre les zuggot et les escolot,
malgré leur analogie réelle, et cette différence consiste en ce que
les escolot auraient exercé le pouvoir, tandis que les zuggot n'é-
taient que de simples docteurs de la Loi, qui n'avaient jamais
exercé le pouvoir. Une fois en veine de concilier les textes, il
fallait bien essayer aussi de mettre d'accord le texte qui fait cesser
les escolot à Iosé b. Ioézer 5 avec celui qui les fait durer jusqu'à
Iuda b. Baba6. Il est assez curieux que la guémara de Temura
laisse subsister ces deux textes l'un à côté de l'autre, sans remar-
quer ou signaler la contradiction. Il se pourrait bien que ce soit
pour lever cette contradiction que notre guémara de Sota j. a
remplacé, dans le second de nos textes (celui qui fait vivre les
escolot jusqu'à Iuda b. Baba), le mot escolot par le mot zuggot,
1 Péa, II, 6; Nazir, 56 6/ Tosefta Iadaïm, II, 16.
2 Ch. ii, parag. 8.
3 Hagiga, 16 a (mischna) et b ; Hagiga j., II, 2 (76 d et 77 d)\ Temura, 15 b.
* Sota j., 24 a.
5 Temura, 15 b ; Sota, Ma.
6 Temura, 15 b ; cf. Hagiga j,, 77 d ; Tos. Hagiga, II, 9.
T. XIX, n° 38. 13
1i)4 ftEVUE DES ETUDES JUIVES
Ce changement serait intentionnel, et non une faute de copie,
comme on l'a supposé. On obtient ainsi, d'après ce passage de
Sotaj., une théorie qui tient parfaitement debout : les escolot ont
existé jusqu'à losé b. Ioézer et ont cessé avec lui ; les zuggot ont
existé, d'abord parallèlement aux escolot, depuis Moïse jusqu'à
losé b. Ioézer; puis, après la disparition des escolot, ils ont conti-
nué de vivre jusqu'à Iuda b. Baba; ils étaient sans tache dans la
première période, marqués d'une tache dans la seconde période.
Ils ne sont pas, comme on l'a cru, les escolot transformés et
amoindris, et la tache qu'ils portent n'est pas de ne pas exercer le
pouvoir, puisqu'ils ne l'ont jamais exercé antérieurement1. Si
cette explication que nous proposons était rejetée, il faudra
admettre que notre guémara de Sota j. signifie que les zuggot
ont succédé aux escolot disparus, sans qu'on puisse d'ailleurs en
conclure, comme l'ont soutenu divers historiens, que la tache dont
ils sont marqués soit précisément, pour notre guémara, la perte
du pouvoir exercé avant eux par les escolot. Dans la suite de la
guémara, selon que la leçon « zuggot » à la place de 1' « escolot »
des textes parallèles sera considérée comme authentique ou non.
il y aurait contradiction avec ce qui précède sur les zaggot ou
avec ce qui précède sur les escolot 2. Nous avons déjà fait remar-
quer que ce genre de contradiction ne gêne pas la guémara
de Temura.
4. Nous ne savons au juste (et ce serait à rechercher) à quelle
époque les mots naci et ab bât clin ont commencé à signifier res-
pectivement président et vice-président du Sanhédrin, si toutefois
ils ont jamais eu ce sens à l'époque de la Mischna. Comme nous
TaArons dit plus haut, à l'époque du second temple, naci dési-
1 La seule objection qu'on peut faire à notre explication, c'est que notre guémara de
Sota j., qui fait une différence entre les escolot et les zuggot, serait pourtant obligée
d'admettre que losé b. Ioézer a été à la fois dans les escolot (le dernier escol) et dans
les zuggot (le premier des zuggot avec tache), mais la difficulté n*est pas insoluble.
D'abord, on ne pense pas à tout, quand on corrige les textes. Ensuite, la théorie
exposée ne dit pas qu'on ne peut être à la fois zug et escol. Enfin, la guém. de Tcniuni
aussi (1sj h et 1G a) est obligée de séparer en deux losé b. Ioézer, le losé d'avant la
tache et le losé d'après la tache. Notre guém. de Sotaj. peut recourir à un subterfuge
du même genre : losé b. Ioézer, d'abord escol, est devenu zug à ia fin de ses jours, et
cela ne compte pas.
2 Nous voulons dire ceci. Les textes parallèles ont la phrase connue : « Tous les
escolot, depuis Moïse jusqu'à losé b. Ioézer, étaient sans tache ; depuis losé b. Ioézer,
ils avaient une tache. » Notre guém. Sotaj., à la place du mot escolot de cette phrase,
porte le mot zuggot, mais certains critiques croient que la leçon est fautive et qu'il faut
mettre ici aussi le mot escolot. Si on met le mot escolot, on a la contradiction déjà
signalée plus haut ; si on laisse le mot zuggot, on a des zuggot depuis Moïse, tandis que,
dans le passage précédent de cette guémara, il semble que les zuggot ont seulement
commencé à losé b. Ioézer.
NOTES SITU LE CHAPITRE l« DES V\\\K\:: A150T m
^nait le Prince ou Roi; ab bel din, le président du Sanhédrin.
Après la destruction du temple, le mot naci désignait évidem-
ment le Patriarche, qui avait hérité quelque chose des attributions
politiques du Prince, et le mot ab bêt din continua à désigner le
président du Sanhédrin. Il semble seulement que le naci, quand il
venait aux séances du Sanhédrin, le présidait de droit, et reléguait
par là le président ordinaire au rôle de vice-président. A un cer-
tain moment, le naci considéra comme sa plus haute prérogative
de présider le Sanhédrin, il en devint le vrai président, et Vab
bêt din, autrefois président, descendit pour toujours au rang de
vice-président '.
5. Nous ne sortons pas entièrement de notre sujet en montrant,
par un nouvel exemple, à quel point l'histoire de l'époque du se-
cond temple a été altérée par la légende. Tout le monde connaît ce
texte où Rabban Gamaliel et les Anciens sont représentés assis sur
un degré du Jiar-habbaït et écrivant des circulaires officielles sur
la dîme de l'huile, du blé, et sur l'intercalation du treizième mois
dans l'année. Ces circulaires sont adressées aux Juifs du Nord (la
Galilée), à ceux du Sud (le Darom), à ceux de l'exil (la Babylonie,
la Médie et l'Asie-mineure2). Dans un autre texte, il est raconté
que Rabban Gamaliel était assis sur un degré (variante : une cons-
truction) du Uar-habbaït, qu'on lui présenta un targum de Job et
qu'il fit cacher ce targum, comme une œuvre peu canonique 3. Ce
Rabban Gamaliel qui repousse le targum de Job, est, dans un texte
parallèle4, le grand-père de Rabbi Gamaliel, fils de Ribbi, lequel
Rabbi Gamaliel demeure ou est de passage à Tibénade. Il est
évident que les mots Uar-habbaït que nous trouvons dans nos
textes veulent désigner la montagne du temple s, le Rabban Gama-
liel qui écrit les circulaires et qui repousse le targum de Job doit
donc être Gamaliel Ier, c'est sûrement ce que nos textes veulent
faire supposer , et cependant cela est impossible. Assurément ,
Gamaliel Ie1' était une des hautes personnalités de Jérusalem,
comme le prouve le passage des Actes des Apôtres qui le concerne,
et son fils Simon, également, d'après le témoignage de Josèphe,
était un homme de valeur; mais supposer un seul instant que la
1 Nous ne pensous pas que les textes de Horaiot, 13 b, et Bicciirim ,/.,u5 r, soient
contraires à cette opinion.
* Sanhédrin /., I, 2 (18 d) ; Maaser schénij., V, 6 (5G c). Dans Sanh. b., 11 «, le
nom de Simon fils de Gamaliel remplace celui de Rabban Gamaliel; voir J. Deren-
bourg, Essai, p. 242.
3 Sa&atj., XVI, 1 (15 c).
4 Sabbat b., 11b' a ; voir J. Derenbourp;, p. 241.
5 In de nos textes (Derenb., p. 242) dit même formellement que Kabb. Gamaliel
était assis sur les degrés de l'escalier conduisant au portique du temple.
196 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
fixation d'un mois intercalaire, qui était un des actes les plus ira-
portants de la vie religieuse de la nation, ait été abandonnée, à cette
époque, par les prêtres, à un simple laïque, nous paraît absolu-
ment inadmissible. Notre Gamaliel, avec ses trois circulaires, fait
véritablement acte de souveraineté, et il n'a pu exercer cette
puissance souveraine qu'à Iabné, après la destruction du temple.
Il est Gamaliel II, non Gamaliel Ier. Le titre de Rabban qui lui est
donné le prouve suffisamment ; Ô"est le titre que portaient les
Patriarches, mais qui n'existait pas encore du temps du second
temple. Dans le texte relatif aux trois circulaires, Gamaliel traîne
les Anciens (le Sanhédrin) à sa remorque, comme s'il était leur
chef, et ceci également ne peut être vrai que de Gamaliel II. De
même, dans l'histoire du targum de Job, le Gamaliel qui fait cacher
ce targum ne peut être que Gamaliel II, et ainsi s'explique fort
bien qu'il soit le grand-père l de Gamaliel fils de Ribbi, à Tibé-
riade, lequel n'est autre que Gamaliel III, fils de Rabbi Juda le
Saint. Mais que devient alors le har-habbaït où se passent ces
faits ? Les mots har-habbaït sont-ils une interpolation ? ou bien
pourrait-on supposer que la vigne où se tenait le Sanhédrin (ou
l'école) de Iabné, et qui était peut-être sur le versant d'une colline,
avait fini par s'appeler har-habbaït, aussi bien que Iabné était
devenue une seconde Jérusalem - ? ou enfin, sommes-nous en pré-
sence d'une légende qui brouille les faits avec intention*/ ou qui
confond, par ignorance, Gamaliel Ier avec Gamaliel II ? C'est cette
dernière hypothèse que nous admettrions le plus volontiers. La
mention des degrés et des constructions (sans parler du texte qui
mentionne le portique du temple) semble bien indiquer que la
scène est censée se passer à Jérusalem et qu'il n'y a pas interpola-
tion ou translation du mot har-habbaït à la vigne de Iabné. En
somme, la Mischna et le Talmud ne savent presque rien du tout de
Gamaliel Ier, sa figure a pu se fondre, pour eux, dans celle de
Gamaliel II, et enfin, tout notre récit des trois circulaires peut fort
bien n'être qu'un raccourci historique où l'on a réuni, pour glo-
rifier Gamaliel II, quelques-uns des actes les plus importants de sa
1 En réalité, l'arrière grand-père, Gamaliel II est père de Simon, qui est père de
Juda le Saint, qui est père de Gamaliel III. Il faut probablement, dans rotre texte,
lire "paN ^2N "ON. Rabbi Halafta qui, d'après le texte de Sabbat, 115 a, a vu
Gamaliel à Tibériade, est contemporain do R. Akiba et de Hanina b. Teradion
[Taanit, 11,11), il n'a pas pu vivre assez longtemps pour avoir vu Gamaliel 1er à
Jérusalem, mais il a pu connaître à la fois Gamaliel II et Gamaliel III ; il était de
Sephoris, qui n'est pas très loin de Tibériade. N'est-il pas curieux que dans les deux
histoires, celles de Gamaliel IL et Gamaliel III, on parle d'un Iohanan, appelé ici
rpî2ï"i et là lï-Dït ? Y aurait-il là quelque confusion ?
* On y faisait même les trois pèlerinages (regalim), comme à Jérusalem (voir
Hullin, 48 a ■ Para, VII, G; Tos. Para, VII, 4).
NOTES SUR LE CHAPITRE I" DES PIRKÉ ABOT 197
vie administrative. Ainsi s'explique d'abord que juste au même
moment il ait eu à faire trois communications différentes qui vont
symétriquement dans les trois directions où il y avait des Juifs
soumis à son autorité. Si les Juifs d'Egypte avaient également
accepté les ordres du Patriarche, nous aurions probablement, à
cet endroit, une quatrième lettre et les circulaires de Gamaliel se
dirigeraient sur les quatre points cardinaux, au lieu de trois seule-
ment. En outre, il y a dans le texte même une preuve que les circu-
laires, si elles ont été écrites (et il n'y a pas de raison de clouter
que Gamaliel II en faisait de cette espèce *), n'ont pas pu être
écrites en même temps. L'olive se récolte à la fin de l'automne et il
n'est pas probable que, pour prélever la dime de l'huile visée dans
la première des trois circulaires, on ait attendu, comme le montrent
les deux autres circulaires, jusqu'aux environs de Pâque. La se-
conde circulaire, qui parle du prélèvement de la dîme du blé, n'a
pu être écrite, au plus tôt, qu'après la première moisson, mais une
fois cette première moisson arrivée, il nous paraît impossible de
dire, comme on le trouve dans la troisième circulaire, que le
temps de Yabib n'est pas encore venu, car Vabib est justement la
moisson, et quand il est venu, on célèbre la Pâque et on ne fait pas
de mois intercalaire.
6. Nous voudrions enfin dire quelques mots sur les maximes
attribuées, dans le chap. ier des Pirké Abot, aux autorités et doc-
teurs qui font la Chaîne de la Tradition. On y verra une nouvelle
preuve que, dans cette page des Abot, tout est arrangé et calculé,
avec une intention plus ou moins consciente, pour exalter la
doctrine des rabbins et soutenir les prétentions des Pharisiens
contre leurs anciens adversaires -.
Avant d'examiner en détail les préceptes exprimés dans ce cha-
pitre des Abot, il est important de noter qu'il semble y avoir, au
moins dans les neuf premiers paragraphes du chapitre, un certain
balancement des idées et comme un va-et-vient de la pensée 3, qui
s'avance, se reprend, se corrige ou se contredit. Les trois premiers
paragraphes paraissent faire ensemble une unité. Dans le § 1er, on
1 Les formules sont sûrement authentiques, à titre de formules. La langue môme
dans laquelle elles sont écrites le prouve suffisamment. Les patriarches avaient peut-
être un recueil de formulaires comme l'ont eu les empereurs d'Orient ou les rois ca-
rolingiens ; il serait bien curieux que nos trois circulaires fussent un fragment de ce
formulaire.
: 11 est remarquable cependant que Hiilel fasse l'éloge d'Aaron [Abot, I, 12), mais
Hillel est comme Simon le Juste, il embrasse, dans un même sentiment de sympathie,
tous les partis et c'est ce qui a lait sa réputation.
a Cf. Qraetz, /. <•.. p. 28, qui a l'ait celle remarque pour un des groupes de ce
chapitre.
l'.iS REVUE DES ETUDES JUIVES
fait ressortir l'importance de la Loi et de l'étude delà Loi; le §2 dit
que la Loi et l'étude ont leur valeur, mais ne sont pas tout, et qu'il
faut y ajouter au moins le culte. Le culte est une excellente chose,
reprend le § 3, mais à la condition d'être pur. Dans les six ou huit
paragraphes suivants, pris deux à deux, il y a également des mou-
vements d'aller et retour ou correspondance de la pensée. Que ta
maison soit remplie de docteurs, dit l'un (§ 4) ; qu'elle soit surtout
remplie de pauvres 1, reprend l'autre (§ 5). — Prends un maître et
un compagnon d'études (§ 6) ; oui, mais, éloigne-toi d'un mauvais
compagnon (§ 7). — Les §§ 8 et 9 s'occupent tous deux des règles
de procédure ; les §§ 10 et 11 s'occupent du pouvoir et des dangers
qu'on court auprès des grands. Remarquons enfin que jusqu'au
§ 10, chaque paragraphe est divisé en trois membres et contient
le plus souvent l'expression de trois pensées, plus ou moins liées
l'une à l'autre. L'auteur est si attaché à cette forme de la phrase,
qu'il fait visiblement effort (par exemple aux §§ 3 et 9) pour la
conserver, lors même qu'il n'a que deux pensées à exprimer 2.
Ces considérations permettent d'expliquer avec plus de précision
qu'on ne le fait d'ordinaire certaines parties de notre Mischna.
§ 1er. — La Grande- Synagogue dit : Soyez doux dans vos juge-
ments (contre les Sadducéens, dont le code paraissait trop dur 3),
ayez beaucoup d'élèves (contre les Sadducéens, qui voulaient, sans
aucun doute, garder le privilège de l'interprétation de la Loi et ne
répandre l'instruction que dans leur caste), et faites une haie à la
Loi (contre les Sadducéens encore, qui ne voulaient rien ajouter
à la Loi, se moquaient des inventions religieuses des Pharisiens,
et, en vraie classe conservatrice, avaient horreur des innovations).
Tout le paragraphe est une attaque directe, on le voit, contre le
parti des Sadducéens.
§ 2. — Simon le Juste y répond par une tentative de concilia-
tion4. Le monde repose sur la Loi, en premier lieu (comme le
disent les Pharisiens), mais aussi sur le culte dans le temple
(voilà pour les prêtres Sadducéens), et enfin sur les œuvres de
charité (ceci regarde peut-être particulièrement les Esséniens,
dont la doctrine communiste reposait sur les idées d'humilité et
de charité) 5.
1 Ces pauvres sont peut-être les Ebiouim, pour qui la pratique religieuse et
morale était sûrement plus importante que Y€twde.
2 La trichotomie se trouve aussi dans le schemoné csré, comme l'a fait remarquer
M. Joseph Dereimourg, Revue, XIV, p. 27 et suiv.
3 Voir Megiilat taanit, 14 tammuz ; Derenbourg. p. 103.
4 Cf. I, 18.
5 Voir Jirull, dans ses Jakrbilcher, VIII (1885), p. 5, qui donne la même explica-
tion de ce paragraphe.
NOTES SUR LE CIIAIMTKU L« DES P1RKÉ ABOT m
§ 3. — Antigone de Sokho : Pensée du Pharisien un peu moins
large, dans ses vues, que Simon le Juste, mais plus conciliant que
la Grande-Synagogue. Soit, il faut aussi servir Dieu (le culte du
temple), mais à condition que ce culte soit désintéressé et s'inspire
de la seule crainte du ciel. Il est assez difficile de dire au juste quel
est le sens dé cette restriction. On peut supposer que, suivant le
rédacteur, elle signifie qu'il ne faut pas attendre de rémunération
sur cette terre, mais espérer en la vie future, à laquelle les Sad-
ducéens refusaient de croire. On pourrait aussi penser qu'Antigone
veut dire qu'on peut pratiquer le culte, mais ne pas en vivre,
comme taisaient les prêtres sadducéens. Mais le sens de ses pa-
roles est, en somme, assez obscur et elles pourraient même être
une critique adressée par les Sadducéens aux Pharisiens (attendre
une rémunération, même dans la vie future, est une croyance
grossière), mais notre rédacteur ne Ta sûrement pas cru, sans
cela il n'aurait pas reproduit les paroles d'Antigone. Les Abot de
R. Natan (ch. v) ont très bien vu le sens équivoque de ces paroles.
§§ 4 et 5. — On a de nouveau (§ 4, comme au § 1er) un éloge
enthousiaste de l'étude de la Loi, mais cet éloge exclusif est
immédiatement atténué dans le § 5.
§§ 6 et 7. — Encore des conseils sur l'étude de la Loi, si chère
aux Pharisiens. Le § 6 semble dire qu'il faut se chercher un maitre
pour étudier sous sa direction % et un compagnon pour étudier de
concert avec lui. C'était peut-être une habitude dans les écoles de
s'associer avec un étudiant. Ces deux étudiants ainsi associés
étaient haber l'un de l'autre et formaient ensemble un couple. La
suite veut peut-être dire qu'il ne faut pas se montrer trop difficile
dans le choix de ce iiabev -, et qu'il faut d'abord juger par le bon
côté ceux qu'on pourrait être tenté de prendre pour compagnons.
Mais on trouvera peut-être cette explication un peu trop recher-
chée. Si on la repoussait, on pourrait admettre que la fin du para-
graphe fait encore allusion à la sévérité des Sadducéens dans les
tribunaux (comme au § 1), quoiqu'il semble plutôt qu'elle signifie
qu'il faut, en général, juger tout le monde avec bienveillance. Le
§ 7 répond: Oui, il faut un compagnon, mais il ne faut pas choisir
un méchant (ou impie) ; oui, il faut juger tout le monde avec un
partirpris d'indulgence, mais à la condition de ne pas laisser se
perdre entièrement la notion de mérite et de démérite, avec la
sanction (terrestre ou ultra-terrestre) attachée à l'un et à l'autre 3.
» Ci". § 16.
» Voir encore Abot, II, 13 et 14 et IV, Vé.
3 Cf. IV, 13.
200 REVUE DES ETUDES JUIVES
§§ 8 et 9. — Au § 8, même précepte d'indulgence, cette fois-ci
sûrement dans l'exercice de la justice *. Il ne faut pas s'étonner
de l'importance attachée à cette question par notre Mischna, on
sait aujourd'hui quel intérêt passionné on portait chez les Juifs,
dans les cent cinquante ans qui ont précédé la destruction du
temple, à l'étude de la procédure judiciaire. Les Sadducéens, nous
l'avons dit, passaient pour juger avec dureté ; cela vient, sans
doute, de ce qu'ils jugeaient avec les procédés traditionnels et que,
chez tous les peuples, les procédés primitifs de la justice ont été
sommaires et barbares. Avec le temps, les mœurs s'adoucirent, et
l'ancienne procédure parut insupportable. Les Pharisiens y vou-
laient plus de souplesse et d'humanité, un examen plus attentif des
faits, des sentences plus réfléchies. Juda b. Tabbaï et Simon b.
Sétah ont sûrement eu une part importante dans la formation de
la nouvelle procédure, principalement en ce qui concerne les faux
témoins -, c'est ce qui explique déjà suffisamment que, dans notre
Mischna, ils s'occupent de ces questions 3. Les paroles de Simon b.
Sétah (§ 9) prennent une importance particulière quand on se rap-
pelle qu'il y a eu aussi progrès, chez les Juifs, dans la manière
d'interroger les témoins. Anciennement, les tribunaux se con-
tentaient d'enregistrer les témoignages, sans se croire le droit
d'examiner le caractère des témoins, et de se convaincre, par
des interrogatoires plus ou moins habiles, de leur véracité.
L'interrogatoire des deux Anciens dans l'histoire de Suzanne et
l'admiration qu'inspire le procédé employé par Daniel pour les
convaincre de fausseté, montrent à quels abus criants condui-
sait l'ancien procédé d'audition des témoins et quelle fut l'impor-
tance du progrès accompli en cette matière4. Bien entendu, ici
encore, notre texte enregistre une victoire des Pharisiens sur les
Sadducéens.
Nous n'avons rien à dire de spécial sur les paragraphes suivants
de notre Mischna, si ce n'est que dans les paroles de Semaia (§ 10)
il y a probablement aussi une critique des Sadducéens, qui aimaient
le pouvoir et fréquentaient la cour, tandis que les Pharisiens s'in-
1 Si les §§ 6 et 7 parlent aussi de la bienveillance en justice, on a quatre para-
graphes de suite qui s'occupent de cette question. Sur le § 8, cf. IV, 7.
* Voir Derenbourg, p. 104-107 ; Weiss, Dor dor, I, p. 138. «
3 Le commencement du § 8 n'a pas encore été expliqué d'une façon satisfaisante.
Ne pourrait-il pas signifier que lorsqu'un procès est ouvert, le public ne doit pas s'en
mêler, discuter les faits, juger d'avance les accusés, les condamner ou les absoudre?
Le public n'a pas les éléments nécessaires pour juger la cause, et ses jugements précipités
pourraient exercer une influence fâcheuse sur les vrais juges. Les mots : kesché-kih-
belu et ha-din sont probablement une glose.
* Sur tout cela, il faut voir Brull, dans ses Jahrlûchcr, III (1877), p. 43 et suiv.
NOTES SUU LK CHAPITRE Ie' DES PIRKE ABOT 201
téressaient peu à la politique, se tenaient loin du monde officiel et
des affaires '.
La suite de la Mischna, on le sait depuis longtemps, est interpo-
lée et déjà le paragraphe 12 est suspect, puisqu'il n'a pas cette
forme vive du tercet qu'ont les paragraphes précédents. Dans
tous les cas, après les paragraphes 12-15, qui parlent de Hillel et
de Sammaï, il faut probablement reprendre au paragraphe 9 du
chapitre il, où la tradition passe de Hillel et de Sammaï aux mains
de Iolianan b. Zaccaï. Une fois qu'elle est là, l'auteur considéra
qu'elle est arrivée au but. Le patrimoine légué par les ancêtres es'
maintenant aux mains de leurs héritiers légitimes 2.
Isidore Loeb.
1 Cf. Abot, II. 3, et III, 6. Il faut cependant remarquer que la recommandation de
se tenir loin des grands et des puissants était un des lieux communs des moralistes du
temps. Voir Sagesse de Sirach, ch. xni.
2 II n'est pas sans intérêt de citer encore, à l'appui de notre thèse sur les -ziujtjot ,
la Mischna de Bosch haschona, II, 12, où un contemporain de Gamaiiel II (Dosa b.
Harkinas) dit qu'il a existé des bât din depuis Moïse jusqu'à Gamaiiel II, mais que
les noms des Anciens de ces bêt din sont restés inconnus.
Nous remercions notre ami, M. le Dr Klein, de l'examen qu'il a fait de notre travail
dans Y Univers israClite (45e année, n° du 16 octobre 1889), nous respectons beaucoup
ses opinions, lors même que nous ne les partageons pas, et nous attachons beaucoup
de prix à ses observations. La Ocatcrreichische Wochcnschrift (n° 44 de 1889, 15 nov.)
résume notre travail en disant que nous avons voulu démontrer que la Grande-
Synagogue n'a pas existé. Il faut supposer que l'auteur de cette recension nous a lu
très superficiellement, nous parlons seulement de son article pour rendre hommage à
M. S- Bloch, dont les études sur la matière sont très intéressantes. Si nous n'avons
pas cité son étude sur la Grande-Synagogue (dans ses Studien z. Gesch. der althebr.
Literatnr, Leipzig, 1875), c'est uniquement parce que la question de l'existence de
la Grande-Synagogue, qui fait l'objet de cette étude, est résolue pour nous, et que
nous n'avions pas la moindre intention de rouvrir le débat. Si nous n'avons pas cité
ce que M. Bloch dit du paragraphe 1er àes Abot dans ses Einblicke in d. Gesch. der
EntstcJiung der talmud. Literatur (Wien, 1884, p. 12-13), c'est uniquement parce
que ce passage de M. Bloch se trouve déjà cité et utilisé dans le travail de M. Bril.
Nous saisissons très volontiers cette occasion pour dire que, dans ce passage, M. Bloch
a signalé avant nous l'omission singulière des prêtres dans Abot, I, 1, et, de plus, il
fait remarquer que cette omission est en contradiction ilagrante avec Lévitique, Kl,
11, et Maleachi, 2, 7.
NOTES SUR L'HISTOIRE DES JUIFS
1. La chronologie juive.
Il y a encore, dans le système de la chronologie juive, un cer-
tain nombre de points obscurs que nous voudrions expliquer. Nous
commençons par donner ici un tableau succinct de cette chronolo-
gie. La colonne KCr. de ce tableau indique les années à partir
de la création ; la colonne Ans donne les différences entre les
chiffres successifs de l'autre colonne.
Ans. ECr.
Création du monde » »
Déluge 1656 1656
Naissance d'Abraham 292 1948
Naissance d'Isaac 100 2048
Naissance de Jacob 60 2108
Descente de Jacob en Egypte 130 2238
Sortie d'Egypte 21 0 2U8
Commencement de la construction du 1"" temple. 480 2928
Exil de Babylone 410 3338
Retour de l'exil de Babylone 70 3408
Fin de l'empire perse 34 3H2
Ère des Séleucides 6 3448
Fin de l'empire grec l*. 174 3622
Fin des Asmonéens2 103 3725
Destruction du second temple 103 3828
Nous ajoutons la date de l'ère chrétienne, laquelle, d'après la
chronologie juive, tombe en l'an 3760 de la Création.
Presque tous les chiffres de cette chronologie sont empruntés à
la Bible et s'imposaient aux chronographes juifs. Il n'y en a que
quatre sur lesquels des divergences étaient possibles et où il semble
que les auteurs du système aient procédé arbitrairement :
1 Ou avènement des Asmonéens.
2 Ou avènement d'Hérode.
NOTES SI li L'HISTOIRE DES JUIFS '-!<>:;
1. La durée de l'esclavage d'Egypte, qui est, suivant la Bible, de
4:30 ans, et qui, dans le système, n'est que de 210 ans. Mais ce
chiffre de 210 a été choisi pour mettre la chronologie d'accord
avec le chapitre vi de l'Exode, versets 16-20, où, depuis Lévi
.jusqu'à Moïse, il n'y a que quatre générations : Lévi, Kehat,
Amram, Moïse, ce qui ne peut pas donner 410 ans. Le chrono-
graphe s'est donc décidé à prendre, pour la durée de l'esclavage,
les 400 ans indiqués dans Genèse, 15, 13, et qui, d'après ce der-
nier texte, sont réservés à la postérité d'Abraham. Or la postérité
d'Abraham commence avec Isaac ; de la naissance d'Isaac à la
sortie d'Egypte, il y a donc 400 ans; retranchez 60 jusqu'à la
naissance de Jacob, et 130, âge de Jacob à la descente en Egypte,
ensemble 190 ans ; restent, pour la captivité d'Egypte, 210 ans.
2. Tout le monde sait que la chronologie des rois de Juda et
d'Israël est des plus difficiles ; le total des règnes des rois d'Israël
est de 21 ans plus petit que celui des rois parallèles de Juda ; les
synchronismes indiqués par la Bible entre les rois de Juda et
d'Israël donnent lieu à plusieurs problèmes très épineux. L'auteur
de notre système ne s'embarrasse pas de ces difficultés; il prend
purement et simplement, pour la durée du second temple (à partir
de la 4e année de Salomon), la durée des règnes des rois de Juda
d'après le texte biblique. Elle est exactement de 430 ans 1 ; mais
pour une raison que nous indiquerons plus loin, on en a retranché
20 ans, et réduit à 410 ans la durée du second temple.
3. La durée de l'exil de Babylone est bien, dans notre tableau,
de 70 ans, conformément à la prédiction de Jérémie, mais on le
fait commencer, comme on vient de le voir, 20 ans trop tôt, de
sorte qu'il se réduit, en réalité, à 50 ans. Est-ce que l'auteur du
système savait que véritablement l'exil n'avait duré qu'environ
49-51 ans 7 Nous ne le croyons pas. Les raisons qui l'ont déterminé
à réduire le véritable exil à 50 ans sont tout autres, nous les
expliquerons au numéro suivant.
4. Ce qu'il y a de plus curieux dans le système et, en apparence,
de plus arbitraire, c'est la durée de l'époque du second temple,
qui était, en réalité, à partir du retour de Babylone, de 607 ans,
et que notre système réduit à 420 ans. Il en résulte que la domina-
tion persane, qui a été, en réalité, après le retour de Babylone,
de 204 ans (537-333), est réduite à 34 ans. Le Sêder oVam rabba,
ch. 29, donne, à ce qu'il nous semble, l'explication de cette ano-
malie. R. Iosé, qui est le principal ou peut-être le seul auteur
1 II faut remarquer que la captivité d'Egypte dure aussi 430 ans, et qu'Ézéchiel
(ûhap. iv, v. 5-6] parle du péché d'Israël qui dure 390 ans et du péché de Juda, qui
dure 40 ans, ce qui fait aussi ensemble 430 ans.
204 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
de notre système chronologique, dit assez clairement, dans ce
chapitre, que toute la chronologie du second temple dépend des
fameuses 70 semaines du Livre de Daniel (chap. 9, versets 24 et
suiv.). Ces 70 semaines représentent des semaines d'années (c'est-
à-dire que chaque semaine représente 7 années), elles font, par
conséquent, 7 x 70 ou 490 années, et, en considérant Daniel
9, 2, on dirait que ces 490 années s'étendent de l'exil de Baby-
lone jusqu'à la destruction du temple. Retranchez les 70 années
d'exil, il reste 420 ans pour l'existence du second temple l. Ainsi
se trouve expliqué, tout d'abord et pour la première fois, à ce
que nous croyons, ce nombre de 420 si peu conforme à la réalité
historique.
Mais, d'autre part, le même passage de Daniel prélève, sur les
70 semaines, une section de 7 semaines ou 49 ans. Ces 7 semaines
sont, pour nos chronographes, la durée du véritable exil, le temps
passé par les Juifs en Babylonie. Que faire des autres 21 ans ? On
se souvint à propos que, d'après la Bible (II Rois, 24, 1-2 ; II Chro-
niques, 36, 6-7), il s'était passé, sous le roi Ioiakim, dans la 3e ou
4* année de son règne, un événement grave : Nabuchodonosor
était venu en Palestine, avait battu le roi et enlevé une partie des
vases sacrés du temple. On imagina de prendre cet événement
pour point de départ de l'exil, c'était déjà l'exil des vases sacrés et
une profanation du temple qui annonçait sa destruction prochaine.
De la 3e ou 4 année de Ioiakim à la destruction du temple, il y a,
eu réalité, de 20 à 18 ans, selon qu'on prend la 3e ou la 4e année
et que l'on compte du commencement ou de la lin de cette année.
C'est ce qui fait que R. Iosé compte 18 ans pour la période du
demi-exil, 52 ans pour le véritable exil, ensemble 70 ans. Il en
résultait que l'on partait, pour les 70 ans d'exil, de l'avènement
de Nabuchodonosor (d'après la Bible, il prit Jérusalem dans la
10e année de son règne], le destructeur du temple. En arrondissant
les chiffres, on eut, finalement, 50 ans de véritable exil, et, anté-
rieurement, sous les rois, 20 ans qui sont comme un avant-goût
de l'exil ou un exil symbolique. Ces 20 ans étant retranchés des
430 ans des rois de Juda, il reste, pour la durée du premier temple,
410 ans.
Ce qui a évidemment contribué au choix de ce chiffre de
410 -4- 70 = 480, c'est ce goût de la symétrie qui est un des traits
de toute cette chronologie. De la sortie d'Egypte au premier
1 Comparez, sur tout cela, au chap. xxix du Séder olaia rahha. la chronique
d'Abraham ibn Daud, édit. Neubauer, p. b0. Dans le Sédcr olam ml/ha. chap. xxix,
à la tïn, lire Û"VTS53>1 P1N7- 'T, non inTw>*"l- comme le porte i'édit. d'Amsterdam
NOTES SUR L'HISTOIRE DES JUIFS 205
temple il y a 480 ans ; on a voulu de même que du premier au
second temple il y ait juste 480 ans.
Les Juifs connaissaient assez exactement l'époque de l'ère des
Séleucides. Si on admet, avec les chronographes juifs, qu'elle
tombe 312 ans avant l'ère chrétienne (au lieu de 311), cela fait
382 ans avant la destruction du temple (qui a eu lieu en 70 de l'ère
chrétienne). La chronologie juive, avec son goût pour les nombres
ronds, remplace ce chiffre 382 par 380. Le choix de ce nombre
380 se recommandait d'autant plus qu'il en résultait que de la
sortie d'Egypte jusqu'à l'ère des Séleucides il y avait juste
1,000 ans, et ce chiffre de 1,000 était un élément chronologique
trop remarquable pour qu'on le laissât échapper. L'erreur de
2 ans faite sur l'ère des Séleucides est sûrement voulue ; elle
a pour conséquence que la chronologie juive met la destruction
du temple 2 ans trop tôt, en 68 au lieu de 70 de l'ère chrétienne.
Cette singularité de la chronologie juive n'a pas d'autre expli-
cation.
L'époque des Macchabées et des Hérodiens jusqu'à la destruction
du temple étant de 206 ans, il reste, sur les 380 ans dont nous
venons de parler, 174 ans pour « l'empire grec ». Notre chrono-
logie y ajoute 6 ans, de sorte que « l'empire grec » obtient juste
180 ans. Il se peut que ce nombre ait été choisi uniquement pour
arrondir les chiffres, c'est l'hypothèse que nous admettrions le
plus volontiers, et on peut ajouter que cette addition de quelques
années aura paru d'autant plus justifiée qu'on savait parfaitement
que « l'empire grec » avait commencé avant l'ère des Séleucides *.
Si cette explication paraissait insuffisante, on pourrait supposer
que les choses se seront passées comme suit. Les 380 ans se seront
d'abord subdivisés en nombres ronds, savoir : 180 ans pour l'em-
pire grec, 100 pour les Asmonéens, 100 pour les Hérodiens. Plus
tard, on aura voulu préciser les deux derniers chiffres, pour se
rapprocher de la vérité, leur total sera devenu 206 au lieu de 200,
et comme il n'y avait aucune raison de modifier le chiffre 180 de
l'empire grec, l'origine de celui-ci a été reportée en arrière, et pla-
cée 6 ans avant l'ère des Séleucides. Ce sont les pauvres Perses,
comme on verra, qui ont payé les frais de cette opération.
L'époque des Macchabées, pour notre chronologie, commence à
Jean Hyrcan, comme nous l'avons prouvé autrefois2. De Jean
Hyrcan à Hérode (135-37), il y a 98 ans ; d'Hérode à la destruc-
tion du temple, 107 ans ; ensemble 205 ans. Par goût de la symé-
1 Voir Aboda zara, 10 a.
* Revue, XVII, 247.
2Û€ RKVUE DES ÉTUDES IUIVES
trie, notre chronologie a divisé cette période en deux parties
égales de 103 ans. La somme est exacte à une année près,
L'empire grec ayant commencé 386 ans avant la destruction du
temple, il ne reste, pour les Perses, sur les 420 ans du second
temple, que 34 ans. Ainsi s'explique cette singulière erreur du
Talmud qui réduit presque à rien le règne des rois Perses après
l'exil de Babylone et déclare, en conséquence, que Cyrus, Darius
et Artaxerce ne sont qu'une seule et même personne. Maintenant
que l'on voit, par ce qui précède, que toute cette chronologie est,
dans un grand nombre de ses traits, une chronologie symbolique,
on traitera avec indulgence cette fantaisie du Talmud l.
2. Les Caraïtes en Espagne.
Nous avons déjà à deux reprises parlé, dans la Revue-, de
l'expulsion des Caraïtes d'Espagne, sans jamais traiter à fond la
question. D'après le récit d'Abraham ibn Daud ;\ les choses se
seraient passées comme suit: Un juif de Castille, nommé Cul Ibn
Altaras, était allé à Jérusalem, où il s'était affilié aux Caraïtes
dans l'école du célèbre rabbin caraïte Josué Aboul Faradj, dit le
Cheikh. Il revint ensuite en Castille et y propagea la religion
caraïte. Après sa mort, les Caraïtes d'Espagne continuèrent à
pratiquer leur religion, jusqu'à ce que le naci R. Iosef Alfarudj
Alcadro les réduisit et les obligea à s'établir tous dans une petite
ville du pays. Après sa mort, ils se développèrent de nouveau,
jusqu'au règne du roi Alfonse fils de Raymond, le roi des rois,
l'empereur, mais après avoir pris la ville de Calatrava, Alfonse en
donna le commandement du moins temporaire au naci Juda b.
Josef ibn Ezra, originaire de Grenade, lequel devint plus tard son
intendant. Ce Juda ibn Ezra obtint alors du roi que les Caraïtes
fussent humiliés. A partir de cette époque, ils ne purent plus le-
ver la tète et leur nombre (ou leur prestige) alla toujours en dimi-
nuant.
A ces renseignements, il faut ajouter ceux que donne Alfonse
1 Cf. Mcjilla, 11 b. — Voici quelques nouvelles correetioos à faire aux Mediacval
Jemish C&romeles (Oxford, 1887 ; voir notre Josef Harrohen et les chroniqueurs juifc).
Page 192, 1. 12, lire fciDbtf 'T% non Lpsbtt 'n î au lieu de *i"l2 Û^sb» ':», lire
Y'"in tPDbK'>; au lieu de n"D, lire n"73. — P. 192, 1. 19, lire tt"2*n, non
::"£ttn. — P. 195, 1. 24, lire ri"fa, non n"2 ; L 26, au lieu de 3"p, il faut proba-
blement D"p. — P. 196, 1. 23, lire ffp, non Y'ftp ; 1. 25, lire H"bC, non N"b'û- —
P. 197, 1. 11, lire Win, non ^"*in.
2 Revue, XVI, 226, sur lohasin, 215 h, 1. 41, et XVIII, 60-63.
3 Édition Neubauer, Mediacval Jewïsh Chronicles, p. 79.
NOTES SUR L'HISTOIRE DES JUIFS 203
do Valladolid, dans son Mosfrador ûe Instieki ', et qui sont em-
pruntés, à ce qu'il dit, à un écrit de Moïse de Léon contre les
Caraïtes. A la suite d'une querelle qui s'était élevée entre Caraïtes
et rabbanites dans la ville de Carrion, un rabbin, Josef ibn Alla-
car, de Grenade, médecin du roi Alfonse, qui ne lui refusait rien,
aurait obtenu un décret royal en vertu duquel il était ordonné à
tous les Caraïtes de se faire rabbanites. Ceci aurait eu lieu en l'an
4938 de la création (1178), et à partir de cette époque tous les
Caraïtes d'Espagne seraient devenus rabbanites.
Ce qui nous a autrefois embarrassé2, c'est que nous croyions
qu'il y avait quelque confusion dans ces récits, et que principale-
ment le Josef Alfacar d'Alfonse de Valladolid était le Josef Alfa -
rudj d'Abraham ibn Daud. Nous pensions que, dans le texte
d'Abraham ibn Daud, le nom d'Alfarudj provenait d'une erreur
de copie faite sous l'influence du nom d'Alfaradj qui se trouve un
peu plus haut, et qu'il fallait le remplacer par Alfacar, de sorte
qu'on aurait eu le nom du Josef Alfacar dont parle Alfonse de
Valladolid. D'autre part, nous étions frappé de ce fait que Juda
ibn Ezra (chez Abr. ibn Daud) et Josef Alfacar venaient tous deux
de Grenade, et cette coïncidence nous paraissait suspecte. Comme
cependant il est impossible de rien tirer de nos textes avec cette
hypothèse d'une confusion qui se serait produite dans les récits
d'Abraham ibn Daud et d'Alfonse de Valladolid, c'est encore le
plus simple et le plus sûr d'admettre qu'il y a eu effectivement
trois affaires différentes relatives aux Caraïtes de Castille : per-
sécutés une première fois par Josef Al farudj, une seconde fois par
Juda ibn Ezra, ils auront disparu complètement en 1178, après
l'intervention de Josef Alfacar.
On ne peut pas dater exactement la première affaire, mais elle
a dû être de la fin du xie s. ou du commencement du xne siècle 3.
La seconde affaire peut être datée à quelques années près. Le
roi Alfonse qui y figure est Alfonse VIII (1126-1156). L'identifica-
tion est certaine, d'abord parce que Abraham Ibn Daud dit que
ce roi Alfonse est fils de Raymond, et ensuite, parce qu'il lui donne
le titre d'empereur; Alfonse VIII avait pris ce titre aux cortès de
Léon, en 1135, et il est le seul roi d'Espagne qui l'ait porté. C'est
ce même Alphonse VIII qui prit la ville de Calatrava, en 1147.
1 Revue, XVIII, 62 ; cf. Fortalitium Fidei, Livre III, considération 3, où les
mêmes renseignements sont répétés presque textuellement d'après le Libro <lc las
batallas de Dios, du même Alfonse de Valladolid ; le prénom de Josef Alfacar y est
défiguré.
5 Revue, ibid.. p. 62, note.
3 VoirGraetz, 2e édition, VI, 86-88.
208 REVUE DES ETUDES JUIVES
La seconde persécution contre les Caraïtes se produisit un certain
temps après la conquête de cette ville f.
Ils disparurent enfin complètement en 1178, sous Alfonse IX de
Castille (1158-1214). Un Abraham Alfacar a été influent à la cour
d'Alfonse IX, il était encore jeune en 1178 2, et c'est peut-être son
père (ou un de ses parents) qui est le Josef Alfacar nommé par
Alfonse de Valladolid.
Il résuite du texte d'Alfonse de Valladolid que les Caraïtes
étaient très nombreux à Carrion et à Burgos 3 et que leur grand-
rabbin demeurait dans cette dernière ville. C'est probablement
dans le nord qu'étaient leurs principales communautés, et on
comprend ainsi que Moïse de Léon, qui demeurait dans ces ré-
gions (fin du xiii0 s.), se soit occupé d'eux4. Ils n'avaient peut-
être pas disparu aussi complètement que le dit Alfonse de Valla-
dolid.
L'affaire de Carrion, qui nous avait paru si étrange \ s'explique
peut-être très simplement. Nous avions cru que le Juif rabba-
nite, pour narguer les Caraïtes, avait allumé de ses mains une
lumière le samedi, et cette interprétation est autorisée par les
mots du Forlaliliuni Fidei: exposuit se periculo mortis vicen-
dens candelam die sabbati publiée. Cela semble vouloir dire que
ce juif s'exposa à être puni de la peine de mort" pour avoir accom-
pli le délit grave d'allumer une lumière le samedi malgré la
défense du Pentateuque. Mais d'abord les mots exposuit se peri-
culo mortis ne se retrouvent pas dans le texte d'Alfonse de Val-
ladolid que nous avons publié dans la Revue ; puis, ils peuvent
avoir un sens un peu différent et que nous expliquerons tout à
l'heure. Nous croyons que les faits se seront passés comme suit.
Les Caraïtes, étant en nombre à Carrion, y opprimaient les rabba-
nites, et les forçaient à observer les pratiques religieuses selon
les prescriptions caraïtes et en dépit des prescriptions contraires
des rabbanites. Ils leur défendaient, en conséquence, d'avoir
aucune lumière le samedi dans leurs demeures, même des lu-
1 Graetz (VI, 86, 2e édit.) donne la date 1148, mais nous ne savons d'où vient ce
chiffre. — Alfonse VIII ayant régné trente et un ans, il faut, dans l'édition citée
d'Abraham ibn Daud, p. 79, 1. 22, au lieu de t\"l2 (durée de son règne), lire N"b ;
un des manuscrits cités [ibid.) a n"b, et la confusion des lettres ^ et H est
fréquente.
2 Graetz, VI, 208.
3 Voir, pour Burgos, la version du Fortalitiwm Fidei.
4 lohasin, édit. Filopowski, p. 88-89 : on le voit, au moins de passage, à Arévalo
et, plus au nord, à Valladolid.
s XVIII, 63.
G Ou du mD, mort par les mains de Dieu. Voir Maïmonide, Mischné Tora, Sab-
' at, 7, 1,12; Schegagot, 1 .
NOTES SUR L'HISTOIRE DES JUIFS 209,
mières allumées la veille ou allumées par des chrétiens. On sait
que c'est une pratique religieuse à laquelle les Caraïtes sont
encore attachés aujourd'hui et qu'ils observent avec une grande
rigueur. Les rabbanites étaient naturellement fort irrités d'être
obligés de suivre les pratiques caraïtes, ils trouvaient qu'on les
empêchait « d'accomplir la Loi », et, pour secouer le joug, l'un d'eux
fit allumer (par un chrétien) une lumière le samedi, ou l'alluma
la veille et la laissa brûler le samedi. De là, le tumulte qui
amena finalement la suppression de la religion caraïte en Castille.
La peine de mort est édictée, dans l'ancienne législation, contre
celui qui enfreint le précepte biblique : Vous n'allumerez pas de
feu dans vos demeures le samedi, et les Caraïtes appliquaient
sûrement cette peine à ceux-mêmes qui ne faisaient qu'avoir de la
lumière le samedi, c'était pour eux une infraction au précepte
biblique. Puisque le rabbanite qui fait allumer de la lumière
s'expose à la peine de mort, cela prouve que les Caraïtes de Car-
rion appliquaient leur législation aux rabbanites de cette ville.
Cela prouve aussi, comme on le sait du reste, qu'en matière reli-
gieuse, les Juifs de Castille avaient conservé, à cette époque, leur
juridiction indépendante. Est-ce qu'ils condamnaient réellement
à mort pour des délits religieux de cette nature? Ou est-ce que
les Caraïtes seuls le faisaient, tandis que les rabbanites, comme
il semble résulter de tous les documents connus, avaient depuis
longtemps renoncé à ces pénalités d'un autre âge? Ou enfin, ne
peut-on pas supposer que le danger de mort auquel s'est exposé
le rabbanite de Carrion n'est pas d'être condamné à mort, mais
d'être tué par la foule des Caraïtes dans un mouvement d'indigna-
tion et de colère ? Ce sont des questions difficiles à résoudre.
3. Date du calendrier juif et observations diverses
sur ce calendrier.
On peut considérer comme certain que le calendrier actuel des
Juifs n'était pas encore établi à l'époque talmudique. Le Talmud
ne le connaît pas et contient même des dispositions contraires à ce
calendrier. Le Pirhô di Rabbi Èlièzer, qui est, au plus tôt, du
viic s., ne le connaît pas non plus, les éléments astronomiques
qu'il renferme ne sont pas ceux de notre calendrier. Le texte de
Haï gaon (dans Séfer ha-ibbur, d'Abraham bar Hayya, p. 97), si
souvent invoqué et d'où il résulterait que R. Hillel aurait rédigé
notre calendrier en 670 de l'ère des Séleucides (358 de l'ère chrét.),
ne dit rien de pareil ou, du moins, n'est pas bien explicite sur ce
T. XIX, n° 38. 14
210 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
sujet. Tout le passage (et tout ce chapitre d'Abraham bar Hayya)
est principalement consacré à la question du mois intercalaire
(Adar II) et de l'ordre des mois intercalaires dans le cycle de
19 ans. La phrase relative à Hillel peut parfaitement signifier que
Hillel a fixé le nombre et le rang des mois intercalaires dans le
cycle, ou, si l'on veut et à la rigueur, qu'il a fixé la durée du mois
synodique, mais le calendrier actuel n'existe qu'avec ces deux
éléments réunis (plus les règles d'ajournement, dehiyyot), et il est
impossible d'assurer que Haï gaon attribue à Hillel l'invention ou
l'établissement de ces deux (ou trois) éléments essentiels du ca-
lendrier juif. Et quand même Haï gaon le dirait, il serait permis de
supposer qu'il se trompe. Il serait bien étrange qu'un fait d'une
si haute importance pour le judaïsme, puisque toute la vie reli-
gieuse des Juifs dépend du calendrier, n'ait été signalé qu'après
six siècles (Haï gaon a vécu de 969 à 1038) et qu'il ne soit men-
tionné ni par le Talmud, ni par les gaonim antérieurs à Haï, ni
par les Scheéllot, ni par les Halakhot gedolot. Tout ce qu'on
peut conclure de la consultation de Haï, c'est d'abord que Hillel a
contribué, sans qu'on puisse dire exactement en quoi, à la rédac-
tion de notre calendrier ; c'est ensuite, qu'à l'époque de Haï, le
calendrier actuel existait déjà de toutes pièces.
Ce dernier fait est confirmé d'une façon éclatante par un
ouvrage des plus remarquables : c'est la Chronologie des nations
anciennes, d'Albirouni J. L'auteur a vécu de 973 à 1048, il était
né à Khiva, il a passé une partie de sa vie dans cette ville et dans
le Jurjan (Hyrcanie), au sud de la mer Caspienne. D'un calcul
qu'il fait (p. 174, 1. 8) sur l'année 1000, on pourrait conclure que
c'est en cette année qu'il a écrit au moins une partie de son livre.
Il ne serait pas impossible qu'il eût été à Bagdad et qu'il eût puisé
dans cette ville ses renseignements sur les Juifs (p. 147, 1. 41-43),
mais il a pu aussi se renseigner chez les Juifs de Khiva et il nous
dit lui-même que, dans le Jurjan, il a pris des informations auprès
du médecin juif Jacob b. Moïse Alnikrisi (p. 269,1. 19; p. 270, 1.14)2.
Son ouvrage renferme une étude très étendue et très intéressante
de la chronologie et du calendrier juifs. Dans la partie consacrée à
la chronologie juive, on trouve à peu près tous les éléments et
tous les nombres que nous avons donnés et discutés plus haut
(voir Chronology, p. 20-21, et p. 85-89). Les chapitres consacrés
au calendrier juif montrent que ce calendrier était déjà, à cette
époque et dans cette région, exactement ce qu'il est aujourd'hui :
1 Nous citerons cet ouvrage d'après la traduction d:Ed. Sachau {The Chronology
ofancient Nations, Londres, 1879).
1 Gî.ièid., p. 163,1. 11 et- 1. 29,
NOTES SUU L'HISTOIRE DES JUIFS 211
môme durée du cycle (19 ans) avec même nombre de mois inter-
calés (7 mois), même durée du mois synodique de la lune, mêmes
dehigyot et mêmes années pleines, régulières et caves, même
durée des 12-13 mois de l'année, même durée des saisons (p. 162,
1. 36). La seule différence à relever consiste dans un ordre diffé-
rent des années embolimiques (p. 64-65). Dans les régions où vivait
Albirouni, Tordre de ces années dans le cycle n'était pas encore
arrêté, on hésitait entre les trois ordres mrpTm, finaon» et Aaaaftj
c'est-à-dire que, selon les uns, les années embolimiques du cycle
étaient les années 2.5.7.10.13.16.18; selon les autres, même ordre
diminué d'une unité (1.4.6.9.12.15.17), selon d'autres enfin, les
années 3.5.8.11.14.16.19, désignées par le signe aspa-i, où les lettres
représentent les intervalles entre les années embolimiques, sa-
voir 3.2.3.3.3.2.3. Ces trois ordres sont également mentionnés
dans la consultation de Haï gaon dont nous avons parlé plus
haut, et, de plus, Haï parle de l'ordre usité dans notre calendrier,
qui est 3.6.8.11.14.17,19. Mais cette question de l'ordre des
années embolimiques dans le cycle est tout à fait secondaire et
n'a aucune influence sur la tenue générale du calendrier. Albi-
rouni parle aussi (p. 63) d'un cycle de 8 ans, avec 3 mois supplé-
mentaires, qui aurait été usité de son temps chez les Juifs, mais
dans tout le reste de l'ouvrage il admet comme une chose toute
simple et convenue que le cycle est de 19 ans. Les cycles de 72,
95 et 532 ans dont il parle aussi n'ont aucune importance pour
nous, ils sont purement des multiples du cycle de 19 ans. Le ca-
lendrier juif était donc entièrement formé à l'époque d'Albirouni.
Il résuite de ce qui précède que ce calendrier a été rédigé entre
le vu0 et le xe siècle. Un renseignement qu'on a sur les origines
de la religion caraïte permet peut-être de fixer la date avec une
plus grande approximation. On raconte qu'Anan, le fondateur de
la secte des Garaïtes, aurait rejeté le calendrier des rabbanites, qui
fixaient la néoménie par le calcul, et serait revenu à l'ancienne
méthode qui consistait à fixer la néoméiie par l'observation
directe de la lune et à régler les mois intercalaires suivant les
anciens procédés qui les faisaient dépendre en partie de l'état de
la végétation 1. L'hérésie d'Anan date de 761 ou environ, mais les
1 Graetz, V, 2° édit., p. 454, d'après Maçoudi-Makrizi, Salomon b. Ieruham (né en
885 d'après Graelz, ibid., p. 273), Hilluk ha-Karaïm ve-ha-rabbanim, dans Pinsker,
Likkuté Kadmoniot, p. 103, et Tobiyya au nom de Saadia, ibid., p. 95. Albirouni dit
également (p. 69) qu'Anan abandonna le calendrier rabbanite pour revenir à l'obser-
vation directe de la lune et aux anciens procédés, mais il place Anan aux environs
de l'année 900 (100 à 110 ans tn arrière, p. G8, I. 42), ce qui serait, en ce qui con-
cerne le calendrier, une confirmation de ce que nous disons plus loin sur l'âge de
cette réforme du calendrier caraïle.
212 REVUE DES ETUDES JUIVES
textes relatifs à la réforme qu'il aurait introduite dans le calen-
drier sont tous du ixc s. ou postérieurs au ixe s., et il est bien
possible que la nouveauté qu'on attribue à Anan au sujet du
calendrier ne remonte pas si haut et soit le fait de ses disciples,
comme Salomon b. Ieruliam semble le dire formellement1. Les
renseignements des Garaïtes sur l'histoire de leur secte sont
extrêmement suspects. Quoiqu'il en soit, on peut admettre comme
établi que déjà dans le cours du ix° s. ou plus tard, les Garaïtes
avaient refusé d'admettre le calendrier des rabbanites fondé sur
le calcul, ce calendrier existait donc, au plus tard, dès le com-
mencement du ix,! siècle. Si on considérait comme authentique ce
qu'on raconte du rôle d'Anan dans la réforme du calendrier, il
faudrait remonter jusque vers le commencement du vin6 siècle.
Dans la fameuse lettre de Scherira nous avons trouvé deux
indications qu'on peut utiliser pour la question de la date de notre
calendrier. Scherira donne, pour la mort de Rabina, la date de
mercredi 13kislev 811 des Séleucides (Médiaeval Chronicles, par
Ad. Neubauer, p. 34, 1. 2), et pour la mort de R. Ahaï bar Huna,
le dimanche 4 adar 817. Si on applique à ces dates les règles de
notre calendrier actuel, on trouve, pour la première, le 1er dé-
cembre 499, et pour la seconde, le 13 février 506. Le 1er décem-
bre 499 était effectivement un mercredi ; mais le 13 février 506
était un lundi et non un dimanche* ; la concordance étant seule-
ment vérifiée par une des dates et non par l'autre, on ne saurait
conclure de ces données que notre calendrier existait déjà à cette
époque. Au contraire, la concordance d'un seul cas ne prouve
rien, elle peut être fortuite; la différence, au contraire, révélée
par le second cas, s'il n'y a pas erreur de copie ou erreur de l'au-
teur, peut être invoquée comme preuve contre l'existence de notre
calendrier à cette époque (vi° s ).
Nous ajoutons encore un certain nombre d'observations de détail
sur le calendrier :
1. On apprend par Albirouni (peut-être par d'autres écrivains
aussi) que le mois supplémentaire des Caraïtes était schehat (le
5e mois) et non adar (6e mois; Chronology, p. 69, 1. 31), Le mois
intercalaire de tammuz II qui aurait été usité autrefois pour
régler l'année sur le solstice d'été (p, G8, 1. 19) n'est probablement
qu'une hypothèse des Juifs du temps d'Albirouni.
1 Voir le passage dans Graetz, l. c.
2 Ou encore et mieux : d'après le calendrier actuel, le 13 kislev 4260 tombe bien au
mercredi, mais le 4 adar 4266 tombe au lundi, non au dimanche.
NOTES SUR L'HISTOIRE DES JUIFS 213
2. Disposons comme suit les formules des quatre ordres d'inter-
calation dont nous avons parlé plus haut :
TiiaûYiK
i.
4.
6.
9.
12.
15.
17.
rwïna
2.
5.
7.
10.
13.
16.
18.
ÛTINHI^
3.
6.
8.
11.
1 4.
17.
19.
WTWlîTa
3.
5.
8.
1!.
14.
16.
19.
On voit immédiatement que les trois premières formules ne sont
que des variantes d'un seul et même type, les intervalles entre les
années embolimiques y sont les mêmes, le rang seul de l'année
embolimique diffère. Il est important de noter que, dans la pra-
tique, il n'en résulte aucune différence, une année A, embolimique
dans l'un des systèmes, Test également dans les deux autres. La
différence de la notation vient uniquement, comme on le voit dans
le Se fer ha ibbur, p. 96-93, d'une différence dans l'origine des
ères. Si cette origine est Tannée a pour la première formule, elle
est a — 1 pour la seconde et a — 2 pour la troisième.
A première vue la quatrième formule diffère totalement des trois
autres, mais en réalité elle se ramène au même type, pourvu que
l'on prenne pour origine l'année a-{-l. Avec cette année a-\-l
pour origine, les chiffres de la première de nos quatre formules
deviennent :
19. 3. 5. 8. 11. 14. 16,
ce qui est exactement notre quatrième formule.
Nous faisons remarquer encore, pour prévenir tout malentendu,
qu'en parlant des années a+l,<2, a — \9 a — 2, comme origine
des cycles, nous avons uniquement en vue une origine arbitraire
des cycles du calendrier, non l'origine de la chronologie juive.
Les années a — 1 et a — 2 (2e et 3e formules) sont prises par
l'auteur du Sêfer ha ibbur pour origine de la chronologie (p. 96),
et il se peut aussi que l'année a (lre formule) soit prise pour telle
par Haï gaon (ibid., p. 97), quoique cela ne soit pas certain.
3. Le cycle de 8 ans mentionné par Albirouni se trouve aussi
dans d'autres livres et même dans le Livre des Jubilés (vers le
milieu du ne s. avant l'ère chrét.), il est donc très ancien. L'éta-
blissement du cycle juif a dû passer par des approximations
successives, car on trouve aussi, justement dans le Livre des
Jubilés, des cycles de 3 et de 5 ans. C'est une question sur la-
quelle nous revenons plus loin.
4. Nous avons dit ailleurs1 que la ielinfa de R. Adda, sur
1 Grande Encyclopédie, article Calendrier juif.
21/i REVUE DES ETUDES JUIVES
laquelle on a beaucoup écrit et très inutilement, à notre avis,
n'est qu'une fiction. Voici sur quoi nous appuyons cette assertion.
On appelle tehufa de R. Adda le chiffre de 365 j., 5 h., 997 hela-
kim, 48 regaïm, pour la durée de l'année solaire, tandis que,
d'après la tehufa dite de Samuel, l'année solaire a 365 j. 6 h.
Pour qu'un R. Adda pût attacher son nom à cette formule et à
certaines conséquences, d'ordre secondaire, qui en résultent, il
faudrait qu'il eût inventé quelque chose et accompli quelque
réforme ou quelque progrès qui eût mérité qu'on s'en souvienne.
Il est facile de montrer que le prétendu R. Adda n'a rien inventé
du tout. La durée du mois synodique juif (29 j., 12 h., 793 kelak.)
est la durée du mois d'Hipparque; le cycle juif de 19 ans com-
prend 235 mois synodiques ou 6939 j., 16 h., 595 helakim. Si l'on
divise ce dernier chiffre par 19, on obtient l'année solaire qui sert
de base au calendrier juif. Le quotient de cette division donne
exactement, pour l'année solaire, le chiffre de R. Adda. C'est une
opération que tout le monde peut faire, et où il n'y a pas la moindre
nouveauté. La tehufa de R. Adda n'est donc qu'une légende.
5. Personne n'a jamais expliqué, que nous sachions, pourquoi
l'heure juive est divisée d'une façon si étrange en 1080 helakim
(parties). L'explication paraîtra simple. Cette division vient uni-
quement de ce que, en réduisant en jours, heures et fractions
d'heure le nombre qui représente le mois synodique d'Hipparque1,
on trouve 29 jours, 12 heures et |^ d'heure, et cette dernière
fraction est irréductible. Nous croyons que la division du hèleh en
76 parties a une origine analogue. La mesure exacte de la tehufa,
dite de R. Adda, d'après le calcul que nous avons indiqué plus
haut, est de 365 j., 5 h., 997 helakim et f§ du hélek ; mais une
division en 19mes serait trop bizarre, on a donc remplacé les f§ par
leur multiple £}. Le nombre 76 n'est pas de ceux que l'on choisit
parce qu'ils ont beaucoup de diviseurs, et il est évidemment là en
sa qualité de multiple de 19.
4. Histoire de la formation du cycle juif.
Voici comment nous nous expliquons l'histoire de la formation
du cycle juif de 19 ans.
Ce cycle a dû se former peu à peu et par des approximations
successives. Dans le livre d'Hénoch, qui paraît être contemporain
de Jean Hyrcan, il est question de cycles de 3, de 5 et de 8 ans 2.
1 On le trouve dans Ptolémée, Almageste, livre IV, chap. 2 ; cf. SCfer ha ibbur, p. 37,
s Sur le cycle de 8 ans, voir Théodore Reinach, Revue XVIII, 90.
NOTES SUR L'HISTOIRE DES JUIFS 215
Ce sont des données que l'on peut considérer comme absolu-
ment sûres et qui servent de principal appui à la théorie que
nous allons exposer. On verra plus loin qu'il est possible qu'il
y ait eu aussi un cycle de 11 ans. Nous supposons que ces diffé-
rents cycles ont été essayés avant qu'on se soit arrêté au cycle
de 19 ans.
Notre théorie pourrait probablement s'appliquer au cycle grec,
et il y" aurait intérêt à le faire, surtout si on est tenté d'admettre
que les Juifs, dans la formation successive de leur cycle, ont suivi
les Grecs.
Dans lés explications que nous allons donner, nous ferons sou-
vent usage de la notation suivante, qu'il est important de bien se
rappeler :
La lettre C désignera un élément cyclique de trois ans, composé
de deux années communes (12 mois synodiques) suivies d'une
année embolimique (13 mois synodiques), le mois synodique étant
de29j. 12 h. 793 helahim.
La lettre c désignera un élément cyclique de deux ans, composé
d'une année commune suivie d'une année embolimique.
Nous aurons également besoin de recourir souvent au tableau
suivant, dont voici la description.
4
365
5
997
48
2
730
11
915
20
738
6
385
+ '
19
c
3
1095
17
632
68
1092
45
181
— 3
2
G
4
4 460
23
750
40
5
1826
5
668
12
4 830
21
566
+ 4
16
Ce
6
2191
11
585
60
2185
6
362
— 6
5
GG
7
2556
17
503
32
8
2921
23
421
4
2923
12
747
-H
13
GcG
9
3287
5
338
52
10
3652
11
256
24
41
4017
17
173
72
4046
3
928
— 1
13
CcGG
42
4382
23
91
44
13
4748
5
9
16
14
5113
10
1006
64
5108
19
29
— 4
15
CcCGG
45
5478
16
924
36
46
5843
22
842
8
5847
1
414
+ 3
3
GcCGGc
47
6209
4
759
56
6204
10
210
— 7
18
GGcGGG
48
6574
10
677
28
49
6939
46
595
6939
16
595 1
0
0
GcGGGcG
La l10 colonne donne les numéros d'ordre des 19 années du
cycle juif.
La 2* colonne donne, en jours, heures, helahim et regaïm, la
216 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
durée de 1, 2, 3, 4, etc. années solaires, en prenant pour base
Tannée solaire dite de R. Adda, qui est très suffisamment exacte.
Cette année a pour mesure, en jours solaires moyens, 365,246822,
tandis que, d'après les astronomes modernes, l'année tropique,
exprimée en jours solaires moyens, a pour mesure 365,242256.
Nous avons préféré nous en tenir au chiffre dit de R. Adda, pour
mieux entrer dans les intentions et raisonnements des auteurs du
calendrier juif.
La 3° colonne donne, en jours, heures et helakim, la durée de
cycles dont la composition est indiquée dans la 5e col.
La 4° colonne indique, en jours et en heures (nous avons
négligé, pour plus de simplicité, les helakim et les regaïm), la dif-
férence entre les deux colonnes précédentes.
La 5e col. indique la composition des cycles dont la durée est
exprimée dans la 3° col. Le signe Ce signifie C + c ; le signe
CcC signifie C + c + C, et ainsi de suite.
Il faut enfin se rappeler que l'invention des cycles a pour but
d'établir une concordance, assez difficile à atteindre, entre l'année
solaire et les années à mois lunaires, l'année solaire étant d'en-
viron 11 jours plus longue que 12 mois synodiques.
Le cycle le. plus simple, évidemment, et celui qu'on a dû ima-
giner tout d'abord, est le cycle de trois ans que nous avons repré-
senté plus haut par la lettre C. Il établit une concordance assez
convenable du calendrier lunaire avec l'année solaire, et dans les
premiers temps, avant que la matière eût été mieux étudiée et que
les connaissances astronomiques aient été plus précises, il aura
bien fallu se contenter de l'approximation assez grossière encore
donnée par ce cycle. La colonne 4 de notre tableau montre clai-
rement pourquoi on aura eu recours plutôt au cycle C qu'au
cycle c.
Le cycle C étant trop court de plus de 3 jours, on aura cherché
bientôt à le corriger et le moyen le plus simple d'obtenir cette
correction a paru être l'addition d'un élément c, notre calendrier
ne faisant pas usage d'éléments plus compliqués que les éléments
C et c. Ainsi se sera formé le cycle de 5 ans, représenté, d'après
notre notation, par le signe Ce. Le cycle de 3 ans était trop court
de plus de 3 jours, le cycle de 5 ans est trop long de plus de 4
jours.
Mais ces deux cycles donnant des erreurs en sens opposé, il
était tout simple de les ajouter. De là, le cycle de 8 ans CcC, qui
ne donne plus qu'une erreur d'un jour et demi environ.
Comment faire pour éliminer ou atténuer cette erreur? Comme
elle est positive, il ne servirait de rien d'ajouter au cycle de 8 ans
NOTES SUR [/HISTOIRE DES JUIFS 217
un élément c dont l'erreur est également positive ; il faut donc
essayer avec un élément G, ce qui donne le cycle de 11 ans, repré-
senté par CcCC.
Une fois arrivé à ce point, la solution définitive apparaît immé-
diatement. Le cycle de 8 ans et le cycle de il ans donnent des
erreurs égales et de sens opposé, il suffit donc de les ajouter pour
avoir le cycle de 19 ans. On obtient ainsi un cycle représenté par
la figure
CcCC + CcG
c'est le cycle ùnwirta (3.5.8.11.14.16.19) dont nous avons parlé
dans le chapitre précédent l.
On voit par là qu'il est extrêmement probable que ce cycle
représente la forme primitive des cycles juifs, et que les autres
formes données plus haut en sont des dérivés ou des altérations.
Ces formes peuvent se résumer, comme nous lavons montré, dans
la troisième des.quatre figures que nous avons reproduites, et qui
est représentée par la notation
CCcCCCc ou CGcG + CGc.
Si on lit cette figure à partir du second G, on retrouve la figure
du cycle que nous avons appelé primitif, comme il était facile de
le voir par les explications que nous avons déjà données au n° 2
du chapitre précédent. Ce qui est plus curieux, c'est que ce cycle,
malgré la transposition du G, se compose également d'un cycle de
11 ans augmenté d'un cycle de 8 ans.
Haï gaon [Sêf. ha ïbbiœ, p. 97) a très bien vu que notre cycle
CcCCCcC est le plus rationnel, parce quil donne successive-
ment les meilleures approximations. La 4e col. de notre tableau
montre que le cycle usité aujourd'hui, qui met des années emboli-
miques aux années 6 et 17 du cycle, au lieu des années 5 et 16 du
cycle primitif, passe par des approximations plus grossières que le
cycle primitif.
Cette même colonne du tableau montre également, comme il
était facile de s'y attendre après les explications qui précèdent,
que le cycle primitif se dispose symétriquement autour d'un axe
1 On pourrait encore raisonner ainsi : Une fois le cycle de 8 ans obtenu, il est facile
de remarquer qu'il donne une erreur qui est exactement égale à la moitié de l'erreur
du cycle de 3 ans et de sens opposé. L'addition d'un demi-cycle de 3 ans donnerait
donc la concordance cherchée, on aurait ainsi un cycle de 9 ans 1/2 ; mais un cycle où
il entrerait une demi-année n'étant pas possible, on a pris un cycle de 2 fois 9 ans 1/2,
ou 19 ans.
218 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
qui serait placé au milieu du cycle, à égale distance des années
8 et 11, et aurait pour mesure le cycle de '8 ans plus -^C. En haut
et en bas de cet axe, les erreurs se reproduisent symétriquement,
en grandeur égale, et avec des signes opposés. Cette symétrie est
révélée par notre notation du cycle primitif, si on donne à cette
notation la forme suivante :
CcG -f G -f GcG.
L'idée de symétrie est déjà indiquée dans la page du Séfer ha
ïbbur que nous avons tant de fois citée.
Isidore Loeb.
INSCRIPTION JUIVE D'AUCH
L'inscription tumulaire représentée ci-dessus en fac-similé fut
découverte en septembre 1869 dans l'ancien prieuré de Saint-
Orens1, à Auch (Gers); elle a passé peu après au Musée de
Saint-Germain-en-Laye, où elle figure sous le numéro d inven-
taire 20,320. L'auteur de la découverte, l'abbé Canéto, chanoine
honoraire, avait communiqué aussitôt un estampage de la pierre
à la Commission de la Carte des Gaules. Cet estampage fut pré-
senté à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dans la
1 Sur ce prieuré, voir Lafforgue, Histoire de la ville d'Auch (Auch, 1851, 2 vol.
in-8), II, 113. L'étiquette du musée de St-Germain porte à tort le nom St-Ouen.
220 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
séance du 17 septembre 1869, par M. de Saulcy, qui donna, au
pied levé, un premier déchiffrement de l'inscription. Des additions
et corrections plus ou moins heureuses furent ensuite proposées
par MM. Jules Larocque [Revue de l'instruction publique, 7 oc-
tobre 1869, p. 436), Clermont-Ganneau (môme recueil, 17 février
1870, p. 738), et par l'abbé Ganéto lui-même, devant la Société
des Antiquaires, dans la séance du 20 juillet 1870 [Bulletin de la
Société des Antiquaires, 1870, p. 146). Nous savons que notre
regretté collègue Arsène Darmesteter se proposait d'étudier à
son tour cet intéressant document, mais il ne donna pas suite à
son projet, et nous ne croyons pas que l'inscription d'Auch ait
jamais été publiée dans aucun recueil spécialement consacré aux
études juives.; c'est ce qui nous détermine à la reproduire ici,
principalement dans l'espoir de provoquer les observations des
savants compétents, qui pourront contribuer à élucider les nom-
breuses obscurités de ce texte difficile.
L'inscription est gravée sur un bloc de pierre mal dégrossi, de
forme à peu près quadrangulaire. Les lignes, séparées par des
barres horizontales qui occupent toute la largeur de la pierre,
sont assez irrégulièrement tracées, et l'écriture elle-même, quoique
robuste et lisible, ne rappelle que de bien loin les beaux modèles
de l'épigraphie romaine. On remarquera la forme particulière du D,
semblable à un a grec, comme dans l'inscription de Narbonne que
j'ai publiée récemment dans ce recueil; le F oncial ; le Q ouvert par
le haut, qui se rencontre fréquemment au vme siècle (Wailly, Élé-
ments de paléographie, pi. I, n° 3) ; la lettre O, faite comme un 8
dont le cercle supérieur serait coupé vers le tiers de sa hauteur.
Signalons encore, comme particularités paléographiques, le cro-
chet par lequel se termine à gauche la barre du T, et l'emploi
des ligatures dans les groupes où figure cette lettre (ST ? ligne 2,
NT, IT ligne 4). En fait de signes de ponctuation, on doit re-
marquer le trait vertical après IPSO, ligne 3. Enfin, les quatre
lettres hébraïques de la ligne 6 méritent une attention particu-
lière ; elles contribuent à donner à notre texte une physionomie
très archaïque. Les raisons de style confirment cette impression
et permettent de dater approximativement l'inscription des der-
nières années du vne siècle ou du commencement du vme.
Voici maintenant la transcription et la traduction auxquelles je
me suis arrêté après de longues hésitations :
INSCRIPTION JUIVE D'AUCU 221
\ In Dei nomine scto (= sanclo) l
2 pelester (== féliciter?) qui ic (= hic). Bennid,
3 (Ds (= De us) eslo c[u]m ipso ; ocoli (= oculi)
4 invidiosi crêpent) dédit
5 donum, Joua fecet (= fecit).
6 ûibiD. Scho far -. Chandelier à sept branches. Loulab.
Au saint nom de Dieu,
heureusement [repose celui) qui est ici. Bennid
(Dieu soit avec lui ! que les yeux
envieux crèvent 1) a l'ait
don ; Jonas a gravé.
Paix.
Justifions brièvement notre constitution du texte.
A la ligne 1, l'abréviation SCTO pour Sanclo est continuelle
dans l'épigraphie chrétienne de l'époque mérovingienne.
Le premier mot de la ligne 2 paraît être pelester (comparer
pour la forme du T la lettre correspondante de la ligne 3), et
non pas, comme l'avait cru Saulcy, peleser ; on pourrait être
tenté de lire ipeleger avec un G semblable à celui que j'ai signalé
dans l'inscription de Narbonne. Plusieurs éditeurs ont voulu re-
connaître dans ce mot bizarre un nom propre, et ils ont transcrit
« Pelesler qui ic Bennid », « Pelester qui est ici, fils de Nid », ou
encore « Pelester, alias Bennid » ; mais le nom propre Pelester
est inconnu et aussi invraisemblable en latin qu'en hébreu. Je ne
connais pas davantage le nom Peleger (pour Peregrinus?). C'est
pourquoi j'ai admis avec Larocque, que pelester est une faute pour
féliciter. Le second E, au lieu d'un I, s'explique par un phénomène
d'assimilation (comparez Fecet, 1. 5), et la chute du second I par
l'effet de l'accent tonique; une fois cet I tombé, il était naturel d'é-
crire ST au lieu de Gï, conformément à la prononciation. Il est
plus difficile de rendre compte du P initial au lieu de F, car c'est
bien un P qu'a voulu faire le lapicicle : son F (ligne 5) a une forme
toute différente. On pourrait rappeler qu'en hébreu il n'y a qu'un
seul caractère pour exprimer les deux sons F et P, mais cette
explication par l'atavisme ne me satisfait pas moi-même. La for-
mule propitiatoire in Dei nomine féliciter se rencontre fréquem-
ment dans les dates des diplômes mérovingiens, particulièrement
sous Clovis III (691-695) et Chilpéric II (715-720) 3. Toutefois, je
1 Le dernier caractère de la ligne est peu lisible à cause de Pétat fruste et de la
déclivité de la pierre.
2 Et non pas « une jambe, signifiant le grand voyage de la mort ! » (Larocque).
3 Wailly, Eléments de paléographie, I, 280 et 284.
222 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
ne crois pas qu'il faille dans notre épitaphe joindre féliciter à ce
qui précède, mais à ce qui suit. Dans l'épigraphie chrétienne de
cette époque, on trouve bien In Dei nomine (par exemple : Le
Blant, n° 412 A), mais je ne connais pas d'exemple où cette for-
mule soit suivie de sancto ou de féliciter.
Le deuxième membre de phrase nous donne le nom du dona-
teur Bennid. Ce nom manque dans la nomenclature si complète
réunie par Zunz sous le titre Namen der Juden {Gesammelte
Schriften, tome II), et l'on peut se demander s'il faut lui attri-
buer une étymologie hébraïque1 ou latine (Benedictus) ; j'incline
vers la seconde hypothèse. Le nom du donateur est séparé du
verbe qui indique la donation par une longue parenthèse qui ren-
ferme d'abord une bénédiction, puis une imprécation. Ds est pour
deus, comme dans beaucoup de textes chrétiens (Le Blant, n° 8,
etc.), et non pas pour dominas qui s'abrégerait en dms ; quant à
la lecture depositus (Saulcy, Larocque), elle ne mérite pas la
discussion. La formule d'imprécation, d'un tour aussi énergique
qu'insolite, a été reconnue pour la première fois par Larocque ;
les leçons de Saulcy (locoli invidiosi !) et de Canéto (o cœli in-
vidiosi !) ne s'accordent ni avec le texte matériel ni avec le sens
général2. M. Glermont-Ganneau pense qu'il s'agit d'une formule
« contre le mauvais œil », invidiosus étant pris dans le sens de
malus ; mais il vaut mieux rapprocher du souhait peu charitable
exprimé par notre épitaphe le verset célèbre des Psaumes (Ps.
112, 10) : « Le méchant verra et aura du dépit, il grincera des
dents et se fondra, le désir des méchants périra. » — Crepare,
pour « crever », est un terme de la langue populaire dont l'emploi
remonte sans doute à une haute antiquité. Le plus ancien exemple
littéraire de cet emploi était jusqu'à présent un texte du xn° siè-
cle, cité par Du Cange s. v. : c'est un article des prétendues lois
d'Henri Ier d'Angleterre, c. 93 : « Si quis alii crepet oculum,
solvat ei 60 solidos 3. » — Ocoli pour oculi est une forme à rap-
procher de tumolo (Le Blant, n° 575 D), tomolo (ib., 45), famolus
(ib. 65), etc.
Vient enfin le nom du graveur de l'inscription, Jonas.
Les formules dédit > fecit, dérivent en droite ligne de l'épigraphie
païenne (voir Willmanns, Exempta inscriptionum lalinarum,
1 • Fils de la Consolation », de la racine noud (Clermont-Ganneau).
2 Ces éditeurs ponctuent après invidiosi et font de Crepeti un nom propre ■ Crépen »
qui se relie à la suite; mais il faudrait Crispimis et d'ailleurs le texte porte crêpent ;
seulement la barre du T en ligature se confond avec le trait de séparation des lignes.
3 La compilation intitulée Leges Henrici Primi ne paraît pas antérieure au règne
d'Henri II (Glasson, Histoire du droit et des institutions de l'Angleterre, II, 74).
INSCRIPTION JUIVE D'AUGH 223
II, 690, index) ; je ne trouve pas, en ce moment, d'exemple de
doniim dédit à cette place, mais je ne doute pas qu'il ne s'en
rencontre, et la 'leçon dedi (catam) donum (Larocque) doit être
rejetée sans hésitation. La forme fecet pour fecit est imputable à
l'ignorance et à l'étourderie du graveur ; quant à la figure du F,
elle est très semblable, mais non identique, à celle que cette lettre
affecte dans l'écriture onciale.
Aucune difficulté pour la dernière ligne. Le mot ùibu: est de
style clans les épitaphes hébraïques ; de même le chandelier à sept
branches. Le loulab et le schofar sont au moins très fréquents :
on peut comparer les exemplaires récemment publiés par M. Loeb
{Revue, XIX, p. 100 suiv.).
On remarquera que dans cette épitaphe, qui renferme tant de
choses inutiles, on ne trouve pas (du moins d'après ma lecture)
l'indication la plus importante et la plus usuelle : celle du nom du
défunt.
L'histoire locale ne nous, fournit aucun renseignement qui per-
mette de dater notre inscription avec plus de précision. Les ori-
gines de la communauté d'Auch me sont complètement inconnues,
et le texte le plus ancien que j'aie trouvé sur les juifs de cette ville
est de la fin du xnr3 siècle ; à cette époque (1296-l7), un juif du nom
de Samuel, habitant d'Aux (Auch), figure dans plusieurs actes
comme l'homme d'affaires du comte Bernard VI d'Armagnac1.
Cependant je ne doute pas que l'établissement des Juifs à Auch
ne remonte à une époque beaucoup plus ancienne : notre inscrip-
tion, d'ailleurs, suffirait à le prouver.
Théodore Reinach.
P. S. Le nom Bennid paraît identique au nom germanique
Bennit qui figure dans une charte du vne siècle (Lœrsch et Schrce-
der, Urkunden zur geschichte des deutschen Redites, Bonn,
1874, n° 36).
1 Laflbrgue, op. cit., II, 177. Ce texte m'a été signalé par mon obligeant et savant
collègue M. L. Lazard.
ALEXANDRE DE HALES ET LE JUDAÏSME
Dans une étude précédente1, nous avons essayé de montrer
quels sont les rapports de Guillaume d'Auvergne avec la littérature
juive. Son contemporain Alexandre de Haies, moine de l'ordre des
Franciscains, devenu professeur de l'Université de Paris, eut peut-
être encore plus de part que lui dans la transformation qui, au
treizième siècle, s'est accomplie dans la scolastique chrétienne.
Alexandre de Haies est le premier auteur qui ait utilisé large-
ment2, pour l'exposition systématique de la théologie chrétienne,
les écrits d'Aristote et des commentateurs arabes de la philosophie
aristotélicienne, principalement d'Avicenne. Il est vrai que parmi
les autorités qu'il considère comme décisives, outre les Pères de
l'Église, parmi lesquels saint Augustin occupe le premier rang, il
faut citer principalement les Sentences de Pierre Lombard et de
Hugues de Saint-Victor, qui forment, en quelque sorte, la base de
son exposition de la science théologique. Mais en beaucoup
d'endroits nous le voyons aussi s'efforcer'de mettre les doctrines
de la théologie chrétienne en harmonie avec les théories de la
philosophie aristotélicienne.
A un autre point de vue encore, Alexandre de Haies a exercé
sur le développement ultérieur de la scolastique chrétienne une
influence décisive. S'il n'est pas le premier qui ait exposé systé-
matiquement la théologie chrétienne dans une Summa theolo-
giœz, il semble cependant que la méthode de dialectique si origi-
nale qui a été employée depuis dans les ouvrages des scolastiques
chrétiens, lui a dû son premier développement et lui a valu chez
ses contemporains le titre d'honneur de doctor irrefragaMlis et
theologoram monarcha. Il ne serait donc pas peut-être sans
intérêt d'étudier les rapports qu'on peut découvrir dans la Summa
î Revue, XVIII, p. 243-255.
2 Stôckl, Greschichte der Philosophie des Mittclaltcrs (Mavence, 1865), II, p. 230.
3 Cf. Hauréau, De la philosophie scolastique (Paris, 1850), I, p. 425.
ALEXANDRE DE HALES ET LE JUDAÏSME 22S
universœ theologiœ d'Alexandre de Haies avec le judaïsme et la
philosophie juive1.
L'impression que la Somme nous donne de la personnalité
d'Alexandre de Haies est incomparablement plus sympathique que
celle que nous a laissée Guillaume d'Auvergne. Gomme celui-ci,
Alexandre, pour ses opinions théologiques, s'était placé sur le
terrain de l'Église catholique, comme le reconnut le pape Inno-
cent IV en recommandant la Somme, après l'avoir fait examiner
par soixante-dix théologiens, à tous les maîtres de théologie chré-
tienne2. Cependant, malgré la sévérité avec laquelle il a soin
d'affirmer le point de vue chrétien dans ses jugements sur les
hérétiques, on ne trouve néanmoins nulle part chez lui l'expres-
sion d'une animosité personnelle contre les Juifs ; même dans
quelques-uns des passages où il parle d'eux, on ne peut mécon-
naître chez lui une certaine lueur de tolérance et d'équité.
Dans un de ces passages, Alexandre, procédant suivant ses habi-
tudes de dialectique et pesant avec soin les motifs pro et contra,
traite la question de savoir s'il faut tolérer ou non, au milieu des
populations chrétiennes, les Juifs et les païens, ainsi que l'exer-
cice de leur culte. On pourrait, dit-il, faire valoir, contre la tolé-
rance à accorder aux Juifs, qu'ils blasphèment Jésus et la bien-
heureuse Vierge, qu'ils persécutent la religion catholique et qu'ils
se rendent coupables de la violation des sacrements de l'Eglise. La
loi de l'Ancien Testament punissant de mort les blasphémateurs,
les dispositions du droit canonique ne permettraient pas, par con-
séquent, de tolérer les Juifs, il faudrait, au contraire, les punir de
mort. Il faut encore ajouter à cela que leur livre qu'ils appellent
le Ttialmut contient beaucoup de blasphèmes contre Jésus et la
bienheureuse Vierge. Les doctrines de ce livre faisant loi pour
eux, il conviendrait de les faire périr eux et leurs livres. De plus,
les païens qui se sont emparés de la Terre -Sainte étant persécutés
par les chrétiens jusqu'à la mort, et l'offense contre le Sauveur
étant un crime beaucoup plus grand que celui des païens, ceux
qui s'en rendent coupables devraient, à plus forte raison, être pour-
chassés à mort 3. D'un autre côté, on peut faire valoir, en faveur de
1 L'édition de la Summa dont je me sers est celle de Norimb., 1482.
* Cf. Hauréau, L cit.
3 Summa theolog., Lib. II, quaestio 179, membrum 1 : oirca primum sic videtur,
quod non sint tolerandi, blasphémant enim et contra Cbristum et contra beatam vir-
ginem, persequuntur etiam fidem catholicam, sacramentis etiam ecclesiasticis faciunt
injuriam, sicut habetur ex de judaeis : et si judaeos, blasphemi autem secundum
legem etiam veterem erant morti tradendi ; ergo et judaei non sunt tolerandi sed
morti exponendi, maxime cura sic se habent. Praeteiea in libro eorum, qui dicitur
tbalmut, plura continentur, qua; ad blasphemiam Christi et beatuj virginis pertinent,
T. XIX, n° 38. 15
220 REVUE DES ETUDES JUIVES
la tolérance à accorder aux Juifs, les raisons suivantes. D'après
l'interprétation donnée par l'Église de certains passages de l'Écri-
ture Sainte, les Juifs ne doivent pas être exterminés complète-
ment, mais amenés à la conversion par la persuasion ; aussi,
Jésus lui-même a-t-il prié pour leur conversion. L'Église catho-
lique, pour attester la vérité de ses doctrines, invoque aussi
l'Ancien Testament conservé par les Juifs, et ce témoignage est
d'autant plus décisif qu'il est fourni à l'Église pgr ses adversaires.
Les Juifs doivent donc être maintenus, afin que ce témoignage ne
vienne pas à manquer à l'Eglise *. Dans la Solutio qui suit l'expo-
sition du Pro et Contra, Alexandre se décide pour l'opinion que
les Juifs doivent être tolérés. Les raisons contraires qui sont allé-
guées sont réfutées aussi par lui : en blasphémant Jésus, les Juifs
ne croient commettre aucun mal, puisqu'ils croient que le Messie
iVest pas encore venu; cependant il leur sera demandé compte un
jour de cette erreur, s'ils y persistent2. Sans doute, il n'est pas
permis de tolérer des blasphèmes publics; mais, comme la loi
canonique en a déjà décidé, ils doivent être punis par les princes
temporels, et les livres qui les contiennent doivent être brûlés 3.
On ne saurait comparer les Juifs aux païens qui se sont emparés
injustement de la Terre-Sainte et qui ont commis par ce fait un
crime contre le Christ. En considération de ce que les Juifs nous
ont transmis l'ancienne loi, de ce que Jésus est de la semence des
Juifs et que l'Écriture Sainte recommande de les laisser subsister,
il n'est pas permis d'interdire aux Juifs le séjour des pays chré-
cum ergo doctrinam illius libri quasi legem observent, simul cum libris hujus modi
sunt disperdendi. Item Cbristiani persequuntur paganos usque ad mortem, qui sunt
detentores terrée sanctae, sed amplior injuria est contumelia redemptoris, ergo perpé-
trantes hujus modi contumeliam persequi debent Christiani usque ad mortem. Non
ergo sunt tolerandi. Quod autem contumeliam ingerunt, patet per hoc, quod dicitur
extra de judais in nonnullis.
1 Ibidem. Contra videtur per hoc, quod dicit in psalmis super illud : ut occidas
eos, glossa : hoc de judaeis specialiter potest intellegi praecaveatur, ne Judaei fun-
ditus pereant. Dispersi quidem sunt, ut ad eonversionem provocentur, orat etiam pro
eis dicens : ne occidas eos, qui me occidunt, sed maneat gens judaeorum cum signo
circumcisionis ; ergo tolerandi sunt. Item fortius est testimonium, quod ab adversariis
accipitur, sed ecclesia catholica sumit testimonium a veteri lege, quam observant
judaei. Ad hoc ergo, quod ecclesia catholica ab inimicis habeat testimonium, tole-
randi sunt judaei, etc.
2 En un autre endroit (Livre II, quaestio 172, membr. 6, § 1), il soulève la question
de savoir si les Juifs ou une partie des Juifs doivent être déclarés innocents du meurtre
de Jésus, parce qu'ils l'ont commis par ignorance. Cette question, si délicate, est
traitée par Alexandre avec beaucoup de calme et de modération. Les chefs des Juifs,
dit- il, ne sont pas excusables pour la raison qu'ils auraient ignoré que Jésus est le fils
de Dieu, mais les autres doivent être jugés avec moins de sévérité.
3 Ce jugement a été émis par Alexandre probablement sous l'impression des pro-
cédures ouvertes à ce moment au sujet de lu destruction du Talmud.
ALF.XANDME DE HALES ET LE JUDAÏSME 22*3
tiens. S'ils commettent un outrage public contre Jésus, ils doivent;
être punis, mais la peine ne doit pas être plus forte que celle
qu'on infligerait pour de semblables méfaits à de mauvais chré-
tiens 1.
Il est à peine nécessaire de faire observer qu'à une époque où
les destinées des Juifs français étaient entre les mains d'un saint
Louis, cette argumentation avait plus qu'une valeur théorique.
Alexandre de Haies, en soutenant avec tant d'insistance que les
Juifs ne peuvent pas être traités comme les mahométans qui
s'étaient emparés de la Terre-Sainte, s'élevait contre un raisonne-
ment qui, comme on le sait, avait acquis, à l'époque des croisades,
une force très dangereuse pour les Juifs, et qui a dû aussi dé-
terminer saint Louis à publier le décret d'expulsion des Juifs de
France -.
Alexandre revient encore ailleurs, dans un passage intéres-
sant pour la connaissance des opinions de cette époque, sur la
différence à faire entre les Juifs et les mahométans. Dans son
explication du Décalogue, à propos du septième commandement;
(pour nous le huitième), Alexandre se demande si le pillage des
infidèles doit être considéré comme une transgression du com-
mandement divin. Comme il ressort de l'argumentation qui s'y
rattache, le pillage des infidèles était autorisé de la façon la plus
large par beaucoup de théologiens de cette époque. Alexandre,
au contraire , est d'avis que le pillage des biens des infidèles
n'est autorisé que pour ceux qui auraient reçu à cet effet une
commission de l'État ; à défaut de cette autorisation, le pillage
1 Ad objcctum auteni in contrarium dicendum, quod licet blasphemiam perpètrent,
creclunt tamen se non in hoc delinquere eo, quod nondurn credant messiam venisse et
in hoc errant et reservantur ad futuram damnationem, nisi resipiscant, sicut dicit
super illud, Ps : Rétribuant eis de glossa : in prœsenti, ut dispergantur, in futuro,
ut damnentur. Si tamen persistent in blasphemia manifesta, coerceudi sunt per
principes seculares, sicut habetur ex. de judaeis in nonnulis provinciis, ubi dicitur
districtissime : prohibemus ne in contumeliam creatoris prosilire prœsumant, et
quum illius nos debemus dissimulare obprobrium, qui probria nostra delevit, pra-
sumpto res hujusmodi contra principes seculares dignse animadversionis adjectione
compesci, ne erucifixus pro nobis aliquatenus blasphemare praesumant. Ad secun-
dum dicendum, quod libri, in quibus blasphemia) hujusmodi continentur, com-
burendi sunt, ipsi vero, si pertinaciter in blasphemiis persistèrent, coram judice
convicti digna pœna sunt puuiendi, secus autem est, si occulle blasphémant . Ad
tertium vero dicendum est, quod alia est ratio de ipsis paganis, detentoribus terrae
sancta? et de ipsis judaeis. Persequuntur enim Christiani ipsos paganos tanquam
injustos detentores et sacri loci violatores in injuriam Christi ; judaei vero multiplici
ratione permittuntur vivere et inter Christianos commorari, tum propter hoc, quod a
judaeis legem veterem aecepimus, tum quia de semine illo venit Christus, tum quia
iucia est permissio salutis eorum, cum plenitudo gentium intrarverit. Unde si delin-
querent manifeste in Christum débita auimadversione sunt coercendi, nec videtur eis
magis procedendum in delictis manifestis quam malis Christianis.
2 Cf. Graetz, G-esch. der Juden, VI, p. 418, note 1, n° 29.
228 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
des infidèles doit être considéré comme un vol. Toutefois celui
même qui serait muni de cette autorisation n'aurait que le droit
de s'approprier les biens des hérétiques et des Sarrazins, et non
ceux des Juifs, car, comme il faut laisser les Juifs en vie, on ne
peut les dépouiller des moyens nécessaires à leur subsistance. Les
princes ont, il est vrai, le droit de s'emparer de la fortune des
Juifs à l'exception de ce qui est nécessaire pour leur entretien *.
La question de savoir si l'exercice de la religion des Juifs doit
être comparé au culte des idoles est résolue négativement par
Alexandre2. Se référant à diverses ordonnances du pape Grégoire,
il exprime l'avis que la célébration solennelle de leurs coutumes
religieuses ne doit pas être interdite aux Juifs 3. Malgré l'exemple
du pieux roi Sisebut, Alexandre, s'appuyant sur une décision du
concile de Tolède et sur d'autres motifs encore, croit devoir s'op-
poser à ce qu'on contraigne les Juifs, par des menaces ou des
châtiments, à embrasser la foi catholique4. D'après son opinion,
l'Église ne peut, en général, infliger aux Juifs que des peines cor-
porelles ou pécuniaires, et non des peines ecclésiastiques. Il est
vrai qu'indirectement l'Église peut aussi infliger aux Juifs des
peines ecclésiastiques, en défendant, par exemple, aux chrétiens
tout commerce avec les Juifs, en excluant les Juifs de tous les
actes légaux et des fonctions publiques, en leur interdisant d'a-
voir des esclaves chrétiens, d'ouvrir leurs fenêtres pendant les
fêtes de la Pàque chrétienne, etc. 5
Une autre question intéressante discutée par notre auteur est
1 Lib. 111, quaest. 30, membr. 3, § 3 : Ex his ergo videtur relinqui, quod tam
haeretici, quam judaei, quam Saraceni rébus, quas habent, licite potuerunt spoliari,
quod quidam indistincte concedunt. Sed contra: Praeceptum est juris naturalis :
non facias alii, quod tibi non vis fîeri. Ergo hoc semper cum omnibus couservandum.
Sed nos nollemus ab eis expoliari, ergo cum spoliamus eos, facimus contra hoc prae-
ceptum. Sohitio : Dicendum, quod refert, utrum ille, qui infidèles expoliat, habet
auctontatem rei publicae vel non. Si non habet, expoliando committit rapinam, sicut
homicidium committit, qui maleticum interficit sua non superioris auctoritate. Si habet
aucioritatem. distinguunt quidam inter judaeos et alios, nam de judaeis praeceptum
est ecclesise in psalmis : Ne occidas eos, ne quando obliviscantur populi mei, et
etiam quia scriptum est : Reliquiae convertentur (Rom., X et Jsa., VI). De haereticis
vero et Saracenis praeceptum est Exod. XXII : Maleiïcos non patieris vivere. Ex quo
ergo juste possunt occidi et juste potuerunt expoliari. Judaei vero, quia permitti
debent vivere, spoliari non debent rébus vitse necessariis, sed a principibus expoliari
possunt omnibus praeter necessariis, etc.
* Lib. II, quaest. 179, membr. 2.
3 Ibidem, membr. 3.
4 Ibidem, membr. 4.
5 Lib. II, quaestio. 180, membr. 1. La question de savoir si les Juifs peuvent pos-
séder des esclaves est traitée encore plus spécialement dans le membr. 3, ainsi que la
question, résolue affirmativement par Alexandre, de savoir si les chrétiens peuvent
avoir des esclaves juifs, dans le membr. 5 de la même quaestio.
ALEXANDRE DE IIALES ET LE JUDAÏSME 229
celle de savoir si les Juifs doivent être obligés de payer à l'Église
la dîme de leurs maisons et de leurs possessions foncières, ainsi
que les autres impôts que les chrétiens demeurant sur le domaine
d'une Église sont tenus de payer à celle-ci. Entre autres raisons
alléguées, se trouve aussi celle-ci que jadis les Juifs étaient forcés
de payer la dîme aux lévites. Or, depuis qu'ils ont péché, ils ne
doivent pas être plus favorisés qu'auparavant. Depuis lors, les lé-
vites sont remplacés par le clergé chrétien. Mais comment l'Église
peut-elle prélever des impôts et des dîmes sur les biens des Juifs,
puisque ceux-ci proviennent en grande partie du produit des
affaires de prêt à intérêt ? 11 finit par écarter cette objection,
et il s'en tient à la décision obligeant les Juifs à payer les dîmes
à l'Église ».
Notre auteur était-il au courant de la littérature juive ? Nous
n'avons pu découvrir chez lui de traces de connaissance du
Talmud, comme nous en avons constaté chez Guillaume d'Au-
vergne. Mais l'influence des deux philosophes juifs qui ont exercé
une influence si considérable sur la scolastique du treizième siècle,
Salomon Ibn Gabirol et Moïse ben Maïmon, se montre déjà à nous
dans ce premier ouvrage fondamental qui inaugure la floraison de
la scolastique chrétienne. Il est vrai que nulle part dans la Summa
nous n'avons trouvé le nom d'Avicebron. Aussi n'y a-t-il pas a
songer à une influence très profonde de la doctrine d'Avicebron
sur les opinions théologiques et philosophiques d'Alexandre de
Haies. Toutefois on trouve déjà chez Alexandre de Haies, le
fondateur de l'école des franciscains, la doctrine dont le déve-
loppement conséquent donne au système d'Avicebron son em-
preinte originale et qui plus tard, avec Jean Duns Scot, est de-
venue, en quelque sorte, une des doctrines distinctives de l'école
des franciscains, par opposition avec l'école des dominicains 2.
Alexandre de Haies se range aussi à l'opinion que, non seule-
ment les substances corporelles, mais encore les substances spi-
rituelles et, en particulier, les âmes humaines, se composent de
matière et de forme 3. Quant à savoir s'il a été amené à cette
1 Lib. II, quœstio 18(1, membr. 3.
3 Cf. Guttmann, Die Philosophie des Salomon ibn Gabirol, Gottingue, 1889, p. 64.
3 Summa, Liber II, quaest. 12, membr. 1 : Ad hoc respondendum, quod simples
dicitur multis modis. Uno modo dicitur, quod caret materia divisiva, secundum hune
modum substantiaî .spirituales simplices dicuntur. Alio vero modo dicitur simplex,
quod omnino caret materia, et sic dicitur prima forma simplex secundum Boëtium in
libro de trinitate, secundum hune modum uon dicitur anima simplex, quia habet ma-
teriam et formam spiritualem. Ibidem quœst. 20. membr. 2, artic. 2 : Ad quod
dicendum, quod licet secundum quosdam philosophos inlelligentia, quse dicitur angé-
lus, sit forma sine materia, videtur tamen dicendum, quod sit compositum ex materia
et forma. Voir aussi, quaest. 60, membr. 2, art. 1.
230 REVUE DES ETUDES JUIVES
opinion par la doctrine d'Avicebron, cela ne peut être déterminé
rigoureusement, parce qu'il a négligé de l'appuyer par une dé-
monstration proprement spéculative. Chez Alexandre de Haies ce
n'est pas, comme chez Avicebron et Jean Duns Scot, la même
matière qui forme la base des choses corporelles et spirituelles,
mais la matière des substances spirituelles est essentiellement
différente de celie des substances "corporelles ». Il ne veut pas
même identifier la matière des corps célestes et celle des corps
sublunaires 2. Dans un passage de la Summa, il cite néanmoins,
en propres termes, le Liber fons vilœ, et cela comme une des
autorités décisives placées ordinairement en tête des démons-
trations 3.
Les points de contact entre la Summa d'Alexandre de Haies
et le More de Maïmonide sont beaucoup plus nombreux, bien que
nous ne trouvions que deux mentions du nom de Ràbi Moyses*.
L'argumentation du premier livre de la Somme, où il établit qu'il
y a une connaissance de Dieu en soi et une connaissance de Dieu
par ses œuvres, est certainement empruntée au More. Recon-
naître Dieu par ses œuvres, c'est le reconnaître par derrière;
reconnaître l'Être divin en soi, c'est le contempler de face : c'est
dans ce sens qu'il est dit à Moïse (Exod., 33, 23) : Tu me verras
par derrière, mais tu ne verras pas ma face (sic) 5. En examinant la
1 Lib. II, quaest. 20, merobr. 2, art. 2 : Ad illud vero, quod objicitur de modo
-compositionis angeli, quod habet comraunem materiam cum corpore, sicut dicitur
habere genus commune, dicendum quod boc ialsum est. Licet enim in hoc conveniant,
quod utrumque dicitur habere materiam secundum suum modum, uon tamen
eaudem : non enim est eadem materia corporalium et spiritualium, sicut infra osten-
detur iu tractatu de operibus sex dierum. Cf. Lib. II, quaest. 22, membr. 3 ; ibidem
quaest. 61, membr. 1.
2 Lib. II, quaest. 44, membr. 2.
3 Lib. I, quaest. 86, membr. 1 : Quaeritur ergo primo : utrum conditum fuit
corpus Adse eo tempore quam aliœ creaturœ, prout videtur ex illo verbo Ecclesiastici
(Jésus Sirach) XVIII : Qui vivit in œternum creavit omnia simul. Hanc autem
quEestionem proponit Augustinus super gentes ad lit. Item dicitur in libro fontis vita
in principio, quod virtus, per quam omnia facta sunt, est virtus Dei adinveniens
omnia (cf. Guttmann, Gabirol, p. 67) et ibidem dicitur, quod sicut résultat imago in
speculo ex sola opposUioue rei, sic ex sola conversione ad res omnia nroduxit in esse
(cf. Guttmann, ibid.,.p. 257). Voir aussi membr. 2.
4 Lib. I, quaest. 22, membr. 6. Secumdum quod dicit Rabi Moyses et alii prophè-
te (!) de quibusdam animalibus, quae fiuut ex putrefactione. Dicunt enim, quod per
potestatem sementinam, quae est in corporibus supercoelestibus, fiant hujusmodi,
ar.imalia. Cf. More, I, 72 (Guide, I, 366). Nous reviendrons plus tard sur le second
passage.
5 Lib. I, quaest. 2, membr. 1, arfcic. 4 : Est enim cognitio Dei in sua forma et
cognitio ipsius in suo effectu. Cognoscere ipsum in suo effectu, est cognoscere ipsum
a posteriori, cognoscere ipsum in se, sicut est, est cognoscere ipsum in sua facie, et
hoc modo dicitur Moysi : Videbis posteriora mea, faciem meam non videbis. Cf.
More, I, 21 [Guide, I, 76) ; More, I, 38 (Guide, I, 14l) ; More, I, 54 (Guide, I, 216);
ALEXANDRE DE HALES ET LE JUDAÏSME
question de savoir si le monde est créé ou incréé; il cite une série
de preuves que les philosophes ont produites en faveur de l'éter-
nité du monde. Une partie de ces preuves est probablement em-
pruntée au chapitre xiv du II0 livre du More, où Maïmonide expose
sept méthodes de preuves fournies par les péripatéticiens au sujet
de l'éternité du monde1. Dans une occasion semblable, Albert le
Grand, dans sa Summa theologiœ, a recours au même passage du
More 2. De même, Alexandre de Haies, en réfutant ces preuves,
parait avoir reproduit plusieurs des démonstrations de Maïmo-
nide 3. Si Alexandre se prononce, en un autre endroit, pour l'opi-
nion que, dès l'origine de la création, l'univers avait en lui la force
1 Lib. I, quaest. 12, membr. 8 : Item objiciunt philosophi sumentes rationem ex
natura motus. Nam motus caeli aut est œternus aut non, si non, fuit ergo factus, fuit
ergo possibilis moveri cf. postea motus ; ergo fuit eductio de potentia in actum, sed
hujusmodi eductio est motus, fuit ergo motus ante illum motum. De illo alio similiter
potest quœri, utrum fuerit factus aut œternus, et sic .erit aut abire in iniinitum aut
stabitur alicui ad unum motum, qui est œternus. Sed qua ratione potest stare in alio
et in motu cseli : ex quo videtur, quod motus caeli est œternus (cf. Guide, II, 115,
lre méthode). Item est alia ratio in parte materia generabilium et corruptibilium. Aut
enim ipsa est iugenerabilis et incorruptibilis, aut generabilis et corruptibilis. Si fuit
generata : ergo ex materia prœjacente sive praecedente, ergo fuit materia ante illam.
Similiter potest quœri de illa. Aut ergo est ire in infinitum, aut erit ponerc aliquam
materiam ingenerabilem. Sed sicut potest alia, sic et prima (cf. Guide, ibidem,
2e méthode). — Item est alia ratio in parte materia generabilium et corruptibilium.
Aut enim ipsa est ingenerabilis et incorruptibilis, aut generalis et corruptibilio. Si
fuit generata : ergo ex materia prœjacente, ergo fuit materia ante illam. Similiter
potest quœri de illa. Aut ergo est ire in infinitum, aut erit ponere aliquam materiam
ingenerabilem. Sed sicut potest alia, sic et prima (cf. Guide, ibidem, 2° mé-
thode). Item ex parte motoris objicitur sic. Motor est iufinitœ potentiœ et
simplicis et invariabilis essentiœ et voluntatis. Talis autem potentiœ infinitus est
actus ; ergo erit actus illius infinitus. Dicitur enim : quod aliquando moverit, non
semper movit aut movebit. Tune si motus voluntarius, qui prius non movebat, post-
modum movit, indiguit aliquo expergefaciente, vel prius habuit aliquod impedimen—
tum vel prohibens, vel retardans etc. (cf. Guide, II, 119, 6e méthode).
* Cf. Albertus Magnus, Summa théologie, pars II, tract. I, quaest. 4, art. 3 : De
septem viis, quas collegit rabbi Moyses, quibus probatur mundi œternitas.
3 Voici comment s'exprime Alexandre : Ad duocîecimum dicendum. quod respi-
cientes philosophi ad causas inferiores motus cali dixerunt motum non habere princi-
pium nec finem sua durationis. Ex parte enim motoris, qui similiter se habens est
semper, nec magis se habet, quod motus ab ipso sit nunc quam prius, istud posuerunt
similiter ex parte mobilis, quod est corpus uniforme, non magis se habens motum
nunc quam prius. Cum enim sit corpus sphœricum, non habens contrarium, semper
est ordinatum in motum circularem. Similiter ex parte materiœ, quœ est indeûciens
et subjectum generationis et corruptionis, posuerunt motum et mundum perpetuum,
quia eodem modo semper se habente raotore et mobili, quod est cœlum, erit semper
eodem modo se habens, et eodem modo se habente motu cœli, qui est causa genera-
tionis et corruptionis, et odem modo se habente materia subjecta semper, erit semper
generatto et corruptio et ita mundus. Secuudum causas ergo inferiores erit positio
philosophorum de œternitate motus et mundi. Secuudum vero causas superiores palet
cuilibet cousideranti inilium teraporig et moins mundi, secundum quod mundus dici-
tur (luxus rerum secundum mutationem et generationem et corruptionem. Causa1
autem superiores sunt divina potentia et divina sapientia, divina bonitas. Ex parte
divinœ potentia1 palet exordium mundi et materia', nain divina potentia est summa
232 REVUE DES ETUDES JUIVES
de produire non seulement les choses qu'on appelle choses natu-
relles, mais encore les choses merveilleuses, et que, par suite, les
miracles n'étaient pas au fond contraires à la loi de la nature, il a
évidemment suivi en cela une démonstration bien connue du More
de Maïmonide *.
L'interprétation si originale de la législation du Pentateuque qui
forme le contenu principal de la troisième partie du More paraît
avoir produit une impression tout particulièrement convaincante
sur Alexandre de Haies, comme sur Guillaume d'Auvergne. Dans
un passage où il combat résolument la doctrine des Manichéens,
prétendant que la loi de l'Ancien Testament doit être ramenée au
principe du mal, il démontre, entre autres, que cette loi contient,
d'une part, des préceptes dont l'utilité nous est connue, comme la
défense du meurtre, de l'adultère, etc., et, d'autre part, des pré-
ceptes dont l'utilité nous échappe, comme la défense de manger les
fruits d'un arbre nouvellement planté. Les lois dont l'utilité nous
est connue sont appelées par Rabi Moyses Judaeus des lois judi-
ciaires (d^ubiûe), les autres du nom générique de lois cérémonielles
(û^pn) 2. Un certain sens spirituel doit se trouver même au fond
des lois cérémonielles, comme il a été prouvé maintes fois d'une
façon très juste. Par exemple, s'il est dit dans le Deut., iv : « cela
sera là notre (sic) sagesse et notre intelligence aux yeux des
peuples », cela ne peut signifier que cette nation serait considérée
comme sage et intelligente à cause du sens littéral de la Loi 3. La
et ideo non indiget materia subjecta ad operandum aliquid, est igitur operans de
nihilo, quia est totum causa cui operis, ut uon requiratur aliqua possibilitas ex parte
subjectœ materise ; ideo mutatio prima contra operationem divinam non habet ante se
aliam mutationem. Ideo ad id, quod quserit : mundus est f'actus vel seternus ? dico,
quod factus est, et quum ulterius arguit : ergo prius fuit possibile moveri, si tu dicis
possibile materise falsum est, quia motus primus factus est non per motum, qui sit per
subjectam materiam, sed per creationem, qum est creatio de nihilo. . . . Similiter per
hoc patet solutio ad tertium decimum, quod dicit, quod materia est ingenerabilis. Si
euim generatio dicit actionem ex praejacente materia, hoc modo est verum et sic est
generatio mutatio naturalis. Si vero generatio dicit solum idem quod factio, sive ex
materia, sive non, hoc modo materia non est ingenerabilis, quia est facta non per
mutationem naturalem, sed per mutationem, quœ est ante naturam, quv est creatio (Cf.
More, IL 17-18; Guide, II, 129-144).
1 Cf. Lib. II, quaest. 42, membr. 5, art. 5, avec More, II, 29 (Guide, II, p. 224
et suiv.).
1 Lib. III, quaest. 28, membr. 1, art. 5 : Ad tertium dicendum, quod quorundam
prseeeptorum utilitas nobis nota est, sicut utilitas istius : non occides, non fornica-
beris etc., quorundam autem utilitas non est nobis nota, sicut utilitas prohibitionis
esus ligni de novo plantati. Et illa quorum utilitas scitur, vocat Rabi Moyses Judap.us
judicia, alia vocat ceremonalia generali nomine. Ibid. membr. 2, art. 1, § 2 : Item
quidam expositor legis hebraese dicit, quod omne prasceptum, cujus utilitas nota est,
dicitur praejudicium, quorum vero utilitas iguota est, dicuntur ceremoniae. Cf. More,
III, 26 (Guide, III, 204-205).
3 Lib. III, quaest. 54, membr. 2 : Nam convenienter quidam probaverunt per auc-
ALEXANDRE DE HALES KT LE JUDAÏSME 233
législation de l'Ancien Testament peut, selon l'opinion d'Alexandre
de Haies, être ramenée à un principe d'unité, savoir celui de la
morale. Les sacrifices, par exemple, ont un but moral, car ils sont
des actes accomplis pour le service de Dieu, et tout acte relatif au
culte doit être considéré comme moral. Il en est de même de toutes
les autres lois cérémonielles dont le but nous est inconnu, comme,
par exemple, les défenses d'atteler ensemble à la charrue le bœuf
et l'âne, de cuire le chevreau dans le lait de sa mère, de porter
des vêtements où la laine et le lin sont mélangés, car tous les
préceptes dont la raison nous échappe ont été imposés aux Juifs,
suivant l'opinion des interprètes de la loi, dans le but de les dé-
tourner de l'idolâtrie, ce qui peut aussi être considéré comme un
but moral l.
Cette théorie fondamentale de l'interprétation de la loi par
Maïmonide s'affirme notamment à propos de l'explication de l'ins-
titution des sacrifices. Sous ce rapport aussi, Maïmonide a trouvé
en Alexandre de Haies un disciple docile. Alexandre discute
si les sacrifices de l'ancienne loi ont été agréables à Dieu. Il fait
d'abord, à ce sujet, une distinction entre l'époque précédant la
venue du Sauveur et l'époque qui l'a suivie. Si dans les livres
mêmes de l'Ancien Testament le culte des sacrifices est désigné
en maint endroit comme ne répondant pas à la volonté de Dieu, il
faut entendre par là les sacrifices où l'idée nécessaire était absente ;
ou bien il faut croire que ces passages se rapportent à l'époque;
qui a suivi la venue du Sauveur, où le culte des sacrifices avait
perdu sa signification. En ce qui concerne le culte des sacrifices
avant la venue du Sauveur, il faut encore faire une distinction
entre l'époque précédant l'extension de l'idolâtrie et l'époque qui
l'a suivie. Les sacrifices ont été prescrits avant cette époque pour
la glorification de la majesté divine, comme un symbole de la
vérité future, c'est-à-dire de la mort expiatoire du Sauveur, pour
toritates et rationes et exerapla, in lege quantum ad ceremonalia contineri intelligen-
tiam spiritualem. Legitur Deut. IV : Haee est nostra sapienlia et intellectus coram
onmibus populis etc. Quis enim propter litteralem intelligentiam solam legis sapien-
tem et intelligentem censeat populum illum. Cf. More, III, 31 [Guide, III, 247;
1 Lib. III, quaest. 28, membr. 2, arlie. 1, § 1 : Item omnis actus latriœ est moralis,
sed actus sacriûciorum erant latriae, quia illis colebatur deus et honorabatur ut deus,
ergo erant actus morales. Igitur ceremonalia aliquse sive sacramentalia erant moralia.
Similiter istud patet de omnibus ceremonalibus, sicut de isto : non arabis in bove et
asino, non coques hedum in lacté matris, non vestieris lana et lino etc., quorum non
est ratio mauilesta, quia sicut dicunt judœi expositores legis ad litteram, omnia prac-
cepta, quorum non est ratio manifesta dabantur Judœis, ut revocarentur ab idolatria;
ergo erat iutentio talium ceremonalium esse longe ab idolatria, sed longe esse ab
idolatria, istud est morale. Cf. More, III, 52 [Guide, III, 453) ; More, III, 29 [Guide,
III, 229), etc.
234 REVUE DES ETUDES JUIVES
rappeler aux hommes la sévérité de la justice divine et les pénétrer
d'espérance et d'amour pour Dieu. A l'époque qui a suivi l'exten-
sion de l'idolâtrie, les sacrifices avaient pour but de préserver les
hommes de cet égarement, comme il est dit dans le Lévitique, xvn :
« Les enfants d'Israël amèneront leurs victimes au prêtre devant
l'entrée de la tente d'assignation et ils ne les sacrifieront plus aux
démons ! » Il résulte de là que Dieu n'agréait ces sacrifices que
par comparaison ou pour éviter qu'on ne les offrît aux idoles1.
Alexandre de Haies reproduit encore l'opinion de Maïmonide sur
beaucoup d'autres points, par exemple au sujet de l'explication
qu'il donne de la loi de la circoncision 2.
Il nous serait facile de continuer à signaler les emprunts
d' Alexandre de Haies à Maïmonide, mais ce serait inutilement
fatiguer le lecteur. Les rapports d'Alexandre de Haies avec le
judaïsme et la littérature juive sont suffisamment caractérisés par
ce qui précède.
J. GUTTMANN.
1 Lîb. 111, quaest. 58. Cf. More, III, 46 [Guide, III, p. 362 et suiv.).
2 Lib. III, quaest. 55 ; Lib. 4, quaest. 7, cf. More, III, 49 (Guide, p. 126 et suiv.).
LE TRAITE SUR LES JUIFS
DE PIERRE DE L'ANCRE
Pierre de l'Ancre était un brave conseiller du roi « en son
conseil d'État à Bordeaux », sous les règnes d'Henri IV et de
Louis XIII. C'était un magistrat érudit, naïf et surtout hostile
à tous ces suppôts du Diable qui s'appellent «. magiciens, sorciers,
devins, tireurs d'horoscopes, juifs, apostats et athées ». La dédi-
cace de son ouvrage De V incrédulité se termine par cette phrase
adorable : « Tirant toujours ma ligne à ce point, jusqu'à ce que le
Tout-Puissant, qui, comme un beau soleil, fait reluire votre cou-
ronne en l'excellence et piété de vos mœurs, versant sur vous un
inonde de bénédictions, inspire V. M. (Louis XIII) et lui mette ar-
demment en affection de bannir et exterminer entièrement de votre
cour et de cet auguste et saint royaume les magiciens, sorciers,
devins, tireurs d'horoscopes, juifs, apostats, athées, et tous ces
autres ennemis de Dieu; protestant avec votre licence et auto-
rité royale, leur être toute ma vie autant cruel ennemi et rude
persécuteur comme je désire que V. M. me croie. . . »
Si on l'avait pressé un peu, il aurait convenu de bonne grâce
que d'autres lui semblaient encore plus haïssables, je veux parler
de ces mécréants qui disent que toute la sorcellerie « n'est qu'il-
lusion et prestige », « que ces pauvres sorciers sont plus dignes de
compassion que de punition et châtiment. » La malice n'a-t-elle
pas été si loin que ces incrédules, médecins pour la plupart, n'ont
pas craint de douter même de l'existence des démons? Que fait-
on donc alors et de la philosophie, et de la théologie, et d'Aris-
tote, et des Pères de l'Eglise, et de la chute des anges et des aveux
des coupables ? Car Pierre de l'Ancre a reçu ces aveux, il a in-
terrogé en Gascogne sorciers et sorcières, par ordre d' « Henri
le Grand à la requête de la noblesse et syndic du pays de La-
bour 1 )> ; il a vu, de ses propres yeux, ces excroissances, pattes
1 Province méridionale de la Gascogne, attenante à la Navarre, capitale Saint-Jean-
de-Luz.
236 REVUE DES ETUDES JUIVES
de crapaud et autres signes des pactes conclus avec le Diable; il a
bel et bien condamné à mort et au bannissement les auteurs de cet
horrible méfait, avec le zèle d'un bon magistrat qui se respecte.
Un esprit aussi pénétrant, aussi versé en théologie et aussi dé-
gagé des préjugés de son temps avait toutes les qualités requises
pour parler comme il convient des Juifs. On va voir si le pauvre
homme y manque. Il applique à cette étude, — si on peut appeler
étude un ramassis de contes à dormir debout, — le même esprit
qu'à celle de la sorcellerie : il lui suffit qu'une niaiserie ait été
mise par écrit pour qu'il l'accueille et en triomphe. Heureusement
pour les Juifs qu'ils n'étaient pas sous sa juridiction comme ces
malheureux sorciers, leurs frères dans l'imagination populaire et
dans les souffrances.
L'ouvrage de De l'Ancre porte le titre suivant : « L'incrédulité et
mescréance du sortilège pleinement convaincue, où il est ample-
ment et curieusement traicté de la Vérité ou Illusion du Sortilège,
de la Fascination, de l'Attouchement, du Scopelisme, de la Divi-
nation, de la Ligature ou Liaison magique, des Apparitions et
d'une infinité d'autres rares et nouveaux subjects. Par P. de
l'Ancre, conseiller du Roy en son Conseil d'Estat. A Paris,
MDGXXII (4«). »
On ne devine pas tout d'abord ce que les Juifs ont à faire dans
ce lourd et indigeste volume, et cependant il leur consacre un
traité entier, le VIIIe; écoutons les raisons qu'il en donne. (J'aver-
tis que, dans les passages que je cite, je ne me suis pas tenu de
respecter l'orthographe du temps, de tels scrupules sont le plus
souvent hors de propos, s'ils ne sont pas la fausse monnaie de la
science).
<a Ayant reconnu qu'en tout lieu où on fait le procès aux magiciens
et sorciers on a accoutumé d'y mêler les Juifs, apostats et athées,
et même en cette exécution célèbre qui se fit, un peu après notre
commission, en la ville de l'Ogrogne \ en Castille, le 7 et 8 novembre
1610, que j'ai insérée tout au long dans mon premier tome des sor-
ciers2, j'ai cru être très à propos de parler un peu de ces trois sortes
de gens qui vont ainsi à couvert roulant dans le monde. »
1 Logrono.
* Tableau de l'Inconstance des mauvais anges et démons où il est amplement traité
des sorciers et de la sorcellerie. Livre très utile et nécessaire non seulement aux
Juges, mais à tous ceux qui vivent sous les lois chrestiennes. Avec un discours
contenant la Procédure faite par les Inquisiteurs d'Espagne et de Navarre à 53 ma-
giciens, Juifs et sorciers en la ville de Logrogne, en Castille, le 9 novembre 1610...
Paris, 1613, 4°. — Voici ce qu'on y lit, p. 394 : « Six chrétiens nouveaux des Indes,
quatre desquels parce qu'ils observaient le sabbat, abjurèrent et furent châtiés par
bannissement et autres pénitences; un autre parce qu'il avait chanté : Si es venido,
LE TRAITE SUR LES JUIFS DE PIERRE DE L'ANCRE 237
Il parlera premièrement des Juifs, « qui ne sont guère moins per-
nicieux que ies sorciers », et qui sont « les plus anciens ennemis
des chrétiens ». Il « ne remontera pas plus haut que depuis l'avène-
ment de J.-G. l, lequel eux-mêmes trouvèrent de si nonnes mœurs
et de si sainte vie, si plein de doctrine, d'intégrité et d'innocence,
que, nonobstant leur enragée obstination, ils ne purent éviter de
l'appeler et attirer à leur sacerdoce. Témoins Suidas et ce Juif nommé
Théodose, lequel du temps de l'empire de Justinien dit à un chré-
tien nommé Philippe » qu'un des vingt-deux sacrificateurs étant
décédé, les autres rirent élection de Jésus. Comme ils avaient mandé
ses père et mère afin d'inscrire leurs noms dans les actes, Marie vint
seule et raconta les circonstances miraculeuses de la naissance de
son fils. Ils appelèrent les femmes qui l'avaient visitée et après
qu'ils eurent « reconnu la vérité de la chose, ils mirent son nom au
sacerdoce blanc avec cette inscription :
Je suis fils de Dieu vivant
Et de la Vierge Marie 2. »
De l'Ancre divise son sujet en trois parties : il considérera
1° « les blasphèmes des Juifs contre l'Église chrétienne ; 2° les im-
piétés et absurdités ridicules qu'ils mêlent parmi les cérémonies de
leur loi et leur sotte créance; 3° les cruautés dont ils ont toujours
usé envers les chrétiens. »
Blasphèmes.
Pour les blasphèmes, il ne les reproduira pas, entre autres rai-
sons parce qu'il vaut mieux « ne pas les faire voir à un siècle si
pervers et si malin que celui-ci ». Il lui suffira de rappeler qu'ils
faisaient brûler tous les ans une figure de la croix. « Et parce
qu'ils savent que J.-C. est véritablement et réellement dans le
no es venido, el Messias prometido, que nos es venido. Le sixième, pour avoir été juif
et judaïsé l'espace de vingt-cinq ans, après avoir demandé pardon à Dieu, pleurant
avec beaucoup de repentauce, fut admis à se réconcilier avec l'habit de saint Benoit,
tenant prison au logis de la pénitence au Saint-Office » .
1 Autrement ce ne seraient plus des cruautés envers les chrétiens; mais il ne se
prive pas pour cela d'y « remonter • très souvent.
* Suidas (xie siècle) n'est que le narrateur de cette légende. Il l'a insérée à l'article
Je'sus de son Lexique (t. II, p. 105 de l'édit. d'Amsterdam, 1705). Une traduction
française en est donnée dans Migne, Dictionnaire des Apocryphes, II, col. 383 et suiv.
Théodore, ou Théodose, est un prince des Juifs, du temps de Justinien, qui est
chrétien au fond, mais qui n'ose le confesser pour ne pas perdre son poste. 11 révèle
à son ami Philippe un mystère qui est conservé parmi les Hébreux et d'après lequel
le Christ qu'adorent les Chrétiens est bien celui qui a été prédit par la Loi et les
Prophètes. Mais il ne veut pas que ce secret soit rapporté à l'empereur, de peur qu'il
n'en résulte des guerres terribles et des massacres, et que les Juifs, se voyant vaincus,
ne brûlent l'endroit où est déposé le manuscrit.
238 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
St-Sacrement de l'autel et gît en la sainte hostie dès lors qu'elle
est consacrée, ils tâchent d'en surprendre quelqu'une pour la vil-
laniser et poignarder comme on voit dans les œuvres de Gerson *. »
« Ils tiennent en exécration les chrétiens et ils contraignaient leurs
nourrices chrétiennes qui avaient reçu à Pâques la Sainte Eucha-
ristie à presser, durant l'espace de trois jours après, leurs mamelles
et de verser leur lait dans quelque privé infâme et puant. »
« C'est pourquoi le pape Innocent IV écrivit au roi, l'an 124.1, qu'il
lui plût de faire rechercher par son roj^aume les livret du Talmud
des Juifs et les faire brûler en même façon qu'on avait fait du temps
de Grégoire VIII. » Le pape Jules III en agit de même. Il raconte
alors l'histoire de l'auto-da-fé du Talmud sous saint Louis. Naturel-
lement l'archevêque favorable aux Juifs « est corrompu avec une
grosse somme d'argent », « si bien qu'on rendit le Talmud aux Juifs,
en témoignage de quoi ils établirent un jour parmi eux pour en cé-
lébrer la mémoire tous les ans ». Mais plus tard, un an après, l'ar-
chevêque fut « saisi d'une si grande douleur de boyaux qu'il rendit
l'esprit au même jour ». Aussi rechercha-t-on les livres des Juifs et
les brûla-t-on2.
D'ailleurs, ces livres « avaient été fabriqués par des démons, ou par
des Juifs plus perfides et infidèles que les démons, au rapport de
Paul de Burgos, qui nous assure que ceux qui fabriquèrent la faus-
seté du Talmud avaient deux démons familiers, le premier s'appelait
Benthamaléon et l'autre Josepheda, lesquels conversaient avec eux,
comme il se lit en plusieurs lieux du Talmud3. » A quoi il ajoute
«que l'Empereur défendit de publier cette doctrine talmudique4 et
que, néanmoins, cette défense fut révoquée au conseil qu'ils tinrent
peu après avec les démons, par le moyen desquels cette doctrine fut
rétablie ».
« Les Juifs étaient devenus si insolents et effrontés qu'ils allaient
impudemment dans les églises criailler et vomir une infinité de blas-
1 C'est l'histoire classique de la rue des Billettes. De l'Ancre, à son insu, nous
livre la pensée des inventeurs de ces histoires saugrenues. Il paraissait inadmissible
aux chrétiens qu'on pût nier les vérités qu'eux-mêmes professaient ; les Juifs
devaient, au fond, reconnaître le mystère de la transsubstantiation, et c'est parce
qu'ils croyaient que Jésus est véritablement et réellement dans l'hostie qu'ils la
perçaient, pour le percer lui-même. De l'Ancre se sert (p. 521) de cette histoire,
comme les théologiens catholiques du temps de la Réforme, pour prouver aux protes-
tants le dogme de la présence réelle.
2 Voir, à ce sujet, Revue, I, 140, 247.
3 On ne s'attendait guère à voir Bentemalion et Joseph Schéda paraître en cette
allaire. Bentemalion est ce démon qui propose à R. Schimon b. Yohaï d'entrer dans
le corps de la fille de l'empereur. J'ai essayé de montrer, dans cette Revue, que ce
récit n'est que la variante d'un conte indien et d'une légende chrétienne. Voir t. VIII,
p. 200; t. X, p. 66. — Quant à Joseph Schéda, c'est un personnage énigmatique
qui est censé donner à certains docteurs des renseignements sur les démons, voir
Pesahim , 110 a.
4 Justinien, novelle 146.
LE TRAITE SUR LKS JUIFS DE PIERRE DE L'ANCRE 239
phèraes et injures' contre le Sauveur, sa sainte mère et sa sainte
relise. Aussi, sachant qu'ils ont en horreur les pourceaux, s'avisa-
t-ou en Allemagne d'en faire peiudre à l'entrée des églises. » Ainsi, à
l'église de Wittemberg, on voit « une truie relevée en bosse, les
mamelles pendantes; sous son ventre sont trois petits enfants juifs,
dont deux sucent les mamelles et l'autre regarde les assistants. Sous
le cou de la truie on voit accourir un petit cochon pour sucer le luit
avec les petits Juifs. Derrière la truie est un Juif, homme d'âge, por-
tant une mitre à larabbine, qui, se baissant un peu, semble lever de
la main gauche la queue de cet animal, et de la* droite le pied droit,
et, après, regarder fixement le trou de derrière de la truie, y mar-
moter je ne sais quelles paroles et mystères du Talmud. Et sur cela
on entend grouiller les boyaux de la bète certains nouveaux oracles
qu'il rapporte puis après aux autres Juifs. Ce qui a été mis en haine
des rabbins, ennemis de Dieu, si bien qu'en leur école, leur mai-
tresse est une truie, leur précepteur un porcher, et, au lieu de la
vraie doctrine du Messie, ils se paissent de fiente et d'ordure, pre-
nant pour la parole de Dieu le lait sale et vilain de ces animaux
immondes1. »
Il ajoute qu'il y a plus de soixante ans que cela se voit en l'église
paroissiale de Wittemberg, mais que, d'après d'autres, la scène repré-
sente simplement un Juif, mîtré comme un rabbin, enfermé dans
une armoire qui s'ouvre à toutes les heures ; à ce moment, il découvre
une truie qui allaite ses petits, il en montre quelque horreur et se
retire2.
« Ce qui s'accommode et rapporte très bien à la puanteur des
Juifs, le pourceau étant l'animal le plus immonde qui soit point*.
Aussi est-ce cette puanteur et leur odeur dans laquelle ils sont tous
les jours plongés en leurs maisons, comme un pourceau dans son
1 J'ai trouvé, par hasard, le titre d'une plaquette dont De l'Ancre, sans doute, s'est
inspiré — indirectement : Von Schem hamphoras und der Sam so au Wittenbcrg auf
der Pfarr Kirchmaûr der ver/luchten Juden zu Hohn und Sjwtt dakin gesagt mord ni .
f°, s. 1. n. d. Malheureusement la Bibliothèque nationale ne possède pas cet ouvrage.
* On en voit de semblables, dit-il encore, à d'église de l'ancienne vide de Sorabes,
au duché d'Anhalt, à la cathédrale de Magdebourg, à la cour de Salisbourg (Salz-
bourg), en Bavière.
3 C'est au moins une explication originale de la puanteur des Juifs. Quant
à cette puanteur, était-elle réelle ou n'existait-elle que dans l'imagination des
auteurs ? C'est une question qu'il y aurait lieu d'examiner. Au premier abord,
on est tenté d'y croire, étant donné l'état misérable des Juifs au moyen âge.
Mais voici qui rend suspectes toutes ces inductions. Plus on examine les
opinions qui avaient cours au moyen âge sur les Juifs, plus on reconnaît la res-
semblance établie par l'imagination entre eux et les sorciers ; juif et sorcier sont
synonymes, pour le peuple comme pour les clercs, parce que Juifs et sorciers ont le
tort de se singulariser. Or, le sorcier sent mauvais, tel est un article du credo popu-
laire; donc le juif sent mauvais aussi. — D'après le curieux pamphlet espagnol, La
Sentinelle contre les Juifs, analysé par M. Isidore Loeb, ici même {Rêve \ t. VI,
p. 117), les Juifs sentent également mauvais, mais pour une autre raison : en pu-
nition de leur crime. L'auteur ajoute quïls ne peuvent cracher: lisez les démono-
graphes, vous verrez que les sorciers ne peuvent cracher.
240 REVUE DES ETUDES JUIVES
auge, qui les rend sujets aux squiuances, aux écrouelles, au flux
de sang • et autres maladies puantes qui font qu'ils baissent tou-
jours la tête \ »
« Ils abusent de même de certains autres animaux3 et nourrissent
un bœuf avec vivres exquis auprès de leurs cimetières et, mourant,
ils l'enveloppent en des linges précieux, le pleurant en l'ensevelis-
sant avec cérémonie. Et puis en choisissent et élèvent un autre avec
même délicatesse et cérémonie en mémoire du bœuf d'Egypte qu'ils
adorent comme Dieu. »
Impiétés et absurdités.
Dans ce chapitre, De l'Ancre se borne à reproduire en abrégé la
plupart des articles des Extractiones dont il a été si souvent
question dans cette Revue et auxquels M. Isidore Loeb a con-
sacré une si intéressante étude. Il est donc inutile de mentionner
tout ce fatras d'accusations plus saugrenues que les absurdités
qu'elles prétendent viser. Disons cependant que ce document
paraît avoir exercé une grande action sur le moyen âge et avoir
fourni les armes dont avaient besoin tous les auteurs ennemis des
Juifs, car, à la fin de son traité, De l'Ancre donne in extenso la
plaidoirie d'un avocat qui, plaidant contre des Portugais de Bor-
deaux, accusés de judaïser, reprend la plupart des articles desdits
Extractiones en conservant même leur manière de citer les
sources. Ainsi il dira : Massechet ou ordre 2 du Talmud seder,
c'est-à-dire traité 8 perakim qui veut dire chap. ou dist. — Com-
prenne qui pourra /é !
1 Les flux de sang sont aussi prêtés aux Juifs par la Sentinelle.
2 S'ils baissaient la tête, De l'Ancre aurait pu l'expliquer autrement : dans une
société où même des magistrats instruits professaient des sentiments de ce genre à
leur égard, ils auraient eu beau jeu à relever la tête. Mais la vérité est que c'était
également un des signes auxquels on reconnaissait les sorciers, voir Jean Bodin, De
la démonomanie des sorciers, Paris, 1580, p. 189 et suiv.
3 « Abuser » est encore une métaphore assez hardie, car ici cela signifie • ne
pas user >. Il s'agit, en effet, des premiers-nés mâles des animaux qui, ne pou-
vant plus, depuis la destruction du temple, être donnés aux prêtres, étaient interdits
à la consommation tout le temps qu'ils n'avaient pas de défauts, et étaient laissés en
liberté dans les cimetières jusqu'à leur mort.
4 Malvezin, Histoire des Juifs à Bordeaux, p. 117, a déjà cité, très brièvement, cette
plaidoirie. Cet avocat, nommé Laroche, ne manque pas non plus d'érudition ; il con-
naît YHostis Jtideorum de Piefï'ercorn (qu'il appelle Pseffer Cornius), d'après qui les
Juifs désignent Jésus « par les mots les plus coutumélieux qu'ils peuvent imaginer,
l'appelant Jechaii Nozere, séducteur de peuple (véritablement Jésus de Nazareth), ou
Tholim, qui signifie pendu, ou Mauserbcr Havido (mamzer ben hanido), qui signifie
champis, le Saint-Sacrement de l'autel, le Chemtome (léchem tome), un pain salé (?)
et immonde...: il connaît aussi la Synogoga Judaicu, de Buxtorf. — Il rapporte qu'un
Juif, pour avoir blasphémé contre la Vierge, en Provence, lut condamné â être brûlé
tout vif, à Aix, en. Provence, et qu'il y eut quelques gentilshommes qui s'offrirent
LE TKAITÉ SUR LES JUIFS DE PIERRE DE L'ANCRE 241
Cruautés.
C'est la partie la plus intéressante du traité, on verra que
De l'Ancre n'est pas difficile sur le choix des exemples. Pour
prouver que les Juifs « ont fait souffrir aux chrétiens des inhuma-
nités et cruautés si horribles qu'elles font hérisser les cheveux à
ceux qui les entendent », il ne trouve rien de mieux que de rap-
peler la guerre des Juifs contre les Romains, les épisodes du sou-
lèvement des Juifs en Egypte sous Trajan et, chose plus admirable
encore, les « cruautés infinies » que les Juifs exercèrent contre
eux-mêmes pour échapper aux tortures !
Il raconte, d'après saint Ghrysostome, qu'au temps de Julien
l'Apostat, les Juifs se joignirent aux gentils et pratiquèrent comme
eux le culte des idoles. — Où est la cruauté ? — Puis il continue
ainsi :
« De manière que si, en quelque façon, il semble maintenant
qu'ils vivent un peu plus modestement, ce n'est autre chose que si-
mulation et la crainte qu'ils ont des princes, sans le respect desquels
ils commettraient encore de plus grandes cruautés qu'ils n'ont
jamais fait jusqu'ici, vu qu'ils surpassent de beaucoup leurs an-
cêtres en malice et méchanceté, étant excellents en sortilège et
magie, en pétulance et audace et autres vices. »
L'argument est très habile et n'a pas manqué d'être repris par
les élèves de De l'Ancre.
Après avoir cité le massacre de l'île de Chypre, qui d'ailleurs
n'atteignit pas les chrétiens, il ajoute :
a Au demeurant tous ces massacres ne demeurèrent pas impunis.
Au lieu où était le prétoire de Pilate, on entend des bruits et des
mouvements si violents comme de personnes qui battent, tourmen-
tent et flagellent quelqu'un, que le P. Boucher, y étant entré, con-
fesse en être sorti tout étourdi et hors de soi.4La tradition de la
Terre-Sainte étant que c'étaient des Juifs qui étaient châtiés et punis
par justice divine en ce même lieu où ils avaient flagellé le Sauveur
du monde. »
Naturellement, ce sont les Juifs qui ont poussé les lépreux à
pour en être les bourreaux. Il cite des histoires d'hosties dérobées et percées par
de faux chrétiens, à Presbourg, en 1590, et dans le Brandebourg. Les Juii's sont,
d'ailleurs, si coupables qu'aucun pays ne peut les tolérer, et, s'ils ont un pays au-delà
des fleuves d'Ethiopie ou sous le cercle Arctique, ce qu'il admet, c'est justement un
effet de la bonté du ciel, qui ne veut pas qu'ils en sortent. Laroche connaissait, on le
voit, "la lettre du prêtre Jean, qui, du reste, était très répandue au moyen âge.
T. XIX, n° 38. 10
242 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
empoisonner les puits, comme le raconte Gaguin, au VIIe livre de
l'histoire de France1. « Ils se servaient d'une mixtion composée
de sang et d'urine d'homme avec le suc de quelques herbes veni-
meuses ».
Le paragraphe suivant est intitulé, à la marge : « Cruauté in-
finie de quarante Juifs prisonniers à Vitry pour se rédimer de la
justice des chrétiens ». Les malheureux s'étaient tués pour échap-
per à la mort et sans doute aux supplices qu'on leur réservait pour
avoir empoisonné des puits. Mais ils seront privés de la vie éter-
nelle, comme on peut voir au chapitre n d'Isaïe 2 : ne pratiquaient-
ils pas anciennement l'anthropomancie, qui est le sacrifice
d'hommes et d'enfants, laquelle était commune aux Juifs, ido-
lâtres et apostats ?
« C'est pourquoi Philippe-Auguste, ayant appris que depuis Trajan
ils circoncisaient les esclaves chrétiens et mettaient à mort plusieurs
chrétiens, dans des caves et lieux souterrains, même qu'en la
semaine sainte, le jour de la Passion de Notre Seigneur, ordinaire-
ment ils crucifiaient quelque enfant chrétien qu'ils trouvaient moyen
de dérober et commettaient d'autres cruautés exécrables du tout
brutales et hors de toute humanité,... il confisqua leurs biens et les
bannit de son royaume ».
« Pour montrer, d'ailleurs, que la cruauté leur est naturelle et sur-
tout contre les chrétiens, la vérité est qu'ils n'épargnent pas leurs
enfants », témoin le massacre qu'ils firent de leurs enfants en An-
gleterre, parce que le roi Emmanuel les avait baptisés de force.
Mais De l'Ancre ne veut pas s'attarder à l'étranger, il se bornera
à la France.
Lors de l'invasion des barbares, « les Juifs vraisemblablement
qui étaient mêlés y ont trouvé leur place ».
1 Les grandes chroniques, excellents faitz et vertueux gestes des... roys de France,
composées en latin, par Rob. Gaguin et depuys, eu laii ckristilér mil cinq cens et
quatorze soigneusement réduictes et translatées à la lettre de latin en nostre vulgaire
francoys, Paris, 1514, f°.
2 Vers. 6 : t Car tu as rejeté ton peuple, la maison de Jacob, parce qu'ils étaient
pleins de l'Orient et sorciers comme les Philistins et qu'ils s'attachent aux enfants
des étrangers. • C'est probablement sur ces derniers mots, qu'on aura traduits par :
« ils prennent en suffisance les enfants des étrangers », que s'appuie De l'Ancre, ou
plutôt l'auteur qu'il copie, pour attribuer l'anthropomancie aux Juifs. La Vulgate
traduit simplement pueris alienis adhœrerunt. Cette croyance découle encore, d'ail-
leurs, de la conception du sorcier, ou, pour parler plus exactement, de l'idée
que le peuple se forme de tous ceux qui se singularisent. Ainsi, sous le second
Empire, les habitants de Perpignan attendirent, à leur sortie de loge, les francs-
maçons avec l'intention de leur faire un mauvais parti, sur le bruit que, à chaque
réunion, ils avaient l'habitude de dévorer un membre de leur société. Voir Mélu-
sine, IV, col. 370.
LR TRAITE SUR LES JUIFS DE PIERRE DE L'ANCRE 243
Ceux de Toulouse promirent à Abdérame de lui livrer la ville.
Quand Charlemagne y entra et qu'on lui rapporta cette trahison,
il fit condamner à mort tous les Juifs de Toulouse. Cependant, sur
leurs prières, il ne fit périr que les coupables; mais il établit
l'usage de la colophisation à Noël, à Pâques et à l'Assomption.
Leur cruauté s'est manifestée encore sous une autre forme, té-
moin l'histoire de ce médecin juif nommé Sédéchias, « lequel lit
certains jeux magiques devant l'empereur Louis et plusieurs
autres princes, l'an 876. Il dévorait les hommes armés avec leurs
armes et chevaux, avalait un chariot avec les chevaux et le
cocher, il coupait la tête et les pieds aux personnes et, avec leur
sang, il les mettait dans un bassin. Il volait en l'air, il excitait des
voix comme s'il y eût eu une infinité de chasseurs, et plusieurs
semblables illusions, enfin il empoisonna et fit mourir le roi
Charles le Chauve '.
Naturellement, et De l'Ancre était bien de son temps en parlant
ainsi, les Juifs sont« grands magiciens2 ». La preuve qu'il en rap-
porte est bien intéressante et il est clair qu'après l'avoir lue, per-
sonne ne peut douter de cette vérité.
« Les Juifs, dit-il, sont ordinairement grands magiciens, comme
témoigne saint Antonin, qui nous a laissé par écrit qu'un jeune
homme, se voulant venger d'une fille qui n'avait voulu consentir
à ses mauvaises volontés, s'était adressé à un médecin juif, il la
convertit en jument, afin que, ne l'ayant pu fléchir à la volupté
pendant qu'elle était en forme humaine, il l'attirât l'ayant métamor-
phosée en forme brutale 3. »
« En Espagne, continue-t-il, les Juifs et Arabes laissaient pour
1 Sans doute d'après Joh. Trithemius, Annal. Hirsaug., t. I, ad ann. 879.
2 Matthieu Paris, dans son Histoire d'Angleterre, à l'année 1188, dit qu'il fut
interdit aux Juifs d'assister au couronnement de Richard 1er, parce qu'ils ont l'habi-
tude de se servir d'arts magiques à cette occasion. Jean-Godefroy Thomas, Disserta-
tio ex Antiquitate ebraea de EptiJlD rDtfbfa sive Stecdio tnagico Judœorum; Wittem-
berg, 1728, 4°, cite un certain nombre d'auteurs d'après lesquels les Juifs étaient
experts en magie. Bodin, Démo no manie, liv. IV, ch. vi, raconte qu'en l'an 1554,
« les Juifs de Rome rendirent quatre-vingts, tant filles que femmes possédées du
diable ». Luther, qui ne les aimait pas et qui partageait plus d'un préjugé du
moyen âge, disait : « Ein Jude stickt so voll Abgotterey und Zauberey, als neun Kûhe
llaar haben, d. i. unzehlig u. unendlich >. Loin de nous la pensée de vouloir laver les
Juifs de cette accusation ; il suffit de lire les auteurs juifs eux-mêmes (entre autres,
Salomon b. Adret, § 413 de ses consultations) pour voir qu'ils donnèrent dans les
billevesées du moyen âge, surtout depuis l'invention de la Kabbale pratique. Nous
prétendons seulement qu'aux yeux des chrétiens, tout Juif était sorcier, de la
même façon que les Chrétiens sont sorciers chez les Musulmans, et les Musulmans et
les Chrétiens chez les Hindous, les Finlandais chez les Suédois, et les Lapons chez
les Finlandais, et, en général, les hérétiques chez les orthodoxes. Voir Tucbmann,
M ri usine, IV, col. 342 et suiv.
3 C'est un de ces contes facétieux qui furent très répandus au moyen âge.
244 BEVUE DES ETUDES JUIVES
héritage à leurs successeurs la Clavicule de Salomon ! et un autre
grand volume divisé en sept parties, pleins de sacrifices et enchante-
ments des Démons et faisaient par i celuy des choses merveilleuses
et incroyables, mais les inquisiteurs ont brûlé tous les exemplaires
qu'ils ont pu trouver ~.
« Nous lisons, dans l'histoire de Jean Tritesne 3, que l'an 970, un
Juif nommé Baian, fils de Siméon, se transformait en loup, et se
rendait invisible quand il voulait.
« D'ailleurs, les Juifs ne savent rien faire que du mal, ils n'ont
jamais fait chose quelconque qui vaille, que j'aie pu remarquer par
toute l'histoire ancienne », sauf, ajoute-t-il cependant, de n'avoir pas
voulu adorer Caligula comme un dieu.
» Depuis, continue-t-il, ils ont toujours témoigné une telle haine
contre les serviteurs de Jésus-Christ et il y en a des histoires si
exécrables qu'il y a horreur de les raconter et presque autant de les
lire ; néanmoins elles sont si publiées et connues que la lie même du
peuple n'en est que trop informée. Car la vérité est qu'ils ne se con-
tentent pas d'avoir mis une fois Jésus-Christ en croix, qu'ils le vou-
draient encore, s'il leur était permis, le crucifier tous les jours,
témoin cette histoire célèbre rapportée par Richard Vasseburge, qui
dit qu'Eberard, archevêque de Trêves, ayant fait publier un décret
portant que tous les Juifs eussent à vider en cas qu'ils ne se fissent
baptiser dans la veille de Pâques, un d'entre eux fut si malin
qu'ayant fabriqué par art diabolique une image de cire, il la fit bap-
tiser par un méchant prêtre de l'église de Saint-Paul corrompu par
argent, et la veille de Pâques venue, auquel jour les Juifs devaient
vider la ville ou recevoir le baptême, ce juif magicien fit allumer
cette image de cire, pendant que le bon évêque était occupé aux
fonts baptismaux, et comme cette image fut à demi brûlée, une
grosse fièvre le saisit avec de si âpres douleurs qu'il fut contraint de
s'ôter de cet exercice pour s'aller agenouiller devant un crucifix, en
priant le bon Dieu de lui pardonner ses péchés, ensemble à ces mé-
chants juifs ; il rendit l'âme à Dieu et mourut Tan 1607*. »
Voici la fin du traité, qui couronne bien ces admirables pages :
1 La Clavicule de Salomon est bien connue, voir Steinschneider, Catal. Bold. 229S.
Une traduction latine en a été faite par Balt. Neydecker, sous le titre suivant : Clavis
tfalomonis et thésaurus omnium scientiarum régi Salomoni per angelum Deijuxta altare
revelatamm et per antiq. Rabonem Hama descriptus (1716, in-4°).
a Ce paragraphe est copié de Delrio, Disquisitionum magicarum libri VI, Lou-
vain, 1599; ouvrage traduit en français sous le titre de Controverses et recherches ma-
giques, traduites du latin de Delrio, par André Duchesne, jésuite ; Paris, 1611,in-8°.
i 11 faut lire Trithème [Chronicon Cœnobii Rirsaugiensis , diocesis Spirensis, ad
aun. 970). 11 est piquant que Trithemius, qui rapporte gravement toutes ces fables, a
lui-même été taxé de magicien et de sorcier.
« Même histoire dans Trithemius, Chron. Eirsaug., t. I, ad. ann. 1059; Christoph.
Browerus, Annal. Trevirens., lib. XI, ad ann. 1066. La légende a donc été rééditée
plusieurs fois, toujours avec la même conviction. — 1607 est probablement mis ici
pour 1067.
LE TRAITE SUR LES JUIFS DE PIERRE DE L'ANCRE 2'iS
« Et pour les Juifs en particulier qui ont mieux aimé le traître,
Judas que le vrai Messie Jésus-Christ, ayant bâti un oratoire en son
honneur et choisi leur cimetière en la vallée de Josaphat, au même
lieu où il se pendit et se creva, qu'ils se souviennent de la créance et
tradition commune qui se promène en terre Sainte, qui est qu'à ce
grand jour du jugement, afin qu'ils puissent plus facilement s'écou-
ler de ce cimetière particulier en cet autre qui leur sera et général et
éternel : la terre se crèvera en ce même endroit où Judas leur patron
se pendit et se creva, pour les engloutir et engouffrer irrémissiblement
en flammes éternelles des enfers, dès lors que celui qu'ils ont mal-
heureusement crucifié aura fulminé contre eux ce décret épouvan-
table : Ite maUdicti in ignem œternum1. »
On chercherait donc vainement dans De l'Ancre des renseigne-
ments inédits sur l'histoire des Juifs au moyen âge; mais on y
trouvera ce qui n'est pas moins intéressant, un élément nouveau
pour établir l'histoire des opinions des chrétiens sur les Juifs. Le
moyen âge s'est fait un type du juif, qui encore aujourd'hui obsède
l'imagination du peuple et des écrivains, et dont les esprits les plus
indépendants ne s'affranchissent qu'avec peine. Comment s'est
élaboré ce type, quel esprit a présidé à sa création, quelle était la
culture intellectuelle de ses inventeurs, c'est ce que les recherches
de détail seules pourront élucider. En exhumant toutes les absur-
dités qu'on vient de lire, mon seul but a été de défricher un coin
de ce vaste champ d'étude.
Israël Lévi.
» De l'Ancre, à la suite de ces pages, dans un chapitre à part, raconte tout
au long une histoire d'hostie qui s'était passée peu de temps auparavant à Saint-Jean-
de-Luz. On ne peut rien lire de plus lamentable que cette tragédie. Quatorze Portu-
gais, en grande partie des femmes, étaient venus dans cette ville, où, semble-t-il, ils
éveillèrent les soupçons des membres du clergé. L'un d'eux crut voir une de ces
Portugaises cacher l'hostie dans son mouchoir. Immédiatement elle fut arrêtée, tout
un appareil d'officiers, de lieutenants généraux fut mandé pour interroger l'inculpée,
qui répondit que c'était dans un accès de toux qu'elle avait craché cette hostie.
Pendant qu'on instruisait l'aifaire, elle resta incarcérée dans 1 église. Le peuple, qui
avait été informé du sacrilège, envahit l'église, réclama la jeune fille, puis la traîna
dans la campagne, où enfin il la brûla. Tous ces faits sont racontés par Doiharard,
recteur de l'évêque de Bayonne, à l'archevêque de Tours, à la date du 22 mars 16 19.
Il ajoute à son récit qu'il fut dit que ces gens étaient cause du mauvais temps et que
depuis leur arrivée ceux du pays n'avaient pu prospérer. C'est à cette histoire que
fait allusion la Sentinelle contre les Juifs [Revue, t. VI, p. 113).
UN DOCUMENT
SUR
LES JUIFS EU BARROIS EN 1321-23
Nous signalons aux lecteurs de la Revue une pièce très curieuse
faisant partie des archives de la Meuse à Bar-le-Duc l. Elle porte
comme titre : Recepts des Juys. C'est un tableau des sommes
prélevées sur les Juifs habitant le Barrois en 1321-22-23. Ces
sommes de plusieurs natures sont les suivantes :
1° Droits de résidence, désignés sous le nom de Censives et
payés annuellement par les Juifs admis à demeurer dans le comté
de Bar.
2° Droits de capitation, proportionnels au nombre des membres
composant les familles.
3° Droits d'inhumation dans le cimetière commun de la région.
4° Droits de passage acquittés par des Juifs étrangers traversant
le territoire du Comté.
5° Amendes infligées à des" Juifs qui s'étaient battus entre eux.
De l'ensemble de cette pièce résultent les données suivantes :
Des Juifs habitaient plusieurs villes et villages du Barrois, qui
comprenait tout le département de la Meuse (moins le Verdunois,
qui fut toujours fermé aux Juifs), des parties plus ou moins consi-
dérables des départements de Meurthe-et-Moselle, de l'Aube, de la
Marne, de la Haute-Marne, des Vosges et de la Haute-Saône.
Ils y étaient tolérés momentanément moyennant censives fixées
selon la fortune de chacun, d'après un inventaire qui fut fait de
leurs biens.
Chaque ménage [conduit dans le texte) était, en outre, imposé
pour une certaine somme.
1 Registre B, 492, in-folio, 167 feuillets papier. Ce registre est mentionné dans le
catalogue sous cette rubrique : Comptes de recettes et dépenses (1321-1322) faites par
Jennet Petitprêtre de Reviguey, receveur de la Comté de Bar, dès le mercredi après
la fête de saint Pierre et saint Paul qu'il entrât à l'office de la receverie.
DOCUMENT SUR LES JUIFS DU liAliliOls 247
Ils étaient soumis à la juridiction du Comté pour les différends
qui s'élevaient entre eux.
Il n'y avait qu'un seul cimetière dans le Barrois. Un droit était
perçu pour chaque inhumation.
Les Juifs étrangers voulant traverser le territoire étaient obligés
de payer un droit de passage.
La pièce est contemporaine de l'époque où les Juifs, successive-
ment chassés et rappelés par les rois de France, accusés d'avoir
empoisonné les fontaines publiques, victimes des fureurs popu-
laires, cherchaient refuge et protection dans des pays plus clé-
ments. De ce nombre furent sans doute les Juifs dont les villes
d'origine sont mentionnées dans notre document, et qui obtinrent,
au prix de lourdes impositions, et pour peu de temps, le droit de
résider dans le comté de Bar.
Nous établirons plus loin, par ordre alphabétique, un tableau de
ces différentes villes, en faisant suivre l'orthographe de l'original
par l'orthographe actuelle et en indiquant les départements aux-
quels elles appartiennent.
Cette pièce nous a été :ndiquée par M. Jacob, archiviste dépar-
temental de la Meuse. Nous lui en exprimons toute notre gratitude
et nous le remercions également de la bonne grâce avec laquelle
il a bien voulu se mettre à notre disposition pour nous faciliter le
déchiffrement et la correction du manuscrit.
Emile Lévy.
RECEPTE DES JUYS.
Premièrement IIe lb. des Juys de S1 Mihiel pour le premier escort
fait à eulx.
Item Ve lb. des dis Juys pour le dernier escort.
Item XL lb. de Lyon de Revigney pour le premier escort et unes
lettres de XL. lb. qu'il avoist prestez à mons. par lettres rendues au
compte.
Item IIIIXX lb. doudit Lyon pour le darrien escort.
Item XX lb. de Moyses de Revigney pour le premier escort.
Item XX lb. doudit Moyses pour le darrien escort.
Item X lb. de Viviant de Bar pour le premier escort.
Item X lb. doudit Viviant pour le darrien escort.
Item L XX lb. de Salomin de Gondrecourt pour le premier escort.
Item de lui C lb.
248 REVUE DES ETUDES JUIVES
Item G lb. doudit Salemin pour le darrien escort. Et doit rendre à
monss. par escort fait à lui les lettres queil at de Gautier et de Robert
de Prie et mous, les doit rendre as dis Gautier et Robert pour laquest
queil a fait à eulx lesquelles lettres sunt rendues compt.
Item on doit requérir à Robert de Prie les lettres de lâchât de
Gondrecourt liquez ne les welt rendre pour tant que on len doit
encore si corne il dit.
Item X lb. de Helyet et Haquin de Fou pour le premier escort.
Item X lb. doudit Helyet et Haquin pour le darien escort.
Item LXIII lb. XVIII sols receus dou grant Jehie de Ste Ménehout
pour vaisselment dargent que on vendit à la monnoie de Bar pour X
mars dargent, V oaces et V estelins, c'est à savoir en II grans platels
dargent, VI henaps dargent dont li II estoient dorés, I couvercle a
couppedorey, IV pies à henaps d'argent, II cuillerettes d'argent et la
serrure et I coutel en IIII pièces dargent, et mess en ont une courone
et un petit henap dargent lequel il donnât à pierrecevaul de Nepton-
court et trois courriettes en demeuroient par devers le receveur.
Item IIIe lb. tournois de Juys de la comté pour le cimetière.
Sume et recepte des Juys XVe XXXIII lb. XVIII s. ; doit-on savoir
quel monoie.
SENCIVES DES JUYS.
Premiers receu G s. tournois de Amideu et Haquin pour lor sen-
cive lan de xxn commensant en may.
Item encor G s. de eulz pour lor sencive lan de xxm.
Item encor G s. que Amideu prestet à mons. et délivrât à Jehan,
clerc de la cuisine madame.
Item LX s. de Amendent et Molin pour lor sencive à la S1 Remy
lan xxi.
Encor XXX s. dou .dit Molin pour sa sencive lan de xxn, et Amen-
dens sen alat.
Item L s. de Morei Lalemant pour sa sencive à la Magdeleine lan
de xxn.
Item XXX s. de Jacob serourge Denix pour sa sencive en may
lan xxn ; encor XXX s. dou dit Jacob pour lan de xxm.
Item LX de Vivant de la Haie pour sa sencive à la S1 Lorent lan
XXII.
Item LXXV s. de Maistre Haque de Grant pour marc I dargent
pour sa sencive à la Pentecouste lan de xxn.
Item L s. de Mosa serourge Morel pour sa sencive à Pasques lan
de xxn ; encor L s. pour sa sencive lan de xxm.
Item LX s. de Lyon freire Leaul pour sa sencive au jour de la
Toussains lan de xxn.
Item XL s. de Jacob de Ghauny pour sa sencive à Pasques l'an de
xxn ; encor XL s. pour sa sencive à Pasques lan de xxm.
DOCUMENT SUR LES JUIFS DU BAKROIS 249
Item XXXV s. de Vivant Coheia pour sa seucive à Pasques lan
xxii ; encor XXXV s. pour sa sencive laa de xxm.
Item IV lib. de David de Chauny pour sa sencive en may lan de
xxii ; encore IV lib. pour lan de xxiij.
Item XX s. de Vivion pour sa sencive lan xxii ; encor XX s. pour
lan de xxm.
Item XX s. de Sensonnet pour sa sencive à la Pentecouste lan
de xxii.
Item XXX s. de Habraham Gohein pour sa sencive au nouel, lan
de xxii.
Item XL s. de Sonnet de Mescrignes pour sa sencive en may
lan xxii.
Encor XL s. pour sa sencive lan de xxm.
Item XL s. de Remon de Mescrignes genre Jacob de Troignon pour
sa sencive en may lan xxii.
Eucor XL s. pour sa sencive l'an de xxm.
Item LX s. de Vivant de Bar pour sa sencive en may lan de xxii.
Encor LX s. pour sa sencive lan de XXIII.
Encor XL s. lesquelz il prestet à mons. pour la première venue des
Roiaulz.
Item LX s. de Josce de Troion et son fil pour lor sencive en may
lan de xxii.
Item XX s. de Helyet de Fou pour sa sencive lan de xxii.
Item XX s. pour lan de xxm.
Item XX s. de Haquin de Fou pour sa sencive l'an de xxii.
Item LX s. de Moys de Revigney pour sa sencive lan de xxii.
Encor LX s. pour sa sencive lan de xxm.
Item IIII lb. de Lyon de Revigney po»r sa sencive lan de xxii.
Encor IIII lb. pour sa sencive l'an de xxm.
Item X lb. queii prestet à mons. pour la venue des Roiaulz à Gler-
mont.
Encor XVIII lb. dou dit Lyon lesquelz Jeh. Micheles at délivrey en
vins en losteil madame pour ce quil en rachetait les gages mons.
Guy d'Angleure quil estoit en gage en losteil le dit Lyon.
Item XL s. de dame Belle et Haquin son freire pour lor sencive à la
Toussaint lan de xxi.
Item XL s. de Josce de Sermaise pour sa sencive lan de xxi.
Item XL s. de Simon juyf demeurant à Revigney pour sa sencive
commensant as chandoiles lan de xxi.
Item XX s. de Josce de Goussanssuelles pour garde de quaresme
prenant lan xxi jusques à 1 an.
Item XX s. de lui pour sa garde dez quaresme prenant lan xxn
jusques à 1 an.
Item XX s. de Vive juyve, par Lyon.
Item XX s. de Henay juyve pour sa sencive lan de xxn.
Item XX s. de Lyonnet de Fîmes pour trespasseir par la terre
monss.
2S0 REVUE DES ETUDES JUIVES
Item LX s. de Salemin et Josson pour lor première sencive.
Ttem XX s. de Lyonnet de Ghaalons et Doucine sa meire pour lor
sencive à la S1 Jehan lan xxn.
Item XX s. de Benoiton de Ghauny pour sa première sencive à teil
terme.
Item XX s. de Denix et Lyonnet pour lor première sencive lan
XXJI.
Item XX s. de Benoiton marchant de Parix pour sa première sencive
à la S* Jehan lan xxn.
Item XX s. de Jenisce pour sa première sencive lan xxn.
Item XL s. de Haquinet de Rus pour sa première sencive lan xxn.
Item XX s. de Jacob freire Judaz de Suzanne pour sa première
sencive lan xxn.
Item XXX s. de Molin de S1 Mihiel pour sa première sencive lan
xxn.
Item XL s. de Jacob Gohoin pour sa sencive lan xxn.
Item X s. de Croissant nevou Croisant de Corbueilpour conduit.
Item X s. de Sonnet de Leheicourt pour conduit.
Item demi mar dargent (XXXVII sols VI deniers) de Mosce de Sens
à la Magdeleine lan xxn.
Item XL sols de Lyon de Baunes pour sa sencive dez la S1 Jehan
lan xxij jusques à un an.
Item XX sols de Haquin d'Arsiliares pour sa sencive à la Magde-
leiune lan de xxij.
Item X sols de Haquin messagier pour conduit.
Item XXV s. de Evronim à teil terme.
Item L s. de Morel de Baunes pour sa sencive dèz la S' Jeh. lan
xxn jusques à 1 an.
Item XXX s. de Morel de Chaalons pour sa sencive par teil terme.
Item demi mar dargent de Merot pour sa sencive lan xxn.
Item XL s. de Bon juyf pour sa sencive lan de xxn.
Item demi marc dargent de Helyet et Torine pour lor sencive lan
de xxn.
Item XX s. de Royne pour sa sencive lan de xxn.
Item XXXVI s. III deniers en XXX gros de Huguet de Coule-
miers pour sa sencive à la Magdeleine lan de xxn.
Item XXV s. de Salemin et son soror à teil terme.
Item XX s. de Chière famé Denix de Chatel Thierri à teil terme.
Item XX s. de Doucin le bouchier à teil terme.
Item XX s. de Saras et Rose à teil terme.
Item demi marc dargent de Sonnet à teil terme.
Item XXX s. de Mosce fil Sansonnet de Leheicourt à la Magdeleine
lan de xxn.
Item L s. d'Elye de Vertus et Sansonnet son fil à la S1 Remy lan
de xxin.
Item XXX s. de Buersatnée et Salemin son lil jusques à la Mag-
deleine lan xxn.
DOCUMENT SUR LES JUIFS DU BARK01S 2o1
Item XXX s. de TTorion la boitouze pour sa sencive par teil
terme.
Item L s. de Symon, sa meire, sa brus et sa seuire, demorans à un
conduit par teil terme.
Item LX s. de Gaye et Saire pour garde jusques à la Toussaint lan
XXII.
Item XXX s. de Jaquert d'Épences et David son sorourge par teil
terme.
Item XV s. de Jacob d'Arches et Jacob son serourge pour conduit
au dit lan xxn.
Item X s. en VIII gros de Croissant genre Lyotin pour conduit
jusques au dit jour.
Item LVII s. VI d. receus de i juyf qui ce combatit à un juyf de
Leheicourt.
Item XL s. de Perelz de Baumes pour sa sencive dèz la S1 Remy
lan xxn jusques à i an.
Item XII s. VI d. de Juza des la S1 Matheu lan xxn jusques à
la Pasques enseuguant
Item XII s. VI d. de Rose de Gorbueil par teil terme.
Item VIII s. de Belye famé Samuel Blondel par teil terme.
Item XII s. VI d. en X gros de Gosson Milepas par teil terme.
Ilem XX s. de Menissée de Tbiaucourt pour sa sencive dez la
S1 Matheu lan xxn jusques à i an.
Item XX s. de Samuel pour sa sencive dez la S1 Rémi lan de xxn
jusques à i an.
Item XV s. de Doucin pour sa sencive par teil terme.
Item XX s. de Croissant de Hondeville pour sa sencive par teil
terme.
Item XV s. en XII gros de Raham par teil terme.
Item X s. de Morel par teil terme.
Item XX s. en XVI gros de Haquin de Laye pour sa sencive par
teil terme.
Item XX s. de Gentilz par teil terme.
Item X s. de Judas de S1 Mihiel pour i sien enfant mort.
Item XX s. de Deusaye de Ste Menehoult pour sa sencive dez lan
neuf lan xxn jusques à i an.
Item XX s. de Salomin de Retel pour sa sencive à la S1 Symon et
S1 Jude lan de xxn.
Item XX s. de i juyf paratre Salomin de Gondrecourt.
Item XII s. VI d. de Denis de Ste Menehoult pour conduit dez Noeil
lan de xxn jusques à Pasques enseugant.
Item VII s. VI d. de Sare et sa compaigne demorans chies Lyon à
Revigney pour conduit par teil terme.
Item X s. de i juyf de Bar pour un enfant mort.
Item X s. de Haquin de Vitry pour conduit dez la S1 Vincent lan
xxi jusques à Pasques lan de xxn.
Item X s. de la fille Bonjuif qui fut morte.
252 BEVUE DES ETUDES JUIVES
Item XXX s. de Moyses juyf pour sa sencive dez les bures lan de
xxii jusques à i an.
Item XXX s. de Haquin de Reins par teil terme.
Item LX s. de Dey dou sap par teil terme.
Item L s. de Vivant de Mondidier par teil terme.
Item XXX s. de Vivant de Doucy par teil terme.
Item X s. de Croissant de Troion qui adons morut.
Item X s. de Melyot.
Item X s. de Deus (fils) de Sonnet de Mescrignes.
Item LX s. de Deulesault de Chasteltierri pour sa sencive par
i an.
Encor LXVIII s. doudit Deulesault pour le renouvelement de sa
lettre.
Item XXX s. de Mart et Bonne par teil terme.
Item XXX s. de Josep de Chaumont par teil terme.
Item XX s. de Benoit fil Deulegart par teil terme.
Item XX s. de Haquin de Feire par teil terme.
Item XX s. de Josep le prestre par teil terme.
Item VII s. VI d. en VI gros de Joyye de cens pour conduit jusques
à la quinzeinne de Pasques.
Item X s. de maistre Deuaye de Troies pour conduit par teil terme.
Item X s. de Jacob de Pontoise et Josep son peire pour conduit
par teil terme.
Item XV s. de Samuel de Pontoise pour conduit dez le lundi devant
la S1 Pierre jusques à Pentecouste.
Item XV s. de Vivelin de Bar pour conduit par teil terme.
Item X s. de Gaye et Sairon sa serourge pour conduit jusques au
mois de Pasques.
Item XXX s. de Juda d'Autreche et Moyses son nevou pour lor
sencive dez le mescredi lendemain de feste S1 Pierre en février jusques
à i an.
Item XX s. de Croissant Levesque par teil terme.
Item XX s. de Mosse de Mante par teil terme.
Item XX s. de Mosse serourge Jacob de Troignon par teil terme.
Item X s. de Gentil de Vertus pour conduit dez ledit mescredi
jusques à la quinzeinne de Pasques.
Item X s. de Bienvenue pour sa sencive dez le joedi jour de feste
S1 Mathie lan xxn jusques à i an.
Item X s. de Menissie et Bienvenue sa dame dèz le lendemain de la
dicte feste S1 Mathie jusques à i an.
Item XXX s. de Mosse de Colomiers pour sa sencive. dez le mardi
devant mi quaresme lan xxn jusques à i an.
Item XX s. de Bienliveigne de Passeavant pour sa sencive par
teil terme.
Item XX s. de Judaz de Colomiers pour sa sencive par teil terme.
Item XX s. de Josse nevou Mosse de Colomiers pour sa sencive
par teil terme.
DOCUMENT SUK LES JUIFS DU BARROIS 253
Item XXX s. de Ilabraham de Prouvins pour sa sencive dez le
mardi après mi quaresme lan de xxn jusques à i an.
tem XL s. de Mordchay et son aprentis par teil terme.
tem XL s. de Molin de Prouvins pour sa sencive par teil terme.
tem XL s. de Haquin de Prouvins pour sa sencive par teil terme.
tem L. s. de Merot de Trainel par teil terme.
tem XXX s. de Samuel de Coulons par teil terme.
tem XXX s. de Samuel Courtoix de Prouvins par teil terme.
tem XL s. de Jehie Courtois et son fil par teil terme.
tem XXX s. de Habraham de Nangis par teil terme.
tem XXX s. de Samuel de Villenesse par teil terme.
tem XXX s. de Jacob de Coulemiers et son genre par teil terme.
tem XXX s. de Sencinet de Bray par teil terme.
tem XXX s. de Vivelet de Nogent par teil terme.
tem XXV s. de Cretinet de Vesou par teil terme.
tem XXX s. de David le mire et Molin et son compaingnon par teil
terme.
tem XXX s. de Bonnevie de Bray par teil terme.
tem XL s. de Samuel Le Cloc ces ij genres et son clerc par teil
terme.
tem XXX s. de Samuel et Sanourey bouchiers par teil terme.
tem XXX s. de David de Dompierre par teil terme.
tem XXX s. de Belieste de Vesou pour sa sencive dez le mescredi
après mi quaresme lan de xxn jusques à i an.
tem XX s. de Bon Enfant dez le joedi après Pasques jusques à i an.
tem XX s. de Joyye Contesse et Charité par teil terme.
tem XX s. de Bonne de Prouvins et Nurieste sa suer par teil
terme.
tem XX s. de Curamin le bouchier par teil terme.
tem XX s. de Sensson la Vaute par teil terme.
tem XX s. de David de Chauloy par teil terme.
tem XL s. de Bonne Vie de Troies et Domim son fil par teil terme.
tem XXX s. de Mosse d'Avalon dez le venredi après mi quaresme
lan de xxn jusques à i an.
tem XX s. de Croissant le clerc de Miaulz par teil terme.
tem XX s. de Bonne Vie de Troies par teil terme.
tem XX s. de Habraham le Mire par teil terme.
tem XX s. de Doucin et Ghastelainne sa suer par teil terme.
tem XX s. de Benien et Rose suer sa famé par teil terme.
tem XX s. de Hagum d'Alemaingne par teil terme.
tem XX s. de Denix de Villemar par teil terme.
tem X s. dou fil Samuel bouchier mort à Revigney.
tem XL s. de Jacob de Coulemiers pour sa sencive dez Pasques
llories lan xxn jusques à i an.
tem XL s. de Sena freire Lyon par teil terme.
tem XX s. de Denix freire Lyon par teil terme.
tem XX s. de Haquin de La Neuveville au pont par teil terme.
254 REVUE DES ETUDES JUIVES
Item XX s. de la famé Bonne Vie de Troies qui fut morte.
Item L s. des enfans Salemin de Gondrecourt pour lor sencivc à
la S1 Rémi lan de xxij.
Item LVII s. VI d. de Olenoise famé Vincent de la Cerne pour
conduit.
Item XX s. de Lyon genre Salomin de Gondrecourt pour sa sen-
cive dez Pasques flories lan xxn jusques à i an.
Item XX s. de Terine de Troies et Haquinet son genre par teil
terme.
Item XXX s. de Senior et Josson son genre par teil terme.
Item XX s. de Vivant de Gompieingne dez le mescredi devant
Pasques flories le dit an de xxn jusques à i an.
Item XXX s. de Meniessie de S1 Florentin pour sa sencive com-
mençant à Pasques lan de xxin.
Item XXX s. de Benoit Pastoure pour sa sencive par teil terme.
Item XXX s. de Gopin de la Haye par teil terme.
Item LX s. de maistre Jacob d'Arches par teil terme.
Item XL de Lyon son fil par teil terme.
Item LX s. de Jossé de Vernon et Lyonnet son fil par teil terme.
Item XL s. de Croissant genre maistre Jacob d'Arches par teii
terine.
Item LX s. de i juys de Ghaalons qui se combatit à i aultre juys
pour amende et doit demorer de sous monsr de Pasques, lan xxjii
jusques à i an.
Item L s. de Mosce pour sa sencive de Pasques lan de xxin.
Item XX s. delà famé Judaz morte.
Item XX s. de Gehie d'Aubenaille pour sa sencive dez le grant
joedi lan de xxn jusques à i an.
Item XX s. de Merot mort.
Item XXX s. de Bonjuyf fil Bon juyf de Troyes pour sa sencive
dez la tierce feste de Pasques lan de xxij jusques à i an.
Item XX s. de Moraul de S1 Marc freire Vivant de Bar pour sa
sencive dez le mescredi après Pasques lan de xxiij jusques à i an.
Item XX s. de Miriam de Vitry et Guietle sa fille pour sa sencive
par teil terme.
Item XX s. de Salemin Coquert pour sa sencive pour i ancommen-
sant lendemain de Quasimodo.
Item X s. de Lyon le preste par teil terme.
Item XX s. de Josce genre Jacob de Pontiz et son serourge par
^teil terme.
Item XL s. de Hagin Blondel pour sa sencive dez environ la
S1 Rémi lan xxn jusques à i an.
Item XL s. de Sanourey de Vesou pour sa sencive dez le mardi
après la quinzeinne de Pasques jusques à i an.
Item XL s. de Lyon de Fîmes par teil terme.
Item XL s. de Denix de S* George par teil terme.
Item XXX s. de Jacob freire la famé Denix pour sa sencive pour
DOCUMENT SUR LES JUIFS DU BARROIS 25S
i an commensant le jour de la translation Si Nieholaïs lan de xxin.
Item XX s. de Ilaquin cusin Nascem de Fou pour sa sencive par
i an commensant le jour de la S1 Jaque et S1 Phelippe may entrant
lande xxiii.
Item XL s. de Benion filiatre Sonnet et Baru d'Orliens pour lor
sencive par teil terme.
Item XX s. de Royne d'Orliens Haquin son nevou, Habraham Lein-
gloix, Samuel Leingloix et Benoit Cohein pour conduit dez le mes-
credi après la quiuzeinne de Pasques lan de xxiii jusques à la Mag-
deleinne.
Item X s. de i enfant Molin de S1 Mihiel mort.
Item XXX s. de Judaz de Provins, Denix de la Fertey et Hagin de
Baumes pour lor sencive par i an commensant le dimenge jour des
m semaines de Pasques lan de xxiii.
Item XX s. de Morel de Chauny pour sa sencive commensant le
jour de la S' Jaque et S1 Phelippe may entrant lan de xxiii.
Item XX s. de Perels genre Nascem pour sa sencive par teil terme.
Item XL s. de Flor de Lix, de Bienvenue et de sa suer pour lor
sencive dez le mardi devant la S' George jusque a i au.
Item XX s. de Cochet de Montoix pour sa sencive dez le mescredi
devant la dite S1 George lan de xxiii jusques à i an.
Item XXV s. de Jacob de Biaulquene et de Buerfumée sa suer par
teil terme.
Item XV s. de Mosse de Ghonny par teil terme.
Item XX s. de Habraham Raphaël et Vivant son compaignon par
teil terme.
Item L de Vivant de Verbire et la merie sa famé pour lor sencive
dez le venredi devant la dite S1 George jusques à i au.
Item XL s. de Lyon freire le dit Vivant par teil terme.
Item XXX s. de Mosse de Nuilley serourge le dit vivant par teil
terme.
Item XX s. de Jacob Cohein mort.
Item XX s. de Char de Ribaut mort.
Item C s. de Rubi Lyon de Corbueil pour sa sencive à la S1 Jehan
lan de xxn et en at lettres de monsr.
Item C s. de Vivant de Chastel Thieri pour sa sencive à teil
terme.
Item XX lb. de Helyet de Gousansuelles pour les sencives de mi
juys au dit terme et en ont lettres de monsr.
Item demy marc dargent (XXXVII s. V d.) de Josse Batheleir à teil
terme.
Item C s. de Dey dou sap. seurre Nascem de Fou pour sa sencive
pour teil terme.
Item IX s. VIII d. tournois vies de Belenson juyve qui sen alat
par escort fait à li par maistre Jaque de S Mihiel.
Item XX s. adons de Lyon de Sethenay par Jaquet clerc jurey de
S' Mihiel.
236 REVUE DES ETUDES JUIVES
Item viij s. iij den. tournois de Benoiton par ledit Jaquet.
Relevé summe de juys IIIIC XIIII 1b. XX d.
SUMME TOUTE DE REGEPTE DE DENIERS XIXM LXIX LB.
XIII S. IX D.
Item receu GII lb. VI s. VIII d. de Jehan de S1 Mihiel jadiz rece-
veur en CI florins de Florence pour XVI s. VIII deniers la pièce, en
XVI florins à laigoel pour XIX s. II deniers la pièce, en i dur florin
pour XXIX s. II d. et en XXII gros pour XV d. la pièce, liqueil
deniers furent priz suz les Juys de Leheycourt quan on fit l'inven-
toire des biens des juys de la comtei de Bar.
EncorIXxxXVI lb. XIIII s. receuz de Jaquet Massart en petiz
florins pour XVI s. VIII deniers la pièce, liqueil deniers furent
prix en l'inventoire des juys de Bar, de Gondei, de Savonnieres ne
Pertoix et de Longeaue.
Et doivent valoir en n parties IIIe lb. dont il fault XIX s. IIII d.
et ne sais le receveur comme il les at receuz.
Gommandei à reporter la certaineté aus comptes et de cui ce fut
et combien ; ciz comptes des juis nest mies acceptez, jusques atant
quon en at parlei à nions1'.
Ensi summe toute de recepte de deniers XIXM IIIe LXIX lb. XIII
s. IX d.
Require encor altre recepte de deniers retroversus, fines qui monte
à VM 1111e XXXIII lb. XI s. IX deniers.
Tableau alphabétique des noms géographiques qui se
trouvent dans le manuscrit1.
Arches : Arches-sur-Moselle ; ancien département de la Moselle.
Aubenaille.
Avalon : Avallon, sous-préfecture, Yonne.
Alemaingne : Allemagne.
Arsiliares : Arzillières, Marne.
Autriche.
Bar : Bar-le-Duc, Meuse.
Baune, Beaune, Côte-d'Or.
Biaulquène : Beaucaire.
Bray, arr. Provins, Seine-et-Marne.
1 Nous reproduisons sans explication les noms que nous n'avons pas pu identifier.
DOCUMENT SUU LUS JUIFS DU BARROIS 237
Chaalons : Châlons-sur-Marne, Marne.
Ghamiy : Ghamoy, Aube ; ou Ghamigny, Seine-et-Marne.
Gharny, Meuse, arr. de Verdun, canton de Gharny.
Ghastel-Tieri : Château-Thierry, Aisne.
Chauloy : Choloy, Meurthe-et-Moselle, canton de Toul.
Ghaumont : Chaumont, Haute-Marne; ou Ghaumont, Meuse.
Ghauny, arr. Laon, Aisne.
Ghonny : Chauny.
Gens : Sens, Yonne.
Glermont : Clermont en Argonne, Meuse.
Compiègne : Gompiègne, Oise.
Colomiers, Colmiers, Goloms, Coulons : Goulommiers, Seine-et-
Marne.
Condei : Gondé, arr. Bar-le-Duc, Meuse.
Gorbueil : Corbeil, Seine-et-Marne.
Goussanssueles : Cousancelles, arr. Bar-le-Duc, Meuse.
Dompierre : Dampierre, arr. Arcis-sur-Aube, canton Ramerupt,
Aube.
Doucy : Doucey, Marne, arr. de Vitry , canton d'Heiltz - le -
Maurupt.
Épences : Épanse, Marne, arr. de Sainte-Ménehould, canton de
Dommartin-sur-Yèvre.
La Feire : La Fère champenoise, Marne.
La Fertey : La Ferté-sous-Jouarre, Aisne.
Fimes : Fismes, arr. Reims, Marne.
Fou : Foug, arr. de Toul, Meurthe-et-Moselle.
Gran : Grand, arr. Neufchâteau, Vosges.
Gondreeourt : arr. Gommercy, Meuse.
Hondeville : Hadonville ou Haudainville, Meuse.
Ileudicourt : arr. Gommercy, Meuse.
La Cerne.
La Haie : peut-être Halles, Meuse.
La Haye : Lahaye, arr. Bar-le-Duc.
Laye : Laye-Saint-Remy, Meurthe-et-Moselle.
Leheicourt : Laheycourt, arr. Bar-le-Duc, Meuse.
Longeau : arr. Bar-le-Duc, canton de Ligny, Meuse.
Mescrignes : Mécrin, arr. Gommercy.
Mante : Mantes, Seine-et-Oise.
Moudidier : Montdidier, Somme.
Miaulz : Meaux, Seine-et-Marne.
Montoix : Montoie, petit pays de l'ancienne France entre Provins
et Bray.
Mulley.
Naugis, Seine-et-Marne.
Neptoncourt : Nettancourt, arr. Bar-le-Duc, Meuse.
Nogent : Nogent-sur-Seine, Aube ; ou Nogent, canton Ramerupt,
arr. Arcis-sur-Aube, Aube.
T. XIX, n° 38. 17
258 REVUE DES ETUDES JUIVES
La Neuveville-au-Pont : Neuville-au-Pont, Haute-Marne.
Nuilley : Neuilly, dans l'Yonne ?
Orliens : Orléans, Loiret.
Paris.
Passeavant : Passavant, Marne, arr. et cant. de Sainte-Ménehould.
Pontiz.
Pontoise : Pontoise, Seine-et-Oise.
Pouliz : Pouilly, Meuse, arr. de Montmédy, canton de Stenay.
Prie : peut-être Pretz, arr. Bar-le-Duc, Meuse.
Prouvins : Provins, Seine-et-Marne.
Reins : Reims, Marne.
Retel ; Réthel, Ardennes.
Revigney : Revigny, arr. Bar-le-Duc, Meuse.
Ribaut.
Rus : Rupt-aux-Nonnains, arr. Bar-le-Duc, Meuse.
Savoniers : Savonnières en Pertois, arr. Bar-le-Duc, Meuse.
Selenson : Selens, Aisne ?
Sermaise : Sermaize, arr. Vitry-le-François, Marne.
Stenay, arr. Montmédy, Meuse.
St-Florentin : St-Florentin, Yonne, arr. d'Auxerre, canton de St-
Florentin.
St-Georges : St-Georges, Yonne, arr. et canton d'Auxerre.
St-Marc : St-Marc-sur-Seine, Côte-d'Or, arr. de Châtiilon-sur-Seine,
canton de Baigneux-les-Juifs.
St-Mihel : St-Mihiel, arr. Gommercy, Meuse.
Sens, Yonne.
Sethenay : Stenay, Meuse.
Suzanne : Sézanne, arr. Épernay, Marne.
Thiaucourt, arr. Pont-à-Mousson, Meurthe-et-Moselle.
Trainel, arr. Nogent-sur-Seine, Aube.
Troie, Troies : Troyes, Aube.
Troignon : aujourd'hui Heudicourt, arr. de Gommercy, Meuse.
Troion : Troyon, arr. Gommercy, Meuse.
Verviers: Verbire, province de Liège, Belgique.
Vernon, Eure.
Vertus, arr. Épernay, Marne.
Vesou : Vesoul, Haute-Saône (V).
Villemard : Villemerron (?) : Aube, arr. de Troyes, canton d'Aix-en-
Othe.
Villenesse, Aube, aujourd'hui disparu.
Vitry, Marne.
DOCUMENTS INEDITS
SUR
LES JUIFS DE MONTPELLIER
AU MOYEN AGE
La communauté israélite de Montpellier était, au moyen âge,
une des plus importantes du Languedoc. Son premier établisse-
ment remonte à la seconde moitié du xie siècle de l'ère chré-
tienne. C'est, du moins, ce qui paraît résulter du testament de
Guillem V, daté de l'année 1121. Le seigneur de Montpellier y
défend à ses héritiers d'instituer dans son domaine des bailes
juifs1. Or, l'on sait qu'à Montpellier ces fonctions étaient élec-
tives. Il fallait donc que les Juifs fussent établis dans cette ville
depuis un certain nombre d'années, et arrivés à une situation
assez considérable, pour que Guillem V se fût cru obligé de leur
interdire l'accès d'un des postes importants de l'administration
publique.
Nous avons eu la bonne fortune de découvrir aux archives
municipales de la ville de Montpellier, quelques documents rela-
tifs aux Juifs de cette ville. Nous publions ici ces documents en
les faisant précéder d'une analyse explicative.
Document n° I.
Au commencement du xme siècle, le midi de la France était
1 Dom Vaissète, Histoire générale du Languedoc, t. II, preuves 416. — La même
prohibition est reproduite dans les testaments de Guillem VI, en 1148, de Guillem
Vil, en 1172, et de Guillem VIII, en 1202. — Guillem VIII cependant, tout en
excluant, à l'exemple de ses prédécesseurs, les Juifs de la bailie, se servait d'eux
comme percepteurs et receveurs des impôts. C'est au Juif Saltel que cette fonction est
confiée en 1201 [Mémorial des Nobïes, fol., 107). — Le même Saltel ligure au
nombre des témoins instrumentaires dans une quittance de 1197 dont nous parlerons
plus loin.
260 REVUE DES ETUDES JUIVES
profondément troublé par la guerre des Albigeois. Dans la croi-
sade conduite par Simon de Mont fort, contre les hérétiques, les
Juifs ne furent pas toujours épargnés. Lorsque les troupes de
Simon de Montfort entrèrent dans Béziers, deux cents Juifs
furent passés au fil de l'épée et beaucoup d'autres jetés en prison.
L'histoire, heureusement, ne relève aucun fait de ce genre à
Montpellier. Les Consuls de la ville, jaloux des libertés et des
privilèges de leur commune, firent de grands efforts pour empê-
cher Simon de Montfort de pénétrer dans leur cité, ils résolurent
d'en faire garder jour et nuit les remparts. Notre document1 nous
fait assister au curieux démêlé qui éclata, à cette occasion, entre
les Consuls et les représentants de la communauté israélite2. Non
contents de soumettre les Juifs à une taxe exorbitante, les Consuls
exigeaient encore qu'ils fournissent, tant pour la garde que pour
la défense de la ville e omnes quadrillos », toutes les flèches
dont on pourrait avoir besoin pendant la durée du siège de Mont-
pellier ou des châteaux de Castelnau et de Lattes. Invoquant, en
outre, un engagement que les Juifs auraient autrefois pris envers
les seigneurs de Montpellier, ils leur demandaient de livrer toutes
les flèches nécessaires à l'armée que l'on pourrait un jour se voir
dans l'obligation de former. Les Juifs protestèrent vivement contre
une imposition aussi lourde, et prétendirent n'être tenus qu'à une
taxe bien inférieure (deux saumates de fer3 « duas saumatas ferri
ad opus quadrillorum »), et cela seulement dans le cas où l'ennemi
viendrait à mettre le siège pendant deux ou trois jours devant
Montpellier ou ses châteaux forts; ils ajoutèrent que, si jamais
eux ou leurs prédécesseurs avaient consenti à la fourniture d'une
aussi grande quantité de flèches, ce n'était point en vertu d'un
droit ou d'un engagement pris, mais uniquement par crainte ou à
la suite d'un acte de violence. L'enquête faite par les Consuls con-
firma en tous points l'assertion des Juifs. Désirant cependant
éviter à l'avenir, dans l'intérêt bien entendu de leur ville, toute
nouvelle discussion, les Consuls conclurent avec les Juifs le traité
suivant4 :
4° Si une armée se présente devant Montpellier ou les châteaux
1 Pièces justificatives, n° 4.
2 Le document que nous publions donne leurs noms, à côté de ceux des consuls, au
commencement et à la lin de la pièce : Bonisach, Bonet, fils d'Abram, Jusce de Lunel,
David, fils de Guersom, Mossé, fils de Mairon, Bonjusce du Gastel et Vivas, fils de
Jacob.
3 Une saumate équivaut à une charge d'un âne ou d'un mulet.
4 Ce traité entre les Juifs de Montpellier et les Consuls de cette ville fut renouvelé,
au mois de janvier 4373, par Estienne de Clapiers, baile de Montpellier pour le roi de
Navarre (Arch. mun., Cass. de Louvet, D. XX).
DOCUMENTS INEDITS SUR LES JUIFS DE MONTPELLIER 261
de Castelnau et de Lattes et y campe pendant plus de deux jours, les
Juifs fourniront, dès la première heure du troisième jour, tant pour
la garde que pour la défense de la ville, vingt mille flèches « viginti
milia quadrillorum balistarum » de « croc » qu'ils tiendront, d'ailleurs,
toujours prêtes.
2° Si la dite armée, après la livraison par les Juifs de ces flèches,
lève le siège de Montpellier ou de ses châteaux, mais revient de-
vant ces lieux dans les trois mois, comptés à partir du jour de sa
retraite, les Juifs ne seront pas tenus de fournir vingt mille autres
tlèches.
3° Mais, si la dite armée revient après les trois mois, comptés à
partir du jour de son retour, une nouvelle imposition de vingt mille
flèches sera réclamée des Juifs.
4° Si une autre armée, après la retraite de la première, vient assiéger
Montpellier ou ses châteaux et campe autour de leurs murs pendant
deux jours, pareille quantité de tlèches sera exigée des Juifs.
5° Les Juifs sont dispensés, eux et tous leurs successeurs, de toutes
les autres taxes auxquelles les Consuls voulaient les soumettre.
Documents nos II-IV.
Il est inutile de dire que les Juifs de Montpellier et de la région
subirent les vexations qui étaient le pain quotidien des Juifs au
moyen âge. En 1252, le roi Jayme Ier intervint en leur faveur et
enjoignit à son intendant, G. de Rochefeuille, au baile, R. de
Conques et aux Consuls de ne plus tolérer, à l'avenir, qu'ils
fussent molestés d'aucune façon *.
« Quoique les Juifs soient sous le joug de la servitude dans
» presque toutes les terres des princes chrétiens, dit le roi d'Ara-
» gon et de Majorque dans sa charte d'amnistie du 10 décembre
» 1258, il ne convient pourtant pas de les humilier, de leur faire
» subir de mauvais traitements ni de leur causer aucun préjudice
» dans notre juridiction2, *
Le Concile de Montpellier, de 1258, déclara qu'à l'avenir nul
contrat fait par un Juif ne serait reconnu valable qu'autant que
ce dernier n'eût, à l'avance, prêté serment sur la Loi de Moïse
« sacra lege mosaïca ». Le Concile stipula, en outre, qu'il suffirait
à un chrétien de jurer qu'il y a usure pour qu'il fût aussitôt dé-
1 Archives municipales de Montp., Grand Thalamus, fol., 44 v°.
2 Quia vero Judei 1ère in terris omnibus Christianorum principuru subjacent
servituti nos consulibus hnjus ville, présentions et futur is, tirmiter precipimus
quod judeis hic morantibus, vel in posterum moraturis, nullam exactionera seu de-
mandam l'aciant, in jurisdictionis nosiro prejudicium seu honoris (Arch. rnun..
Grand Charlrier, Arm. A, Cass. IV, n° 7 quater, et Graud Thalamus, fol., 47 v°).
262 REVUE DES ETUDES JUIVES
chargé de sa dette1. Jayme Ier lui-même, dont les sentiments
bienveillants envers les Juifs s'étaient maintes fois manifestés,
céda, au mois" d'avril 1259, aux plaintes qui s'élevaient contre eux
de la part de débiteurs ruinés ou de mauvaise foi, et consacra la
mesure édictée par le Concile. Il ordonna, en conséquence,
qu'avant de faire un contrat, les Juifs fussent tenus de jurer sur
la Loi de Moïse, comme les chrétiens sur les Evangiles, qu'ils ne
se sont livrés à aucune fraude ni usure. Défense fut également
faite aux notaires de recevoir aucun contrat usuraire *.
Forts du décret de ce Concile, les Consuls de Montpellier élabo-
rèrent un règlement par lequel ils défendirent aux Juifs de prêter
aucune somme à intérêt, par écrit ou autrement, à tout chrétien
âgé de moins de vingt-cinq ans, à l'insu et sans l'exprès consen-
tement de ses parents, et annulèrent tout contrat fait contraire-
ment à cette défense 3.
Les Consuls dès lors donnèrent libre carrière à leur antipathie
contre les Juifs. Les plaintes les plus mensongères leur servirent
de prétexte pour sévir contre eux et les poursuivre avec la der-
nière rigueur. Jayme Ier remédia à cet abus et, dans une ordon-
nance du 1er février 1266-67 4, datée de Montpellier, régla comme
suit la procédure contre les Juifs :
!" Avant le prononcé d'un jugement contre un Juif, le baile lui
accordera un délai de quatre jours pendant lequel il pourra, s'il le
juge à propos, se concerter avec des hommes versés dans la science
du droit. Le baile, assisté de deux jurisconsultes expérimentés, ne
pourra infliger la question ni rendre l'arrêt qu'après avoir pris con-
naissance des arguments allégués pour sa défense par le Juif et par
son avocat. Toute information faite contre un Juif par toute autre
personne que le baile sera de nul effet.
2° Nulle information, non précédée d'une accusation ou d'une
dénonciation, dont l'auteur aura son nom inscrit en tête de l'enquête,
ne sera faite ni ne pourra être faite contre un Juif, sans qu'elle soit
frappée de nullité. Après la constatation de l'accusation ou de la
dénonciation, les accusateurs ou les dénonciateurs seront tenus de
présenter au baile deux garants bons et solvables pouvant répondre,
le cas échéant, des conséquences de la procédure. A défaut de
preuves, l'accusateur sera puni de la peine du talion, et le dénoncia-
teur condamné à une forte amende
3° Le Juif aura entre ses mains la copie de l'acte d'accusation ou
1 Labbe, Concîl., XI, 781 ; cf. d'Achéry, Spicileg., I, 725, et Gariel, Ser. Praes.,
I, 383.
2 Arch. mun., Arra. D. Cass. XX, n° 3.
3 Petit Thalamus, p. 139 et 140.
4 Pièces justificatives, n° 2.
DOCUMENTS INEDITS SUR LES JUIFS DE MONTPELLIER 263
de dénonciation ; il pourra, s'il le juge convenable, consulter des
hommes experts sur cet acte, qui devra contenir avec les noms des
deux garants celui de l'accusateur ou du dénonciateur.
4° Nul Juif pouvant fournir une caution suffisante ne sera maintenu
en prison pour dette, crime ou toute autre cause, si ce n'est pour un
crime entraînant le dernier supplice.
5° Le baile de Montpellier s'engagera chaque année, par serment,
à faire exécuter le présent règlement.
On ne tint aucun compte à Montpellier de cette ordonnance si
libérale. Aussi le roi d'Aragon se vit-il obligé, le 25 octobre 1268,
d'en rappeler la teneur au baile et de lui intimer l'ordre de s'y
conformer ponctuellement '.
Les deux ordonnances dont nous venons de parler furent enre-
gistrées à Montpellier, le 2 avril 1269, par devant le notaire Lau-
rent Michel, sur les instances de Ferrier Bonafos, syndic de la
Communauté juive de Montpellier « ad instantiam et postulatio-
nem Ferrarii Bonafos, judei, qui dicebat se esse sindicum totius
universitatis Judeorum Montispessulani in parte dicti domini
régis habitantium ». Nous publions également aux Pièces justifi-
catives le certificat par le notaire de la transcription de ces deux
actes2.
Document n° V.
La synagogue de Montpellier, ainsi que nous l'apprend l'acte de
vente de 1277 3, se trouvait dans la rue de la Barallerie. La mai-
son que concerne cet acte était située près de cette synagogue
« sita in Montepessulano juxta sinagogam Judeorum ». Elle avait
été vendue par, Hugo Robert et Alamande, sa femme, aux Juifs
Bonisach, le gros, Jacob, de Locherva (?), Jacob, fils de Bomraan-
cip, Provençal, Bonastruc, de Pignan, Abram, d'Alet, etc. Les
droits auxquels elle était assujettie n'ayant pas été acquittés, elle
tomba en commise et devint la propriété du roi d'Aragon.
Jayme II, par faveur spéciale, la céda, avec bail emphytéotique,
« in acapicum sive in emphiteosim perpetuam », aux représen-
tants de la Communauté Israélite, Jacob, de Lunel, Tauros de
Beaucaire, Ferrier Bonafos, Bondia, de Beaucaire, Isaac, de
Locherva (?) et Abram, de Béziers, sous la réserve d'une redevance
annuelle de cinq sous Melgoriens. Le roi d'Aragon exigea, en
1 Pièces justificatives, n° 3.
2 Pièces justificatives, n° 4.
3 Pièces justificatives, n<> 5.
264 REVUE DES ETUDES JUIVES
outre, des Juifs de Montpellier, cent livres de Melgoriens pour le
bail qu'il avait consenti à leur faire. On remarquera dans cet
acte de vente la clause particulière par laquelle Jayme II
exclut les Juifs habitant la partie épiscopale de la faveur accordée
à leurs coreligionnaires placés sous la dépendance des seigneurs
laïques *.
A côté de la synagogue se trouvait l'établissement spécial où se
baignaient les femmes, mptt. La plus grande partie en a été con-
servée dans un des sous-sols de la maison Espéronnier 2. Le cha-
noine d'Aigrefeuille a fait une description à peu près exacte de ces
bains des Juives3.
La Communauté israélite avait aussi son cimetière; il était
situé entre les portes de la Saunerie et de Saint-Guillem. Jayme Ier
en fit don aux Cisterciens de Valmagne qui y établirent un collège
de théologie. Un document de 1263 met ce fait hors conteste. On
y lit en effet : « Noverint universi quod, cum nos Jacobus da-
mus et concedimus, per nos et successores nostros, monasterio
Vallismagne, et vobis fratri Bertrando abbati, et conventui mona-
chorum ejusdem, et successoribus vestris in perpetuum, totum
illum locum ab integro, quem habemus in Montepessulano, prope
illum furnum nostrum, et juxta hortum et domos Vallismagne
antiquas, in quo Judei Montispessulani sepeliri solebant. . . 4 »
Mais si le seigneur de Montpellier jugea à propos de s'emparer du
cimetière des Juifs, il imposa cependant à Bertrand, abbé de Val-
magne, l'obligation de contribuer aux dépenses que nécessitèrent
l'exhumation et la translation des ossements de leurs mprts dans
un autre terrain. A cet effet, l'abbé Bertrand accorda, par traité
spécial, à la Communauté de Montpellier une indemnité de dix
livres de Melgoriens 5.
Ce nouveau cimetière était situé au faubourg de Villefranche,
entre le séminaire actuel et Boutonnet G. Il fut vendu, en 1306, par
1 Au moyen âge la ville de Montpellier était divisée en deux villes distinctes, sépa-
rées par la ligne continue des rues du Pila St-Gély, de la Monnaie, de Saiote-Foy et
de la Grand'rue. D'un côté, vers le Peyrou, était Montpellier, capitale des Guillems :
de l'autre, vers l'Esplanade, Montpelliéret, fief des évêques de Maguelone. Voir Ger-
main, Hist. de la Commune de Montp., t. III, p. 350. En 1292, Bérenger de Frédol,
évêque de Maguelone, céda au roi de France, Philippe le Bel, les Juifs qui résidaient
à Montpelliéret, en se réservant toutefois la moitié du produit des cens, lods et usages
auxquels ils étaient assujettis. — Arch. dép., Registre des Lettres-royaux concernant
l'évêché de Maguelone, fol. 4 et 8. Cf. Cart. de Maguelone, Reg. B. fol. 161 et
Reg. D. fol. 136.
2 Cette maison porte le n° 1 de la rue de la Barallerie.
3 D'Aigrefeuille, Hist. de Montp., t. II, p. 548.
* Germain, ouvr. cité, t. III, p. 414.
5 D'Aigrefeuille, ouvr. cité, t. III, p. 602.
6 Gariel, Ser. Praes., p. 436. Cf. Germain, t. III, p. 255.
DOCUMENTS INEDITS SUR LES JUIFS DE MONTPELLIER 265
Philippe le Bel lors de l'expulsion des Juifs de Montpellier. En
1319, le roi Sanche autorisa les Israélites à le racheter moyennant
cinquante livres de Melgoriens l. Les Juifs possédaient également
une boucherie spéciale; elle leur fut accordée, en 126T , par
Jayme Ier, au cours d'un voyage qu'il fit, à cette époque, à Mont-
pellier. Un règlement de police du 6 mai 1368 interdisait aux
bouchers chrétiens de vendre ou de faire vendre de la viande aux
Juifs. Ils auront pour cela, ajoute ce règlement, un endroit spécial
qui leur sera indiqué 2.
Documents nos VI-VII.
Les Juifs occupaient à Montpellier un quartier particulier. Ce
quartier fut tantôt le faubourg de Villeneuve ou de la Saunerie,
tantôt la place des Cévenols, aujourd'hui place de l'Herberie,
tantôt la rue de la Barallerie « Sabatarié », aux environs de la
Canourgue et du Palais3. C'est dans cette rue et près du car-
refour de Castelmoton qu'un document de 1365 nous les montre
établis4. Le duc d'Anjou, écoutant les plaintes que les Consuls lui
avaient adressées de la part des habitants des faubourgs, que la
commune clôture ne mettait point à l'abri des incursions des gens
de guerre, ordonna au baile de Montpellier de faire sortir, sans
délai, les Juifs du quartier qu'ils occupaient « ex sua ubertate
peccunie et aliquorum potencia » et de les reléguer dans la rue
de la Vacherie « Vacaria » près de la porte de la Saunerie.
Le conservateur sous délégué par le comte d'Etampes, gardien
des privilèges des Juifs, était, à cette époque, M0 Pierre Taurel.
Ayant appris que le baile de Montpellier avait exécuté le mande-
ment du duc d'Anjou et continuait à connaître des affaires des
Juifs, il le fit assigner par devant lui et, faute d'avoir comparu,
lui infligea une amende de quatre cents marcs d'argent. Le baile
en appela au roi et au duc d'Anjou. Celui-ci, à la prière des
Consuls, supprima l'amende et ordonna au gouverneur de Mont-
1 Gariel. Ser. Pracs., p. 448. — D'après le même historien {Idée générale di la
Ville de Montpellier, p. S), on aurait trouvé sur l'emplacement de ce cimetière « un
marbre qui portoit une chaisne semée de larmes et de certains mots hébreux qui
signifioient : Nous ne sommes même pas libres dans nos tombeaux et la mort qui
deslie les autres nous tient toujours liés ».
s Petit Thalamus, p. 166.
3 Gariel, ouvrage cité, lre partie, p. 436 ; et Germain, Hi^t. de la Commune de
Montpellier, t. III, p. 361. — D*Aigrefeuille, Uist. de Montp., t. II, p. 54S. —
Germain, ouvrage cité, t. III, p. 246.
4 Pièces justificatives, n° 6.
266 REVUE DES ETUDES JUIVES
pellier de ne pas souffrir que le baile fût poursuivi ou inquiété
pour ce fait l.
Document n° VIII.
Les registres des notaires de Montpellier renferment un grand
nombre de documents relatifs aux Juifs de cette ville; ce sont
pour la plupart des reconnaissances d'emprunts, etc. Nous en
avons dépouillé les sept premiers folios et voici les noms des Juifs
qui y figurent 2 :
Profag, fils de Vivas, deNosséran (commune du Gros, canton du
Caylar, arrondissement de Lodève) ; Jaco ou Jacob et son frère
Vivas, de Nosséran ; Isaac, d'Avignon; Bon Senhor, fils d'Isaac ;
Durant, fils deBonafos, de Nîmes ; Vidas, fils de Salve, de Nîmes ;
Mossé, de Béziers, médecin . ; Grescon ou Crescas Cohen ; Bonanas
ou Bonanasc, de Béziers; Jusse ou Joseph, fils de Jacob, de
Bollène ; Astrugue, sa femme.
D'autres noms juifs nous ont été conservés par le Mémorial
des Nobles; ce sont ceux de : Mossé, fils d'Abraham, Maimon,
fils d'Abraham et Bonet, fils d'Abraham. Ils sont cités dans la
Révision des rôles de censive de la ville de Montpellier, faite au
mois de mars 1201 3,
Le même recueil contient trois quittances délivrées, les deux
premières, en 1196, à Guillem VIII, seigneur de Montpellier, par
Salve et Mossé de Posquières (Vauvert), Bonastruc, de Montels,
David, fils de Blanche, et Mossé, fils de Mairon. La troisième de
ces quittances a été donnée, en 1197, à Agnès, seconde femme
de Guillem VIII, par David Cohen, fils de Salomon, de Lunel.
Plusieurs Juifs figurent comme témoins instrumentales dans ces
documents. Ils s'appellent : Abram Rufus, Bonet, son fils, Fosset,
Maimon, Jacef, Abram de Mairon, Mossé de Mairon, Abraham,
son frère, Bondias, Saltel, Mossé, frère de David, Mossé de
Lunel.
Document n° IX.
Les Juifs prêtent le serment dans les mêmes termes que les"
chrétiens. Ils s'engagent simplement « bona fide, sine dolo, sine
1 Pièces justificatives, n° 7.
2 Pièces justificatives, n° 8.
3 Mém. des Nobles, fol. 78, 79 et 80.
DOCUMENTS INÉDITS SUR LES JUIFS DE MONTPELLIER 267
omni dolo »; ils ne jurent pas sur la Loi de Moïse. D'autres fois
l'engagement pris par le Juif « bona fi de » ne suffisait pas, il était
encore obligé de prêter serment sur le livre dp la Loi. C'est
suivant cette formule, ainsi que nous l'apprend un document
de 1390, que Salomon Bon Senlio, Juif d'Alais, s'engage envers
Pierre Roque, de Saint- André-de-Crugôre (Gard), en son propre
nom et au nom de Thoron Marma, Juif de Montpellier; il jure
« bona fide et super quodam libro legis ipsorum Judeorum, in
quo idem Salomon, ut dixit, assuetus in contractibus et aliis est
près tare juramentum ».
La formule môme du serment n'a pas été insérée dans le
contrat, suivant l'usage généralement adopté par les notaires1.
L'article 121 de la Charte d'Alais, de 1200 2, nous autorise
à croire que ce serment était identique à celui que les Juifs
du midi de la France étaient tenus de prêter dans certaines
occasions.
Nimes, le 27 novembre 1889.
Salomon Katin.
PIECES JUSTIFICATIVES
i.
Traité entre les juifs de Montpellier et les consuls de cette
ville au sujet de la défense de montpellier.
1208 (12 mai).
In nomine Domini, anno ejusdem incarnationis millesimo ducen-
tesimo octavo, quarto idus Madii, omnibus et singulis presentibus
1 Voir Saige, Les Juifs dio Languedoc, p. 53.
2 Cet article est ainsi conçu : Sacramentale judeorum fiât de cetero sicut in sacra-
mentali antiquo contioetur, et interrogatio et responsio fiât sicut in eo continetur. Cf.
Petit Thalamus, Livre des Serments, art. 16, p. 68. — L'article 55 de la Charte de
1200 s'occupe également des Juifs. « Conslituemus, ainsi s'expiime-t-il, ut inter
christianos et judeos, quos pro sola humanitate sustinemus, in habitu vestium mani-
festus habeatur delectus, ut facile. Judei a quovis discernantur ; et eis indicimus ut
habitum déférant dissimilem habilui christianorum Prœterea eis districte diebus et
precipuis festis nostris, ne sub oculis christianorum id est ut a christianis possint
videri ; sed clausis jaunis et occulte operentur licita. Forciùs et sub pena corporum
inhibemus ne in publicum audeant aparere quinta et sexta et septima f'eria ante
pascha nostrum. »
268 REVUE DES ETUDES JUIVES
et futuris pateat et certum sit quod discordia et controversia erat
inter duodecim consules Montispessulani, scilicet Johannem Bocados ,
Guiraldum Raimundum , Stephanum Tabernarium , Bertrandum
medicum, Johannem de Gaza, Guillelmum de Veranias, P. Bauzilium,
Rainaldum Stornellum, Gerardurn Tahonem, Salvaire, P. Porcellum
et Bernardum Grès, petentes pro se et pro tota universilate Montis-
pessulani, ex ima parte, et Bonisachura et Bonetum, filium habrahe,
et Jusce de Lunello, et David, filium Guersom, et Mosse, filium
Mairone, et Bonjusce de Gastello, et Vivas, filium Jacob, certos ac
spéciales procuratores constitutos ad hoc ab aliis Judeis et litiganles
pro se et pro omnibus aliis Judeis, habitatoribus Montispessulani,
ex altéra. Dicebant siquidem predicti consules etcostanter asserentes
proponebant quod, quandocumque aliqua potestas contra villam
Montispessulani, vel aliquod castrorum ad dominationem ville Mon-
tispessulani pertinentium, equitabat, ita quod exercitum ibi duceret
et tentoria ibi figeret, Judei, quotcumque habitarent villam Montis-
pessulani, tenebantur, de suo proprio jure servicii constituti, habere
et prestare omnes quadrillos, quotcumque et quicumque expende-
rentur et necessarii essent, tam ad municionem quam ad defensio-
nem ville Montispessulani et dictorum castrorum, quamdiu excer-
citus esset circa dicta loca. Similiter dicebant et proponebant quod,
si tota communio Montispessulani faceret alicubi communem excerci-
tum, ita quod tentoria ibi poneret per diem unicam, predicti Judei
tenebantur prestare de suo omnes quadrillos qui ab illo excercitu
expenderentur, et pro certo allegabant quod, communicato consilio et
consensuproborum hominum Montispessulani, preteriti domini dicte
ville Montispessulani cum Judeis ita constituerant et sic longissimis
temporibus fuerat obtentum, et his rationibus nitebantur inducere
dictos Judeos ad predictum servicium prestandum. E contra supra-
scripti Judei, ad sui defensionem omnia fere predicta infîciantes, dice-
bant quod ad nichil aliud de prescriptis serviciis tenebantur, nisi
tantummodo ad prestandum duas saumatas ferri ad opus quadril-
lorum, eo tempore quo potestas cum suo excercitu juxta et contra
villam Montispessulani vel castrum de Castro Novo vel de Latis ten-
toria poneret per duos vel per très dies, et si, aliquo tempore, ipsi
vel antecessores sui petitum servicium prestiterant, hoc fecerant
metu et cohactione violenta district! et non aliquo jure vel statuto
facto ; et cum ad probanda ea, que dicti Judei negaverant, predicti
consules diligentem fecissent inquisitionem et cum antiquis homi-
nibus veritatem plenissime indagassent, nichil certum potuerunt
invenire vel probare. Tandem prefati Judei, pro se et omnibus aliis
Judeis, habitatoribus Montispessulani, presentibus et futuris, mise-
runt se in posse predictorum consulum, recipientium pro se et pro
omnibus successoribus suis futuris, consulibus Montispessulani, et
pro tota universitate Montispessulani, et promiserunt quod eorum
starent coguicioni et arbitrio de predictis. Qui consules, habito con-
silio, et voluntate expressa et speciali consensu omnium consulum,
DOCUMENTS INEDITS SUR LES JUIFS DE MONTPELLIER 269
officialium et eorum omnium qui consulunt communitati hujusmodi,
conventiouem el compositionem super his que petebant fecerunt,
propter evidentem et maximam utilitatem ville Montispessulani, et
ne aliqua in poslerum posset fieri dubitatio seu oriri discordia
cum Judeis propter predicta, quod, si aliqua potestas juxtaet contra
villam Montispessulani vel castrum de Latis vel de Castro Novo cum
excercitu vel « cavalcada hosteian » veniret, ita quod ultra duos dies
tentoria ibi haberet et poneret, prima hora tercie diei, udei habitantes
villam Montispessulani, présentes et futuri, teneantur prestare et
prestent de suo tantum viginti milia quadrillorum balistarum de
« croc », tam ad municiouem quam ad defensionem predictorum
locorum, et totam predictam summam quadrillorum de cetero continue
leneant paratam ; et si contigeret quod predicta potestas, prestito
illo servicio, cum excercitu suo recederet de predictis locis vel de
aliquo predictorum locorum et infra très menses, computandos ab
illo recessu, rediret contra predicta loca vel aliquod predictorum
locorum cum excercitu, etiam si tentoria figeret, non teneantur iterum
Judei prestare aliquid de predicto servicicio (sic), infra très menses,
a die dicli reditus computandos. Si vero ultra très menses, a dicto
reditu computandos, moram cum excercitu contra dicta loca fecerit,
aut si, post très menses, ipsa potestas, ut supradictum est, redierit,
iterum prestent dicti Judei alia viginti milia quadrillorum; item,
quandocumque alia potestas , post recessum alterius potestatis ,
veniret cum excercitu juxta et contra villam Montispessulani vel
alterum predictorum castrorum, teutoria ibi ponendo seu ngendo, ex
quo per duos dies ibi stetisset castrametatus, similiter et sub dicta
forma, per umnia observata, teneantur Judei prestare et prestent
tantum alia viginti milia quadrillorum, et sic de ceteris perpétue
observetur. De ceteris omnibus aliis serviciis que supra jamdicti
consules petierunt, Judei et successores sui omnes sint perpetuo
liberi et absoluti. Et nos suprascripti Judei, Bonisachus, Bonetus,
rilius Habrahe, Jusce de Lunello, David, films Guersom, Mosse, filius
Mairone, et Bonjusce de Castello, constituti spéciales procuratores
ab universitate Judeorum Montispessulani ad hanc compositionem
vobiscum, prenominatis consulibu?, faciendam, ipsam compositionem
voluntate et consensu omnium Judeorum Montispessulani, per nos
et per omnes ipsos Judeos, habitatores Montispessulani, présentes et
futuros, laudamus, approbamus et perpetuo valituram concedimus
et confirmamus et, prout supra determinatum est a vobis, perpetuo
a nobis et ab omnibus successoribus nostris, habitatoribus Mon-
tispessulani, perpetuo teneri et observari promittimus. Acta sunt
hec et laudata anno et mense et die quo supra. Horum omnium,
exceptis P. Porcello et Bonisacho, qui, duo tantum non adfuerunt
laudationi, sunt testes : R. Benedictus, P. Belianus, Petrus Capel-
lerius, P. Magister, P. Gras, Ugo Gorrigerius, Johannes Corrige-
rais, P. de Arciacio, B. Borra, B. de Ambileto, Johanues Lucianus,
Poncius Andréas, Petrus de Mascone, P. Guiraldi, causidicus, et
270 REVUE DES ETUDES JUIVES
Jacobus Laurencii, notarius, qui hoc scripsit rogatus a partibus.
(Cotes anciennes) :
Consulum, per XXm quairels dels Juzieus. (xnie s.)
(effacé). (xme s.)
Hec sunt carte pacte Judeorum et qualiter tenentur de près-
tacione XX mil. cadrillorum. (xiîi6 s.)
Aiso sont cartas del Juzeus. (xiv° s.)
La carta dels Juoiaous (?) de XXm cayrels. (xiv° s.)
Parch. 0m, 43 cent, de haut sur 0m, 33 de large. Ghirographe, parti
en tète et sur la marge de gauche.
(Archives municipales de Montpellier, cassettes de Louvct, D. XX, n° 2).
IL
Ordonnance du roi Jacques Ier d'Aragon, sur la procédure
CONTRE LES JUIFS.
1266 (1 février) = 1 février 1267 (n. st.).
Noverint universi quod nos, Jacobus, Dei gratia rex Aragonum
Majoricarum et Valencie, cornes Barchinone et Urgelli et dominus
Montispessulani, per nos et nostros statuimus, habito sano et maturo
consilio, etiam damus et concedimus in perpetuum in liberitatem et
favorem omnibus et singulis Judeis, presentibus et futuris, tam
masculis quam feminis, in parte nostra Montispessulani habitanti-
bus et habitaturis, quod aliquis ex ipsis Judeis, aliqua causa vel
ratione in judicium deducta vel non deducta, non questionetur nec
questionari possit nec alicui eorum fiât vel incuciatur aliquo tem-
pore, facto sive dicto timor vel terror questionis, nisi sub hac forma :
perducto enim judicio vel inquisitione, incepto vel incepta contra
Judeum, usque ad finem, ita quod non restet nisi sententia, tradi-
tisque Judeo in omnibus actis, et datis post eidem Judeo induciis
quatuor dierum utilium, in quibus deliberet cum peritis, si voluerit,
bajulus curie Montispessulani cum actis omnibus collationem habeat,
cum duobus discretioribus et legalioribus jurisperitis Montispessu-
lani, auditis rationibus et deffentionibus Judei et periti ejus, presen-
tium, et tune, si res flagitaverit, questio de Judeo juste fiât, et omnis
inquisitio, que fiet contra Judeum, fiât semper per bajulum curie
nostre Montispessulani, et non aliter. Item, aliqua inquisitio non fiât
nec fieri possit contra Judeum, et, si facta fuerit, ipso jure nulla sit,
nisi facta fuerit précédente accusatore vel denuntiatore, cujus accusa-
toris vel denuntiatoris nomen in principio inquisitionis inseratur et
cum reperietur accu>atio vel denunfiatio, ipsi accusatores vel denun-
tiatores teneantur dare curie bonos et idoneos fidejussores secundum
DOCUMENTS INEDITS SUH LES JUIFS DE MONTPELLIER 271
i'acti qualitatem punieudos, si deffecerint in probatione ; si vero
acusator non habuerit, sustineat talionem, et deuuntiator non pro-
bans in peccunia durius per bajulum puniatur. Item, Judeus habeat
transcriptum acusationis vei denuntiationis et fidejussionum cum
nomine acusatoris vel denuntiatoris et cum nominibus fidejussorurn
et etiam cum ipso transcripto deliberet cum peritis, si voluerit. Et
hec omuia fiant antequam procedatur inquisitione. Item, aliquis
Judeus captus non retineatur pro aliquo debito vel crimine aut alia
causa, qui dare velit curie idoneos fidejussores, nisi pro crimine pro
quo est ultimum supplicium inponendum. Item, bajulus nostre curie
Montispessulani juret singulis annis, cum faciet juramentum con-
suetum, se predicta servare et contra non facere, et locum nostrum
tenens id singulis annis procuret et facere fieri teneatur. Quicumque
autem curiales, et alii qui contra predicta fecerint, ipso quidem facto
sint infâmes et omni houore et dignitate perpetuo careant. Datum in
Montepessulano, kalendis Febroarii, anno Domini millesimo GC° LX°
sexto.
Signum -f- Jacobi, Dei gratia régis Aragonum,Majoricarum et Valen-
cie, comitis Barchinone et Urgelli et dominus (sic) Montispessulani.
Testes sunt : Berengarius A1 de Angela ; Gaucerandus de Pinos,
G. de Ganeto, P. Martin de Luna, Garcias Orciz de Azagra.
Sig -f- num Bartholomei de Porta, qui mandato domini régis hoc
scribi fecit et clausit, loco, die et anno prefixis.
(Les pièces II, III et IV sont à la suite les unes des autres,
sur le même rouleau).
III.
Mandement du roi d'Aragon pour l'exécution du l'ordonnance
précédente.
1268 (25 octobre).
Jacobus, Dei gratia rex Aragonum, Majoricamm et Valencie, cornes
Barchinone et Urgelli et domiuus Montispessulani, fidelibus suis
bajulis curie Montispessulani et aliis curialibus ejusdem curie, salu-
tem et gratiam. Intelleximus quod, licet concesserimus Judeis nos-
tre Montispessulani (sic) ne possit fieri inquisitio contra eos, nisi
accusatore vel denunciatore précédente, inquisitionem faciatis contra
eos, asserentes ad aures nostras pervenisse ea super quibus ipsam
facitis inquisitionem. Quare mandamus vobis nrmiter quatinus dic-
tam concessionem a nobis dictis Judeis factam super inquisitionibus
faciendis, ut dictum est, observetis eisdem, ut in carta, quam iode a
nobis habent, plenius continetur ; et nisi accusator vel denunciator
prefuerit, nullam contra aliquem ipsorum inquisitionem ullo modo
272 BEVUE DES ETUDES JUIVES
faciatis. Datum Cervarie, octavo kalendas Novembris, anno Domini
millesimo GG° LX° octavo.
(A la suite de la pièce précédente).
IV.
Certificat par le notaire de Montpellier de la transcription
des deux actes précédents.
1269 (2 avril).
Sit certum cunctis quod dominus Ugo Faber, bajulus curie Mon-
tispessulani, dédit michi Laurentio Micbaeli, publico Montispessu-
lani notario, iu mandatis anno, Domini millesimo ducentesimo sexa-
gesino nono, scilicet quarto nonas Aprilis, in presencia et testimonio
Jacobi Fornerii et Augerii Arnaldi, advocatorum, et Raimundi de
Ruchernis, notarii, quatinus de quodam instrumento, sigillo majori
pendenti domini régis Aragonum comunito, et de quibusdam litteris,
sigillo minori ejusdem domini régis comuuitis,conficerem transcrip-
tum autenticum, ad instantiam et postulationem Ferrarii Bonafos,
Judei, qui dicebat se esse sindicum totius universitatis Judeorum
Montispessulani in parte dicti domini régis habitantium ; quod ego
idem Laurentius feci bene et diligenter, prout superius continetur,
nil addendo, mutando vel detrahendo, preterquam in dicto instru-
mento et litteris continetur, postmodum presens transcriptum pers-
crutatus sun (sic) bene et diligenter cum Petro de Gapitevilario et
Berengario Montanerii, Montispessulani tabellionibus, me presens
transcriptum legente ipsisque dictis originalibus prospicientibus et,
ad majorem firmitatem habendam, hic subscripsi et signum meum
apposui et feci unam rasuram ubi dicitur « Petro de Gapitevilario. »
— Prefatis autem perscrutiniis dictarum litterarum avidissime fac-
tis, ego Petrus de Gapitevilario, notarius publicus Montispessulani,
una cum dictis notariis, testis vocatus et rogatus, interfui et, ad
majorem firmitatem premissis habendam, hic signum meum appono.
— Litterarum predictarum perscrutinio provide facto una cum tabel-
lionibus memoratis, ego, Berengarius Montanerii, notarius Montis-
pessulani predictus, testis vocatus interfui et rogatus hic subscripsi,
meum signaculum apponendo.
(Archives municipales de Montpellier, cassettes de Louvet, D. XX, n° 4).
DOCUMENTS INEDITS SUK LES JUIFS DE MONÏTIXL1EK 273
V.
lods de la vente d'une maison située près la synagogue de
Montpellier, faisant redevance au roi d'Aragon, seigneur
de Montpellier.
1277 (8 juillet).
Noverint universi quod nos, Jacobus, Dei gratia, rex Majoricarum,
cornes Rossilionis et Geritauie et domiuus Montispessulani, viso et
diligenter attento quoddam instrumente venditionis facte per Hugo-
nera Rotberii quondam et Alamandam, ejus ûxorem, quondam Boni-
sacho Grosso, Jacob de Locherva, Jacob filio Bonimacip, provinciali,
Bonastrugo de Piniano, Abraon de Alesto et quibusdam aliis Judeis
quondam Montispessulani, contentis in dicto instrumente dicte ven-
dicionis facto per quondam Silvestrum, notarium publicum Montis-
pessulani, de quadam domo sita in Montepessulano juxta sinagogam
Judeorum, que confrontatur ab una parte cum dicta siuagoga et ab
alia parte cum furno Guillelmi Lamberti et ab alia parte cum domo
Duranti Givace, que fuit Simonis Ricardi et cum via publica, que
domus tenetur sub domino nostro et teneri consuevit sub dominio
domini Montispessulani sub annuo usatico trium obolorum, consi-
derato etiam quod dicta domus incidit nobis in comissum et eam ut
comissam nobis propriam tenemus, quia sineconsensu domini Mon-
tispessulani vel bajuli sue curie laudata non fuerit venditio merao-
rata, prout aparet per tenorem dicti instrumenti et aliis etiam de
causis, immo laudimium defraudatum fuerit in nostri dominacionis
prejudicium. Idcirco per nos et successores nostros, volantes (sic)
facere gratiam specialem universitati Judeorum habitantium in parte
nostra Montispessulani, donamus et concedimus in acapicum sive in
emphiteosim perpetuam vobis, Jacob de Lunello et Tauros de Belli-
cadro et Ferrario Bonafos et Bondie de Bellicadro et Ysaco de Lo-
cherva et Habram de Biterris, Judeis preseutibus et hoc acapicum
recipientibus pro universitate omnium Judeorum habitantium in
parte nostra Montispessulani, et omnibus et singulis Judeis predictis
tantum, domum superius confrontatum totam, cum omnibus juribus
et pertinenciis suis, quam quidem domum vobis, dictis Judeis in parte
nostra habitantibus ad acapicum concedimus, ut dictum est, ad
omnes voluntates ipsius universitatis plenarie faciendas et specialiter
ad statuendam eam in causa sive facto elemosine, si voluerit univer-
sitas antedicta, item ad habendum, tenendum, possidendum, dandum,
vendendum, permutandum, pignori (sic) obligandum seu quolibet
alio alienationis titulo aliènandum cuicumque et quibuscumque
dicta universitas Judeorum voluerit personis, exceptis sanctis. cleri-
cis, mililibus, et lecis religiosis, et exceptis judeis habitantibus in
T. XIX, N° 38. 18
274 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
parte episcopi, salvo tamen ibi jure et dominio, laudimio et consilio
nostri et nostrorum vel tenentis locum nostrum in Montepessulano
et usatico sive censu quinque solidorum Melgoriensium semper
annuatim nobis et nostris successoribus dando et solvendo in festo
sancti Micahelis [sic) septembres, et confitemur et recognoscimus
vobis, dictis Judeis, quod vos pro dicta universitate solvistis nobis
pro hoc acapico centum libras Melgoriensium de quibus nos per
paccatos tenemus, renunciantes exceptioni peccunie non habite et
non recepte et doli, promittentes vobis, dictis Judeis, quod nos
faciemus dictam universitatem dictorum Judeorum dictam domu-m
perpetuo hahere et tenere pacifiée et quiète sine contradictione ali-
cujus persone eteam dicte universitati defï'endemus ab omni persona
et personis ibi aliquid petentibus et de evictione teneri volumus
judeos dicte universitatis. Datum in Montepessulano, VIII idus Julii,
anno Domini millesimo CC° LXX° septimo.
Signum + Jacobi, Dei gratia régis Majoricarum, comitis Rossi-
lionis et Geritanie et domini Montispessulani.
Testes sunt Petrus de Claromonte,
Bernardus de Ulmis,
Guillelmus de Caneto,
Ermegaudus de Urgio,
Berengarius Surdi.
Signum + Pétri de Galidas, qui mandata dicti domini régis, hoc
scribi fecit et clausit, loco die et anDO prefixis.
(Archives municipales de Montpellier, Liber instrumentorum memorialium,
fol. 202 v», n° 584. Pièces liminaires) .
VI.
Ordonnance du duc d'Anjou enjoignant au bai le de Montpellier
DE FAIRE SORTIR LES JUIFS DU CARREFOUR DE GaSTELMOTON.
1365 (18 juin).
Ludovicus, quondam Francorum régis filius, domini nostri régis
germanus ejusque locumtenenens (sic) in partibus Occitanis, dux An-
degavensis et cornes Genomanensis, bajulo regio Montispessulani vel
ejus locumtenenti, salutem. Querelam dilectorum nostrorum consu-
lum ville Montispessulani audivimus conlinentem quod, licet propter
guerras et discurssus latrumculorum (sic) inimicorum domini nostri
régis et totius ejus regni, quidam dicte ville suburbiorum habitatores
infra clausuram murorum dicte ville se constituerunt et ibidem suas
habitaciones feceruat, ex eo quia in dictis suburbiis non clausis vel
minus bene secure cum suis uxoribus, filiis, familia et rébus non
DOCUMENTS INÉDITS SUR LES JUIFS DE MONTPELLIER 275
poterant habitare absque periculo dictorum inimicortim regnum dis-
currentium antedictum et disraubacione et apprezonamento suarum
personarum et rerum, propter quod dicte ville hospicia iufra com-
munem clausuram murorum fuerunt quarn plurimum occupata, sic
et iu tantum quod, pretextu Judeorum, cjui quendam locum, carre-
riam et statigiam dicte ville latam, longam et quarn plurimum spa-
ciosam et sauiorem dicte ville iufra dictam clausuram murorum,
prope quadrivium de « Gastelmoto », ex sua ubertate peccunie et ali-
quorum potencia, in grande prejudicium habitatorum dicte ville,
jam diu est, occuparuut, et dictam carreriam et locum detinent
occupatum, vix dicte ville habitatores recipi possunt infra commu-
nem clausuram murorum predictam, ymo tfccasione predicta et
restrictione dictorum habitatorum quamplurimi mortui sunt et inter
eosdem irifirmitates maxime generantur, propter quod supplicarunt
dicli consules (sic) de remedio opportuno providere. Tibi igitur, bajulo
vel tuo locumteneuti, precipimus et mandamus et, si opus fuerit,
committimus quatinus, visis presentibus, indilate dictos Judeos in
loco predicto commorantes seu in carreria predicta amoveas seu
amoveri facias indilate, inhibentes eisdem ne in dicto loco morentur
infra villam predictam, nisi in carreria seu loco vocato « la Vacaria »
prope portale de « la Saunaria », quem locum nos ipsis Judeis, ad
dictorum consulum requisitionem, tenore presencium assignamus,
inhibeasque dictis Judeis, sub magnis pénis, domino nostro régi seu
nobis, nomine regio, applicandis, et per capcionem persone et aliis
remediis opportunis, ne dictum locum occuppent (sic), carreriam seu
hospicia ejusdem, ymo hospiciis dicte carrerie christianos dicte
ville uti facias paciffice et gaudere, volentes inhibi (sic) habitare,
absque contradictione Judeorum et alterius cujuscumque, quibus
nos. tenore presencium, inhibemus ; volentes insuper et tibi preci-
pientes quatinus loca seu hospicia in carreria Vacarie prefala eisdem
Judeis assignes et tradi facias ad suas habitaciones pro salario seu
loquerio competenti et prout tibi videbitur faciendum. sic in pre-
missis te habendo, quod dicti consules ad nos non redeant querelosi.
Que omnia concedimus dictis consulibus et dicte ville habitatoribus
de speciali gratia, si sit opus, et auctoritate regia, qua fungimur in
bac parte, litteris in coutrarium impetratis seu impetrandis, sub
quacumque verborum forma, non obslantibus quibuscumque, ab
omnibus autem justiciarum et domini nostri régis subditis pareri
volumus efficaciter et intendi. Datum Nemausi, die XVIII mensis
Junii, anno Domini millesimo CGC sexagesimo quinto, sub nostro
secreti sigillo.
Per dominum Ducem.
J. Chantepie.
(Archives municipales de Montpellier, cassettes de Louvet, E. VII, n° 33, 5e pièce.)
270 REVUK DES ETUDES JUIVES
VIL
Mandement du duc d'Anjou au gouverneur de Montpellier lui
ordonnant de s'opposer a l'exécution de la peine prononcée
par Me Pierre Taurel, conservateur des privilèges des Juifs,
CONTRE LE BA1LE.
1365 (23 juin).
Ludovicus, quondaui Francorum régis filius, domini nostri régis
germanus, ejusque locumtenens in partibus Occitanis, dux Ande-
gavensis et cornes Genomanensis, gùbernatori regio ville Montispessu-
lani vel ejus locumtenenti, salutem. Querelam dilectorum nostrorum
consulum ville Montispessulani audivimus, cootinentem quod, licet
per nostras litteras bajulo dicte ville jussum et mandatum fuisset
quod Judeos, habita tores dicte ville, coram se faceret evocari et de ipsis
conquerentibus quibuscumque ministrare faceret justicie comple-
mentum ac de omnibus causis ipsos Judeos tangentibus, ut ordina-
rius dicte ville, cognosceret et justiciam ministraret, propter quod
idem bajulus per magistrum Petrum Taurelli, conservatorem sub-
delegatum,se asserentem per dilectum consanguineum nostrum ,
comitem Stamparum, super privilegiis Judeorum conservatorem,
eumdem bajulum coram se evocari fecit et tandem, quia perso -
naliter non comparuit coram eo ac de causis Judeorum predictis
cognoscere nitebatur, in multam quater centum marcharum argen-
tieumdem bajulum incidisse declaravit, licet ab eadem declara-
cione idem bajulus seu ejus procurator ad dominum nostrum
regem seu nos se asserat legittime (sic) appellasse, nos, prefatorum
consulum supplicacionibus inclinati, omnes processus per dictum
magistrum Petrum contra dictum bajulum factos , ordinaciones,
declaraciones , multarum imposiciones anullavimus , revocavimus
et tenore presencium anullamus, ipsam multam quater centum
marcharum argenti seu penam ac aliam quamcumque, si in quam
idem bajulus incidit vel incidere potuit quoquomodo, remittimus,
quittamus et eidem bajulo, si opus fuerit, damus dono gracioso
liberaliter per présentes. Hinc est quod vobis, gùbernatori, precipi-
mus etmandamus et, si opus fuerit, comittimus, ne ipsum bajulum
exsequtari permittas seu ab eodem exhigi (sic) dictam multam,
inhibeasque dicto magistro Petro Torelli et alteri cuicumque, per
multarum imposiciones et declaraciones, si opus fuerit, ne occasioue
multe predicte ipsum bajulum inquietet, perturbet seu inquietare
audeat quomodo, cui nos tenore presencium inhibemus, litteris in
contrarium impetratis vel impetrandis, sub quacumque verborum
forma, non obstantibus quibuscumque, quas litteras isti contrarias
nos tenore presencium revocamus. Que omnia concedimus dictis
DOCUMENTS INÉDITS SUH LES JUIFS DE MONTPELLIEK 277
consulibus et bajulo predictis de nostra certa scieucia et speciali
gratia, si sit opus, auctoritateque regia, qua fungimur in hac parte,
ab omnibus autem justiciariis et domini nostri régis subditis vobis
pareri volumus et intendi. Datum Nemausi, die XXIII3 mensis Junii,
anno Domini M0 CCG° sexagesimo quinto.
Per dominum Ducem.
G. Gontier.
(Archives municip. de Montpellier, cassettes de Louvet, E. Vil,
n° 33, 6e pièce.)
VIII.
Extrait des registres des notaires de Montpellier.
1293.
Item, septimo idus septembris.
Ego, Johannes Vitalis, filius Hugonis Vitalis, et ego Micahela,
ejus uxor, de Piniano, confitemur et quisque in solidum nos debere
tibi, Profag, Judeo, filio Vivas de Naserana, Judei, quadraginta et
VIII0 solidos Melgoriensium, ex causa mutui, in quibus renunciantes,
etc., quos XLVIII0 sol. promitimus et quisque in solidum sub nostri
et bonorum nostrorum obligatione dare et solvere tibi recipienti ab
instanti festo Sancti Micahelis in unum annum, aliter dabimus tibi
pro lucro, etc., ren., etc., et jur., etc. Actum quod supra, etc.
T. Bonafos Bidocii, Guillelmus de Crescio, et ego, etc.
(Archives municipales de Montpellier, Registres des notaires-de la ville,
1293, fol. 1 r°.)
... tibi, Jaco de Naserena, Judeo, septem sol. Mlgr., ex causa
mutui. . .
(Ib., fol. 1 r°.J
. . . tibi, Ysac de Avinione, Judeo, et tuis, quinquaginta et octo sol.
Mlgr., ex causa mutui...
(Ib., fol. 1 r«.)
... tibi, Bon Senhor, filio Ysac de Avinioue, Judeo, unum seste-
rium pulcre toselle, ex causa mutui. ..
(Ib., loi. 1 r°.)
Item, XVI. kls. octobr. — Ego Durantus de Nemauso. Judeus,
filius quondam Bonafos de Nemauso, per me et meos, bona fide et
bono animo, vendo, do, cedo et mando tibi, Jaco de Naserena, Judeo,
et tuis, omnia jura, omnes omnino actiones, etc., mihi quocumque
modo et ex quacumque causa compétentes et competentia, contra e
278 HE VUE DES ETUDES JUIVES
adversus dominam Mariam de Arenis, uxorem quondam B. de Sancto
Justo, domicelli de Montefferrario, et contra liberos suos et dicti
quondam B. et bona sua. . .
(Ib., fol. 2 r°.)
Ego, Jaco (sic) de Naserena, Judeus, pro me et Vivas, fratre meo, a
quo etc., prorogo et elongo absque omni lucro seu usura tibi, Bernardo
Penchenati de Sancto Nazario, recipienti pro te et niatre tua, et Petro
Auguini et Poncio Laurencii, hinc ad proxime instans festum Sancti
Pétri de Augusto, solutionem et solutiones omnium debitorum in
quibus tu una cum aliis predictis quocumque modo es mihi et
dicto fratri meo aut alteri nostrum obligatus usque in hune diem
presentem.
T. Johannes de Podio de Arsacio et ego etc.
(Ib., fol. 2 v°.)
1k
. . . tibi, Vidas, filio Salves de Neinauso, Judei, et tuis, XL. sol.
Mlgr., ex causa mutui. . .
(Ib., fol. 3 v°.)
. . . tibi, Mosse de Biterris, Judeo, phisico, quinquaginta et très sol.
Mlg., ex causa mutui. . .
(Ib., fol. 6 vo.)
... tibi, Mosse de Biterris, Judeo, phisico, quatuordeeim ss. minus
uua quartali bone civate et mercadabilis, de terra ista, ex causa
mutui...
(Ib., fol. 6 V»)
.. . tibi, Crescon (?) Cohen, Judeo, et tuis, sexaginta sol. Mlgr., ex
causa mutui...
(Ib., fol. 6 vo.)
... tibi, Bonanas de Biterris, Judeo, sex sol. Mlgr., ex causa
mutui. ..
(Ib., fol. 7 r°.)
Item, IIII. kls. octobr. — Ego Jusse de Bolena, Judeus, films Jaco
de Bolena, Judei, et ego Astruga, ejus uxor, confitemur et quisque
in solidum nos debere tibi, Marie Orlhaque, uxori quondam B. de
Orlhaco, mercerii, et tuis, IIIIor. lbr. et XV sol. et. IIIIor. d. Mlgr.,
pro scrico tantum valeuti, quod a te ex causa emptionis hujusmodi
etc., in quibus ren. etc..
(Ib., fol. 7 r°.)
... tibi, Mosse de Biterris, Judeo. IIII0r. ss. bone civate de terra
ista, ex causa mutui. . .
(Ib., fol. 7 r°.)
DOCUMENTS INEDITS SUR LES JUIFS DR MONTPELLIER 279
... tibi, Profag. Judeo, filin Vivas de Naserena, Judei, viginti sol.
Mlgr. et très eminas toselle, ex causa mutui
(Ib., fol. 7 r>.)
Item, tercio kls. octobr. — Ego, Bonanasc de Biterris, Judeus,
confiteor tibi Symerie, uxori quondam Micahelis Boneti de Miris
Vallibus, quod tu satisfecisti mihi iu sexaginta sol. Mlgr. de XII.
libr. in quibus tu mihi es obligata. ..
(Ib., fol. 7 r°.)
IX.
Quittance délivrée par Salomon Bon Senho, en son propre nom
ET AU NOM DE ThORON MARMA , JUIF DE MONTPELLIER, A PlERRE
Roque.
1390 (12 juillet).
Anno ab incarnatione Domini millesimo triscentesimo (sic) nona-
gesimo et die duodecima mensis Julii, regnantibus et presidentibus
quibus supra, noverint universi et singuli quod, cum Petrus Roqui
et Petrus Pinoli, loci Saucti Andrée de Cingeria, Uticensis diocesis,
tenerentur et essent obligati Salomoni Bon Senho, Judeo. habitanti
Alesti, Nemausensis diocesis, in triginta et sex franchis auri, racione
et ex causa, ut dicitur, contenta in quodam publico instrumento,
recepto per magistrum Petrum Adhemarii, notarium regium dicti
loci Alesti, sub anno et die in eodem instrumento contentis, item
cum dictus Petrus Roqui teneretur et esset obligatus, ut dicitur,
Thorono Marma, Judeo Montispessulani, in sexdecim franchis auri,
ex causa contenta in quodam publico instrumento, recepto per ma-
gistrum Johannem Ferrerii, notarium publicum de Sancto Ambrosio,
sub auno et die in eodem contentis, hinc est et fuit siquidem quod,
persoualiter constitutus in presentia mei, notarii publici, et testium
subscriptorum, dominus Salomon Bon Senho, Judeus, nomine suo
proprio, dixit, confessus fuit et in veritate publiée recognovit dicto
Petro Roqui, licet absenti, et nobili Guiraudo Guayferii, condomino
castri de Tarancio, sororioque dicti Pétri, presenti, ac michi, notario
infrascripto, ut publiée persone, stipulantibus et recipientibus no-
mine dicti Pétri Roqui, absentis, et suorum heredum et successo-
rum, se ab eodem Petro Roqui habuisse et realiter numerando et in
bona pecunia numerata récépissé, videlicet triginta fraucos auri, qui
pertinebant ad solvendum de dicta summa dictorum triginta sex
frauchorum dicto Petro Roqui. Item, idem Salomon, Judeus, ut pro-
curator et procuratorio nomine dicti Thoroni Marma,. Judei Montis-
pessulani, prout de ejus procuratione constare dicitur [in] quodam
publico instrumento suinpto per magistrum Gregorium Raimondi,
280 REVUE DES ETUDES JUIVES
notarium Alesti, sub anno et die in eodem contentis, habens idem
Salomon, ut dixit in dicta sua procuratione, potestatem nec non
spéciale mandatuni recipiendi et exhigendi crédita, res et jura
dicti Thoroni Judei et de receptis quitantiam seu quitantias et pac-
tum de ulterius non petendo faciendi, procuratorio nomine quo
supra, dixit, confessus fuit et in veritate publiée recognovit dicto
Petro Roqui, licet absenti, et michi, notario infrascripto, ut supra
stipulanti nomine dicti Pétri Roqui et suorum heredum et suc-
cessorum, se ab eodem Peiro Roqui, procuratorio nomine quo supra,
habuisse et récépissé dictum debitum, in quo idem Petrus Roqui
dicto Thorono, ut prefertur, tenebatur et est obligatus, exceptio-
nique dictorum triginta francorum, ex parte una, et dicti debiti,
ex parte altéra, pe/ eundem Salomonem, Judeum, tam nomine
suo proprio quam procuratorio nomine dicti Thoroni, aiterius
Judei, a dicto Petro Roqui non habitorum et non receptorum, spei-
que future receptionis eorumdem idem Salomon, quibus supra
nominibus, renunciavit, pactumque fecit idem Salomon, quibus
supra nominibus, predicto Petro Roqui, licet absenti, tanquam
presenti, et dicto nobili Guiraudo ac michi, infrascripto notario,
stipulantibus et recipientibus quo supra nomine dicti Pétri Roqui,
sollempnique stipulatione vallatum de ulterius non petendo ab
eodem Petro Roqui nec a suis aut in bonis suis dictos triginta
francos auri, ex parte una, per ipsum Petrum Roqui dicto Sa-
lomoni debitos et debitum per ipsum Petrum Roqui dicto Thorono
debitum, ex altéra, nec aliquid pro eisdem, set de predictis tri-
ginta francis auri, ex parte una, et de predicto debito dictorum
sexdecim francorum, ex altéra, idem Salomon, tam nomine suo
proprio quam eciam procuratorio nomine dicti Thoroni, aiterius
Judei, tenens se pro contento pariter et paccato et de fidejussione,
per dictum Petrum Roqui facta pro dicto Petro Pinoli seu ad requi-
sitionem ipsius Pétri Pinolis ipsi Salomoni Judeo nec non eciam de
omnibus universis et singulis in quibus dictus Petrus Roqui tene-
retur seu repperiretur quomo[do]libet obligatus dictis Salomoni et
Thorono Judeis seu alteri eorumdem quacumque racione seu causa
hic tacita vel expressa sita vel ignorata usque in hune diem pre-
sentem, idem Salmon (sic), nomine suo proprio et nomine eciam
procuratorio et ut procurator dicti Thoroni, aiterius Judei, dictum
Petrum Roqui, absentem, tanquam presentem, et suos et bona sua
quitavit, liberavit penitus et absolvit, et hoc per acceptilationem,
aquilaria stipulatione légitime précédente, renuncians super pre-
missis omnibus et singulis idem Salomon, quibus supra nominibus,
exceptioni doli mali, vis, metus et in factum condicioni ob causam
et sine causa vel ex injusta causa, beneficioque restitutionis in in-
tegrum quod majoribus competit et eciam minoribus ex clausula
generali « Si qua justa causa michi inesse videbitur », jurique di-
cenli confecionem factam extra judicium non valere et juri dicenti
generalera renunciationem, nisi precesserit specialis, non valere,
DOCUMENTS INEDITS SUR LES JUIFS DE MONTPELLIER 281
errorique et ignorantie juris, dicti et facti, ceterisque aliis juris et
facti legum et canonum auxiliis, beneficiis et remediis, quibus me-
dianlibus contra predicta vel aliqua de predictis venire posset aut
se in aliquo deflendere veljuvare, et ita tenere, servare, attendere et
complere contraque nunquam facere vel venire, de jure vel de facto,
per se neque per alium seu alios in judicio sive per soliempnem el
validam stipulationem et sub obligatione omnium bonorum suorum,
presentium et futurorum et dicti Thoroni, cujus est procurator idem
Salomon Bon Senlio, Judeus, nomine suo proprio et nomine procu-
ratorio et ut procurator dicti Thoroni, alterius Judei, dicto nobili
Guiraudo Guayfïerii ac michi, notario infrascripto, nomine dicti
Pétri Roqui, absentis, stipulantibus, boua fide promisit et super
quodam libro legis ipsorum Judeorum, in quo idem Salomon, ut
dixit, assuetus in contractibus et aliis est prestare juramentum et
sub fide legis sue predicte juravit, protestans idem Salomon quod
per hanc presentem quitantiam non intendit quitare dictum Petrum
Pinoli de sex francis ad dictum Petrum Pinoli pertinentibus, ad sol-
vendum eidem Salomoni de dicta summa dictorum triginta sex fran-
corum et quod per ipsam presentem quitantiam dicto Petro Roqui,
ut prefertur, factam, per eundem Salomonem non possit eidem Salo-
moni Judeo prejudicare quin possit sibi facere satisfieri per dictum
Petrum Pinoli de dictis sex francis ; de quibus omnibus et singulis
predictis idem Salomon, quibus supra nominibus, dicto Petro Roqui
concessit et idem nobilis Guiraudus Guayferii, nomine dicti Pétri
Roqui, absentis, peciit fieri publicum instrumentum per me, nota-
rium infrascriptum, quod instrumentum idem Salomon 'voluit quod
ego, dictus infrascriptus notarius, possim facere dictari, corrigi et
emendari unam clausulam vel plures, addendo vel detrahendo inde,
reffici, sive sit extractum de nota vel non extractum et licet sit pro-
ductum in judicio vel non et tociens, donec plenanam, perpetuam ac
omnimodam obtineat roboris firmitatem ad dictamen et concilium
cujuslibet sapientis vel plurium sapientum, ita tamen quod facti
substancia in aliquo non mutetur. Acta fuerunt hec apud pontem
Tarancii et ante hospicium Guillermi Ribayroli, hostalerii dicti
pontis, testibus presentibus ad hec vocatis specialiter et rogatis,
nobili Bernardo de Chorrossio, condomino dicti castri de Tarancio,
pro uxore, Guiraudo Leussati de Sancto Ambrosio, Stephano, do-
mino de Rippaccuta, Petro Portalis, fabro dicti pontis, et me, Petro
de Usacio, clerico,, publico notario etc.
(Registre des minutes du notaire Pierre de Usacio, 1387-1392,
appartenant à M., fol. 23 v°-24 v°.)
PROCÈS DE R. JOSELMANN
CONTRE LA VILLE DE COLMAR1
Au commencement du xvic siècle, il régnait contre les Juifs,
dans le sud-ouest de l'Allemagne, une très vive agitation, qui pro-
voqua leur expulsion d'un grand nombre de villes. On voit par le
Journal de Joselmann que ce mouvement s'étendit jusque dans
les villes impériales de l'Alsace. La ville de Colmar se distingua
particulièrement par son acharnement contre les Juifs et, en 1510,
elle obtint l'autorisation de les chasser tous. M. Scheid a raconté
dans cette Revue (tome XIII, p. 70-74) les pourparlers des Juifs
avec la ville de Colmar et leur expulsion définitive. Je reprends le
récit à l'endroit où M. Scheid l'a arrêté.
A la diète de Ratisbonne (1541), Charles-Quint avait accordé
aux bourgeois de Colmar le nouveau privilège de défendre à
« tous les Juifs et Juives d'entrer dans la ville, sans l'assentiment
du conseil ». Les magistrats de Colmar communiquèrent à Josel-
mann, le 16 août 1541, le décret impérial et l'invitèrent à le faire
connaître à tous les Juifs dont il était le chef et à appeler leur
attention sur le châtiment qui menaçait ceux qui seraient arrêtés
dans le territoire de Colmar. Joselmann, sur la prière des Juifs,
insista vainement auprès du conseil de Colmar pour qu'il autorisât
les Juifs à assister au moins aux foires et marchés hebdomadaires.
Il eut beau promettre au nom des Juifs qu'ils ne donneraient lieu
à aucun sujet de plainte, et qu'ils ne mécontenteraient aucun bour-
geois : le conseil persista dans son refus. Joselmann s'adressa
alors à l'empereur. A ce moment, il jouissait de la faveur parti-
culière de Charles-Quint, parce que, pendant sa campagne contre
1 Les actes du proies, qui se trouvaient autrefois à Wetzlar, sont maintenant à
la bibliothèque de l'Université à Strasbourg, d'où je lçs ai reçus avec l'autorisation
du ministère impérial.
PROCÈS DE U. JOSELMANN CONTRE LA VILLE DE COLMAK 283
la France, il lui avait donné, au nom des Juifs d'Allemagne, une
forte somme d'argent (voir Pièces, I et II), et que ceux-ci
avaient fourni pendant la guerre de Smalkalde des approvision-
nements considérables aux troupes impériales (voir le Journal
de Joselmann).
Aussi Charles-Quint tint compte des vœux de Joselmann et, le
23 décembre 1541, il publia à Augsbourg une déclaration (voir
Pièce III) par laquelle il intimait l'ordre aux magistrats de
Colmar de ne plus interdire aux Juifs l'entrée de la ville et, en
général, de ne leur plus donner aucun sujet de plainte. Cette
« déclaration » n'eut pas le résultat que Joselmann en attendait.
Les magistrats de Colmar informèrent bien Joselmann de la récep-
tion de la déclaration impériale, mais ils ajoutèrent qu'ils ne pou-
vaient pas encore prendre de décision à ce sujet, et, pour qu'il
ne s'avisât pas de porter plainte contre eux auprès de l'empereur,
ils le prièrent de leur accorder un délai de trois à quatre se-
maines, parce qu'ils attendaient l'arrivée du bailli, qui était déjà
au courant de l'affaire, et avec lequel ils allaient examiner la
question. Ils exprimaient ironiquement le vœu que Joselmann ne
vît pas avec trop de déplaisir ce léger retard, attendu qu'il leur
avait fait attendre longtemps la déclaration impériale, probable-
ment parce qu'il pensait, comme eux, qu'il ne faut pas de préci-
pitation dans les affaires sérieuses. Les pourparlers avec le bailli
n'aboutirent à aucun résultat. Enfin le 2 novembre 1548, ils lui
annoncèrent qu'à leur regret, ils ne pouvaient se conformer ni
au désir du bailli, ni à l'ordre de l'empereur, et ils l'engagèrent
à « faire renoncer les Juifs à une demande vaine et inutile et à
les inviter à se tenir tranquilles. » Ils justifièrent leur refus en
s'en rapportant à leur privilège de 1541.
Charles-Quint écrivit alors une deuxième fois au conseil de
Colmar. Le 19 décembre 1548, il leur déclara qu'en leur qualité de
sujets du saint empire romain, les Juifs étaient autorisés à résider
parmi les chrétiens et à jouir des droits communs, comme les
chrétiens. Aussi « est-il défendu de leur interdire l'accès d'une
ville quelconque de notre empire ou de leur créer des difficultés
pour leur commerce. Du reste, ajoute Tempereur, nos prédéces-
seurs les ont autorisés par des privilèges spéciaux à fréquenter
les foires et marchés, pour les mettre à même de gagner leur vie.
Les habitants de Colmar invoquent leur privilège de Ratisbonne
de 1541, mais tout privilège perd son action quand il est en con-
tradiction avec le droit commun. Du reste, ce privilège n'indique
nullement que les Juifs, comme « cives romani », doivent être
exclus des marchés ». Il invite donc les magistrats de Colmar à
28/j REVUK DES ETUDES JUIVES
comparaître, vingt-quatre jours après qu'ils auront reçu la pré-
sente lettre, devant le « Kammergericht », sur la plainte de Josel-
mann, le commandant des Juifs, et des chefs des communautés de
Turckheim, Wintzenlieim, Ammerswiller, Tankelsheim (= Dan-
golsheim) , Surbourg et Haguenau , représentés par les trois
avocats du « Kammergericht », MM. Breunle , J. Portius et
J. Kochell.
Le procès contre Golmar commença le 25 janvier 1549 devant
le « Kammergericht » de Spire. Dans sa plaidoirie pour les Juifs,
Breunle remonta jusqu'aux lettres-patentes de l'empereur Sigis-
mond, où il est dit, entre autres, que « toutes les rues doivent être
accessibles aux Juifs, qu'ils doivent y jouir d'une entière liberté et
y vivre en paix et en sécurité, qu'ils peuvent se rendre librement
d'une ville dans une autre. » 11 ajouta que Charles-Quint avait con-
firmé ces droits, en 1530, à la diète d'Augsbourg, déclaré, onze ans
plus tard, à Ratisbonne, que les Juifs ne pouvaient pas être ex-
pulsés des villes ou des villages où ils étaient alors établis, ni gênés
dans leurs affaires ou leur circulation par des taxes ou contribu-
tions non justifiées, et menacé d'une amende considérable ceux
qui porteraient atteinte aux privilèges des Juifs. Ceux-ci avaient
donc le droit, disait Breunle, de parcourir le Sundgau, le Brisgau
et l'Alsace, et, par conséquent, de visiter les foires et marchés de
Colmar. Comme cette dernière ville s'opposait à l'entrée des Juifs,
Breunle proposait : 1° de condamner Colmar aux frais du procès ;
2° d'obliger cette ville à laisser libre accès aux Juifs, et 3° à les
indemniser des dommages qu'ils avaient subis depuis qu'ils n'a-
vaient plus pu se rendre aux marchés de Colmar.
L'avocat de la partie adverse, Christophe Schwapach, chercha
à faire traîner le procès en longueur. Il souleva d'abord une ques-
tion de compétence, en s'appuyant sur un paragraphe d'une
ordonnance impériale d'après lequel un ordre de l'empire qui était
accusé avait le droit de soumettre à l'accusation une liste de trois
princes ou électeurs de l'empire dont l'accusateur pouvait choisir
comme arbitre celui qui lui convenait. La ville de Colmar proposa
donc de porter l'affaire devant l'évêque de Strasbourg, le mar-
grave de Bade ou l'administration habsbourgeoise dEnsisheim,
mais elle récusa le « Kammergericht ».
Sur le refus de la chambre d'adopter sa proposition, Schwapach
écrivit pour Colmar un mémoire justificatif, qu'il soumit le 22 août
aux juges impériaux. Il rappela naturellement, dans ce mémoire,
les édits impériaux promulgués en faveur de Colmar en 1510 et
en 1541, à la suite des plaintes des habitants de cette ville, qui
avaient prétendu que les Juifs d'Alsace ne professaient aucun
PROCÈS DE R. JOSELMANN CONTRE LA VILLE DE COLMAR 285
métier, prêtaient sur gages et prenaient, contre tous les droits
civils et canons, des intérêts tellement élevés qu'ils ruinaient peu
à peu tous leurs débiteurs. Les Juifs, dit-il, font valoir en leur
faveur la déclaration impériale de 1547 et le décret de 1548, mais
ils passent sous silence les décisions prises à la diète d'Augsbourg
en 1530 et qui défendent à tout Juif usurier de demeurer dans une
ville de l'Empire et lui enlèvent la protection de toutes les mesures
prises en faveur des Juifs par les empereurs précédents. Du reste,
il est faux, comme ils le prétendent, qu'ils aient besoin de se
rendre aux foires et marchés de Colmar pour gagner leur vie ;
il y a encore bien d'autres foires et marchés en dehors de ceux de
Colmar, où ils pourront acheter et vendre à volonté. Enfin, ajouta
Schwapach en terminant, les privilèges obtenus par la ville de
Colmar lui ont été accordés pour les services importants qu'elle
a rendus à l'Empire, et de tels privilèges sont irrévocables.
A ces arguments l'avocat Breunle répondit par ceux-ci : Les
décrets contre les Juifs n'ont pas de valeur, parce qu'ils ont été
arrachés par ruse aux empereurs Maximilien et Charles-Quint,
qui les ont promulgués sans avoir entendu d'abord la justification
des Juifs, contrairement au décret impérial rendu par Maximilien
en 1516 et qui défend « d accuser les Juifs et de les priver de
leurs droits en leur absence, sans les entendre auparavant ». On
ne peut pas reprocher aux Juifs de faire de l'usure, car ils y ont
été autorisés par les Etats et l'empereur, parce qu'ils ne prati-
quent pas de métiers. Quant à ceux qui n'agissent pas loyale-
ment, Joselmann est également d'avis de les traiter avec sévérité.
Mais, si l'on veut se montrer rigoureux envers les Juifs, pourquoi
ne pas appliquer également la sévérité des lois aux grands com-
merçants qui accaparent le vin et le blé, ces objets de première
nécessité pour les pauvres gens, afin d'en augmenter le prix? De
ce que l'empereur a expulsé les Juifs de quelques districts du
Haut-Rhin, qui ont sans doute mérité leur châtiment, on ne peut
rien conclure contre les Juifs des environs de Colmar, qui n'ont
encouru aucune punition. Les Colmariens se vantent des services
qu'ils ont rendus à l'empire et qui leur ont valu leurs privilèges.
Mais Charles-Quint a reconnu aussi plus d'une fois le dévoue-
ment de Joselmann et des Juifs et les sacrifices qu'ils ont faits
pour lui, et les privilèges qu'il leur a accordés sont la récompense
de leurs services (Voir Pièces I et II).
L'avocat de la ville de Colmar, Capito, — Schwapach était mort
dans l'intervalle — répéta les arguments de son prédécesseur,
insistant surtout sur ce fait que l'usure était défendue dans maint
passage de la Bible et que, par conséquent, ni pape ni empereur
286 REVUE DES ETUDES JUIVES
n'avaient le droit de permettre ce qui était interdit par la Loi
divine; il ajouta que les mesures prises par les Etats de l'Empire
contre les Juifs usuriers n'avaient jamais été révoquées. Donc,
malgré les privilèges des Juifs, tout magistrat avait le droit de
les chasser et de leur interdire les foires et marchés dès qu'ils
faisaient de l'usure. Du reste, Joselmann n'avait jamais produit
que les copies des prétendus privilèges de ses coreligionnaires,
sans en montrer l'original.
Les documents que nous avons eus sous les yeux s'arrêtent là.
Nous savons seulement par le catalogue des actes administratifs
que le procès traîna jusque vers 1570 Joselmann était mort aupa-
ravant, il avait été remplacé dans le procès contre Colmar par
« les représentants des Juifs de la Haute-Alsace, Guerschon, juif
de Tùrckheim, et Lazarus de Surbourg; » Les actes ne nous font
pas connaître l'issue du procès, nous savons seulement d'autre
part que les réclamations des Juifs furent repoussées et qu'ils ne
rentrèrent à Colmar qu'à la Révolution française (Voir Revue,
XIII, p. 74, note 2).
APPENDICE.
1. Dans son travail sur «Joselmann de Rosheim », M. Scheid
dit ces mots (Revue, XIII, p. 248) : « MM. Graetz, Lehmann et
Isidore Loeb ont raconté le rôle joué par Joselin, en 1509 et
1510, dans l'affaire de Pfefferkorn et de la confiscation des livres
hébreux. » Mais Joselmann ne dit nulle part, dans son Journal,
qu'il ait été mêlé en 1509 et 1510 à l'affaire de Pfefferkorn, et les
documents juifs et chrétiens du temps ne mentionnent non plus
son intervention (voir mon travail sur cette question dans la
Zeitschrift de M. L. Geiger). 11 faut en conclure que Joselmann
n'y a pris aucune part.
IL M. Loeb, dans son article sur « Rabbi Joselmann de Ros-
heim », dans la Revue (tome II, p. 2*72), fait la remarque suivante :
a II est difficile de dire par suite de quelles circonstances l'empe-
reur Maximilien Ior le nomma « commandant et gouverneur,
Befelilshaber und Regierer » des Juifs de l'empire. Cette nomi-
nation, d'après Carmoly, eut lieu en 1502 ; M. Lehmann dit,
au contraire, que, dans le journal de Joselmann, elle est rapportée
à l'année 1510. » A mon avis, Joselmann n'a reçu ce titre ni de
PROCÈS DE R. JOSELMANN CONTRE LA VILLE DE COLMAR 2S7
Maximilien Ier, ni de Charles-Quint. Ses coreligionnaires lui ont
donné le titre honorifique de Manhig ou Parnéss, et lui Ta tra-
duit par « commandant » ou « gouverneur de tous les Juifs1 ».
Car: 1° Joselmann ne mentionne pas cette prétendue nomination
dans son Journal ; ce qu'il n'aurait pas manqué de faire si elle lui
avait été accordée par Maximilien Ier; 2° en 1535, il est cité devant
le « Kammergericht » de Spire parce qu'il signait du titre de Be*
fehlshaber ou Regterer des Juifs les lettres qu'il adressait aux
particuliers et aux autorités (voir, à ce sujet, Revue, XIII, 05). S'il
avait réellement reçu ce titre de Maximilien ou de Charles-Quint,
il aurait pu facilement repousser l'accusation du procureur fiscal
en montrant le décret qui lui confère ce titre. Il n'en a rien fait,
parce qu'il n'avait jamais eu dénomination officielle, et il se jus-
tifie en disant qu'il a traduit simplement en allemand sans arrière-
pensée aucune, le titre hébreu de Parnéss et Manhig que lui
donnaient ses coreligionnaires. Plus tard (actes de 1545, 154*7 et
1548; voir Pièces l et \ll), Charles-Quint l'appelle Be fehlshaber,
mais nous ne savons pas s'il lui a donné ce titre officiellement.
J. Kracauer.
PIÈGES JUSTIFICATIVES.
Wir stettmeister vnnd der rath der stat Roszhaim thun kundt
allermeniglichen hiemit das vnns vnnser hinderses Josel be-
velchhaber gemeiner judischait im heyligen reych einen perga-
menten brieff mit des aller durchleuchtigsten grosmechtigsten
fursten vnd herrn, herrnn Karol des funfl'tenn erwelten romi-
schen kaysers, zu allenn zeiten mehrer des lîeyligen reychs etc.
vnnsers aller gnedigsten herrn ihrer kayserlichen majestet an-
hangendem insigel versigelt furbracht vnnd dennselben zu vidie-
miren ernstlich gebeten hat, dann er dessen ann frembdenu orttenn
sich geprauehen muste zu hilff seines rechlenns, dahin er denn
hauptbrieff ohne sorg der leuff, vngewitters vnnd anderer gefer-
lichhait halb nit wuste zu pringen etc., also angesehen sein zimb-
1 Regierer oder Befehlshaber der gemeiuea Jùdischeit.
288 REVUE DES ETUDES JUIVES
lich bith habenn wir dennselben besichtigt vnnd ann perment,
schrifift vnnd insigel gantz gerecht, ungedeliert vngeradiert vnnd
sunst aller massenn argwons frey funden, vnnd darumb inen her-
nacli schreiben lassenn von wort zu wort lautenndt also :
Worms 7. VIII 1545.
« Wir Cari der funfft vonn gottes genaden, romischer kayser, zu
allenn zeiten mehrer des reichs in Germanien, zu Hispanien,
baider Sicilien, Hierasalem , Hungern, Dalmatien, Croatien etc.
Konig , erlzhertzog zu Osterreich, hertzog zu Burgunden etc.,
graue zu Habspurg, Flanndernn vnnd Tyrol etc. bekennen, als
vnns vnser jud Josel vonn Roshaim beuelchhaber gemeiner
vnnser judenschafft im hey[ligen] reych in namen derselben
vnnser judischait drew thausent guldenn reynisch in muntz,
jedenn gulden zu fuuft'zehen patzen gerechnet, zu der negstver-
schinen Speyrischen défensive hilff auf vnnser erfordernn also
par eriegt vnnd bezalt ; die wir auch gnediglich vonn inen
empfangen habenn ; darumb so sagen wir den selbenn Josel ann
statt gemeiner vnnser judischait solcher erlegung der treythausent
gulden reynisch, als obstehet, quit, ledig vnnd los ; ob auch
ann solcher suma ain oder mehr juden dem itz gedachten Josell
iren gepurennden thail gantz oder zu thail noch nit eriegt hettenn,
oder sich solcher erlegung vnnd bezalung widdern oder sperren
wurde, so soli hiemit demselbigen Josel erlaubt i-ein, das er
solche anlag vonn inen nochmals zu seiner gelegenhait ein-
fordernn vnnd einpringen vnnd gegenn denen, so sich solchenn
iren gepurennden thail zuerlegen widdern vnnd sperren wurden,
mit dem judischen bann vnnd sunst inn ander weg nach judi-
scher ordnung zu procediren, zu handlenn vnnd zu uerfaren,
wie sich gebuert ; es soll auch solche erlegung gemeiner judi-
schait ann iren privilegien, freihaiten, altem herkommen vnnd
geprauch ganntz unschedlich vnnd vnnachthailich sein vnnd kein
neuerung oder ingang bringen vnd geperen inn kain weiss noch
wege ; vnnd dieweil pillich, das dyselb vnnser gemain judischait
vnnser kayserlich gnad vnnd miltigkeit auch wider vnns em-
pfinde genediglich zu geniessenn, wollen wir inen ire privilegien
vnnd freyhaiten, so sie vonn vnnser vorfaren am reyche ro-
mischen kaysernn vnnd konigenn, auch hertzogen zu Osterreich,
vnns vnnd dem heyligen reiche, in massen wir inen hieuor
auf vnnserm jungst gehaltem reychstag zu Speyr des negst ver-
schienen vier vnnd viertzigsten jare dieselben zu confirmieren
bewilligt vnnd aber aus furfallender verhinderung biszhere nit
gescheen konnen, nachmals gnediglichenn confîrmiren, bestetten
vnnd verneven vnnd inen daruber gepurlich vrkundt verferti-
genn vnnd mitthailen lassenn vnnd sie sunst inn iren heschwer-
ten vnnd anligenn gnediglichenn bedencken vnnd fursehen one
geuerte; mitt vrkundt dis brieffs besigelt mit vnnserm kayserii-
PROCES DE R. JOSELMANN CONTRE LA VILLE DE COLMAR 289
cliem anhangendem insigel. Geben inn vnnser vnnd des reychs
statt Wurmbs ara sibenden tag des monats Augusti nach Christi
gepurte funffzehen hundert vnnd im funff vnnd viertzigten, vnnsers
kayserthumbs im funff vnnd zwaintzigsten vnnd vnnserer reyche
im dreyssigsten jaren. » Vnnd stunde indwendig der geschrifft vf
dem inscblag des brieves geschriben also « Ad mandatum csesareœ
et catholicse maiestatis propriumus im spacio Garol », vnnd vnnden
stunde geschribenn « Obernburger. * — Vnnd das solcher haupt
vnnd original brieff vonn vnns maystern vnnd rath gantz vnnd
obne allen argwhon1, wie obstet, befunden, auch hiegegen ver-
lesenn vnnd collationiren lassenn, so habenn wir davon obgenan-
ten Josell juden des vidimus vnnd transumpt allenn wortten
des hauptbrieffs gleich lauttendt vf sein ernnstlich bitt sich des
nit minders glaubenns dann des rechtenn besigeltenn hauptbriefs
zu aller notturft zu gebrauchen mit vnnser statt anhangendem
insigel besigelt. Gebenn vff sambstags nach Philippi vnnd Jacobi
der heyligen zwolff botten tag inn dem jare nach Christi vnnsers
erlosers gebuert thausennt funffhundert viertzig vnnd sechs gezalt.
II
Augsburg 28. II. 4548.
Wir Karl der funfft von gottes gnadenn , romischer kayser etc.
bekerraen offentlich mit diesem brief vnnd thun kundt allerme-
niglich, als vnns vnser jud Josel vonn Rosszhaim gemeiner juden
beuelchhaber vndertheniglich zu erkennen gebenn, wiewol er sein
weyb, ire kinder, knecht, haab vnnd guttèr vonn weilandt vnn-
serm anhern, kayser Maximilian loblicher gedechtnus, vnnd nach
seiner lieb abgang vonn vnns vnnd vnserm freundtlichenn lieben
bruder, dem romischen kunig mit kayserlichenn vnnd konigli-
chem schutz, schirmb vnnd glait versehen vnnd gnediglich gefriet,
das sie allenthalben inn heyligenn reych vnnd vnnsern erblichen
furstenthumben vnnd lannden frey, sicher, wandeln, handeln
vnnd one allen meut oder zollstetten frey, sicher, ledig passiern
moge, von meniglich vnnbeschwert vnnd vnaufgehalten, so sey
ime aber itzo inn vnnserm negstenn zugh im sybenn vnnd viert-
zigsten jar, als er in Behem bey hochgedachtem vnserm lieben bru-
der dem romischen konig in geschefftenn zu Leitmeritz gewe-
senn, solliche freybrif auf der strassen abgedrungen und verlorenn
worden, also das er nichts darumb zu zaigen hab, dan allein ein
vidimus oder transumpt vnserer gegebenn freyhait, vnnder unn-
serer vnnd des reichs lieben gelreuen maister vnnd raths der
statt Obernn Ehenhaim anhangendem insigel verfertigt, welches
er unns auch alsbalt furbringen lassen vnnd vnnsz daruf demu-
T. XIX, N° 38. 19
290 REVUE DES ETUDES JUIVES
tiglich angerufenn vnd gebetenn, das wir ime sollchen gegebnenn
schutz, schirmb, freyhait vnnd glait zuvernewern, zubestetten
vnnd vonn neuem zu gebenn gnediglich geruchten ; des haben
wir angesehen solche sein vnderthenig pitte, auch die gehorsa-
men dienst, die er vnns vnd dem heyligen reich bisher gethon
hatt vnnd darunib inn betrachtung des vnnd seines wolhaltens,
daruon er vnns glaubwurdigen scliriffïichen schein von etlichen
landtvogten, herrn vnnd andern vom adel, darzu von namhaff-
tigen stetten im Elsass gelegenn furbrackt, darinnen sich befindt,
das sich gemeiner Josel jud bei hochgedachts vnnsers anherrn
hoff loblicher gedechtnus vnnd denn vnnder landtvogten zu
Hagenaw vnnd inn derselbenn landts arth seinem stanndt vnnd
wesen nach vnstrafbar vnd wollgehaltenn, wie er dann auch seit-
her inn gemeiner judischait geschefften auf reychsta)gen vnnd an-
derswo mit trewem embsigen fleysz, auch hieuvor inn vnnserm
junngsten zugh inn Frannkreich unnd inn diesem negstuergangem
krieg mit gelt vnnd profiandt dasselbig vnnserm kriegsvolk zu-
zefurdern gehormsamlich nach seinem vermogen bewiesen, ime
solchen hievor gegeben schutz, schirmb, glait vnnd freyhait erne-
wert, confirmirt vnd besteet, auch ine sein weyb, sone vnnd
tochtermenner, auch irer aller haab vnd gutter inn vnser vnnd
des reichs schutz vnnd schirmb von neuem genomen vnnd em-
phangen habenn, vnnd thun das ailes hiemit wissentlich inn
chrafft dis brieffs also, das gedachter vnnser judt Josel von
Roszhaim vnnd seine sone vnnd tochtermenner sampt iren
weybern, kynndern, knechtenn, protgesindt vnnd irer aller hab
vnnd guetter, die sie itzo haben vnnd hinfurter an vberkomen,
in vnnser vnnd des reichs bsonder gnad , verspruch , schutz,
schirmb vnnd glait sein vnd sich derselben geprauchen vnnd
geniessen, auch allenthalbenn im heyligen reich desselbenn zuge-
thanen vnd vnnsern erblichen fursteiithumen vnnd lannden durch
stet, merckte, dorffer vnd gepiet auf wasser vnud lannde, vnnd
ann zoll vnnd mautt steten frey, ledig, vnaufgehaltenn passieren,
hanndeln, wandeln vnnd nach judischer ordnung vnnd freyhai-
tenn , so sy die judischait habenn, geprauchen sollenn vnnd
mogen vonn allermeniglichs vnuerhindert; wir thun ine auch
dièse besonder gnadt vnd freyhait also, das sie ann allenn stet-
tenn vnnd flecken im heyligen reyche, da andere juden sitzenn,
eingenomen werden daselbst mit sampt irenn weybernn, kindern,
protgesindt, haaben vnnd guetternn vmb ain zimblichenn zinsz
nach irem vermogenn, auch whonen mogen vnnd sollen ; ob auch
jemandt zu irenn lieb, haab vnnd guettern zuspruch zu haben
vermeint oder gewinne, der soll sy nindert annders, dann inn
denn gerichten, darin sie seszhafFt sein, wie recht ist, furnemen; sy
sollenn auch aile kayserliche gnadenn vnd freyhaitenn, so vnnsere
judischait inn gemain vnnd sy inn sonderhait von vnnsernn
vorfaren romischen kaysern vnnd konigen vnnd vnns verlangt
PROCÈS DE R. JOSELMANN CONTRE LA VILLE DE COLMAR 291
habenn, niessen vnnd geprauchen, vnnd ob denn zu wider ichts
furgenomen were oder noch wurde, das solle inenn an solchen
vnnsernn kayserlichen gnadenn vnnd freyhaitten keinen schadenn
oder nachthail pringen sonnder gantz vnschedlich sein. Vnnd
gebieten daruf allenn vnnd iglichenn churfurstenn, fursten etc.
vnnd sonst allenn andernn vnnsernn vnnd des reichs vnndertha-
nen vnnd getreuen, inn was wurden, stants oder wesenns die
sein, ernstlich vnnd vestiglich mit diesem brieff vnnd wollenn,
das sie denn obgenantenn vnnsernn juden Josel, sein sonn vnnd
tochtermann, ir weyber, kindt vnnd haussgesinndt bei obgemel-
ten vnnsernn kayserlichenn ernewerung, confirmation, versprucli
schutz, schirmb, glait vnnd freyhait vestiglich hanndhabenn, ge-
ruebiglich pleibenn vnnd des ailes geprauchen lassen, auch inn
iren sclmlden furderliche bezalung lautt briefflicher vrkunde
der pillichait nach verhelflenn, sy auch allenthalbenn inn rey-
che, desselbenn zugethanen vnnd vnnsernn erblichen fursten-
thumben, lannden, steten, fleckenn, herrschafften, gebieten frey,
sicher handlenn vnnd wandeln lassen, dawider nit tringen, be-
kommernn oder beschwerenn , noch des jemandts andernn zu
thuen gestatten in kainn weyse , als lieb einem jedenn sey
vnnser vnnd des reychs schwere vngnadt vnnd straff vnnd dar-
zu ein peen, nemlich zehenn marckh lotigs golts, die ain jeder,
so off't er frefenlich hiewider thete, vnns in vnnser kayserlich
chammer vnableslich zu bezalenn verfallen sein soll, vnnd em-
pfelhenn daruff vnnserm gegenwertigen vnnd ainem jeden kunfï-
tigen fiscal, von ainem jeden, der wider dièse vnnsere gegebnen
freyhait angeregte juden frefenlich bekomernn oder beschweren
thete, die bestimpt peen inn vnnser kaiserliche chaîner zuerfor-
dern vnnd einzupringen ; das mainen wir ernstlich. Mit vrkundt
disz brieffs besigelt mit vnnserm kayserlichen anhanngendem in-
sigel. G-eben inn vnnser vnnd des reichs statt Augspurg am acht
und zwaintzigsten tag des monats Februarij nach Ghristi vnnsers
herren gepuert funfzehen hundert vnnd im acht vnnd viertzig-
stenn, unnsers kayserthumbs im acht vnnd zwaintzigsten, vnnd
vnserer [reiche im drey vnnd dreyssigsten jarenn. Carolus.
Yt Max archidux. Ad mandatum Caesareee et
Vt E. A. Berenos Catholicce maiestatis proprium
Jo. Obernburger.
Dièse Copie wurde mit dem Original verglichen vom Bùrger-
meister und Rath der Stadt Oberehnheim, Montag nach Matthei
Apostoli 4549.
292 REVUE DES ETUDES JUIVES
III
Augsburg 23 XII. 1547.
Wir Karl der funfft vonn gottes genadenn, romischer kayser,
zu allenn zeiten meherer des reichs in Germanien, zu Hispanien,
bayder Sycilien, Jherusalem, Hungern, Dalmatien, Croatien etc.
konig, ertzhertzog zu Osterreich, hertzog zu Burgundi etc. graue
zu Habspurg, Flandern vnad Tyrol etc. embieten vnserm vnnd
des reichs lieben getrewen burgermeistern vnnd rath der statt
Golmar vnnser gnadt vnd ailes guets. Lieben getreuen, vnns hat
vûnser jud Josel vonn Roszhaim, beuelchhaber der judenschafft
im heyligen reych furpracht, wie wol dieselb vnnsere gemeine
judenschafft vonn vnnsern vorfordern am reyche , romischen
kaysern vnnd konigen, auch vnns selbs, gnediglich begabt vnnd
gefreyet also, das sie allenthalbenn im reiche zu wasser vnnd
laDnde vnnd sonnderlich inn vnnsern vnnd des reichs steten auf
die freye kayserliche mœrckte irer notturfft nach sicher vnnd
vnuerhindert passieren , handlen vnnd wandlenn mogenn , so
wurdt doch inen des pasz vnnd aile freye jar vnnd wochenn
mœrckte daselbst bei euch in der stat Golmar vnnder furge-
wendtem schein ainer freyhait , die wir euch am verschienen
ain vnnd viertzigsten jare der wenigern jarzall zu Regenspurgh
gegebenn , genntzlichen verspert vnnd gewaigert ; vnnd wiewol
sich derselb vnnser jud Josel zum oftermal schrifftlichen vnnd
durch bottschafften vonn gemeiner judischait wegenn erpottenn,
das sich diejuden derselben vnnserer freyhaiten der gepuer nach
halten vnnd nach komen sollen, mit angehefftem begern, das ir
inen eure jar vnnd wochen mœrckte allain zu irer leibs nahrunge
vnnd sonder aile arghwonige vnnd beschwerliche handlungen
vermoge irer habennden freyhaiten, auch altem herkomenn
vnnd gebrauch nach, zu besuechen nachlassenn VDnd gestattenn,
so hette doch sollichs ailes bei euch nit verfangen wollenn,
dessenn er sich dann an statt gemeiner judischait bey vnns
hochlich beschwert vnnd vnns darauf vmb vnnser genedigs
einsehen vnnd hilff vndertheniglich angerufen vnnd gebettenn ;
dieweil dann in obgedachter vnnser kayserlichen freyhait euch ge-
gebenn di vrsachen vnnd warum dieselb auf eur begeren gege-
benn, auch wie ferr sich die erstreckt, gnugsamblich angezaigt
vnnd auszgetruckt, vnnd sich aber darin nit befindt, auch vnnser
will vnnd meynung nit gewest vnnd noch nit ist, das denn juden
der pasz vnnd zugang zu irer notturfft vndter dem schein sol-
cher gegebnen freyhait gespert oder verbotten werdenn solle,
demnach begeren wir ann euch hiemit ernstlich bevelhendt vnnd
PROCÈS DE R. JOSELMANN CONTRE LA VILLE DE COLMAR 203
wollen, das ir die gemeltenn judea vnnd judin vber vnnd wider
inhalt solcher vnnserer gegebenen freyhaiten nit beschwaeret,
sonnder inen denn zugang inn die stat Colmar zu iren notturf-
ten, wie von alters her, gestattet vnnd euch hierin willfaehrig
vnnd dermassen erzaiget, damit sich die juden pillicher weyse des
nit zu beclagen, noch vnns vmb ferrer hilff vnnd einsehens an-
zulauffen habenn ; das wollenn wir vnns zn euch endtlich verse-
henn, vnnd ir thut daran vnnser gefellige ernstliche mainung.
Gebenn vnndter vnnserm aufgedruckteDn insigel inn vnnser vnnd
des reichsstatt Augspurg am drey vnnd zwaintzigsten tag des
monats decembris nach Ghnsti gepurt funfzehen hundert vnnd im
sieben vnnd viertzigslenn, vnnsers kayserthumbs ini acht vnnd
zwaintzigsten, vnnd vnnser reyche im zway vnnd dreysigstenn
jarenn.
Garolus
Vt Max archidux Ad mandatum Ceesareae et catholicae
Vt A. Perenot. maiestatis proprium
Johan Obernburger.
LES JUIFS DE MITES ET DU PAYS NANTAIS
( SUITE ET FIN
III
Si l'autorité administrative et les jurés de la corporation des
maîtres fripiers n'avaient pas eu des rapports particulièrement
sympathiques avec les quelques colporteurs et marchands juifs
établis à Nantes ou de passage dans cette ville, il n'est pas sans
intérêt de constater ce que pensaient d'eux les juges et consuls
de Nantes, qui correspondaient à ce que nous appelons aujour-
d'hui la chambre de commerce.
En 1731, un arrêt du Conseil d'Etat avait, à la date du 20 fé-
vrier, cassé deux arrêts rendus au parlement de Dijon, l'un le
22 juin 1724, l'autre le 29 juillet 1730, qui permettaient à Joseph
Raphaël de Sazia père et fils, Saine Roger, David Ranez, Joseph
de Saint-Paul, Lange Mossé, David Petit et Jacob Dalpuget,
marchands juifs résidant à Bordeaux, d'exercer leur commerce
pendant un mois de chaque saison de l'année dans toutes les
villes de la Bourgogne.
Ces permissions étaient contraires aux lettres patentes données
au mois de juin 1723, qui autorisaient les Juifs Portugais établis
et domiciliés dans l'étendue des généralités de Bordeaux et d'Auch
« d'y demeurer, vivre, trafiquer et négocier ainsi que font les
» sujets naturels du Roy ».
Sur les plaintes des marchands de la ville de Dijon, le roi
Louis XV, désirant, dit l'arrêt, expliquer plus précisément ses
intentions, fit défense aux Juifs de faire le commerce « dans
» aucunes villes et lieux du royaume autres que celles où ils
» sont domiciliés ».
» Voir tome XIV, p. 80 et tome XVII, p. 125.
LES JUIFS DE NANTES ET DU PAYS NANTAIS 295
Cet arrêt avait un caractère général, les intendants et commis-
saires chargés de l'exécution des ordres du roi dans les provinces
et généralités du royaume reçurent l'injonction de tenir la main
à l'exécution de cet arrêt, qui devait être lu, publié et affiché
partout où besoin serait.
Jean-Baptiste Desgalois, chevalier, seigneur de La Tour et
autres lieux, était alors commissaire départi par Louis XV en la
province de Bretagne. Il rendit à Rennes, le 14 mars 1731, une
ordonnance conforme, portant que l'arrêt royal recevrait toute
la publicité voulue dans l'étendue de son ressort.
C'est ainsi qu'il en adressa aux juges et consuls de Nantes une
copie, encore conservée aux archives de la chambre de commerce
de cette ville1 qui en accusa évidemment réception, bien qu'il
n'en reste pas de mention spéciale aux copies de lettres que nous
avons pu consulter.
Le 11 juillet 1742, les juges et consuls de Chalon-sur-Saône
adressaient à leurs collègues de Nantes une lettre où ils leur
demandaient des renseignements relatifs à diverses questions
d'ordre commercial.
Une de ces questions avait trait aux Juifs et voici ce qu'en
disait la lettre dont nous parlons :
Nous vous prions aussy, Messieurs, de nous dire en réponçe si
les négociais juifs ont la liberté de commercer dans votre prouince.
Elle leur ettoit interditte dans la notre par arrest du Conseil du 20
feurier 1731 * et quoique cest arrest ne soit point reuoqué, Monsieur
notre Intendant se disant authorisé de Monsieur le Controlleur géné-
ral leur a donné des permissions escrittes pour vendre et débitter
leurs marchandises pendant le temps des foires. Nous vous obser-
uerons encore que Mrs les négotiants de Neuers ont obtenu un
arrest du Conseil le 19 àuril 1740 quy fait les mesmes deffensses aux
Juifs de faire aussy commerce en leur ditte ville à peine de mil livres
d'amende et de confiscation des marchandises et que le même arrest
fait aussy deffenses aux marchands forains et colporteurs de vendre
et débiter aucunes marchandises dans la ville de Neuers sinon es
jours de foire. Comme le commerce desdits Juifs et colporteurs fait
un tord considérable à celluy de notre prouince, nous travaillions à
réunir les villes d'icelle pour faire rendre les dits arrests communs ;
ce quy nous engage à vous prier, Messieurs, de nous faire part de ce
quy se passe à ce sujet dans votre prouince et de vos lumières pour
y parvenir,
Nous espérons que vous nous honoreres d'une prompte réponçe et
vous prions nous croire, aveq toutte l'estime possible, Messieurs
1 Archives de la Chambre de Commerce de Nantes, n° 42, cote 10.
2 C'est l'arrêt analysé plus haut.
296 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
et chers confrères, vos très humbles et très-obéissants servitteurs.
Les Juge et Consuls ,
Bellon, Le Bret, consul, René Boulanger.
A Chalou, le 41 juillet 4 742.
Cette lettre1 ne resta pas longtemps sans réponse, et nous trou-
vons, au copie de lettres de la Chambre de commerce, les ren-
seignements qu'elle envoyait aux juge et consuls de Châlon :
Il n'y a pas de Juifs establis en cette Province, et nous n'en voyons
pas venir à Nantes pour y faire de commerce, si ce n'est quelques
espèces de colporteurs auxquels l'on ne fait nulle attention dans
l'idée où l'on est qu'un commerce si peu considérable n'en mérite
aucune \
Quelques années plus tard, les juges et consuls de Nantes
recevaient de leurs collègues de Saintes la lettre suivante :
Saintes, le 2 juin 1752.
Messieurs,
L'affront que nous venons de recevoir dans la personne de deux
de nos anciens Juges Consuls, à l'occasion des Juifs, intéresse trop
l'honneur de toutes les jurisdictions et le bien du commerce, pour
que nous ne nous croyions pas dans l'obligation de vous en informer.
Le Placet que nous nous proposons de présenter au Conseil vous ins-
truira de tout ce qui s'est passé : Nous en joignons ici une copie et
nous sommes persuadez, Messieurs, que vous y prendrez assez de
part, pour vous engager, lorsqu'il en sera temps, à écrire à M. votre
député du commerce, de se joindre au nôtre avec tous les autres
Députez, que nous intéresserons, afin d'appuyer nos raisons au Con-
seil. Nous vous demandons instamment, Messieurs, de vouloir nous
accorder votre secours ; si nous réussissons, comme nous avons
lieu de l'espérer, vous aurez contribué à un avantage public qui
rejaillira sur tout le commerce, dont vous êtes le soutien et l'orne-
ment. Nous vous prions de vouloir bien nous honorer d'une réponse,
elle confirmera les sentiments de respect avec lesquels nous sommes,
messieurs, vos très humbles et très obéissans serviteurs.
Voici à quel incident faisait allusion cette lettre 3 :
Un arrêt du Conseil d'État, rendu le 31 mai 1735, sur les
plaintes des marchands de la ville de Saintes, avait expulsé les
1 Archives de la Chambre de Commerce de Nantes, carton A, année 1742,
cote 3.
2 Archives de la Chambre de Commerce de Nantes, copie de lettres n° 6, 1737
à 1744.
3 Archives de la Chambre de Commerce de Nantes, carton A, année 1752,
cote 16.
LES JUIFS DE NANTES ET DU PAYS NANTAIS 297
Juifs de cette ville et de toute la généralité de La Rochelle, avec
défense d'y séjourner. Néanmoins les commerçants juifs ne
laissaient pas de venir à Saintes, d'y porter des marchandises,
même en dehors des temps de foires, et d'y écouler pendant plu-
sieurs jours ces marchandises, et ce à de nombreuses reprises
au cours de l'année. Pour se soustraire aux visites que les
gardes jurés étaient tenus de faire de leurs marchandises or-
dinairement défectueuses, disaient les plaignants, en tous cas
fabriquées contrairement aux règlements, sans plomb de con-
trôle et par là même exposées à la saisie, ils avaient imaginé de
les déposer dans des maisons de condition et là, ils avaient réussi
à les vendre publiquement, en toute liberté. Gomment les gardes
jurés auraient-ils osé braver les bienséances en pénétrant dans
l'asile que les Juifs avaient trouvé? Gomment auraient-ils verba-
lisé contre des* délinquants haut placés?
En mars 1752, c'était un sieur de Saint-Simon, mestre de
camp des armées de Sa Majesté, dont la maison servait de ma-
gasin et de dépôt à toutes les marchandises des Juifs. Les gardes
jurés se turent d'abord par respect et n'osèrent pas agir ; mais
en face des protestations des marchands, ils se décidèrent à
requérir l'exécution de l'arrêt du Conseil et s'en vinrent prévenir
le sieur de Saint-Simon. Il était absent ; sa femme reçut fort mal
les remontrances des gardes jurés, leur déclarant qu'elle con-
sidérait leur démarche comme injurieuse pour sa personne.
Ceux-ci protestèrent de l'innocence de leurs intentions à l'égard
du sieur et de la dame de Saint-Simon et se retirèrent, non
sans dresser procès-verbal ; mais toujours par déférence pour le
mestre de camp, ils n'en firent pas usage.
Aussi quelle ne fut pas la colère des gens de Saintes, quand,
deux mois plus tard, le sieur de Saint-Simon obtint des ordres
pour faire traîner en prison les gardes jurés qui avaient ver-
balisé. Ils y furent effectivement détenus pendant cinq jours.
C'étaient d'anciens juges-consuls, revêtus à l'époque d'offices
municipaux, et l'on conçoit sans peine que, sous l'empire de
l'irritation qu'une pareille mesure provoquait dans le commerce
de Saintes, les juges-consuls de cette ville aient fait 'part de cet
affront à leurs collègues des villes voisines, en leur demandant
de se joindre à eux pour obtenir vengeance du traitement ignomi-
neux infligé à deux des leurs.
Les juges et consuls de Nantes prirent aussitôt fait et cause
pour ceux de Saintes1; ils répondirent qu'ils ne négligeraient
1 Archives de la Chambre de Commerce de Nantes, copie de lettres n° 8, année
1752. folio 68.
298 REVUE DES ETUDES JUIVES
rien pour aider à leur obtenir justice, qu'à cet effet ils écriraient
à M. Bouchaud de se joindre à leur député pour faire valoir les
raisons développées dans leur mémoire.
M. Bouchaud était le député du commerce de Nantes à Paris et
c'était à lui que les juges et consuls adressaient les documents,
pétitions, mémoires, instructions diverses destinés à faire pré-
valoir auprès de l'autorité supérieure les griefs et réclamations
des négociants nantais.
Il ne reste pas trace au copie de lettres de la chambre de
Commerce des recommandations qui durent être faites à M. Bou-
chaud pour protester contre « l'affront » dont les Juifs avaient
été cause pour les deux gardes jurés de Saintes. Il semble même
que la justice réclamée par le commerce de cette dernière ville
se soit fait singulièrement attendre, si l'on en juge par la nouvelle
lettre qui suit, écrite par les juges et consuls de Saintes, relative-
ment au même objet l :
Saintes, 12 avril 1753.
Messieurs,
L'impatience d'aprendre l'événement du Placet que nous avons
adressé à M. le Garde des Sceaux il y a six mois, à l'occasion de
l'emprisonnement de deux de nos anciens Juges Consuls et dont nous
vous avons envoyé un exemplaire, nous a déterminés, Messieurs, à
lui en présenter un second, dans lequel nous lui exposons « que
» nous ne doutons point que l'immensité des affaires qui sont sou-
» mises à ses soins, est la seule cause qui l'ait empêché de décider
» celle qui intéresse également l'honneur du commerce et celui des
» commerçans ; qu'il ne permettra pas que les Arrêts du Conseil
» et les Règlements soient sans force et sans exécution ; que des
» citoyens qui ont l'honneur d'occuper les premières charges d'une
» ville, demeurent plus longtemps dégradés à l'occasion d'une
» Nation proscrite ; que ces motifs sont trop puissans pour ne pas
» exciter sa justice; que nous sommes assurés que toutes les villes
» du Royaume attendent comme nous avec confiance l'obtention des
» conclusions que nous avons prises par notre premier Placet. »
Ce Placet a été présenté à M. le Garde des Sceaux par Me Rolland,
notre avocat au Conseil, qui a jugé à propos d'y joindre un mot de
requête ; il nous marque « que ce Ministre a remis le tout à Mrs les
» députés du commerce, qui ont dit à notre avocat qu'ils travaillaient
» actuellement à cette affaire ; qu'il fallait se donner patience et que
» plusieurs provinces demandaient pour nous la même chose. »
Ce sont sans doute les villes qui, n'ayant po}nt de Député et voulant
prendre notre fait et cause, ont adressé directement des Placets au
1 Archives de la Chambre de Commerce de Nantes, carton A, année 1753,
cote 18.
LES JUIFS DE NANTES ET DU PAYS NANTAIS 299
Ministre, tendans aux mêmes fins et dont la plupart nous ont envoyé
des copies, qui nous ont convaincus, avec autant de joie que de
consolation, du zèle et de l'empressement avec lesquels toutes les
jurisdictions se sont rendues cette affaire commune. La part que
vous nous avez témoigné prendre à cet événement, est digne de vous,
Messieurs, et conforme à toutes les principales villes du Royaume ;
ce qui nous fait espérer que vous voudrez bien récrire à M. votre
Député, pour l'engager de nouveau à nous être favorable et à accé-
lérer de concert avec tous les autres Députés, la décision d'une affaire
d'où en quelque façon dépend l'honneur des juridictions consulaires
et celui de tous les négociants du Royaume. Nous sommes persuadés,
Messieurs, que les sentiments qui vous ont animés à la vue de ce qui
nous est arrivé, ne sont point ralentis et que vous ne nous refuserez
pas encore cette marque de votre bienveillance, qui vous confirmera
de plus en plus dans les sentimens de reconnaissance et de respect
avec lesquels, nous sommes, Messieurs, vos très humbles et obéis-
sants serviteurs.
Les Juae et Consuls de Saintes,
Chasteauneu, juge, Mathieu, Mareschal, Toussaint.
En marge de cette lettre figurent ces mots : Répondu le 7 may
17So. Effectivement, à cette date, le copie de lettres de la Chambre
de commerce de Nantes !, porte que la Chambre, toujours dis-
posée à concourir à ce qui peut intéresser les juridictions consu-
laires, recommandera de nouveau à M. Bouchaud d'appuyer leur
requête.
Le même jour, les juges consuls de Nantes écrivaient à leur
député à Paris, M. Bouchaud, une lettre fort longue qu'ils ter-
minaient en lui recommandant de se joindre à ses collègues
députés du Commerce pour assurer le succès de la réclama-
tion des jurés de Saintes.
Voici le passage de cette lettre daté du 1 mai 1754 2 :
Nous vous avons aussy cy devant prié de vouloir bien vous
intéresser en faveur de MM. les Juges et Consuls de Xaintes dans
l'affaire qu'ils ont au Conseil. Comme ils viennent de donner un
nouveau Mémoire, ayes la bonté de renouveller vos sollicitations.
Il n'est pas dans les archives de la Chambre de commerce d'au-
tres documents relatifs aux Juifs jusqu'en 1*789. Toutefois, nous
1 Archives de la Chambre de Commerce, copie de lettres n° 8, année 1753,
folio 87.
* Archives de la Chambre de Commerce, copie de lettres n° 8, année 1753.
folio 87.
300 REVUE DES ETUDES JUIVES
croyons devoir signaler un procès fait par les armateurs israé-
lites, MM. Gradis, de Bordeaux, devant l'amirauté de Nantes aux
sieurs Monneron de Launay et autres qui avaient assuré en 1*786
50,000 francs sur les corps et armement du David, chargé de
marchandises pour le compte de MM. Gradis et destiné à faire le
voyage de Bordeaux à l'Ile-de-France. Le navire périt, mais on
sauva la cargaison dont le délaissement fut fait aux assureurs.
Le texte du connaissement donna lieu à un procès. Le 29 décem-
bre 1787, une sentence par défaut condamnait M. Monneron de
Launay à payer 6,000 francs, montant de sa part dans l'assurance.
Il y forma opposition. Les autres assureurs se réunirent pour en
appeler au parlement de Rennes qui fut dispersé en 1790 et rem-
placé par une Cour provisoire. Bref, après toute une procédure
dans les détails de laquelle il serait oiseux d'entrer à cette place,
l'opposition de Monneron de Launay fut rejetée par le tribunal de
cassation le 28 septembre 1792 '.
Les débats auxquels donna lieu de 1789 à 1791 à l'Assemblée
Constituante l'émancipation civile et politique des Juifs, passion-
nèrent surtout les provinces de France où les Israélites étaient
en grand nombre, c'est-à-dire Bordeaux, la Lorraine, l'Alsace,
le comtat Venaissin. A Nantes, tandis que la seule perspective
de l'affranchissement des Noirs et de la suppression de la traite
bouleversait le haut négoce et soulevait d'unanimes protestations,
la cause des Juifs passa presque inaperçue. Toutefois il convient
de noter à l'éloge des rédacteurs du Journal de la Correspon-
dance de Nantes, publié sous l'inspiration des députés du tiers-
Etat de la sénéchaussée de Nantes et avec leur collaboration,
qu'ils approuvèrent, sans restriction, les décisions de nature à
restituer aux Juifs, les droits de l'homme et du citoyen.
« La cause des Juifs espagnols, portugais et avignonnais est donc
» gagnée ! s'écrie l'auteur anonyme du compte-rendu de la séance du
» 28 janvier 1790. « Que le ciel en soit béni et que la raison humaine
» s'en réjouisse ! C'est un triomphe pour elle. Mais, dans ce triomphe,
» il lui reste encore des regrets. Les Juifs d'Alsace et de la Lorraine
» peuvent dire à l'Assemblée nationale, comme Esaù à son père :
1 Journal du Palais, recueil de la Jurisprudence française, par Ledru-Rollin,
tome I, page 22. Détail curieux, le premier jugement civil rendu par le tribunal de
cassation, à la date du 10 juin 1791, avait été rendu entre un négociant israéiite bien
connu de Paris, Benjamin Calmer, et un de ses débiteurs, Sébastien Gholet.
LES JUIFS DE NANTES ET DU PAYS NANTAIS 301
» N'avez-vous qu'une bénédiction à donner1} Ah! sans doute, il faut
» l'espérer, il n'y aura pas d'injustice qui ne soit réparée, il n'y aura
» pas un malheur qui ne reçoive un bienfait. L'Assemblée nationale
» n'apercevra pas une vérité dont elle ne fasse une loi. L'erreur a
» beau se défendre de poste en poste, elle sera délogée de toutes ses
» antiques forteresses et la lumière qui est partout, prépare à la
» raison des triomphes universels. »
On ne pouvait mieux dire et il n'est pas douteux que les
députés de la sénéchaussée de Nantes n'aient voté en faveur de
l'émancipation des Juifs.
Il suffit, pour en être convaincu, de jeter les yeux sur le
Journal de la Correspondance, qui, toutes les fois qu'il s'oc-
cupe des Juifs, parle d'eux, de leurs revendications, de leurs
cérémonies religieuses en termes bienveillants et empreints d'une
réelle tolérance ».
Les décrets de l'Assemblée Nationale relatifs à l'émancipation
des Juifs reçurent à Nantes la promulgation habituelle. Ce fut
l'imprimerie Brun aîné de Nantes qui publia, dans le format in-
quarto, les deux documents suivants dont la Bibliothèque muni-
cipale possède des exemplaires :
Lettres patentes du Roi sur un décret de l'Assemblée nationale,
portant que les Juifs connus en France sous le nom de Juifs portu-
gais, espagnols et avignonnais, y jouiront des droits de citoyen
actif. Données à Paris, au mois de janvier 4790. — Nantes, impr.
Brun aine, 13 février 1790, in-4°, 3 pp.
Lettres patentes du Roi sur le décret de l'Assemblée nationale du
20 juillet dernier, portant suppression des droits d'habitation, de
protection, de tolérance et de redevances semblables par les Juifs.
Données à Saint-Gloud, le 7 août 1790. — Nantes, impr. Brun aîné,
le 24 août 1790, in-4°, 4 pp.
Les Juifs d'alors n'étaient pas très nombreux à Nantes ; toute-
fois, aux termes d'une notice nécrologique publiée dans les Ar-
chives Israélites, année 1842, pages 11"? et 337 et due à M. Lévi,
ministre officiant à Metz, l'un d'eux, originaire de Metz précisé-
ment, Raphaël Dennery, avait, quoique fort jeune, fait partie
de la légion nantaise et s'y était fait remarquer honorablement.
1 Journal de la Correspondance de Nantes.
Tome second, n° V, 11 septembre 1789, p. 63; n° IX, 23 septembre 1789, supplé-
ment p. 146; n° XI, 28 septembre 1789, supplément p. 162; n° XII, séance du 28
septembre 1789, p. 168. — T. III, n° VIII, supplément p. 125; n° XXVIII, séance
du 28 janvier 1790, pages 441 et suivantes. — T. X, séance du 27 septembre 1791,
pages 564 et suivantes. — T. XI, page 201. — T. XII, n° du 19 janvier 1792, p.
171 ; n«> du 22 janvier 1792, page 187.
302 REVUE DES ETUDES JUIVES
Raphaël Dennery, mort à Nantes le 21 août 1840, à l'âge de
soixante-dix-huit ans, y était venu en 1789. Au plus fort de la
tourmente révolutionnaire, lorsque tous les cultes étaient con-
fondus ou plutôt quand aucune religion n'était plus pratiquée,
Dennery épousa Elisabeth Thiot, belle-sœur d'un chantre de la
cathédrale.
C'était à une époque où tous les cultes étaient également mis
à l'index. C'est ainsi que nous relevons dans une adresse du
principal club nantais de l'époque, la Société populaire de Saint-
Vincent-la-Montagne, à la Convention, les vœux suivants :
« La Société populaire de Saint-Vincent à Nantes demande qu'aucuu
prêtre ou ministre d'un culte quelconque ne puisse être chargé d'une
fonction publique, à moins qu'il ne renonce pour jamais à l'état de
prêtre.
» La Société demande aussi que les Juifs qui sont au nombre des
agents les plus actifs de l'agiotage soient surveillés. »
La Convention ordonna l'insertion au Bulletin et le renvoi au
Comité d'instruction publique de cette adresse 4, qui ne visait cer-
tainement pas les Juifs de Nantes même, puisqu'ils y étaient tous
de modestes colporteurs, de petits marchands qui ne deman-
daient qu'à gagner tranquillement le pain de leur nombreuse
famille.
Ce n'est qu'en 1806 que le préfet de la Loire-Inférieure ,
Belleville, demandait à la date du 18 juin, au maire de Nantes
de dresser un état de la population juive, chefs de famille,
femmes et enfants, en y joignant une note relative à leur âge,
leur profession, leurs moyens d'existence, leur moralité et au
degré de considération dont ils jouissaient. L'état en question
fut fourni quelques jours après, le 27; mais il fut sans doute
transmis à Paris et nous ne le connaissons pas. 11 eût été curieux
cependant de savoir l'avis du maire de Nantes ou plutôt du
commissaire de police dont le maire ratifiait les renseignements
sur la moralité et l'honorabilité des deux seules familles israélites
qui habitaient la ville en 1806. Autant qu'il est permis de le
déduire d'informations ultérieures, elles vivaient obscures et
ignorées, heureuses de jouir d'une liberté à laquelle elles étaient
encore peu accoutumées.
En 1808, circulaire ministérielle pour obliger les Israélites à
adopter un nom de famille et un prénom fixes ; nouvelle lettre
;Procès-verbal de la séance de la Convention du 4 décembre 1793, 14 frimaire
au II, tome XXVI des procès-verbaux, page 338.
LES JUIFS DE NANTES ET DU PAYS NANTAIS 303
du préfet au maire le 13 septembre ; ordre donné le 14 par le
maire au bureau de l'état civil d'ouvrir deux registres ad hoc,
ce qui eut lieu la semaine suivante.
Nous avons eu la curiosité de feuilleter ces registres l qui con-
statent officiellement l'existence à Nantes du noyau de la commu-
nauté actuelle, et voici la liste exacte de la petite communauté qui
résidait dans cette ville en 1808 et 1809, telle qu'elle est portée
sur ces deux cahiers tout minces, mais plus que suffisants pour
les mentions des vingt-cinq noms qu'ils contiennent :
1808.
Alfenne Isaac, né en France, marchand, place Pilori, déclare con-
server le nom d'Alfenne et prendre celui d Isaac.
Alfenne Victoire, née à Nantes le 4 2 avril 4790, fille mineure du
précédent ; Alfenne Adélaïde, née à Nantes, le 4 6 avril 4793, fille mi-
neure du précédent; Alfenne Caroline, née à Nantes, le 4 5 germinal
an III, fille mineure du précédent ; Alfenne Emilie, née à Nantes, le
4 2 floréal an V, fille mineure du précédent, conservent leurs noms.
Lion Jacob, né en France, marchand, cours du Peuple, déclare con-
server le nom de Lion Jacob.
Alcan Anne, épouse de Jacob Lion, déclare conserver son nom.
Lion-Yosse Jacob, née à Nîmes (Gard), le 4 3 juillet 4786, modiste,
cours du Peuple, fille de Jacob Lion et de Nanette Alcan, déclare
prendre ce nom.
Lion-Alcah Jacob, né à Nîmes, le 27 juillet 4791, Lion-Salomon
Jacob, né à Nimes, le 24 mai 4793, Lion-Guéric Jacob, né à Poitiers en
germinal an III, fils mineurs de Jacob Lion ; Lion-Lia Jacob, née à
Poitiers, le 28 février 4796, fille mineure du précédent, Lion Mayer-
Jacob, né à Nantes, le 4 7 juin 1806, fils mineur du précédent, pren-
nent ces noms.
Joseph Moyse, né en France, marchand, rue Franklin, déclare con-
server son nom.
Joseph Nathan-Moyse, né en France, fils majeur de Joseph Moyse,
déclare prendre ce nom.
Dennery Raphaël, né en France, marchand, rue Crébillon, déclare
conserver ce nom.
Dennery-Israël Raphaël, né à Nantes, le 10 thermidor an VII, fils
mineur du précédent ; Dennery Esther, née à Nantes, le 4 germinal
an XIII, fille mineure du précédent ; Dennery Aaron Raphaël, né à
Nantes, le 20 février 4 808, fils mineur du précédent, prennent ces
noms.
Samuel Lion, né dans le margraviat d'Anspach, marchand, route de
Paris, déclare conserver ce nom.
1 Ils sont conservés dans les bureaux de l'état civil de Nantes, à la mairie de cette
ville.
304 REVUE DES ETUDES JUIVES
lsaac Nathan, né à Hambourg (Allemagne), marchand, quai Fosse,
déclare conserver ce nom.
Cohen Joseph, né à Bois-le-Duc (royaume de Hollande), marchand,
demeurant en cette ville depuis quatre mois, rue de Bayle, déclare
conserver ce nom.
1809.
Levi Michel, né à Frauberg (Moselle), marchand, demeurant à
Nantes depuis quatre mois, rue Fontenelle, y fixe son domicile. Il
déclare conserver son nom.
Michel Joseph, né à Travilsdorf, en Franconie (Allemagne), mar-
chand, célibataire, demeurant depuis trois mois rue Follard, à
Nantes, a déclaré vouloir y fixer son domicile et conserver son nom.
David Lion de Bittenheim (Allemagne), marchand, demeurant à
Nantes depuis cinq mois, rue Follard, a déclaré y fixer domicile et
conserver son nom.
Le 5 juin 1809, sur la demande du préfet, M. de Celles, la mairie
de Nantes dressait un état des facultés pécuniaires des Juifs, do-
miciliés en ville, d'après leurs propres déclarations.
Alfenne lsaac, 56 ans, quatre enfants, marchand de clincaillerie,
place du Pilori : n'en avait que pour 120 francs, quand il partit pour
Paris en mars dernier, à l'effet de rejoindre quelques amis (déclara-
tion faite et signée par Nathan lsaac).
Lyon Jacob, 45 ans, femme et sept enfants, marchand-colporteur,
cours du Peuple, possédant en marchandises, argent et meubles
1,200 francs : produit son contrat de mariage passé à Nîmes en oc-
tobre 1786.
Joseph Moïse, 66, veuf, cinq enfants, ancien marchand de mer-
cerie, rue Franklin, ne possède rien en argent ni en meubles : vit de
dons de ses enfants dont trois sont à Paris et un à Lunéville.
Dennery Raphaël, 47 ans, une femme et trois enfants, rue Crébil-
lon, marchand d'étoffes et de blanc, possède en marchandises et en
argent 3,000 francs : prouve son nom par un extrait des registres de
l'état-civil de Metz daté de l'année 1789.
lsaac Nathan, 36 ans, marié, sans enfants, quai de la Fosse : col-
porteur, en argent et en marchandises, 1,500 francs.
Cohen Joseph, 38 ans, célibataire, marchand de papier rue de
Gorges : en argent et en marchandises, 1,200 francs.
David Lyon, 45 ans, marié, deux enfants, rue Folard, marchand
de clincaillerie (sic), en marchandises et en argent, 300 francs.
Lévy Michel Mayer, 36 ans, marié, marchand de lunettes, rue Fon-
tenelle, possède environ 100 francs.
Michel Joseph, 30 ans, célibataire, marchand de lunettes, rue Fo-
lard, possède 100 francs.
LES JUIFS DE NANTES ET DU PAYS NANTAIS 303
Joseph Nathan Moïse, 26 ans, marchand de mercerie rue Fran-
klin, possède environ 4,000 francs.
Samuel Lyon, 60 ans, colporteur, route de Paris, en marchandises,
environ 4,000 francs.
Détail à noter, bien que l'instruction ne fût guère répandue à
cette époque, sur les onze déclarations qui précèdent, sept furent
signées par les déclarants, six en français, une en caractères
hébraïques; Alfenne était momentanément absent de Nantes,
Michel Joseph et Lévy Michel Mayer étaient en tournée, ainsi
qu'il résulte d'une note de police jointe à ce document. Un seul,
Samuel Lyon, ne sut pas signer.
Ces renseignements, quelque circonstanciés qu'ils fussent, ne
satisfirent pas le préfet de Celles. Dans une nouvelle lettre du
13 juillet 1809, il fit remarquer que les Israélites avaient gardé un
nom de ville ou de la Bible, sans justifier par la production de
leur acte de naissance, que leurs pères l'avaient porté avant eux.
D'où la nécessité pour ceux qui n'exhiberaient pas la pièce en
question, de prendre un autre nom.
Lettre de rappel du 16 août 1809, mais il ne semble pas que la
mairie de Nantes ait donné suite aux ordres du préfet, qui changea
du reste peu après, et que les Juifs se soient prêtés à cette nou-
velle fantaisie administrative.
L'année suivante, sur les indications qui lui avaient été trans-
mises par le maire, M. Bertrand Geslin, le consistoire Israélite
de la circonscription de Paris, entré en fonctions peu de temps
auparavant, chargea Lyon Samuel, originaire de Fùrth, près
Nuremberg et qui habitait à Nantes, rue de Flandres, près de la
Fosse, chez M. Aury, de percevoir le contingent que les Juifs
de la ville devaient supporter dans les frais communs de leur
culte. Il est à peine besoin de dire qu'il n'était pas alors payé
par l'État, comme il le fut progressivement à partir du règne de
Louis-Philippe.
C'est ici que nous arrêterons cette courte notice.
Léon Brunschvicg.
T. XIX, N° 38.
NOTES ET MÉLANGES
L'OUVRA&E PERDU DE JEHODDA HAJJOUDJ
Parmi les ouvrages du fameux grammairien Hajjoudj énumérés
par Ibn-Ezra dans son introduction du Moznaïm, il y a un écrit
dont le titre est douteux et dont le contenu est complètement
inconnu. Tandis que les éditions du Moznaïm appellent cet ouvrage
nnp^ïi -ido « livre du parfum \ », quelques manuscrits donnent
la variante i-impïi nso « livre de la calvitie », et d'autres encore,
celle de rrtDpnn *idd « livre des parterres fleuris2 ». Quant au
contenu du livre, M. J. Derenbourg, s'appuyant sur un passage
d'Ibn-Ezra, Ps. 102, 27, dans lequel est citée une explication de
Hajjoudj qui ne se rencontre dans aucun des ouvrages connus de
cet auteur, a supposé que ce livre traitait de philosophie reli-
gieuse 3. Mais M. Jastrow4 a déjà fait observer qu'il était peu
probable qu'un tel travail eût pu trouver place dans l'introduc-
tion du Moznaïm, qui ne s'occupe que d'ouvrages de grammaire et
de lexicographie. Il sera donc intéressant d'apprendre que l'ou-
vrage est encore cité par un des derniers représentants de l'école
judéo-arabe de l'Espagne, par Tanhoum Ieruschalmi. Le passage
que nous avons en vue ne dissipera pas les ténèbres qui couvrent
le contenu de l'ouvrage, mais il nous fixera définitivement sur
son titre.
On sait que Tanhoum a fait précéder ses commentaires sur la
Bible d'une introduction fort étendue traitant de grammaire et
d'exégèse. De grands fragments de cette introduction se trouvent
1 Manuscrit de Paris n° 1221, et mss. de la Bodléienne nos 1254,6 et 1486,3.
Cf. J. Derenbourg, Manuel du lecteur, p. 192.
1 De Rossi, Dizùonario, p. 89 ; Dukes, Literaturgesckichtliche Mittheilungen,
p. 3 et 160; Hupfeld, De rei grammatical apud Judœos initiis, p. 18; Cat. Bodl.,
col. 1302 ; Man. du lecteur, l. c; Wolf, Biblioth. Eebr., II, 595 (il faut lire iinp"!
au lieu de ïlttp1-)) ; cf. Munk, Notice sur Aboulvalid dans le /. asiat., 1850, II, 31.
Voy. Wolf, ibid., I, 424, où deux autres noms de ce même écrit sont cités.
8 Opuscules, introduction, p. xi.
* Abu-Zakarijja und seine zwei grammatische ^chriften^ p. 7.
NOTES ET MÉLANGES 307
heureusement à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg1.
En tète de cette introduction, se lit encore une sorte d'avant-propos
dans lequel l'auteur attaque vivement les docteurs juifs qui s'op-
posent à toute étude scientifique, et, en particulier, à l'étude de la
grammaire et de l'exégèse. A ce propos, il donne d'abord un grand
nombre de passages tirés du Talmud et des ouvrages des Gaonim
qui prouvent que les anciens docteurs avaient reconnu l'utilité de
la science pour l'intelligence du texte biblique ; puis il énumère
les noms d'un grand nombre de ses prédécesseurs qui s'étaient
occupés de grammaire et d'exégèse, et, à cette occasion, il donne
les titres de leurs ouvrages, tout en remarquant expressément
qu'il ne les a pas tous vus. Voici ce qu'il dit, dans cet avant-
propos, au sujet de Hajjoudj :
rirûttn^N b^abnbN inbai ^ba nm im apbftba -T-n n"n rmrr 'n
t^ib rpnn lï'nb'n \)2 sàx bj>D "psi Nb "jn *hy rteuNpba ■prwnabN'i
V?no N?û ^b? sninsi nsN îtjd ^na ma* n?ûN b^a nbtt b'nft "Vp«
fiftda nniûi nbao^noa n'ro finis as-iabn t\hr^ Ktt EjnnNbN yà l&n
aabpaKbfin "pbba* tpjn an j-tûa "pai np npb }En ■jn )r\i p bn-ps
n^NDi inftb* y&misn rtteB nbs '■jb1! -in:n toamaban bannNban
t^innDi i-rb^Nb^ pia abisDba n^i nbaipa p^an ^ba biprb^
p rpsi riâBWi !f*ma nrjbsj prtàïtïtttt) F'PttŒJto- arûboi mm ■*
bip n'nN !ms hahi rratsas .fcabsba "j? dànm r&rwi nN^nssb^
(rt53> nbba *fc"i = ] stâh nVi .rnn» nmb nn^n ta-ab* p»bn ysba
apsba aaroi "pbhnba riN'H nandi ybba tn-in asna aro ya-w
^d Nmsi bîsriN rfba basbaôN Bpnsr a»na im t|n3 b^ aanan
nNsoaba dNb3 "bj raab 'pb'nttbN n&rn aanpi ybba Bpnn a»na
ûnb ina &n?a-)N man û^ib^m rip^pnbN ^bsh bma bii< ynsabai
. rroam nso bsa baram 3H7a û^nban
« R. Jehouda ben David, surnommé Hajjoudj, établit par des
preuves évidentes et des arguments décisifs que les racines verbales
ne contiennent pas moins de trois lettres, comme ttbia, b^N, etc.,
comme nous l'expliquerons plus loin ; et que, pour alléger la pro-
nonciation, on laisse tomber des lettres lorsque le mot est d'un
usage fréquent et quand les formes nominales qui en dérivent se
présentent souvent. Ainsi "jnD forme "jn, npb donne np, !^U3 forme
C3Ï1 etc. 11 reconnut la nature des verbes faibles, la permutation des
lettres, l'assimilation et des phénomènes semblables2... Hajjoudj,
1 On croyait cependant cette introduction complètement perdue ; voy. Goldzieher,
Stuâien iiber Tanchum Jérusalem, p. 8.
2 Suivent ici, dans le texte, quelques lignes qui exaltent la valeur de Hajjoudj,
et qu'il est superflu de traduire. Le même enthousiasme dans la peinture des mérites
de Hajjoudj se retrouve dans Moustalhik, p. 4 ; Louma, p. 15 et ailleurs. Ibn-Ezra
est tantôt exagéré dans son éloge, tantôt sans mesure dans son blâme; voy. J. De-
renbourg, Revue des Études juives, t. XVII, p. 175. Le jugement de Tanchoum
308 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
que Dieu lui soit propice, composa quatre livres : 4° Le livre des
racines à lettres faibles ; 2° le livre des racines géminées ; 3° le livre
de la ponctuation, et 4° le livre de la calvitie. Ce dernier traite de la
flexion des mots qui n'avaient pas été mentionnés dans les deux
premiers livres, en suivant exactement Tordre des livres et des
textes de l'Ecriture. Et vraiment « à ces quatre enfants de son
esprit, Dieu a prêté de la science et de l'intelligence » (Daniel, i, 17).
Nous possédons donc ici un nouveau témoignage sur l'existence
du quatrième ouvrage de Hajjoudj qui ne nous est pas parvenu;
ce témoignage ne nous en donne pas seulement le titre, mais pré-
tend, en outre, nous en exposer le contenu. Mais voici de nouvelles
difficultés qui se présentent. Si nous ajoutions foi aux paroles de
Tanhoum, Hajjoudj aurait lui-même écrit un ouvrage destiné à
compléter ses travaux sur les racines faibles et les racines gémi-
nées, en d'autres termes, traitant le même sujet que le Moustalhik
d'Ibn-Djanah et ne s'en distinguant que par l'ordre dans lequel
ces additions étaient disposées l.
Mais d'abord on s'expliquerait difficilement pourquoi Ibn-Djanah
aurait recommencé un travail entrepris déjà par Hajjoudj lui-
même ; et, qui plus est, Ibn-Djanah dit, dans son introduction
au Moustalhik, ce qui suit : « Et, sans aucun doute, s'il avait vécu
assez longtemps, il aurait ajouté lui-même tous ces verbes et
résolu tous les doutes que ces deux traités ont laissé subsister2 ».
Nous croyons donc pouvoir soutenir que Tanhoum n'a jamais vu
ce quatrième ouvrage, et qu'il n'a fait ici, comme ailleurs, que
copier la liste donnée par Ibn-Esra, ce qui paraît ressortir du
verset de Daniel qu'il applique à Hajjoudj comme l'auteur du
Moznaïm.
Rien ne démontre avec autant d'évidence que Tanhoum parle
d'ouvrages qu'il ne connaît pas de visu, comme le passage qui est
consacré à Salomon ibn Gebirol : mnrraFi nb pprr ïimbttî "mi
WiD'natm rnbbtt bisa ^s ma rinwa 3>:na imitra sps bpttii ab nbiprat-ï
Nï-pafcwa yrism, qui s'accorde presque littéralement avec les
dans sa préface du Mou-rschid a été déjà donné par Munk, Notice, ibid., p. 32, et
Goldzieher, l. ç., p. 49. Nous donnons ici de nouveau ce passage d'après le ms. de
Saint-Pétersbourg :
bfiWBNb&t tsî-jjpfcà i"npn2i •pmpn^bN ^ ïTnabba Mao ^Tn
nabp^bNi ûfimabfio "pbba N-i»b^ ùbi 'rrnnsbN bN3>B8b&o riWnba
fa* "p^N-nbio b^bnbN ûNpîji iw âi^n ï^^î, "na "îtrô 1^ iba
rpriabai ïïftba tpnabN no £ai tpnn ri'nb'n ï» ^pa ^b* b^c nâT ab
. rwio «73 br> basi 'bn&Ni pnb« nars fioJpnfcbK
1 On sait qu'Ibn-Djanak a suivi dans son supplément Tordre alpkabétique des
racines.
2 Moustalhik, p. 4.
NOTES ET MELANGES 300
paroles d'Ibn-Ezra. Nous pensons donc qu'en indiquant le contenu
de l'ouvrage de Ilajjoudj, Tanhoum n'a fait que tirer une fausse
conséquence du titre donné par Ibn-Ezra, et qu'en s'attachant au
sens du mot nmp « lacune ! », il a cru que ce livre était destiné
à remplir les lacunes des autres ouvrages de cet auteur. Ce qui
est incontestable, c'est que Tanhoum avait sous les yeux la leçon
!-imp!t, la seule qui soit correcte, et que les copistes ont mal à
propos changée en ttnp'-iii ou îrap^n, deux mots qui leur étaient
parfaitement connus. Mais on peut se demander si le titre arabe
S|D3bN aarù était bien celui que Hajjoudj avait donné à son
ouvrage, puisque Tanhoum ne le connaissait que par la traduction
du titre hébreu qui lui avait été fourni par Ibn-Ezra. Il paraît
même que Tanhoum ne connaissait les autres travaux de Ilajjoudj
que par la liste d'Ibn-Ezra, puisqu'il nomme le livre de la ponc-
tuation apsbN tiNrû, ce qui est la version de i^in too, tandis que
le vrai titre arabe en est B^panba 2Nrû2.
Il ne reste plus qu'une seule difficulté à résoudre. Tanhoum
soutient que le livre rimpît n'était pas seulement un supplément
des autres ouvrages de Ilajjoudj, mais encore qu'il était disposé
selon l'ordre des livres bibliques. Gomment pouvait-il concevoir
cette opinion s'il n'a connu l'existence de l'ouvrage que par la
citation d'Ibn-Ezra ? Nous croyons voir ici également une simple
supposition de la part de Tanhoum. Il est probable qu'en dehors
de ses études grammaticales, Ilajjoudj se sera occupé aussi d'exé-
gèse, et que, sans composer de commentaires étendus, il aura
écrit des gloses sur des passages difficiles de l'Écriture.
M. Neubauer a communiqué, dans sa « Notice sur la lexicogra-
phie hébraïque 3 », quelques gloses explicatives, se trouvant à la
marge d'Ézéchiel, attribuées à Hajjoudj, et qu'on chercherait en
vain dans ses écrits connus. Joseph Ibn Aknin, dans l'introduction
de son commentaire sur le Cantique, compte Hajjoudj parmi les
exégètes qui ont interprété ce livre d'après son sens naturel
(aasba ^b^)4. On a bien voulu soutenir 5 qu'il s'agissait, dans ce
passage, des versets du Cantique expliqués dans les ouvrages de
grammaire, mais là ils ne le sont que sous le rapport des formes
de la langue et nullement pour le sens naturel ou allégorique que
les différents interprètes de tous les temps ont attribué au Can-
tique. Rien ne s'oppose donc à ce que Hajjoudj ait écrit des gloses
1 Cf. Sanhédrin, 109, bfintt^n ~mp TtâTS mp.
* J. Nutt.
3 Journal asiat., 1862, I. p. 211. Voyez le catal. de M. Neubauer, n° 316.
4 Cf. M. Steinschneider, dans l'Encyclopédie d'Ersch et Griiber, 11° série, vol. 31,
p. 54 ; A. Neubauer, Monatsschr., 1870, p. 396 et suiv.
5 B.-S. Salfeld, Das Hohelied Salomo's bei dcn "'ildischen Erklàrern, p. 31 et suiv.
310 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
pour le Cantique, comme il en a composé pour Ézéchiel, pour les
Psaumes et pour d'autres livres de l'Écriture ; Tanhoum aura en-
tendu parler de ces gloses sans les avoir jamais vues, et les aura
identifiées avec le î-»mp!-î, cité par Ibn-Ezra, et qu'il n'avait pas
vu davantage.
Le wnpfi nso cité deux fois dans le Manuel du lecteur était-il
le même que celui qui est attribué à Hajjoudj ? Nous ne saurions
le dire, ne connaissant exactement ni le contenu de l'un ni le
contenu de l'autre. La seule chose qu'on puisse supposer avec une
grande vraisemblance, c'est que le rânptt 'o a pu traiter d'un
sujet grammatical.
Saint-Pétersbourg. I. ISRAELSOHN.
OBSERVATIONS SUR LE MÊME SUJET.
L'intéressant article qu'on vient de lire m'a été communiqué
par son savant auteur, qui a bien voulu me permettre de l'accom-
pagner de quelques observations.
M. Israelsohn croit : 1° que Tanhoum n'a jamais vu ni connu
le i-trnprr 'o, et que le titre DnibN narû qu'jd lui donne est' une
traduction arabe imaginée par Tanhoum ; 2° que le passage de
Tanhoum, et ce serait là son seul mérite, prouve avec évidence
l'exactitude de la leçon î-impri ; 3° que l'indication du contenu du
livre donné par Tanhoum n'a aucune valeur, et n'est en partie
qu'une conséquence tirée par ce grammairien du mot rtrnpïr, qui
signifierait « lacune », et, en partie, la suite d'une confusion qu'il
aura faite entre ce livre de grammaire et un cinquième ouvrage
qui contenait les gloses de Hajjoudj sur différents livres de
l'Écriture.
Il nous est impossible d^adopter les conclusions de M. Israel-
sohn. Premièrement, si tttnpïi a le sens de « lacune », ce que
nous contestons, et si ce titre de « lacune » a décidé Tanhoum à
considérer ce livre, qu'il ne connaissait pas autrement, comme un
supplément des autres ouvrages de grammaire de Hajjoudj, il ne
devait pas le traduire par srûba 'o « livre de la calvitie », mais
par un mot tel que naiaba, ou fN^p^btf ou StoîiMabtt, ce qui aurait
donné le sens de livre des choses « passées », « manquantes » ou
« négligées » ; avec la version qu'il a choisie, il n'y avait plus
moyen de conclure du titre au contenu qu'il supposait. En second
lieu, la leçon de inmpn ne serait définitivement prouvée que dans
le cas où Ibn-Ezra aurait choisi ce mot pour traduire en hébreu
l'arabe aroba, fourni par Tanhoum; si, au contraire, ce dernier
mot était inventé pour traduire rrrnpïi, il n'y aurait qu'un témoin
NOTES ET MELANGES 311
de plus en faveur de cette leçon, puisque Tanhoum devrait alors
l'avoir rencontré dans son exemplaire du Moznaïm ; le témoi-
gnage des mss. qui portent ïrrîpHfi ou ^top^rs serait tout au plus
affaibli, mais aucunement anéanti. Troisièmement, comment croire
qu'un esprit aussi solide et aussi consciencieux que Tanhoum se
serait hasardé à attribuer à un ouvrage qu'il ne connaissait pas
un contenu qu'il ne pouvait pas avoir, et, qui plus est, le con-
fondre avec un cinquième ouvrage découvert par M. Israelsohn,
et dont il n'est question nulle part?
Tout s'explique, si nous supposons que Tanhoum avait vu et
connu le srûba naro, et qu'Ibn-Ezra n'a fait que traduire ce titre
en hébreu, comme il le fait pour d'autres titres arabes des ou-
vrages dont il parle dans son introduction du Moznaïm. Mais sns
ne signifie pas « lacune » et pas davantage « calvitie » ; le vrai
sens de ce mot est « épilation », c'est-à-dire action d'arracher les
cheveux pour établir un vide à un endroit où les cheveux conti-
nuaient naturellement à pousser. C'est ainsi qu'il était défendu
aux israélites d'établir, en l'honneur d'un mort, une ttmp entre
les yeux (Deut., xrv, 14 *). Partant de là, les Arabes ont donné
le titre de sna à plusieurs ouvrages composés d'extraits faits
d'autres ouvrages. Nous savons par Ibn-Djanah que, pour écrire
son Moustalhik, il a lu et relu huit fois toute la Bible 2. Nous ne
croyons donc pas nous tromper en supposant que Hajjoudj, pour
compléter ses deux premiers ouvrages de grammaire, a parcouru
de nouveau l'Écriture, qu'il a, à cette occasion, d'une part, noté
les omissions qu'il avait faites et, d'autre part, mis à la marge des
interprétations de passages difficiles et obscurs. Si, après cela,
Hajjoudj a relevé toutes ses observations et les a réunies dans
un ouvrage à part, ce livre pouvait, avec raison, porter le titre
de hmpn '0 .cnsba '5, et Tanhoum, de son côté, était en droit de
faire suivre ce titre de ce qu'il avait remarqué au sujet de son
contenu, et de compléter ainsi ce qui manquait dans la liste d'Ibn-
Ezra. Peut-être même ce travail de fixation de notes éparses
dans un corps d'ouvrage n'a-t-il été fait qu'après la mort de
Hajjoudj par l'un de ses disciples, et, dans ce cas, on comprend
facilement qu'Ibn-Djanah, qui vivait à Saragosse, loin du centre
habité par le parti de Hajjoudj, ait pu ignorer jusqu'à l'existence
d'une telle composition.
Si l'on adopte notre opinion, la leçon de ïimpii devient incon-
testable. J. Derenbourg.
1 En effet, Saadia traduit, dans ce verset, MrHp par NDiTlS ; 'a calvitie, en hébreu
ïlîTTp (Lévit., xm, 42) est rendue par le même traducteur par î"îi*?]£.
2 Voy. Opuscules, p. 244.
BIBLIOGRAPHIE
Glaser (Edouard). Skizze der Gesrliichte Arabiens von den seltesten
Zeiten bis zum Propheten Muhammed . Ausschliesslich nach
inschriftlichen Quellen. Erstes Hef't, Munich, 1889.
L'Arabie antéislamique commence depuis quelque temps à sortir
de l'épaisse obscurité que les fables musulmanes ont répandue sur
ses origines et sur son histoire. Grâce aux inscriptions découvertes
par plusieurs voyageurs dans diverses parties du pays, on voit se
dessiner graduellement les contours d'une histoire pleine de faits
et englobant de longs siècles de durée et de nombreux facteurs
ethnographiques entièrement inconnus naguère. Cet heureux résultat
est dû surtout aux découvertes récentes et absolument hors ligne
du célèbre voyageur autrichien Edouard Glaser, l'auteur du savant
mémoire que nous allons faire connaître aux lecteurs de cette Revue.
Les documents épigraphiques rapportés par M. Glaser de ses trois
voyages dans le Yémen dépassent le chiffre de 4,500, dont quelques-
uns contiennent plus de cent trente lignes. Plus heureux que moi
en 4 870, M. Glaser a même pu prendre l'estampage de la grande ins-
cription dont la copie m'a été enlevée par les Arabes, et qui relate
une victoire remportée pa,r un roi sabéen sur les R (u) man (Romains?
Byzantins ?).
Pourvu de trésors épigraphiques encore inaccessibles aux autres,
le savant voyageur, qui est en même temps un orientaliste distingué,
a voulu nous donner un avant-goût des conclusions historiques aux-
quelles les textes qu'il a en sa possession sont de nature à conduire
du premier coup et sans une étude très approfondie. Bien entendu,
et l'auteur le fait remarquer avec soin, ces résultats n'ont pas la pré-
tention d'être définitifs ; ce sont de simples ébauches historiques des-
tinées à montrer la richesse et la variété du cadre futur qui pourra
se découper différemment quand la nécessité en sera démontrée. Le
point important est que de telles questions puissent déjà être dis-
cutées sur une base solide et avec l'espoir de les résoudre à l'aide de
documents authentiques, et c'est là que réside l'immense progrès
que nous promettent les découvertes de 'M. Glaser.
BIBLIOGRAPHIE 313
Le fascicule que j'examine renferme les six premiers chapitres nue
doit contenir l'ouvrage entier. Gomme de juste, le savant auteur
discute en premier lieu le point de départ de l'ère que l'on trouve
assez souvent dans les inscriptions de l'Arabie méridionale. Cette
ère, que Reinaud avait identifiée avec celle des Séleucides, a été fixée
par moi à l'an 415 avant J. -G., en m'appuyant sur l'inscription de
Hiçn-el-Ghurâb, datée de 640 et faisant allusjon à la mort du roi
d'Himyar due aux envahisseurs abyssiniens, événement qui rappelle
la chute de Dhou-Nouwâs en 525. Mon opinion n'a été adoptée, jusqu'à
présent, que par M. Fell; mais M. G. cite à l'appui une nouvelle ins-
cription de Marib, appartenant à Abraha, le vice-roi chrétien, portant
les dates de 657-658 et mentionnant une expédition militaire contre
le territoire romain. Ici nous sommes sans conteste au vp siècle de
l'ère vulgaire, et, de telle sorte, l'ère himyarite ne saurait être plus
ancienne que 115 avant J.-C. Procope raconte qu'Abraha a plusieurs
fois promis du secours à Justinien contre les Perses, et qu'il a, en
effet, entrepris une expédition dans le territoire perse, d'où il est ra-
pidement revenu; M. G. pense, avec raison, qu'il s'agit, non de l'ex-
pédition contre la Mecque, qui n'eut lieu qu'en 560 ou 570,. mais
d'une expédition antérieure s'étant passée en 542 et 543 et dans la-
quelle les princes Al-Harith-ben-Gabala de Ghassan et son adversaire
Al-Mundhir III de Hira, ainsi que d'autres personnages connus par
les historiens de l'Islam, jouaient les rôles principaux et dont les
noms sont mentionnés dans l'inscription.
L'auteur commente ensuite l'inscription de Hiçn-el-Ghurâb et con-
sidère le personnage placé en tête d'autres noms propres, Samayfa
Ashwà comme identique à l'Esimiphaios de Procope, le premier vice-
roi abyssinien en Himyar et prédécesseur d'Abraha. Le chapitre se
termine par une revue des personnages marquants des Arabes du
nord : Abukarib-ben-Gabalat, Murrat, Yezid-ben-Kabshat, Marthad,
Dhou-Gadan, Dhou Yaz'an et d'autres encore qui sont cités dans le.
texte de Marib. Fait curieux, les princes de Hira et de Ghassan sont
appelés en sabéen : mudhdlwân « les Mundhir »; en arabe ManâdJiira.
Gela prouve que ces princes, contrairement à la tradition arabe,
n'étaient pas d'origine sabéenne, mais araméenne, ainsi que je l'ai
supposé dans mes écrits antérieurs.
Après avoir établi l'ère sabéenne, l'auteur nous apprend, dans le
2° chapitre, une nouvelle des plus précieuses, l'existence d'inscrip-
tions juives et chrétiennes. Bien que tout à fait inconnus auparavant,
les textes de la seconde espèce étaient, pour ainsi dire, attendus, étant
donnée Ja longue domination du christianisme en Arabie méridio-
nale, et l'on pouvait supposer d'avance que les rois chrétiens qui ont
gouverné ce pays depuis 525 jusqu'à l'invasion des musulmans
avaient laissé quelques traces épigraphiques de leur gouvernement.
Autre chose est l'apparition subite des textes de la première espèce.
Personne ne s'attendait à trouver dans l'ancien pays de Saba des
inscriptions de princes juifs, et j'avoue que je ne suis pas encore
3! 4 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
revenu de mon ètonnement. On a bien une tradition relative à la
conversion au judaïsme des derniers rois d'Himyar, en particulier de
Dhou-Nouwâs, le dernier de tous; mais, ainsi que je l'ai démontré
dans un travail récent, cette tradition est tendancielle et apocryphe.
Cependant tous nos scrupules critiques doivent disparaître devant
l'évidence. Il faut donc voir si les faits signalés par l'auteur suffisent
pour établir sa thèse d'une manière indubitable, et là-dessus quel-
ques réserves me semblent encore nécessaires. Ceci dit, je donnerai
la substance des points sur lesquels il s'appuie, et qui sont de la
plus haute importance.
Une inscription de Shammar Yuhar'isch, roi de Saba et de Raïdân,
gravée en 396-281 après J.-C, porte encore l'invocation franchement
payenne : « Par la puissance de leur seigneur Athtar (Astarté mâle) de
Sharqân et de leurs déesses et de leurs dieux. » 97 ans après (de 281
à 378) commence une série d'inscriptions dans lesquelles les divinités
payennes sont remplacées par l'expression « le seigneur du ciel » ;
parfois on y ajoute « et de la terre ». Plusieurs donnent l'épithète
rahmanân « le miséricordieux » ; une, enfin, l'expression autrement
significative : « [seigneur] du ciel et d'Israël ». Il semble évident que
les princes de cette série se distinguent de leurs prédécesseurs par
un culte, non plus payen, mais monothéiste, de même qu'ils s'en
distinguent politiquement par un protocole plus long, où. à Saba et
Raïdan viennent se joindre Hadramaout et Jemnat, accompagnés par-
fois de l'expression « et de leurs Arabes dans la montagne et dans
le Tihâmat ».
Toutefois, il faut faire remarquer que la désignation du dieu su-
prême par le titre de « seigneur du ciel et de la terre » revient aussi
dans les inscriptions d'Axum qui datent d'une époque où le roi
[Ajzêna était encore payen. L'épithète « le miséricordieux » pour
Jupiter-Céleste se trouve, de son côté, dans les inscriptions de Pal-
myre et de Nabatène avant la prédominance d'une religion mono-
théiste dans ces pays. Dans tous les cas, elles ne révèlent aucun
trait particulier au judaïsme. Ce trait caractéristique ne s'observe
que dans la seule inscription qui porte le membre de phrase que
M. G. complète [seigneur du cijel et Israël. Malheureusement, par
suite de la mutilation du texte, une autre interprétation est égale-
ment imaginable, et le mot Ishrr'l peut bien être un nom propre
sabéen faisant partie d'une nouvelle phrase : « [par la puissance du
seigneur du cijel. Et quant à [Yesharêl. . .] ». J'ajouterai que la tra-
duction de Rahmanân comme un singulier doué de l'article défini :
« le Miséricordieux », me paraît encore assez douteuse, et l'idée d'y
voir un nom au pluriel : * les miséricordieux », n'est pas tout-à-fait
exclue. En un mot, même en admettant pour cette série une forme
de culte différente, rien ne force à lui supposer un caractère juif :
les auteurs des inscriptions dont il s'agit peuvent aussi être des
chrétiens quelque peu judaïsants, par exemple des ariens, secte dont
l'extension dans le pays d'Himyar est en effet signalée par les histo-
BIBLIOGRAPHE 315
riens byzantins. La confession arienne répandue par Théophile pen-
dant le règne de Constance (337-361) s'y serait ainsi maintenue jus-
qu'à l'établissement de la vice-royauté d'Abraha, prince monophysite
auquel appartient le grand prisme de Marib des années 542 et 543 qui
débute par ces mots : « Par la puissance et le secours et la miséri-
corde du Miséricordieux et de son messie et du saint Esprit et leurs
Arabes dans la région montagneuse et la plaine maritime. »
Naturellement, ces doutes disparaîtront le jour où les inscriptions
se rapportant à cette intéressante période pourront être étudiées à
tête reposée et leur teneur pesée en pleine connaissance de cause. Je
remarquerai seulement que M. le professeur Hommel affirme avoir
trouvé le nom de Dhou-Nouwâs dans la première inscription de Shirà
(Halévy 63). Il fait probablement allusion au dernier mot de l'avant-
dernière ligne, qui pourrait au besoin être lu DfcCÏ, mais le caractère
douteux de la quatrième lettre, joint à la mutilation du texte, n'est
pas fait pour nous permettre d'être affirmatif à cet égard. Pour pou-
voir nous prononcer d'une façon décisive, il faut avoir l'explication
exacte de ce fait très important que le savant voyageur lui-même
laisse indécise, savoir l'invocation des divinités payennes Athtar et
Almaqah dans une inscription appartenant à un roi au long titre men-
tionné plus haut et ayant par conséquent régné environ en 493 ou
après. Y aurait-il l'indice d'une rechute dans le paganisme, ou bien
l'inscription est-elle antérieure à l'an 400? M. Glaser laisse debout ces
deux alternatives, sans se déclarer en faveur de l'une ou de l'autre;
mais si le titre royal n'est plus la marque certaine de l'époque, il
nous manque un point de repère assuré pour fixer le début de la
domination du judaïsme, si les personnages qui invoquent « le Misé-
ricordieux » sont de religion juive et non des ariens judaïsants, ainsi
que je l'ai supposé en analysant le premier chapitre.
Je recommande aux historiens de lire avec attention le reste de ce
chapitre, où ils trouveront une discussion des plus intéressantes sur
la date du Périple et les inscriptions axumitaines, discussion au cou-
rant de laquelle M. Glaser nous apprend que Raïdân n'est pas le nom
d'un château, mais d'une contrée voisine de Harib-Baïhân, environ à
deux journées de Mârib ; que Thafar est le nom commun à toutes les
capitales ; que le Salhên des rois d'Axum est aussi un nom de pays.
Il place en Arabie les pays de Çiyâmô, Kalaa, Lasine, etc. mention-
nés dans les textes abyssiniens et les identifie, en partie, avec des
localités sabéennes. Très attachant est le tableau qu'il trace des ingé-
rences de la politique romaine dans les rapports entre l'Abyssinie et
le royaume sabéen et des rivalités sociales et religieuses qui en
étaient la conséquence.
On peut rarement traiter un point d'ethnographie sémitique sans y
intéresser les études bibliques. La population arabe des Minéens à
laquelle M. G. consacre le troisième chapitre en fournit un nouvel
exemple. Mon voyage a révélé pour la première fois dans le Djaouf
moyen, au nord de Marib, trois villes anciennes ayant appartenu à
316 REVUE DES ETUDES JUIVES
ce peuple qui portait le nom de sa capitale, Ma'în 0^:). Les nom-
breuses inscriptions y recueillies, rédigées dans un dialecte particu-
lier, mentionnent nominativement plus de 20 rois de Ma'în, mais très
rarement les rois de Saba. De plus, contrairement aux Sabéens, les
Minéens ne frappaient pas monnaie et n'avaient pas une ère particu-
lière. Enfin, comme, d'une part, les géographes classiques ne parlent
jamais de rois minéens et que, de l'autre, les villes détruites par
A^elius Gallus dans sa marche sur Maryaba (Marib) sont exclusive-
ment sabéennes, tous ces faits pris ensemble donnent à penser que
les deux royaumes de Ma'îu et de Saba n'ont pas existé l'un à côté
de l'autre, mais, en grande partie, l'un après l'autre. M. G. s'attache
fermement à cette solution, en insistant surtout sur cette circons-
tance, vraiment remarquable, que les villes minéennes forment des
îlots perdus dans le territoire sabéen et n'auraient pu conserver
si longtemps leur indépendance si le royaume de Saba était alors en
force. M. G. regarde le royaume minéen comme antérieur à celui de
Saba, ce à quoi semble conduire la différence cultuelle entre les deux
peuples, ainsi que le caractère plus archaïque du dialecte de Ma'in.
La Bible elle-même, ajoute M. G., s'oppose décidément à l'idée que la
Minée ait été contemporaine de la Sabée, puisque Ma'îu n'y est pas
mentionné à côté de Saba. Une fois, I Chroniques, iv, 41, on lit le
récit relatant qu'au temps d'Ezéchias, les Siméonites chassèrent les
Ahlim et les Me'ûnîm du Sud. « C'étaient, dit M. Glaser, évidemment
les restes d'une population puissante, les Minéens, qui, conformément
à mes inscriptions, possédaient certainement la contrée de Ghazzat
(Gaza) en Syrie, peut-être encore d'autres districts dans le nord. Que
les Minéens avaient dans la haute antiquité presque tous les terrains
fertiles depuis le Hadramaout jusqu'au loin dans le nord, c'est ce qui
résulte d'ailleurs des inscriptions minéennes rapportées par M. Eu-
ting. » Ces faits, s'ils venaient à se confirmer par une étude plus
mûrie des textes, constitueraient une des plus grandes découvertes
historiques de notre siècle. La plus grande difficulté qui s'oppose à
cette manière de voir réside dans les inscriptions lihyanites d'El-'Ola
qui semblent être contemporaines à la fois des textes minéens et des
inscriptions nabatéenues, lesquelles vont notoirement jusqu'à la qua-
trième année de Rabèl, roi de Nabath, 74 après J.-C. Attendons cepen-
dant et laissons la question ouverte pour le moment.
Les trois derniers chapitres sont intitulés respectivement : Chute
du royaume minéen et apparition du royaume sabéen ; Les Makârib
de Saba, fondation de Çirwâh' et Marib ; Les rois de Saba : Pre-
mière apparition de Habashât (Abyssiniens) et des Himyarites ; Rois
du Hadramaout. Le savant auteur nous y fournit une foule de rensei-
gnements nouveaux et à peine soupçonnés jusqu'à ce jour. Ne pouvant
les analyser ici, je me bornerai à en relever quelques propos qui
peuvent intéresser ceux mêmes qui sont étrangers au sabéisme. M. G.
croit trouver dans Hal. 535 une allusion à une guerre ayant eu lieu
entre l'Egypte (Miçr) et la peuplade iduméenne nommée Mizza, dans
BIBLIOGRAPHIE 317
Genèse, xxxvi, 13 et 47. Ce nom ethnique s'écrit en sabéen "^tt, mot
qui me faisait jadis penser aux Mèdes "H7p, dont la forme iranienne est
Mâdlia, en dialecte moderne Mâh, mais l'une et l'autre de ces identi-
fications auront de la peine à se soutenir. Très séduisante est l'expli-
cation de l'ancien nom de la Mecque, Macoraba, par le sabéen Mikrab
« temple », le mot éthiopien Makuerab conviendrait encore mieux ; on
s'attendrait cependant à Machoraba. Une heureuse découverte est le
nom Yesran pour le wâdi de Marib. Non moins heureuse est l'autre
découverte que l'ancien nom de Ganâa était Tafîdh, ce qui fait dis-
paraître l'identification de Ganâa avec l'Ouzal de la Genèse que les
rédacteurs du premier fascicule de la partie sabéenne du Corpus ins-
criptionum semiticarum ont cherché à défendre contre mes objec-
tions. D'un caractère plus général sont les données sur la suite des
princes de Makârib, sur la naissance de la puissance abyssinienne
en Arabie, sur les relations réciproques entre Saba, Hadramaout et
Himyar. M. G. déplore la rareté des monuments de provenance ha-
dramotite, qui ne renferment pas plus de neuf noms royaux, et il
insiste, avec raison, sur le résultat précieux qu'une exploration épi-
graphique de ce pays pourrait avoir pour la science.
Est-il besoin de répéter que les trésors épigraphiques rapportés
par M. Glaser dépassent en valeur intrinsèque tout ce qu'ont fait
connaître les autres Voyageurs ? On voit poindre une nouvelle ère
pour l'histoire des Sémites méridionaux. Les ténèbres de jadis sont
en voie de faire place à un jour brillant, coloré de mille nuances.
Nous commençons à distinguer les peuples de ces contrées naguère
fermées à notre investigation. Nous les voyons presque défiler devant
notre curiosité étonnée depuis leur naissance à la vie civilisée jusqu'au
moment de leur disparition de la scène politique. Nos anciennes idées
sont renversées et de nouveaux domaines historiques s'ouvrent à
notre activité. Gomment ne pas être reconnaissant envers M. Glaser
de nous avoir fourni tant de moyens excellents d'augmenter notre
savoir? Quant à moi, j'ose croire que la meilleure façon de témoigner
notre gratitude au savant voyageur serait de lui faciliter la tâche
d'entreprendre un nouveau voyage dans une autre province de cette
Arabie méridionale, à laquelle ces découvertes récentes sont en
voie de restituer son ancien titre d' « heureuse », du moins au point
de vue épigraphique, comparativement à quelques pays sémitiques
du nord, notamment la Syrie et la Palestine.
J. Halévy.
CORRESPONDANCE
M. Israelsohn, de Saint-Pétersbourg, nous écrit, sous la date du
18 décembre, que M. le Dr Harkavy vient de faire, dans l'inépui-
sable fonds Firkowitz, une trouvaille qui aurait été intéressante
en tout temps, mais qui gagne encore en importance, eu égard au
projet conçu par notre collaborateur, M. J. Derenbourg, de faire
une édition complète des œuvres de Saadia, à l'occasion du mil-
lénaire de ce célèbre Gaon, né à Fayyoûm en 892. L'ouvrage que
M. Harkavy a découvert porte le titre : « ï-mro ^b? *nbN a«rô »,
« critique de Saadia ». L'auteur est nommé « Mebasser » (*Tiï5n»)
et doit être certainement le même que celui qui fut nommé Gaon
par le Resch-Gelouta David ben Zaccai. Notre correspondant
nous dit que l'ouvrage est considérable. On peut donc s'attendre
à de nouveaux détails sur les fameuses luttes qui, au commence-
ment du xe siècle, éclatèrent au sein des communautés de la Ba-
bylonie.
ADDITIONS ET RECTIFICATIONS
T. XVIII, page 283, ligne 1, lisez hoja, au lieu de hooja
— » ligne 12, — siendo, — siedo
— » ligne 25, — estatuto, — estaluto
— 285, ligne 9, enlevez le point avant Ishao
— » ligne 26, lisez Almeyda, au lieu de Almeyada
— 287, ligne 6, — Terceras — Jerceras
— 288, ligne 7, — de sala — a sala
— » ligne 8, — a las — de las
— 289, ligne 9, — donde — dende.
T. XIX, p. 78. — Notre collaborateur M. le D1' Simonsen, de Copen-
hague, a bien voulu -m'adresser quelques observations intéressantes au
sujet de l'inscription de Narbonne que j'ai publiée dans le dernier numéro
de la Revue. J'en extrais les renseignements suivants. Dans une inscription
juive gréco-latine publiée par Fr. Lenormant (Essai sur la propagation de
l'alphabet, etc., I, 265) on trouve le nom nap-riydpio; (latin : Parecorius) dont
j'ai signale' l'usage fréquent chez les Juifs du haut moyen âge. Le nom
Matrona (Dj"1*Ilû^), dont je ne connaissais pas d'exemple littéraire anté-
rieur au xie siècle, se lit sur un fragment de papyrus hébreu du Musée de
Berlin, publié en 1879 par Steinschneider et depuis par Ghwolson (Corpus,
p. 124-5). — Th. Reinach.
Le gérant,
Israël Lévi.
TABLE DES MATIERES
ARTICLES DE FOND.
Brunschvicg (Léon). Les Juifs de Nantes et du pays nantais
{fin) 294
Bruzzone (P.-L.). I. Documents sur les Juifs des États ponti-
ficaux 1 31
II. Les Juifs au Piémont 1 41
Darmesteter (James). Textes pehlvis relatifs au judaïsme
[suite) 41
Derenbourg- (J.). Gloses d'Abou Zachariya ben Bilam sur Isaïe
[suite) 84
Gr^tz (H.). But réel de la correspondance échangée entre les
Juifs espagnols et provençaux et les Juifs de Constan-
tinople 4 06
Guttmann. Alexandre de Haies et le judaïsme 224
Halévy (J.). Recherches bibliques. — XVI. Le psaume lxviii.. 1
XVII. Le royaume héréditaire de Cyrus. — XVIII. L'é-
poque d'Abraham 1 61
Kahn (Salomon). Documents inédits sur les Juifs de Mont-
pellier 259
Kaufmann (David). Extraits de l'ancien livre de la communauté
de Metz 115
Kracauer (J.). Procès de R. Joselmann contre la ville de Colmar 282
Lévi (Israël). Le traité sur les Juifs de Pierre De l'Ancre 235
Lévy (Emile). Un document sur les Juifs du Barrois 246
Loeb (Isidore). I. Les dix-huit bénédictions 17
II. Chandeliers à sept branches 1 00
III. Notes sur le chapitre Ier des Pirké Abot 1 88
IV. Notes sur l'histoire des Juifs 202
Reinach (Théodore). I. Inscription juive de Narbonne 75
II. Inscription juive d'Auch 21 9
Thiaugourt (G.). Ce que Tacite dit des Juifs au commencement
du livre V des Histoires 57
320 REVUE DES ÉTUDES JUIVES
NOTES ET MÉLANGES.
Derenbourot (J.). Le nom de Fangar : 148
Furst. Mélanges lexicographiques 4 47
Israelsohn et Derenbourg (J.)- L'ouvrage perdu de Jehouda
Hajjoudj 306
Kaufmann (David). Un portrait de Faradj, le traducteur 4 52
Lévi (Israël). I. Note sur le traité de polémique pehlvi 149
II. Encore un mot sur un alphabet hébreu-anglais au
xive siècle 4 51
Loeb (Isidore). Le Mémoire de Ganganelli 151
BIBLIOGRAPHIE.
Halévy (J.). Skizze der Geschichle Arabiens von den seltesten
Zeiten bis zum Propheten Muhammed, par Edouard
Glaser.. , 312
Loeb (Isidore). Revue bibliographique 1 55
Additions et rectifications 1 60 et 31 8
Correspondance 318
Table des matières 319
ACTES ET CONFERENCES.
Liste des Membres de la Société pendant l'année 1888 i
Procès-verbaux des séances du Conseil xiv
FIN.
VERSAILLES, IMPRIMERIE CERF ET FILS, RUE DUPLESS1S, 50.
ACTES
ET
CONFÉRENCES
VERSAILLES
CERF ET FILS, IMPRIMEURS
59, RUE DUPLESSIS, 59
ACTES
ET
CONFÉRENCES
DE LA
SOCIETE DES ETUDES JUIVES
TOME PREMIER
ANNEES 1886 A 1 88
PARIS
A LA LIBRAIRIE A. DURLAGHER
83 USy RUE DE LAFAYETTE
1889
LISTE DES MEMBRES
DE LA
SOCIÉTÉ DES ÉTUDES JUIVES
PENDANT L'ANNÉE 1888.
Membres fondateurs 1.
1 Camondo (feu le comte A. de).
2 Camondo (feu le comte N. de).
3 Gunzburg (le baron David de), boulevard des Gardes-à-
Cheval, 17, Saint-Pétersbourg.
4 Gunzburg (le baron Horace de) , boulevard des Gardes-à-
Cheval, 17, Saint-Pétersbourg.
5 Lévy-Crémieux (feu).
6 Poliacoff (feu Samuel de).
7 Rothscjbild (feu la baronne douairière de).
8 Rothschild (feu le baron James de).
Membres perpétuels *.
9 Albert (feu E.-J.).
10 Bardac (Noël), rue de Provence, 43 3.
1 Les Membres fondateurs ont versé un minimum de 1,000 francs.
8 Les Membres perpétuels ont versé 400 francs.
3 Les Sociétaires dont l'adresse n'est pas suivie d'un nom de ville demeurent
à Paris.
ACT. ET CONF. A
ACTES ET CONFERENCES
11 Bischoffsheim (Raphaël), rue Taitbout, 3.
12 Cahen d'Anvers (feu le comte) .
13 Dreyfus (feu Nestor).
14 Goldschmidt (S. -H.), rond-point des Champs-Elysées, 6.
15 Hecht (Etienne), rue Lepelletier, 19.
16 Hirsch (feu le baron Lucien de).
17 Kann (Jacques-Edmond), avenue du Bois-de-Boulogne, 58.
18 Kohn (Edouard), rue Blanche, 49.
19 Lazare (A.), boulevard Poissonnière, 17.
20 Lévy (Calmann), éditeur, rue Auber, 3.
21 Montefiore (Claude), Portman Square, 12, Londres.
22 Oppenheim (feu Joseph).
23 Penha (Immanuel de la), rue de la Victoire, 28.
.24 Penha (M. delà), rue Tronchet, 15.
25 Ratisbonne (Fernand), rue Rabelais, 2.
26 Reinach (Hermann-Joseph), rue de Berlin, 31.
27 Rothschild (le baron Adolphe de), rue de Monceau, 47.
28 Troteux (Léon), rue de Mexico, 1, le Havre.
Membres souscripteurs l.
29 Adelson-Monteaux (feu).
30 Adler (Rev. D' Hermann), Queensborough-Terrace, 5, Hyde
Park, Londres.
31 Aghion (Victor), Alexandrie, Egypte.
32 Albert-Lévy, professeur à l'Ecole municipale de chimie et de
physique, rue des Ecoles, 25.
33 Aldrophe (Alfred), architecte, faubourg Poissonnière, 37.
34 Alexandre Dumas, de l'Académie française, avenue de Vil-
liers, 98.
35 Allatini, Salonique.
36 Alliance Israélite universelle, 35, r. deTrévise (175 fr.).
37 Allianz (Israelitische), Kaerntnerstrasse, 14, Vienne.
38 Andrieux, député, avenue Friedland, 32.
1 La cotisation des Membres souscripteurs est de 25 francs par an, sauf pour
ceux dont le nom est suivi d'une indication spéciale.
LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ 111
39 Aron (Arnaud), grand rabbin, Strasbourg.
40 Astruc (E.-A.), grand rabbin, Bayonne.
41 Basch, cité Condorcet.
42 Bechmann (Ernest-Georges), ingénieur en chef des eaux de la
ville de Paris, place de l'Aima, 1.
43 Bechmann (J.-L.), rue delà Chaussée- d'Antin, 45.
44 Beck (Dr), rabbin, Bucharest.
45 Benedetti (S. de), professeur à l'Université, Pise.
46 Bernhard (Mlle Pauline), 24, rue de Lisbonne.
47 Bickart-Sée, boulevard Malesherbes, 101.
48 Bing, président de la Communauté israélite de Dijon.
49 Blin (Albert), Elbeuf.
50 Bloch (Félix), Haskeuy, Constantinople.
51 Bloch (Isaac), grand rabbin, Alger.
52 Bloch (Maurice), agrégé des lettres, boulevard Bourdon, 13.
53 Bloch (Moïse), rabbin, Versailles,
54 Bloche (feu Louis-Lazare).
55 Blocq (Mathieu), Toul.
56 Blum (Victor), le Havre.
57 Boucris (Haïm), rue de Médée, Alger.
58 Bruhl (David), rue de Châteaudun, 57.
59 Bruhl (Paul), rue de Châteaudun, 57.
60 Brunschwicg (Léon), avocat, 18, rue Lafayette, Nantes.
61 Cahen (Abraham), grand rabbin, rue Vauquelin, 9.
62 Cahen (Albert) , professeur agrégé au collège Rollin , rue
Condorcet, 53.
63 Cahen (Gustave), rue des Petits-Champs, 61.
64 Cahen d'Anvers (Albert), rue de Grenelle, 118.
65 Carcassonne (Darius), président de la Communauté israélite,
Salon (Bouches-du-Rhône).
66 Carrière, prof, à l'Ecole des Hautes-Etudes, rue de Lille, 35.
67 Cattaui (Elie), rue Lafayette, 14.
68 Cattaui (Joseph-Aslan), ingénieur civil, au Caire, Egypte.
69 Cerf (Hippolyte), rue Française, 8.
70 Cerf (Léopold), ancien élève de l'Ecole normale supérieure,
éditeur, Versailles.
IV ACTES ET CONFÉRENCES
71 Cerf (Louis), rue Française, 8.
72 Chwolson (Daniel), conseiller d'Etat, professeur de langues
orientales, rue Wassili Ostrov, 7, ligne n° 42, Saint-
Pétersbourg.
73 Cohen (Hermann), rue Ballu, 36.
74 Cohen (Isaac-Joseph), rue Lafayette, 75.
75 Cohn (Léon), préfet de la Haute-Garonne, Toulouse.
76 Consistoire Israélite de Belgique , rue du Manège , 12 ,
Bruxelles.
77 Consistoire Israélite de Bordeaux,- rue Honoré-Tessier, 7,
Bordeaux.
78 Consistoire Israélite de Lorraine, Metz.
79 Consistoire Israélite de Marseille.
80 Consistoire Israélite d'Oran.
81 Consistoire Israélite de Paris (200 fr.).
82 Dalsace (Gobert), rue Rougemont, 6.
83 Darmesteter (feu Arsène).
84 Darmesteter (James), professeur au Collège de France, rue
Bar a, 9.
85 Debré (Simon), rabbin, Neuilly-sur-Seine.
86 Delvaille (Dr Camille), Bayonne.
87 Dennery (Gustave-Lucien), rue des Pyramides, 10.
88 Derenbourg (Hartwig), directeur- adjoint à l'Ecole des Hautes-
Etudes, professeur à l'Ecole des Langues orientales, rue
de la Victoire, 56.
89 Derenbourg (Joseph), membre de l'Institut, rue de Dun-
kerque, 27.
90 Dreyfus (Abraham), rue du Faubourg-Saint-Honoré, 102.
91 Dreyfus (Anatole), rue de Trévise, 28.
92 Dreyfus (H.-L.), rabbin, Saverne.
93 Dreyfus (Henri), faubourg Saint-Martin, 162.
94 Dreyfus (Jules), faubourg Saint-Martin, 162.
95 Dreyfus (L.), avenue de l'Opéra, 13.
96 Dutau, rue de Sèvres, 35.
97 Durlacher (Armand), libraire-éditeur, rue Lafayette, 83 bis.
98 Duval (Rubens), boulevard Magenta, 18.
LISTE DES MEM'UiES DE LA SOCIETE
99 Eichthal (Eugène d'), rue Jouffroy, 57.
100 Emerique (Ernest), rue Larochefoucaulcl, 21.
101 Ephraïm (Armand), rue Boccador, 24.
102 Epstein, Grilparzerstr. , 11, Vienne.
103 Erlanger (Charles), place des Vosges, 9.
104 Erlanger (Michel), place des Vosges, 9.
105 Errera (Léo), professeur à l'Université, rue Stéphanie, 1,
Bruxelles.
106 Ettinghausen (Hermann), rue Richer, 15.
107 Feldmann (Armand), avocat, rue dlsly, 8.
108 Fernandez (Salomon), à la Société générale de l'empire otto-
man, Constantinople.
109 Fita (le Rév. P. Fidel), membre de l'Académie royale d'his-
toire, Calle Isabella la Catholica, 12, Madrid.
110 Fould (Léon), faubourg Poissonnière, 30.
111 Foy (Edmond), rue Chégaray, Bayonne.
112 Franck (Adolphe), membre de l'Institut, rue Ballu, 32.
113 Gautier (Lucien), professeur de théologie, Lausanne.
114 Georges (Paul), rue Béranger, 17.
115 Gerson (M. -A.), rabbin, Dijon.
110 Giavi, avenue de la Gare, 13, Nanterre.
117 Goeje (J. de), professeur d'arabe à l'Université, Leyde.
118 Gommés (Armand), rue Chégaray, 33, Bayonne.
119 Griolet (Gaston), rue de Berne, 2.
120 Gross (Dr Heinrich), rabbin, xAugsbourg.
121 Grunwald (Dr), rabbin, Jungbunzlau, Autriche.
122 Gubbay, boulevard Malesherbes, 165.
123 Gudemann (Dr), rabbin, Vienne.
124 Guizot (Guillaume), professeur au Collège de France, rue de
Monceau, 42.
125 Hadamard (D.), rue de Châteaudun, 53.
126 Haguenau (David), rabbin, boulevard Voltaire, 13.
127 Halberstam (S.-J.), Bielitz, Autriche.
128 Halévy (Joseph), professeur à l'Ecole des Hautes-Etudes, rue
Aumaire, 26.
129 Halévy (Ludovic), de l'Académie française, rue de Douai, 22.
VI ACTES ET CONFÉRENCES
130 Halfen (Edmond), rue Legendre, 20.
131 Halfon (Michel), rue de Monceau, 60.
132 Halfon (Mme S.), rue du Faubourg Saint-Honoré, 21 (50 fr.).
133 Hammerschlag, II, Ferdinandstrasse, 23, Vienne.
134 Harkavy (Albert), bibliothécaire, Saint-Pétersbourg.
135 Hayem (feu Armand).
136 Hayem (Dr Georges), membre de l'Académie de médecine, rue
de Vigny, 7.
137 Hayem (Julien), avenue de Villiers, 63 (40 fr.).
138 Helne-Furtado (Mme G.), 28, rue de Monceau (100 fr.).
139 Herzberg (Dr), Jérusalem.
140 Herzog (Henri), ingénieur des ponts et chaussées, à Guéret.
141 Heymann (Alfred), avenue de l'Opéra, 20.
142 Hirsch (Henri), rue de Médicis, 19.
143 Hirsch (Joseph), ingénieur en chef des ponts et chaussées, rue
de Castiglipne, 1.
144 Isaacs, 115, Broadway, New- York.
145 Isidor (feu le grand rabbin).
146 Jastrow (Dr M.), rabbin, Philadelphie.
147 Jellinek (Dr), rabbin-prédicateur, Vienne.
148 Jourda, directeur de l'Orphelinat de Rothschild, rue de Lam-
blardie, 7.
149 Kahn (Coschel), président de la Communauté israélite, Bahia,
Brésil.
150 Kahn (Jacques), rue Larochefoucauld, 35.
151 Kahn (Salomon), boulevard Baile, 172, Marseille.
152 Kahn (Zadoc), grand rabbin de Paris, rue Saint-Georges, 17.
153 Kaufmann (David), professeur au Séminaire israélite, 20,
Andrassystrasse, Budapest.
154 Kespi, rue René- Caillé, Alger.
155 Kinsbourg (Paul), rue de Cléry, 5.
156 Klotz (Eugène), place des Victoires, 2.
157 Klotz (Victor), avenue Montaigne, 51.
158 Kohn (Georges), rue Blanche, 49.
159 Komitet Synagogi na Tlomackiem, Varsovie.
160 Kunst. rue des Petites-Ecuries, 48.
LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIETE Vil
161 Lambert (Abraham), avoué, rue Saint-Dizier, 17, Nancy.
162 Lambert (Eliézer), avocat à la Cour d'appel, rue Baudin, 26.
163 Lassudrie, rue Laffitte, 21.
164 Lazare (Maurice), rue Fénelon, 13.
165 Lehmann (Joseph), rabbin, boulevard Voltaire, 44.
166 Lehmann (Léonce), avocat à la Cour de cassation, rue de Ma-
rignan, 16.
16*7 Lehmann (Mathias), rue Taitbout, 29.
168 Lehmann (Samuel), rue d'Hauteville, 38.
169 Léon (Xavier), boulevard Haussmann, 127.
170 Léopold (Lyon), directeur de l'Ecole communale, rue des Hos-
pitalières-Saint-Gervais (30 fr.).
171 Levaillant, trésorier général, Saint-É tienne.
172 Leven (Emile), rue de Maubeuge,81.
173 Leven (Léon), rue de Trévise, 37.
174 Leven (Louis), rue de Trévise, 37.
175 Leven (Dr Manuel), rue Richer, 12.
176 Leven (Narcisse), avocat à la Cour d'appel, rue de Trévise, 45.
177 Leven (Stanislas) , conseiller général de la Seine , rue Ri-
cher, 12.
178 Lévi (Charles), boulevard Magenta, 49 (30 fr.).
179 Lévi (Israël), rabbin, rue Condorcet, 53.
180 Lévi (Sylvain), maître de conférences à l'Ecole des Hautes-
Etudes, rue Simon-le-Franc, 17.
181 Lévy (Alfred), grand rabbin, Lyon.
182 Lévy (Paul-Calmann), rue Auber, 3.
183 Lévy (Charles), Colmar.
•184 Lévy (Emile), rabbin, Verdun.
185 Lévy (Aron-Emmanuel), rue Marrier, 19, Fontainebleau.
186 Lévy (Jacques), grand rabbin, Constantine.
187 Lévy (Léon), rue Logelbach, 9.
188 Lévy (^Raphaël), rabbin, rue d'Angoulême, 6.
189 Lévy (feu Sichel).
190 Lévy (Sylvain), rue des Allemands, Metz.
191 Lévy-Bruhl (Lucien), professeur de philosophie, rue Mon-
talivet, 8.
VIII ACTES ET CONFERENCES
192 Lévy-Frankel (Dr Edouard), rue Ordener, 103.
193 Lévylier, ancien sous-préfet, rue Vignon, 9.
194 Loeb (Isidore), professeur au Séminaire israélite, rue de Tré-
vise, 35.
195 Lœwenstein (MM.), rue Lepeletier, 24.
196 Lœwenstein (Dr), rabbin, Mosbach, Allemagne.
197 Lœvy (A.), 100, Sutherland Gardens, Londres.
198 Lôw (Dr Immanuel), rabbin, Szegedin.
199 Lyon-Cahen (Charles), professeur à la Faculté de droit, rue
Soufflot, 13.
200 Mannheim (Amédée), colonel, professeur à l'Ecole polytech-
nique, rue de la Pompe, 11.
201 Mannheim (Charles-Léon), rue Saint-Georges, 7.
202 Manuel (Eugène), inspecteur général de l'enseignement se-
condaire, rue Raynouard, 6.
203 Mapou, avenue Mac-Mahon, 13.
204 Marc us (Saniel), Smyrne.
205 May, chaussée de Bockenheim, 31, Francfort-sur-le-Mein.
206 May (Louis-Henry), rue Saint-Benoit, 7.
207 Mayer (Ernest), rue Moncey, 9.
208 Mayer (Gaston), avocat à la Cour de Cassation, avenue
Montaigne, 3.
209 Mayer (Michel), rabbin, boulevard du Temple, 25.
210 Mayrargues (Alfred), boulevard Malesherbes, 103.
211 Merzbach (Bernard), rue Richer, 17.
212 Meyer (Dr Edouard), boulevard Haussmann, 73.
213 Michel-Lévy (Paul), rue Gluck, 2.
214 Mocatta (Frédéric-D.), Connaught Place, 9, Londres (50 fr.).
215 Modona (Leonello) , sous-bibliothécaire de la Bibliothèque
royale, Parme.
216 Montefiore (Edward-Lévi), avenue Marceau, 58.
217 Montefiore (Mosé), ministre officiant, rue Rochechouart, 49.
218 Morhange (Eugène), cours Gaffe, 103, Marseille.
219 Mortara (Marco), grand rabbin, Mantoue.
220 Netter (Dr Arnold), rue du Château-d'Eau, 15.
221 Netter (Moïse), rabbin, Saint-Étienne.
LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIETE IX
222 Neubauer (Adolphe), bibliothécaire à la Bodléienne, Oxford.
223 Neumànn (Dr), rabbin, Gross-Kanisza, Autriche-Hongrie.
224 Neymarck (Alfred), rue Vignon, 18.
225 O'Neill (John), Selling, Taversham (Kent), Angleterre.
226 Ochs (Alphonse), rue Chauchat, 22.
227 Oppenheim (P.-M.), 11, rue Taitbout (50 fr.).
228 Oppenheimer (Joseph-Maurice), rue Lepeletier, 7.
229 Oppert (Jules), membre de l'Institut, professeur au Collège
de France, rue de Sfax, 2.
230 Osiris (Ifla), rue Labruyère, 9.
231 Oulman (Camille), rue de Grammont, 30.
232 Oulry (Godchaux), avenue de Neuilly, 104, Neuilly-sur-
Seine.
233 Ouverleaux (Emile), conservateur de la Bibliothèque royale,
Bruxelles.
234 Paris (Gaston), membre de l'Institut, rue du Bac, 110.
235 Péreire (Gustave), rue de la Victoire, 69.
236 Perles (J.), rabbin, Munich.
237 Perreau (le chevalier), bibliothécaire royal, Parme.
238 Picciotto (Moïse de), Aie p.
239 Ptcot (Emile), avenue de Wagram, 135.
240 Pintus (J.), place du Rivage, 1, Sedan.
241 Pontremoli (Albert), avenue des Champs-Elysées, 129.
242 Popelin (Claudius), rue de Téhéran, 7.
243 Porgès (Charles), 81, rue de Monceau (40 fr.).
244 Proppei (S.), rue Volney, 4.
245 Reale Istituto superiore, sezione di filologia e filosofia,
Florence.
246 Reinach (Joseph), avenue Van Dyck, 6.
247 Reinach (Salomon), ancien élève de l'Ecole d'Athènes, con-
servateur-adjoint du musée de Saint-Germain , rue de
Berlin, 31.
248 Reinach (Théodore), docteur en droit, rue Murillo, 26.
249 Reiss (Albert), rue de Londres, 60.
250 Reitlinger (Frédéric), avocat à la Cour d'appel, rue Scribe, 7.
251 Reitlinger (Sigismond), boulevard Haussmann, 63.
ACTES ET CONFERENCES
252 Renan (Ernest), membre de l'Institut, administrateur du
Collège de France.
253 Rheims (Isidore), rue Boissy-d'Anglas, 35.
254 Robert (Charles), rue des Dames, 12, Rennes.
255 Robert (Ulysse), Grande-Rue, 31, Saint-Mandé.
256 Rodrigues (Hippolyte), rue de la Victoire, 14.
257 Rothschild (le baron Alphonse de), membre de l'Institut,
rue Saint-Florentin, 2 (400 fr.).
258 Rothschild (le baron Arthur de), rue du Faubourg-Saint-
Honoré,33 (400 fr.).
259 Rothschild (le baron Edmond de), rue du Faubourg- Saint-
Honoré, 41 (400 fr.).
260 Rothschild (le baron Gustave de) , avenue Marigny , 23
(400 fr).
261 Rothschild (la baronne James de), avenue Friedland , 38
(50 fr).
262 Rozelaar (Lé vie- Abraham), Sarfatistraat, 30, Amsterdam.
263 Sack (Israël), Saint-Pétersbourg.
264 Saint-Paul (Georges), place Malesherbes, 5.
265 Salomon (Alexis), rue Croix-des-Petits-Champs, 38.
266 Salvador (feu le colonel).
267 Salvador-Lévy, rue de la Tête-d'Or, 34, Metz.
268 Sayce (Rev. A.-H.), professeur de philologie comparée,
Queen's Collège, Oxford.
269 Schafier (D'), rue de Trévise, 41.
270 Scheid (Elie), rue Saint-Claude, 4.
271 Schloss (Ernest), rue du Paradis-Poissonnière, 21 Us.
272 Schuhl (Moïse), grand rabbin, Vesoul.
273 Schuhl (Moïse), rue Bergère, 29.
274 Schwab (Moïse) , sous-bibliothécaire de la Bibliothèque na-
tionale, cité Trévise, 14.
275 Schweisch, rue Jean-Jacques-Rousseau, 49.
276 Sée (Camille), conseiller d'Etat, avenue des Champs-Ely-
sées, 65.
277 Sée (Eugène), préfet de la Haute-Saône, Vesoul.
278 Simon (Joseph), instituteur, Nîmes.
LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ XI
279 Simonsen, rabbin, Copenhague.
280 Singer, rue de Galilée, 62.
281 Société des Progressistes, Andrinople.
282 Spire, ancien notaire, rue d'Alliance, 12, Nancy.
283 Stetn (Henri) , ancien élève de l'École des Chartes, rue Saint-
Placide, 54.
284 Stern (Hermann), rue Royale, 22, Bruxelles.
285 Stern (René), rue du Quatre-Septembre, 14.
286 Straus (Emile), avocat à la Cour d'appel, boulevard Hauss-
mann, 134.
287 Szold, rabbin de la Congrégation Oheb Schalom, Baltimore.
288 Taub, rue Lafayette, 10.
289 Tédesco (Joseph), rue Lafayette, 43.
290 Trénel (Isaac), directeur du Séminaire israélite, rue Vau-
quelin, 9.
291 Trêves (Albert), rue Prony, 76.
292 Trêves (Georges), rue Prony, 78.
293 Ulmann (Emile), rue de Trévise, 33.
294 Veneziani (feu le chevalier).
295 Vernes (Maurice) , directeur-adjoint à l'école des Hautes-
Etudes, boulevard Saint-Germain, 76.
296 Vidal-Naquet, président du Consistoire israélite, Marseille.
297 Vidal-Naquet (Jules), rue du Quatre-Septembre, 16.
298 Weill (Dr Anselme), rue Saint-Lazare, 101.
299 Weill (Emmanuel), rue Taitbout, 8.
300 Weill (Emmanuel), rabbin, rue Condorcet, 53.
301 Weill (Georges), place des Vosges, 19.
302 Weill (Isaac), rue de Picpus, 76.
303 Weill (Isaac), grand rabbin, Metz.
304 Weill (Isidore), grand rabbin, Colmar.
305 Weill (Benjamin-Léopold), rue Richer, 41.
306 Weill (Moïse), grand rabbin, Oran.
307 Weill (Vite), rue de Lancry, 17.
308 Weisweiller (le baron de) , 17 , avenue de Friedland
(30 fr.).
309 Werner (Isaac), rue Taitbout, 58.
XII ACTES ET CONFÉRENCES
310 Wertheimer, grand rabbin, Genève.
311 Weyl (Jonas), grand rabbin, Marseille.
312 Wiener (Jacques), président du Consistoire israélite de Bel-
gique, rue de la Loi, 63, Bruxelles.
313 Wilmersdœrfer (Max), consul général de Saxe, Munich.
314 Winter (David), rue Jean-Jacques-Rousseau, 42.
315 Wogue (Lazare), grand rabbin, professeur au Séminaire israé-
lite, rue de Rivoli, 12.
316 AVolf, rabbin, La Chaux-de-Fonds, Suisse.
317 Worms (Fernand), avocat à la Cour d'appel, rue Royale, 14.
318 Ziegel et Engelmann, directeurs de l'institution Springer,
rue de la Tour-d'Auvergne, 34.
319 Ziegler (Ignace), rabbin, Karlsbad, Autriche-Hongrie.
MEMBRES NOUVEAUX DEPUIS LE 1" JANVIER 1889.
Membre perpétuel.
320 Camondo (le comte Moïse), rue de Monceau, 63.
Membres souscripteurs.
321 Bâcher (Dr Wilhem), 12, Elisabethring, Budapest.
322 Cahen d'Anvers (Louis), 2, rue Bassano.
323 Consistoire central des Israélites de France, 44, rue
de la Victoire.
324 Dreyfus (René), 83, rue de Monceau.
325 Dreyfus (Tony), 83, rue de Monceau.
326 Halphen (Mme Georges), 24, rue Chaptal.
327 Herzog, rabbin, Kaposwar.
328 Israelsohn (J.) , Boljschaja Podjatscheskaya, 9, 4, Saint-
Pétersbourg.
329 Kohut (Rév. Dr Alexander), 39, Beekman Place, New-York.
330 Lambert (Mayer), rabbin, 27, rue de Dunkerque.
LISTE DES MEMBRES DE LA SOCIETE XI11
331 Lazard (Lucien) , archiviste-paléographe, 49, rue Roche-
chouart.
332 Mayer (Félix), rabbin, Valenciennes.
333 Mayer (Henri), agrégé, 12, rue Richer.
334 Rothschild (Mme la baronne Nathaniel de), 33, faubourg
Saint-Honoré (100 fr.).
335 Ruff, rabbin, Sedan.
336 Schreiner (Dr Martin), rabbin, Csurgo, Autriche-Hongrie.
337 Taubeles (Dr S. A.), rabbin, à Bisenz, Autriche-Hongrie.
338 Fuerst (Dr), rabbin, à Mannheim.
339 Bloch (Philippe), rabbin, à Posen.
340 Weisswkiler (Charles), 36, rue Lafayette.
341 Judith Montefiore Collège, Ramsgate, Angleterre.
Membres du Conseil.
Président honoraire : M. le baron Alphonse de Rothschild ;
Président : M. Ad. Franck;
Vice-présidents : MM. H. Derenbourg et Oppert ;
Secrétaires : MM. Théodore Reinach et Schwab ;
Trésorier : M. Erlanger ;
MM. Albert-Lévy, Astruc, Abraham Cahen, Albert Cahen, Léo-
pold Cerf, J. Darmesteter, J. Derenbourg, Armand Ephraïm,
J. Halévy, Zadoc Kahn, Louis Leven, Sylvain Lévi, Isidore Loeb,
Michel Mayer, Salomon Reinach, Emile Straus, Trénel et Vernes.
PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES DU CONSEIL
SÉANCE DU 28 MARS 1889.
Présidence de M. Oppert, vice-jprésident.
Le Conseil s'occupe de la question des conférences. 31. Sylvain
Lèvi veut bien promettre d'en faire une l'année prochaine.
Le Conseil charge 31. Th. Reinach de prendre auprès des impri-
meurs des informations touchant le Recueil des textes grecs et latins
relatifs aux Juifs qu'il a été chargé de publier au nom de la Société.
M. Sylvain Lèvi propose de publier, à côté de la Revue, un Bul-
letin scientifique mensuel ayant un caractère de vulgarisation.
M. Loeb modifie cette proposition en ce sens qu'il faudrait
résumer, à l'usage du public, tout le mouvement contemporain du
Judaïsme : statistique, littérature, science, etc. Mais, pour ce tra-
vail, il faudrait un bureau de dépouillement, un personnel nouveau
et, par conséquent, des frais considérables.
31. Vernes rappelle des publications analogues qui ont été tentées
dans le protestantisme. Mais peut-être un Bulletin de ce genre
serait-il mieux entrepris par un éditeur que par la Société.
31. Zadoc Kahn ne voudrait pas appuyer le projet d'une nouvelle
publication scientifique proposé par M. Sylvain Lévi, d'autre part,
la publication d'un simple journal israélite, dont quelques membres
ont parlé, sortirait du programme de la Société.
Le Conseil prie 31. Loeb d'entreprendre une chronique des faits
relatifs au judaïsme, qui paraîtrait dans la Revue, et vote, pour cet
objet, un crédit annuel de 1,200 francs, destiné à rétribuer l'em-
ployé qui lui sera nécessaire.
PROCÈS- VERBAUX DES SÉANCES DU CONSEIL XV
SÉANCE DU 25 AVRIL 1889.
Présidence de M. Oppert, vice
Le Conseil accepte ]a proposition de M. Charles Soller de faire
une conférence sur les Juifs du Maroc.
Sont reçus membres de la Société :
M. le comte Moïse de Camondo (membre perpétuel) ;
Mm0 Georges Halphen ;
MM. René Dreyfus ;
Tonj Dreyfus ;
Dr Bâcher, professeur à Budapest ;
Dr Schreiner, rabbin à Csurgo,
présentés par MM. Ad. Franck et Zadoc Kahn.
M. Halèvy fait une communication sur des inscriptions cunéi-
formes découvertes en Egypte.
M. Oppert présente quelques observations.
SÉANCE DU 30 MAI 1889.
Présidence de M. H. Derenbourg, vice-président.
La conférence de M. Soller est fixée au 10 juin.
Le Conseil décide de souscrire à dix exemplaires des
scientifiques d'Arsène Darmesteter.
Sont reçus membres de la Société :
Mme la baronne Nathaniel de Rothschild, qui a souscrit pour
100 francs par an et fait don de 500 francs ;
MM. le Dr Kohut, rabbin à New- York ;
Henri Meïer, agrégé ;
le Dr Herzog, rabbin à Kaposwar ;
le Consistoire central des Israélites de France,
présentés par MM. Ad. Franck et Zadoc Kahn.
XVI ACTES ET CONFERENCES
M. Halèuy fait une communication sur l'article de M. Israël Lévi
intitulé : Eléments chrétiens dans le Pirkè Rabbi Eliézer.
M. Israël Lévi répond.
SÉANCE DU 27 JUIN 1889.
Présidence de M. Zadoc Kahn.
Lecture est donnée d'une lettre de M. Soller qui déclare être
empêché de faire sa conférence.
M. Loeb entretient le Conseil d'un projet d'index des vingt pre-
miers volumes de la Revue, projet accepté par le Comité de publi-
cation.
Le Conseil adopte ce projet et décide de demander à M. le rabbin
Moïse Bloch un spécimen de cet index.
M. Halèvy fait une communication sur le ch. xvm d'Ezéchiel.
SÉANCE DU 31 OCTOBRE 1889.
Présidence de M. Oppert, vice-président.
M. Loeb signale au Conseil la présence à la séance du Grand
Rabbin de Genève, M. Wertheimer, professeur à l'Université de
cette ville.
M. Loeb pense être l'interprète du Conseil en félicitant, au nom
de la Société, M. Zadoc Kahn, de son élection au poste élevé de
Grand Rabbin du Consistoire central des Israélites de France.
M. Zadoc Kahn a été le véritable fondateur de la Société des
Etudes juives, et, à ce titre, comme à tant d'autres, les sympathies
de la Société l'accompagneront dans ses nouvelles fonctions.
M. Zadoc Kahn remercie et ajoute que le Grand Rabbin du
Consistoire central sera aussi dévoué à la Société que le Grand
Rabbin de Paris.
PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES DU CONSEIL
XVII
Le Conseil .décide de souscrire à un exemplaire des œuvres de
Léopold Low, publiées par son fils.
M. Lucien Lazard fait une communication sur Manessier de
Vesoul.
M. Théodore Reinach en fait également une sur une inscription
juive du Musée de Saint-Germain, qui provient d'Auch.
SÉANCE DU 28 NOVEMBRE 1889.
Présidence de M. Oppert, vice-président.
Il est donné connaissance de la liste des souscripteurs à la publi-
cation du « Temple de Jérusalem », qui vient de paraître.
Ont souscrit :
L'Alliance israélite universelle, pour 20 exemplaires.
Le Consistoire central des Israélites de France. 2 —
Le Consistoire Israélite de Paris 6 —
La Société des Études juives , 20 —
Mmes Marsden
La baronne Salomon de Rothschild
La baronne de Zuylen ,
MM. Noël Bardac
Raphaël Bischoffsheim
Victor Blum
Louis Cahen d'Anvers
Le comte A. de Camondo (feu) .
Gustave Dreyfus ,
Maurice Ephrussi
Michel Erlanger
S.-H. Goldschmidt
Gros
Guimet
Michel Halfon
Armand Hayem (feu)
ex. de luxe.
exemplaire,
ex. de luxe.
XVIII
ACTES ET CONFERENCES
MM. Joseph Hirsch ......
Calmann-Lévy
Edmond Lévylier
Moccatta
Claude Montefiore
Théodore Reinach
Le baron Alphonse de Rothschild
Le baron Edmond de Rothschild
Le baron Gustave dé Rothschild
Le colonel Salvador (feu) .
Léon Troteux ,
Charles Robert
S. Kanoui, président du Consistoire israé-
lite d'Oran
ex. de luxe.
o —
La Synagogue de Varsovie
MM. Joseph Bey Aslan Cattain
Le baron Arthur de Rothschild
La Bibliothèque royale de Bruxelles ,
• — Bodléienne d'Oxford
— de l'Université de Tubingue .
— — Gottingue. .
— — Leipzig...
— — Heidelberg ,
— — Bonn ,
royale de Berlin ,
— Copenhague,
exemplaire,
ex. de luxe.
exemplaire.
Le Conseil décide de faire savoir aux sociétaires que, grâce au
concours offert par la Société à l'éditeur, des avantages particu-
liers sont accordés aux souscripteurs, la maison Hachette ven-
dant les exemplaires ordinaires à 100 francs et les exemplaires
sur Japon à 150, et la Société cédant ses exemplaires à raison de
50 francs l'exemplaire ordinaire et de 100 francs l'exemplaire sur
Japon.
Sur la prière du Conseil, M. Isidore Loeb veut bien faire la con-
PROCES- VERBAUX DES SEANCES DU CONSEIL XIX
férence de l'Assemblée générale prochaine. Elle aura probable-
ment pour titre : Le Juif de l'histoire et le Juif de la légende.
M. Albert Cohen en fera une, dans le courant du mois de février,
sur La musique liturgique des Juifs.
MM. Cagnat et Salomon Reinacli ont promis également d'en
faire une chacun en 1890.
M. Théodore Reinach informe le Conseil que, de concert avec
M. Loeb, il a fait choix d'un type et d'un format satisfaisants pour
la publication des textes latins et grecs relatifs aux Juifs.
Le Conseil décide que l'ouvrage sera vendu 10 francs et cédé aux
sociétaires à raison de 5 francs. Il sera tiré à 500 exemplaires. La
dépense de cette publication sera imputée au compte de fondation.
M. Théodore Reinach demande des nouvelles du bulletin que
M. Loeb avait bien voulu se charger de rédiger.
M. Loeb explique qu'il ne s'agit pas de fonder un journal faisant
concurrence aux journaux d'information rapide, mais de suivre l'his-
toire contemporaine juive à mesure qu'elle se fait sous nos yeux.
M. Vernes voudrait que ce bulletin ne parût qu'à la fin de l'année.
M. Loeb dit qu'au point de vue de l'intérêt de la Revue, une
chronique trimestrielle lui paraît préférable.
Sur la proposition de M. Théodore Reinach, l'examen de cette
question sera mise à l'ordre du jour de la prochaine séance.
M. Lucien Lazard fait une communication sur la fortune des Juifs
de France au temps de Philippe- Auguste.
MM. Loeb et Théodore Reinach présentent quelques observations
à ce sujet.
M. Vernes fait une communication sur les origines de la religion
Israélite d'après M. Renan.
Les secrétaires : Schwab, Th. Reinach.
Le gérant,
Israël Lévi.
D3 Revue des etucîe3 juives;
101 historia iudaica
R^5
1. 19
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